Fiche du document numéro 32792

Num
32792
Date
Samedi 12 août 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
335992
Pages
4
Urlorg
Surtitre
Politique
Titre
Génocide des Tutsi au Rwanda : Félicien Kabuga, la justice qui ne passera pas
Soustitre
Arrêté en 2020 après vingt-trois ans de cavale, Félicien Kabuga devait être jugé devant le Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux. Pour des raisons de santé, son procès n’aura finalement jamais lieu.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Vieux journaux kenyans qui ont couvert l’histoire du journaliste assassiné en 2003, William Munuhe, et du cerveau du génocide rwandais, Félicien Kabuga.
© James Wakibia/SOPA Images/SIPA

Pour les associations de victimes du génocide des Tutsi de 1994, la nouvelle a sonné comme un couperet : déclaré inapte à être jugé en première instance puis en appel, Félicien Kabuga a vu la procédure lancée à son encontre suspendue de manière « indéfinie ». Il était inculpé depuis 1997 de sept chefs d’accusation, dont génocide, complicité de génocide, et incitation directe et publique à commettre le génocide.

Une déception, certes, mais pas une surprise : depuis son arrestation en mai 2020, l’espoir de le voir jugé par un tribunal s’était considérablement amenuisé au fil du temps. « Cette décision, on ne pouvait que la craindre », avoue Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) – une organisation qui traque depuis 2001 les personnes réfugiées en France soupçonnées d’implication dans le génocide. Si l’association ne devait pas prendre part au procès de Félicien Kabuga, le ressentiment n’en est pas moindre. « Le retard pris à retrouver Kabuga était déjà désespérant pour les victimes. Pour ce qui est de sa libération, ça coûtera moins cher à la communauté internationale. »

Questions de santé

L’arrestation à Asnières-sur-Seine, en banlieue parisienne, d’un dénommé Antoine Tounga le 16 mai 2020, sonnait le glas d’une cavale de 23 ans. C’est là que vivait Félicien Kabuga, dans un appartement loué au nom de l’un de ses 11 enfants, alors que la dernière trace de lui remontait à 2007, en Allemagne.

Mais, rapidement après son arrestation, la question de l’état de santé de l’accusé s’est retrouvée sur la table. Le fugitif, qui devait tout d’abord être jugé à Arusha, siège du Mécanisme, avait finalement été renvoyé vers la cour de La Haye pour des raisons de santé.

Décrit comme physiquement diminué, l’octogénaire – et même, selon ses propres dires, nonagénaire – a par la suite été considéré comme « inapte » à être jugé par des experts indépendants mandatés par le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux.

« Inapte à participer utilement à son procès », Félicien Kabuga a également peu de chance de « [redevenir] apte dans l’avenir », a statué la chambre de première instance le 16 juin 2023. Une décision finalement partagée en appel, alors que la chambre spéciale ne pouvait de toute façon pas rendre de jugement à l’encontre de l’accusé.

Du côté de la Défense, cette libération n’est pas non plus une surprise. L’un des avocats de Félicien Kabuga, Emmanuel Altit, joint par Jeune Afrique, se dit « particulièrement satisfait » : « À notre suite, la chambre d’appel a repris les mêmes arguments et s’est appuyée sur les hauts principes du droit », table-t-il.

Fondateur de la Radio des Milles collines

Pour le Mécanisme de l’ONU, Félicien Kabuga était l’un des trois plus gros dossiers hérités du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Mis en place par les Nations unies au lendemain du génocide, le TPIR a fermé ses portes en 2015 avec un bilan en demi-teinte, laissant au Mécanisme huit dossiers à prendre en charge, dont trois de premier plan.

Après l’annonce de l’authentification de la dépouille de l’ancien ministre de la Défense rwandais Augustin Bizimana, et celle de la mort depuis 2006 de Protais Mpiranya au Zimbabwe, le procès de Félicien Kabuga était sans doute le plus attendu par les familles de victimes et les rescapés.

Et pour cause : Félicien Kabuga est soupçonné d’avoir joué un rôle essentiel dans la préparation du génocide des Tutsi au Rwanda entre avril et juillet 1994. Ce proche du président Juvénal Habyarimana, dont deux des fils avaient épousé deux de ses filles, était également membre de l’Akazu, nom donné aux extrémistes évoluant autour de la première dame Agathe Habyarimana.

Souvent présenté comme le « financier du génocide », Félicien Kabuga était l’un des principaux créanciers du parti présidentiel, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MNRD). Mais aussi l’un des fondateurs, et un actionnaire important de la Radio-Télévision libre des Mille collines (RTLM), média qui a eu une incidence considérable durant le génocide, diffusant quotidiennement des appels à la haine et à l’extermination de l’ethnie tutsie.

Riche homme d’affaires dans le Kigali des années 1990, Félicien Kabuga est notamment accusé d’avoir financé l’importation de plusieurs tonnes de machettes ayant servi durant les massacres, notamment via la création d’un Fonds de défense nationale pour assurer le fonctionnement et l’armement des milices Interahamwe – rouage essentiel de la machine génocidaire.

Libéré, mais sous quelles conditions ?

« Je comprends la déception des survivants et des familles de victimes du génocide des Tutsis », déclare Serge Brammertz, procureur du Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux, contacté par Jeune Afrique. Si Félicien Kabuga, incarcéré depuis trois ans dans la prison des Nations unies, sur le site pénitentiaire de Scheveningen, doit être libéré, reste à savoir sous quelles conditions. « C’est là la grande différence entre les génocidaires, qui ont mis de côté toute trace d’humanité pour commettre leurs crimes, et les Nations unies qui se doivent d’appliquer le droit pénal international. »

Selon le principe de droit non bis in idem (« pas deux fois pour la même chose » en latin), Félicien Kabuga ne pourra donc pas passer devant une cour de justice, qu’elle soit nationale ou internationale.

Et une question reste à trancher : où celui qui demeure accusé de crimes contre l’humanité passera le reste de ses jours ? D’après nos informations, le seul document d’identité en possession de Félicien Kabuga à l’heure de son arrestation était une fausse pièce d’identité congolaise au nom d’Antoine Tounga. L’ancien homme d’affaires, originaire de la préfecture de Byumba dans le nord du pays, aurait donc uniquement la nationalité rwandaise.

Mais le Rwanda, qu’il a fui en 1994 au moment de l’arrivée du Front patriotique rwandais (FPR), avant de se lancer dans plus de deux décennies de cavale – Suisse, RDC, Kenya, Allemagne, France… – ne s’impose de toute évidence pas comme sa destination première.

Félicien Kabuga pourrait essayer d’obtenir une autorisation de territoire dans l’un des pays de résidence de ses enfants : la France, la Belgique, le Royaume-Uni ou encore les Pays-Bas. Mais le pays hôte de la Cour pénal internationale a pour habitude de refuser ce type de demande, considérant que les accusés se trouvent sur le territoire néerlandais pour une durée limitée par leur procès. « S’il n’obtient pas d’autorisation de la part d’un pays-tiers, la seule solution qui s’offrira à Kabuga sera de regagner Kigali, après vingt-neuf années d’absence », conclut une source qui a suivi de près le dossier.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024