Fiche du document numéro 33052

Num
33052
Date
Samedi 14 octobre 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
238838
Pages
1
Surtitre
Colonisation
Titre
Un même appétit, des méthodes différentes
Soustitre
Le départ des troupes françaises du Niger, n’est pas une péripétie : une page d’histoire est en train de se tourner. Pourquoi aujourd’hui, pourquoi tant de tension ? Comment d’autres anciennes métropoles, comme la Belgique, ont-­elles affronté, puis dépassé ce stade de la confrontation et du rejet ?
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Commentaire
This article is important. It contains a few blunders and a few omissions. France's seat as a permanent member of the Security Council does not depend on its ties with African countries. We must not forget the murder of Mehdi Ben Barka and other mathematicians like the Chadian Ibni Oumar Mahamat Saleh, as if France's objective was to eradicate all mathematicians and other intelligent people, by favoring alliances with bloodthirsty thugs. We must also not forget these campaigns of conquests and massacres like the Voulet-Chanoine column which, in 1899, crossing Senegal, Burkina and Niger “gave” Chad to France, as written in our history books of the public school created by Jules Ferry who wanted to civilize the inferior races. But this article summarizes well the causes of France's current exodus from “black” Africa, as the author continues to say. With this return to France of the ambassador to Niger Sylvain Itté, we want to add “Ite missa est”, a bad joke certainly, because the mass, in particular that said in Rwanda in 1994 was much more sinister.
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le Soir Samedi 14 et dimanche 15 octobre 2023

COLONISATION

Un même appétit,
des méthodes différentes

Le départ des troupes françaises du Niger, n’est pas une péripétie :
une page d’histoire est en train de se tourner. Pourquoi
aujourd’hui, pourquoi tant de tension ? Comment d’autres
anciennes métropoles, comme la Belgique, ont ­elles affronté,
puis dépassé ce stade de la confrontation et du rejet ?

Situation politique
de l’Afrique selon
le « Petit atlas
de Meyer » (1921).
© COLLECTION MRAC TERVUREN

Les premiers militaires français ont quitté le Niger à la date convenue et d’ici fin décembre, le contingent de 1.500 hommes (3.000 selon le ministre nigérien de l’Intérieur !) devrait avoir suivi. Après une longue épreuve de force, l’ambassadeur de France, Sylvain Itté, a regagné la France le 27 septembre. Au Mali, c’est en août 2022 que les derniers militaires français avaient quitté le pays, se repliant sur… le Niger et traversant le Burkina Faso sous les huées de la foule. Rappelons qu’au Mali, les militaires français participaient à l’Opération Barkhane, censée barrer la route aux djihadistes islamistes et qu’ils avaient été chargés de la même mission au Niger. Avec peu de succès, car les attaques s‘étaient intensifiées. Même si les militaires qui ont pris le pouvoir au Gabon affichent – jusqu’à présent­ de bonnes relations avec Paris, une page se tourne : les anciennes colonies françaises en Afrique sont entrées dans une ère qui pourra, un jour, être qualifiée de « deuxième décolonisation ». Il est temps de s’interroger sur les raisons et les conséquences de ce désaveu.

Le ressentiment que suscite la France dans son ancien « pré carré » africain est peut-­être à la mesure des liens tissés par le passé. Rappelons qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les colonies de la France formaient encore deux grands ensembles : l’Afrique équatoriale française (AEF) et l’Afrique occidentale française (AOF), dirigées par des gouverneurs qui, au début de la guerre, s’étaient rangés aux côtés du régime de Vichy et du maréchal Pétain. Le gouverneur du Tchad, Felix Eboué avait été le premier à se rallier à la France libre. Et par la suite, c’est depuis le Congo­-Brazzaville, capitale de l’AEF, que le général de Gaulle allait prononcer le discours historique appelant à la résistance contre l’occupant allemand.

Partir pour mieux rester, diviser pour régner

Devenu président en 1959, de Gaulle s’attacha à mettre fin à la guerre qui avait déchiré l’Algérie, jusque­-là considérée comme une province française. Il dut faire face au ressentiment des partisans de l’Algérie française et organiser l’accueil en France des harkis, ces soldats qui avaient collaboré avec l’armée française. Entamé dans la foulée du douloureux départ de l’Algérie, le processus de décolonisation des territoires d’Afrique noire pourrait se résumer en quatre verbes, partir pour mieux rester, diviser pour régner. En effet, les indépendances formellement accordées en 1960 furent d’une portée limitée : l’AEF (Afrique équatoriale française) et l’AOF (Afrique occidentale française) furent découpées en Etats indépendants, dotés chacun d’un vote aux Nations unies, censé renforcer la position de la France. Dirigée par Ahmed Sekou Touré, la Guinée, qui avait refusé l’accord d’association proposé par la France, paya son refus d’un long et coûteux isolement.

Dès 1945, la France, au contraire de la Belgique, avait veillé à former des élites qui lui étaient acquises, tant sur le plan intellectuel que social et politique. Léopold Sédar Senghor, qui devint le premier président du Sénégal, était poète, écrivain et normalien. Félix Houphouët-­Boigny, qui siégea à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire puis devint président, était issu d’une grande famille de planteurs. A l’époque, l’apparition de ces élites francophiles, formées et accueillies en métropole, faisait rêver les ressortissants du Congo belge, un pays qui, au moment de l’indépendance, comptait moins de dix universitaires, même si l’enseignement primaire était largement suivi.

