Fiche du document numéro 32516

Num
32516
Date
Lundi 12 juin 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
37043
Pages
5
Urlorg
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 17ème jour - Compte rendu de l’audience du 6 juin 2023
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Ce mardi 6 juin, les audiences s’ouvrent par l’audition, en visioconférence, de Monsieur Emile Hakizimana, rescapé constitué partie civile auprès de Maître Karongozi. Il commencera par une déclaration spontanée. Au moment du génocide, il avait 10 ans et résidait sur la colline de Nyamiyaga avec plusieurs membres de sa famille. Il explique que beaucoup de personnes avaient trouvé refuge à cet endroit et qu’ils essayaient tant bien que mal de se défendre contre les différentes attaques menées par les Interahamwe. Cependant, les assaillants finissent par venir accompagnés de militaires et tirent avec des armes à feu sur la colline. Lors de cet assaut, beaucoup de réfugiés sont tués et les autres essayent de fuir autant qu’ils le peuvent. « Les civils tutsi ne pouvaient pas faire face aux armes à feu ». Monsieur Hakizimana perd plusieurs membres de sa famille lors de cette attaque mais parvient tout de même à fuir avec sa mère. Après plusieurs jours d’errance, parvenant à se faire aider contre de l’argent, ils finissent par retourner à Nyamiyaga. Sa mère parvient à lui trouver un refuge chez un habitant qui acceptait « de cacher sa tante car il l’avait violée et la considérait comme son épouse ». Ce dernier s’absentait tous les jours pour aller à la barrière et faire des rondes. Quelques jours après, il les chasse de son domicile, menacé par les autres Interahamwe qui se doutent qu’il cache des Tutsi. Monsieur Hakizimana et sa tante se rendent dans la localité de Munduzi. Arrivés sur place, toutes les maisons avaient été détruites. Ils sont trouvés par les assaillants qui décapitent sa tante. Ensuite, ils frappent le témoin « à coups de gourdin clouté sur les tempes ». Pensant qu’il allait succomber à ses blessures, ils le laissent pour mort et ne reviennent que le lendemain matin pour enfouir son corps. Cependant, entre temps, Monsieur Hakizimana avait réussi à se cacher. Voyant que les Interahamwe revenaient avec des chiens pour le débusquer, il parvient à réunir ses forces et se déplacer ailleurs. Il sera retrouvé par les miliciens qui l’amènent à une barrière, pour le « jeter dans la fosse septique où on jetait les gens. On les laissait mourir à l’intérieur en mettant une plaque de béton au-dessus ». Il est roué de coups et lancé dans le trou. Il parviendra à rassembler ses dernières forces et à élargir un trou « brique par brique », pour sortir de cette fosse. Le témoin, tout jeune enfant à cette époque, s’enfuit vers la colline de Munyinya où il se cachera en attendant l’arrivée des Inkotanyi. Quand les soldats du FPR arrivent, il fuit avec d’autres personnes en direction de Gikongoro puis vers le Bugesera. Là-bas, il retrouvera plusieurs membres de sa famille. Monsieur Hakizimana poursuit son récit mais il est arrêté par le Président car ses déclarations spontanées ont duré environ trois heures et n’avaient plus de liens avec les faits reprochés à l’accusé. Monsieur Lavergne procède donc à un court interrogatoire. Il demande logiquement à l’intéressé s’il a pu voir des gendarmes lors des attaques. Effectivement, « dans l’attaque de Nyamiyaga, parmi ceux qui tiraient des balles, il y avait des gendarmes ». Aussi, il lui demande s’il connaît ou s’il a entendu parler de Biguma. Ce dernier répondra : « Oui, mais à l’époque j’avais 10 ans, je n’avais pas le discernement nécessaire. J’ai entendu parler de lui par les adultes qui avaient survécu. Je l’ai entendu d’autres personnes qui étaient à l’endroit où nous étions ». Quand la parole est donnée aux avocats des parties civiles, c’est Maître Karongozi, le conseil de Monsieur Hakizimana, qui s’approchera du micro. Après plusieurs questions d’ordre géographique, il demande à l’intéressé si les réfugiés auraient pu survivre sans l’intervention des gendarmes. Le rescapé répondra qu’en effet, « nous aurions pu résister. La preuve, c’est qu’ils sont allés chercher les gendarmes ». Le Ministère public et la défense n’auront aucune question.

