Fiche du document numéro 32645

Num
32645
Date
Jeudi 6 juillet 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
88426
Pages
4
Urlorg
Surtitre
A la barre
Titre
Hubert Védrine débouté de sa plainte : le rôle de la France au Rwanda pendant le génocide s’impose un peu plus
Soustitre
L’ancien ministre a été débouté ce jeudi 6 juillet de la plainte pour diffamation qu’il avait déposée contre Annie Faure, médecin humanitaire, au sujet de son rôle dans le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994. Une décision immédiatement saluée par l’avocat de la défense.
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L'ancien ministre et secrétaire général de l'Elysée Hubert Védrine, en avril 2022. (Joel Saget /AFP)

La justice a tranché : l’ancien ministre Hubert Védrine a été débouté jeudi de sa plainte en diffamation contre la docteure Annie Faure qui avait été envoyée comme médecin humanitaire au Rwanda pendant le génocide des Tutsis. Membre du Parti socialiste, elle avait souvent dénoncé le rôle de la France, avant comme pendant cette tragédie.

C’est l’une de ses prises de parole qui lui avait valu d’être poursuivie en justice pour diffamation par Hubert Védrine, justifiant leur face-à-face devant la 17e chambre du tribunal de Paris, les 20 et 21 avril. En cause : des propos recueillis au micro de France Inter, diffusés dans le journal de 8 heures, du 8 avril 2019, où elle accusait le PS de tarder à faire son devoir d’inventaire sur le rôle de l’Elysée dans la tragédie rwandaise, à l’époque où Mitterrand était président : «Il n’y a pas de renouveau. C’est comme si les secrétaires du Parti socialiste, tout jeunes qu’ils soient, n’avaient aucune possibilité de rejeter le lourd fardeau du mitterrandisme sur cette complicité du génocide des Tutsis et qu’ils étaient sous l’influence de ceux qui ont beaucoup à perdre : Hubert Védrine, en premier.» L’ancien ministre était en effet secrétaire général de l’Elysée au moment où le Rwanda bascule au printemps 1994 dans une solution finale africaine.

Ce jour-là, Annie Faure poursuit son propos en dénonçant plus précisément le rôle supposé de Védrine à l’époque : «C’est lui qui a accepté ou fermé les yeux sur la livraison d’armes et la protection des génocidaires rwandais. C’est ça la réalité.» S’estimant accusé de «complicité de génocide», Védrine avait donc porté plainte.

Charge de l’accusation



Ce n’est pas la première fois que l’ancien ministre attaque en justice ceux qui l’accusent d’avoir été une cheville ouvrière indispensable auprès d’un président Mitterrand vieillissant et malade, dès la montée des périls au Rwanda, ce petit pays d’Afrique soumis à la ségrégation ethnique et à des pogroms récurrents visant la minorité tutsie depuis 1959, à la veille de l’indépendance.

En mai 2022, il avait obtenu une première condamnation pour «diffamation», bien que débouté de l’accusation d’«injure publique», après une série de tweets de l’ancien officier français Guillaume Ancel, présent au Rwanda lors de l’opération Turquoise. Celle soudain lancée par la France avec l’aval de l’ONU à la fin du génocide, et qui avait officiellement un but humanitaire. Une intervention militaire, souvent accusée d’avoir surtout cherché à remettre en selle les extrémistes hutus alors au pouvoir, mais acculés face à la progression fulgurante d’une rébellion à dominante tutsie, le Front patriotique rwandais (FPR), qui allait arrêter les massacres. Grâce au soutien de Paris qui n’a jamais stoppé ses livraisons d’armes au camp des tueurs, comme l’avait reconnu Hubert Védrine lui-même devant la commission de la défense nationale le 16 avril 2014, affirmant qu’il ne s’agissait alors que de «la suite de l’engagement d’avant» le génocide.

Mais, comme souvent lors de ces procès intentés par d’anciens responsables français aux commandes à l’époque, la charge de l’accusation contraint finalement l’accusateur à se justifier sur son rôle pendant cette époque trouble. Depuis toujours, Védrine s’est érigé en défenseur de la mémoire de François Mitterrand et de «l’honneur de la France» face à cette tragédie.

«Dénonciation obsessionnelle»



S’il s’est résolu à poursuivre en justice, explique-t-il à la barre, c’est parce que, sur «une trentaine d’ouvrages parus» sur la question, qui selon lui dédouaneraient la France, aucun n’a eu d’écho dans l’Hexagone. Il cite Charles Onana, un «chercheur» camerounais, poursuivi pour négationnisme devant la justice française. Il évoque aussi l’écrivaine canadienne Judi Rever, «poursuivie par la haine méthodique de l’actuel régime de Kigali», affirme Védrine. Elle est surtout connue pour avoir expliqué que «les miliciens aux barrières auraient été des Tutsis, déguisés en extrémistes», rappellera un témoin à la barre. Les ouvrages de ces auteurs n’ont certes pas connu beaucoup de succès en France.

