Fiche du document numéro 32523

Num
32523
Date
Mardi 13 juin 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
34476
Pages
3
Urlorg
Titre
Au procès de Philippe Manier, les témoignages rappellent les heures sombres du génocide des Tutsi
Sous titre
A Paris, la cour d’assises cherche à connaître le rôle de l’ancien gendarme rwandais, naturalisé français en 2005, lors du massacre de Nyamure, où plus de 10 000 Tutsi ont été tués.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
A la barre du tribunal de Paris ou en visioconférence depuis Kigali, les témoins se succèdent au procès de Philippe Hategekimana, 66 ans. Une centaine de personnes doivent comparaître au cours de cette procédure hors norme commencée le 10 mai. L’accusé, naturalisé français en 2005 sous le nom de Philippe Manier, est poursuivi pour « génocide » et « crimes contre l’humanité » pour des faits imprescriptibles commis dans le sud du Rwanda en 1994.

La tête légèrement inclinée, une main posée sur le rebord de son box, l’homme à la stature imposante écoute les débats en restant impassible. Depuis mercredi 7 juin, la cour d’assises cherche à connaître son rôle lors du massacre de Nyamure, où plus de 10 000 Tutsi ont été exterminés. C’est un moment fort de cette longue série d’auditions. L’enjeu est de savoir si, autour du 27 avril 1994, Philippe Hategekimana, surnommé « Biguma », était encore adjudant-chef à la gendarmerie de Nyanza, dans la préfecture de Butare. Lui assure qu’il était alors en poste à Kigali, chargé de la sécurité d’un colonel, et donc loin de cette colline qui a basculé dans l’horreur.

Les jurés ont entendu des récits difficilement supportables. Julienne Nyirakuru a raconté, vendredi par visioconférence, avoir été arrêtée à un barrage alors qu’elle tentait de fuir avec sa famille vers le Burundi. « Il y avait beaucoup d’Interahamwe [des miliciens hutu responsables de nombreux massacres], a-t-elle déclaré. Ils découpaient tout le monde à la machette. Mon père a été tué ainsi, sous mes yeux. » La fillette de 9 ans est ensuite parvenue à s’enfuir et à rejoindre la colline de Nyamure, où des milliers de Tutsi s’étaient réfugiés.

« Les Interahamwe et les gendarmes sont montés au sommet et ont commencé à nous tirer dessus, a-t-elle expliqué en sanglots. Mes frères ont été tués et ma tante a reçu une balle dans la jambe. Elle est tombée au sol et un homme lui a tranché la tête. Je me suis allongée à côté d’elle et j’ai fait semblant d’être morte. Je suis restée ainsi étendue toute la nuit, car je refusais de la laisser. A l’aube, j’ai compris qu’il n’y avait plus rien à faire, alors je suis partie me cacher dans un champ de sorgho. »

« Tailladée à la machette »



Apollinarie Gakuru avait 15 ans au moment du génocide. A la barre, elle a raconté dans les moindres détails son « long chemin de croix » fait de « viols à tour de rôle par beaucoup d’hommes » et du meurtre de sa mère, « tailladée à la machette par des Interahamwe ». « Je suis retournée à la barrière car je voulais en finir, a-t-elle confié au terme de son audition. Je voulais mourir, je voulais qu’on me tue. »

Philippe Hategekimana, également accusé du meurtre d’un bourgmestre, d’avoir pris part à l’érection de barrières et au massacre de la colline de Nyabubare, où près de 300 Tutsi ont été tués, se trouvait-il au cœur de la matrice génocidaire ? Quelques témoignages ont semblé fragiles.

Léopold Mukiga, un rescapé âgé aujourd’hui de 64 ans, a déclaré que plusieurs témoins lui avaient assuré que l’attaque de Nyamure, au cours de laquelle il a perdu sa sœur et son oncle, avait été « dirigée par Philippe Hategekimana ». « Mais vous avez vu quoi ? », lui a demandé le président. « Je n’y suis pas resté longtemps, a répondu le témoin. J’y suis arrivé le 26 et en suis reparti le 28 ou le 29. » « Vous ne faites pas état de certaines attaques dans votre demande de constitution de partie civile et c’est étonnant, s’est ensuite emporté le juge Jean-Marc Lavergne. Vous dites aussi avoir vu un hélicoptère [à Karama]. Or je n’ai pas le souvenir que d’autres témoins l’aient vu. »

Les faits remontent à près de trente ans. Il arrive que les souvenirs se mélangent, parfois ils s’oublient. « Pouvez-vous nous dire approximativement à quelle date vous étiez sur la colline ? », a demandé l’avocate de Philippe Hategekimana à Anne-Marie Mutuyimana, une rescapée, lundi. « Non, je ne peux pas, a-t-elle répondu. Je ne sais pas non plus qui a dit à mon père que les gendarmes étaient impliqués dans ce massacre. »

« C’est bien ce visage-là »



Des témoignages accablants viennent parfois d’anciens assaillants qui comparaissent en visioconférence dans la tenue rose des prisonniers rwandais, car ils n’ont pas fini de purger leur peine. « L’attaque a été dirigée par Biguma, que j’ai vu arriver dans une camionnette de la gendarmerie qui transportait les gendarmes armés de fusils légers et de gros calibres, a ainsi raconté Mathieu Ndahimana. Biguma était assis dans la cabine côté passager. »

Sur la colline de Nyamure, Valens Bayingana a perdu sa mère, ses six frères et sœurs et une douzaine de proches. Il était présent lui aussi et, vingt-neuf ans plus tard, il désigne formellement Philippe Hategekimana comme l’homme qui, en tirant des coups de feu sur un groupe de femmes, a donné le signal de départ de la tuerie. « Il a un peu vieilli mais c’était bien ce visage-là », a-t-il déclaré en montrant l’accusé. Le rescapé a ensuite expliqué qu’il avait participé à l’inhumation et au comptage des morts sur le site : « Nous avons dénombré environ 11 000 crânes et donc autant de cadavres. Mais certains ont été dévorés par les chiens. »

Avant son arrestation au Cameroun, en mars 2018, Philippe Hategekimana a souvent brouillé les pistes. Après le génocide, il serait parvenu à s’échapper jusqu’au Congo-Brazzaville, où il aurait séjourné dans un couvent de religieuses, avant de rejoindre la Centrafrique et le Cameroun. Avec de faux documents, il est arrivé en France en février 1999, prétendant auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) avoir été professeur de sport au Rwanda. Son jugement est prévu le mercredi 28 juin.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024