Des liens multiples

Dès les années 60, des liens multiples, sentimentaux, culturels et économiques se nouèrent entre Paris et les dirigeants des anciennes colonies. Les pays dits « du champ » étaient censés appartenir à une « grande famille », ils se retrouvaient au sein de l’Organisation internationale de la francophonie ou dans des sommets « France­-Afrique », ils renforçaient la voix de la France à l’ONU, permettant ainsi à l’ancienne métropole de siéger au Conseil de sécurité et d’obtenir la responsabilité des opérations de maintien de la paix, engageant des Casques bleus à travers le monde. Si la France a gardé jusqu’à ce jour son rang de grande puissance, c’est grâce aux liens privilégiés entretenus avec ses anciennes colonies et grâce à l’intérêt stratégique de la « zone maritime » que représentent les départements et territoires d’outre-­mer (Guadeloupe, Réunion, Martinique, Guyane, Saint­-Pierre et Miquelon).

La portée des indépendances était cependant limitée, car la décolonisation s’accompagna d’un volet économique et militaire : le franc CFA (alors appelé franc des colonies françaises d’Afrique) avait été créé en 1945, en même temps que les accords de Bretton Woods qui donnèrent naissance au Fonds monétaire international. Utilisé dans quinze pays d’Afrique noire, le CFA est demeuré lié au Trésor français, ses réserves étant logées dans l’ancienne métropole. Sa relative stabilité fut longtemps considérée comme un avantage.

Les accords de coopération militaire avec les pays dits « du champ » représentent un autre volet des « relations privilégiées ». Jusqu’aux crises de ces derniers mois, les bases françaises dans les anciennes colonies – Djibouti, Côte d’Ivoire, Sénégal, Gabon, Tchad et jusqu’à il y a peu Niger – comptaient 10.000 hommes stationnés en réserve ou participant directement à des opérations militaires, en plus d’un important matériel, des avions de chasse et de drones.

L’Afrique sans la France est une voiture sans chauffeur et la France sans l’Afrique est une voiture sans carburant

Omar Bongo
Ancien président du Gabon

Eminence grise de la politique africaine du général de Gaulle, Jacques Foccart et ses successeurs dans les « services » ont longtemps gardé leurs entrées chez les présidents « amis de la France ». Dans les années 1980, le journaliste et essayiste Pierre Péan (L’argent noir, Affaires africaines, parus chez Fayard) cite tranquillement les entreprises qui pratiquent l’« arrosage », soit la distribution de commissions, avec un taux moyen de 10% : Bouygues, Spie Batignolles, Alsthom, CGE, Thomson, Doumenc etc. En outre, des « mallettes » remontaient régulièrement depuis les capitales africaines (entre autres Abidjan, Libreville, Brazzaville) afin de soutenir les campagnes présidentielles, qu’il s’agisse de Valéry Giscard d’Estaing, de Jacques Chirac et même de François Mitterrand. Voici quelques jours encore, les militaires putschistes du Gabon ont retrouvé le trésor personnel de la famille Bongo – au pouvoir depuis 40 ans –, un pactole qui permettait aussi de maintenir les contacts avec l’ancienne métropole.

Des immixtions politiques qui ne passent plus

Si ces liens économiques, militaires et personnels suscitent aujourd’hui un tel rejet au sein des nouvelles générations africaines, c’est parce qu’ils furent accompagnés d’immixtions politiques directes et parfois violentes. Le premier président du Togo, Sylvanus Olympio, fut assassiné par des gardes démobilisés de l’armée française au profit d’Eyadéma, dont le fils est toujours au pouvoir. Au Cameroun, le leader nationaliste Ruben Um Nyobè fut assassiné en 1958 par une patrouille française. Au Burkina Faso, Thomas Sankara, référence des putschistes d’aujourd’hui, fut victime d’un assassinat soutenu par son ancien compagnon de route, devenu président, Blaise Compaoré, qui avait été « retourné » par Paris et Abidjan. Au Tchad, Hissène Habré, le « tombeur » du leader toubou Goukouni Oueddei, fils d’un chef traditionnel, fut longtemps bien en cours, et son successeur, Idriss Déby, fut formé par les services français. Plus récemment, nul n’a oublié la « liquidation » du colonel Kadhafi par des rebelles libyens, qui furent aidés par des forces spéciales françaises. Le « Guide », devenu mégalomane et violent, avait aussi, imprudemment, songé à soutenir une nouvelle monnaie africaine qui aurait remplacé le franc CFA.

Si les pays dits « du champ » connurent un grand nombre de coups d’Etat, leurs indices de développement sont restés parmi les plus bas. Entre autres parce que le franc CFA, à parité fixe et lié au Trésor français, favorisait l’écoulement sur les marchés africains des produits made in France, tandis que les matières premières étaient achetées à « prix d’ami ». On se demande toujours quelle est la part de bénéfice que le Niger – demeuré l’un des pays les plus pauvres du monde – a gardé de l’exploitation de l’or et surtout de l’uranium, qui aujourd’hui encore fait tourner 30 % des centrales françaises. Le président gabonais Omar Bongo parlait en connaissance de cause lorsqu’il répétait que « l’Afrique sans la France est une voiture sans chauffeur et la France sans l’Afrique est une voiture sans carburant. » Il faut rappeler enfin que le soutien apporté par François Mitterrand au régime rwandais, alors qu’il préparait le dernier génocide du siècle, contribua au discrédit de la « patrie des droits de l’homme ». Jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron entame le processus de réconciliation ?
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024