Et à défaut de cette vérité-là, ne resterait donc que la justice pour réagir face à «la dénonciation obsessionnelle de la France», selon Védrine. Sauf que le vent de l’histoire est peut-être en train de tourner. C’est en tout cas ce qu’a constaté maître Antoine Comte, l’avocat d’Annie Faure : «Cette décision de justice marque la prise de conscience du désastre de la politique mitterrandienne au Rwanda, a-t-il déclaré aussitôt le verdict connu ce jeudi. Et aujourd’hui s’ouvre une nouvelle phase, celle de la fin de l’impunité pour tous ceux qui ont participé à cette politique.»

Lors des audiences qui ont eu lieu fin avril, il aura d’ailleurs été peu question d’Annie Faure. Malgré ses propos déchirants évoquant son expérience face aux enfants attaqués sans relâche pendant les trois mois du génocide. Ses récits sur ceux qu’elle réussira à sauver, et ceux qui périront victimes d’une propagande de la haine, dévoilée dès 1990. C’est cette année-là qu’est publié au Rwanda le pamphlet des «dix commandements des Bahutus». Ce «bréviaire de la haine présentant les Tutsis comme la race à abattre», rappellera à la barre le journaliste Jean-François Dupaquier qui fut l’un des premiers à alerter sur la menace d’un génocide et sur le régime «fasciste», dira-t-il, qui sévissait au Rwanda à l’époque. Il énumérera la longue liste de ceux qui, au sein du Quai d’Orsay, du ministère de la Défense, de la Coopération, ont tenté d’enrayer une logique devenue folle, soutenue à l’époque par l’Elysée. Et ses principaux responsables. Parmi ces lanceurs d’alerte, l’actuel ambassadeur de France au Rwanda, Antoine Anfré, qui, dans le livre d’or du mémorial du génocide à Kigali, a écrit ces mots : «Le génocide au Rwanda n’aurait pas eu lieu si nous avions eu une autre politique.»

Les soutiens d’Hubert Védrine ont, eux, tenté de minimiser cette conscience du drame qui s’annonçait. «Nous n’avons pas tout de suite compris qu’il y avait un génocide», expliquera en substance l’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées au moment du génocide. Des propos contredits par tant de télégrammes diplomatiques, de notes de la DGSE, des commissions d’enquête. En réalité, à l’époque, Paris reste obsédé par la volonté de soutenir ses anciens alliés. A leur procurer, comme le révéleront d’autres notes internes, «un soutien indirect». Ou à éviter que même en fuite, les génocidaires soient arrêtés.

Sans ambiguïté



A toutes ces étapes, Hubert Védrine est là, paraphe parfois d’un «HV» des notes entre services, potentiellement compromettantes. Il sera finalement sans cesse forcé de s’en justifier au cours de ces deux séances d’audience du procès. D’autant qu’en 2021, le rapport de la commission Duclert, chargé d’examiner les archives de la France pendant cette période, a dénoncé sans ambiguïté «l’aveuglement» de l’Elysée face à un régime «raciste». Cette commission d’historiens, formée à la demande d’Emmanuel Macron, a changé la donne en France : «Elle a notamment montré que personne ne pouvait ignorer le génocide qui s’annonçait», a encore déclaré maître Comte à Libération.

Au cours des audiences, il y eut aussi des détails qui ont surpris : pour ce procès qu’il semble avoir tant souhaité, Hubert Védrine n’était pas pour autant prêt à payer de sa poche. Il aura ainsi tenté sans succès de faire payer la caution de 7 000 euros accompagnant le dépôt de la plainte par l’Institut François-Mitterrand, révélera maître Antoine Comte. Au nom de qui portait-il plainte ? «Au nom de la France», comme il l’affirme ?

«Mais qui est la France ?» dans le contexte trouble de l’époque, a interrogé le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, qui a couvert le génocide au Rwanda, invité à la barre par la défense. C’est toute la question qui demeure à l’issue de ce procès en boomerang.

Après avoir eu connaissance du verdict, Annie Faure s’est sentie soulagée de voir la justice reconnaître «la voix d’une certaine France : celle qui a ouvert les yeux sur l’histoire. Celle dans laquelle une autre France a joué un rôle cruel et abject dans l’extermination des Tutsis en 1994». Hubert Védrine dispose d’un délai de dix jours pour faire appel de la décision.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024