La deuxième témoin de la journée, Madame Marthe Nyirantamati, également constituée partie civile auprès de Maître Karongozi, est invitée à entrer dans la salle d’audience. Tout comme les autres rescapés, elle débutera son audition par une déclaration spontanée. Après avoir remercié la Cour et l’Etat français pour la tenue de ce procès, elle souhaitera parler « du chemin de croix » qu’elle a traversé durant le génocide. Au début du mois d’avril 1994, elle se trouvait à Nyabisindu avec le reste de sa famille. Lorsque l’avion présidentiel s’écrase, ils décident directement d’aller se cacher dans un bois car ils apprennent que « les assassins ont commencé à incendier les maisons des gens ». Finalement, « un jour ils nous ont attaqué dans ce bois. Biguma est arrivé avec des gens qui nous ont tiré dessus. Je ne le connaissais pas ». Lors de cette attaque, Madame Marthe Nyirantamati a perdu l’ensemble de ses frères et de ses cousins germains. Se retrouvant seule, elle décide de fuir vers la région d’origine de sa mère. Sur le chemin, surprise par une attaque, elle se réfugie à l’Isar Songa. Le témoin ne restera pas longtemps dans cette cachette en entendant les gens dire que Biguma arrive : « Il vient encore nous tirer dessus ». Lors de sa fuite, elle retrouve sa grande sœur. Elles errent ensemble et parviennent à rejoindre le domicile de cette dernière qui avait épousé un Hutu. Son mari les cachera dans une fosse qu’il avait creusée sur leur terrain. Devant fuir une nouvelle fois, elles trouvent refuge à différents endroits. Finalement, le 4 juillet 1994, les Inkotanyi prennent le pouvoir. « A cause de Biguma, toute ma famille a été exterminée. La population n’avait pas l’intention de s’en prendre à des voisins si Biguma n’était pas intervenu. Dans le mémorial, il y a 5 999 corps et le nom de Biguma est cité sur toutes ces collines ». Le Président prend la parole. Il demande tout d’abord à Madame Marthe Nyirantamati de donner des précisions géographiques et chronologiques sur le déroulé des faits qu’elle expose. Ces éléments amènent le Président Lavergne à conclure que les lieux mentionnés par le témoin n’ont pas de lien avec les faits reprochés à l’accusé. L’avocat de cette dernière, Maître Karongozi, intervient et contredit le Président en disant qu’elle évoque l’attaque de l’Isar Songa, présente dans la prévention. Monsieur Lavergne fait projeter les cartes de l’Institut national de géographie de Belgique afin de permettre à la Cour de se situer. Ne parvenant pas à avoir davantage de précisions, Le Président de la Cour d’assises s’agace et s’adresse à Maître Karongozi en lui rappelant qu’il lui revient « de rapporter la preuve des lieux qui sont en lien avec ceux où des faits sont reprochés à l’accusé. La Cour n’est pas là pour rapporter la preuve de ce qui concerne les parties civiles ». L’audience est suspendue une dizaine de minutes. Quand la Cour revient dans la salle, les avocats de parties civiles sont invités à interroger le témoin. Seul Maître Karongozi souhaitera poser quelques questions à l’intéressée. Le Ministère public ne prendra pas la parole et laissera directement Maître Duque se lever pour la défense. Cette dernière ne l’interrogera que sur les témoignages qu’elle a pu donner durant les Gacaca. Madame Nyirantamati confirmera avoir participé à la phase de collecte d’informations et aux procès. Cependant, elle niera avoir été en contact et avoir entendu les noms d’Israël Dusingizimana et de Birikunzira.

Après une pause méridienne, Monsieur Juvénal Nyakayiro, partie civile assisté par Maître Paruelle, s’approche de la barre. En réalité, le témoin sera très rapidement coupé par le Président, ce dernier contestant sa constitution de partie civile. En effet, l’intéressé soutient qu’il a travaillé dans le camp de gendarmerie de Nyanza entre décembre 1980 et janvier 1991, où Biguma était gendarme. Après avoir laissé Monsieur Nyakayiro commencer ses déclarations spontanées, le Président Lavergne demande à Maître Paruelle la raison de la constitution de partie civile. L’avocat lui répondra que « l’intérêt est de montrer le comportement de Biguma avant le génocide ». Le Président de la Cour lui opposera qu’il n’est pas avéré que le témoin était au camp de gendarmerie de Nyanza à cette époque et que cela n’a rien à voir avec les faits. L’audition de Monsieur Nyakayiro est donc arrêtée.

