Fiche du document numéro 33054

Num
33054
Date
Dimanche 15 octobre 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
145613
Pages
3
Urlorg
Titre
« Rwanda, à la poursuite des génocidaires » : le combat d’un couple d’exception face à l’impunité
Soustitre
LE LIVRE DE LA SEMAINE. Le journaliste Thomas Zribi et l’illustrateur Damien Roudeau reviennent dans un roman graphique sur l’engagement de Dafroza et Alain Gauthier pour faire juger les criminels ayant fui en France.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation


« Faire sa part » ou encore « Agir par devoir de mémoire » : ainsi pourrait-on décliner quelques sous-titres au roman graphique Rwanda, à la poursuite des génocidaires, nouvellement paru. Ses auteurs, Thomas Zribi (journaliste scénariste) et Damien Roudeau (illustrateur), y abordent en effet la question du génocide de 1994 sous l’angle méconnu de ses suites judiciaires et, ce faisant, mettent en lumière un couple d’exception : Dafroza et Alain Gauthier.

Depuis plus de vingt ans, les Gauthier se dédient à la traque des génocidaires qui ont fui en Europe, en particulier sur le sol français. Car si l’on sait aujourd’hui que plus d’un million de Tutsi ont trouvé la mort lors de l’extermination programmée par le pouvoir hutu, il faut, comme le rappelle l’album, imaginer, pour ces « centaines de milliers de victimes, au moins autant d’assassins ». Certes, un certain nombre d’entre eux ont été jugés et condamnés lors des « gacaca », les tribunaux traditionnels mis en place dans les années 2000 au Rwanda. Mais comment admettre que d’autres exécutants et organisateurs de ce « crime absolu » puissent mener une vie tranquille, à l’abri des poursuites, sous d’autres cieux ?

C’est cette situation, intolérable, qui a poussé les Gauthier à s’engager dans ce qui est devenu le combat de leur vie. Comment ces deux « simples citoyens » en sont-ils arrivés là ? Certes, le couple est lié au Rwanda depuis toujours. Née à Butare en 1954, Dafroza effectue ses études supérieures en France et devient ingénieure chimiste. Alain, de son côté, est principal de collège et a été enseignant au Rwanda au début des années 1970. Ils sont mariés, ont fondé une famille et sont installés en France lorsque, en avril 1994, survient l’horreur du génocide. La famille et les proches de Dafroza sont décimés.

« Coupables d’être vivants »



Des mois plus tard, quand il devient possible aux époux Gauthier de retourner au Rwanda pour honorer leurs morts, les chocs psychologiques se succèdent, de la découverte des lieux de mémoire, qui les laissent sans voix, à l’émotion de rencontrer des rescapés qui livrent des témoignages plus insoutenables les uns que les autres. Se sentant, comme beaucoup, « coupables d’être vivants » et désireux d’agir d’une manière ou d’une autre, les Gauthier décident de répondre au besoin de réparation qui s’exprime. Avec des amis, ils créent en 2001 le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et vont dès lors tout faire pour débusquer les génocidaires réfugiés en France afin qu’ils soient traduits en justice.

La tâche se révèle immense. On estime qu’entre 200 et 400 meurtriers vivent sur le territoire français. Il s’agit de les identifier, de les localiser, mais aussi d’accumuler les éléments permettant de les envoyer devant les tribunaux. Pour cela, il faut retourner encore et encore au Rwanda pour ratisser les campagnes à la recherche de preuves, de témoignages, voire de personnes prêtes à se constituer parties civiles. Or, explique Dafroza Gauthier, « il n’y a quasiment pas de preuves matérielles d’ordre écrit… Les rescapés luttaient pour leur survie, ils étaient cachés dans des trous, dans des forêts… souvent ils ne peuvent pas identifier leurs bourreaux ».

Comme dans un reportage, l’album suit les Gauthier dans leurs enquêtes, éprouvantes, qui nécessairement conduisent à retracer certains moments clés du génocide, comme le siège d’un village ou l’assaut contre une église où des centaines de Tutsi ont cru trouver refuge. Les souvenirs croisés montrent à quel point le massacre était organisé et la diffusion de l’ordre essentielle, permettant de faire passer les consignes des tueries du gouvernement aux préfets, puis aux bourgmestres et à leurs concitoyens hutu… Entre pudeur et justesse, l’illustration permet de montrer l’innommable et d’interpeller le lecteur.

Restaurer une « humanité bafouée »



Pour les Gauthier, acteurs essentiels de la défense des victimes, il s’agit aussi de résister sur le plan personnel à l’épuisement physique et psychologique et de parvenir à trouver un équilibre entre cette cause et leur vie privée. Sans parler des menaces que certains partisans du silence ou de l’impunité profèrent parfois contre eux. Mais le pire ennemi du couple s’avère être le temps qui passe. « Depuis vingt-neuf ans, nous dénonçons les lenteurs de la justice et le silence des médias », souligne Alain Gauthier. En France, le premier procès d’un homme accusé d’avoir participé au génocide n’a eu lieu qu’en… 2014.

Comme le rappelle le rappeur et écrivain Gaël Faye dans la préface de l’album : par la justice, les « survivants qui ont réchappé au désastre attendent que se trouve restaurée leur humanité bafouée ». Près de trente ans après le génocide, les résultats sont faibles. Seulement six personnes ont été jugées et condamnées jusqu’à présent en France – dont trois définitivement, les autres ayant fait appel. Le procès d’une septième personne s’ouvrira le 14 novembre.

De quoi largement s’interroger. Se décourager aussi. Avant de relever la tête et de repartir au combat. Car comme le dit encore Dafroza Gauthier avec une élégante modestie : « Ce travail nous prend énormément d’énergie. Mais il faut le faire, alors nous le faisons, c’est tout. »

Rwanda, à la poursuite des génocidaires, de Thomas Zribi et Damien Roudeau, éd. Les Escales-Steinkis, 192 pages, 24 euros.
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