Le quatrième et dernier témoin de la journée, Madame Primitive Mujawayezu, constituée partie civile auprès de Maître Philippart, est invitée à entrer dans la salle d’audience. Cette dernière est la fille de Pierre Nyakarashi, Tutsi arrêté au même moment que le bourgmestre Narcisse Nyagasaza. Elle commencera son audition par une déclaration spontanée. En 1994, elle habitait dans la commune de Ntyazo. Quand le génocide commence, le témoin et les membres de sa famille décident de se réfugier dans le secteur de Mbuye où habitait son père. Les réfugiés, étant de plus en plus nombreux, décident de fuir vers le Burundi par la rivière Akanyaru. Pour ce faire, ils s’organisent en deux groupes. Le premier part avec le bourgmestre Narcisse Nyagasaza et le second avec Pierre Nyakarashi. Durant leur fuite, ils sont surpris par un véhicule de couleur blanche, double cabine, conduit par des gendarmes. Alors qu’ils arrivent vers le centre de négoce qui s’appelle Akazarusenya, le bourgmestre, en tête du groupe, est arrêté par les gendarmes. Par la suite, ils procèdent également à l’arrestation de Pierre Nyakarashi. Les Tutsi qui essayaient de fuir se font tirer dessus sur ordre de Biguma. A cet endroit, Madame Mujawuyezu perdra sa mère, trois frères et trois cousins. Cependant, aidée par un homme et par des militaires burundais, cette dernière parviendra à traverser la rivière et à se réfugier de l’autre côté de la frontière. Le Président prend la parole afin de demander diverses précisions à l’intéressée. Elle confirmera ainsi qu’elle a assisté uniquement à l’arrestation de Narcisse Nyagasaza et non pas à son exécution. Aussi, elle expliquera que Biguma n’était déjà plus présent lorsque les gendarmes ont tiré sur les réfugiés tutsi, ce dernier étant parti avec les personnes qu’il avait arrêtées et « a donné la permission de tirer ». Le Président Lavergne rappelle que les autres témoins entendus concernant l’arrestation du bourgmestre Narcisse Nyagasaza et de Pierre Nyakarashi n’ont pas évoqué des scènes de tirs. Madame Primitive Mujawuyezu maintient sa version et dit que « ce sont les gendarmes qui ont tiré, la balle m’a atteint pendant que je traversais la frontière ». Le Président poursuit son interrogatoire. La rescapée fond en larmes. L’audience est suspendue pour un instant. Quand elle reprend, le Président interrogera encore le témoin pendant quelques minutes puis laissera la parole aux avocats des parties civiles. Maître Philippart posera plusieurs questions et demandera notamment à la Cour de projeter des photographies des membres de la famille de Madame Mujawuyezu. Maître Simon prendra la suite et interrogera le témoin sur la présence de quelques personnes. Elle ne se souviendra d’aucun des noms mentionnés. Les magistrates du Parquet sont invitées à prendre la parole. Après avoir posé quelques questions d’ordre géographique essayant de localiser les différents protagonistes, elles demandent au Président Lavergne s’il est possible de procéder à une projection de la reconstitution des faits. Ce dernier refuse, soutenant que les déclarations sont très claires et qu’une projection n’apportera aucun élément supplémentaire. Enfin, Maître Lhote, l’un des avocats de Monsieur Hategekimana, s’approche du micro. Il demandera au témoin s’il lui est possible de donner les noms des gendarmes présents lors de l’arrestation de Narcisse Nyagasaza. Cette dernière expliquera qu’elle ne connaît pas ces noms, ayant d’ailleurs appris celui de Biguma après le génocide de la bouche d’Israël Dusingizimana lors des audiences Gacaca. Finalement, l’audition de Madame Primitive Mujawuyezu se termine et le Président Lavergne suspend les audiences pour cette journée.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France
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