Fiche du document numéro 32511

Num
32511
Date
Vendredi 9 juin 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
205431
Pages
3
Urlorg
Surtitre
Justice internationale
Titre
Rwanda : la longue traque des génocidaires en cavale
Soustitre
Près de trente ans après le génocide des Tutsis du Rwanda, la justice continue de rechercher les responsables présumés des massacres. Et parvient parfois à les retrouver sous de fausses identités, en Afrique comme en Europe.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Mot-clé
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Fulgence Kayishema, au tribunal de la ville du Cap, en Afrique du Sud, ce vendredi 9 juin. ce Rwandais, suspecté de génocide, avait été arrêté le 24 mai dans la ville sud-africaine de Paarl. (Usame Yildiz/Anadolu Agency. AFP)

La localité sud-africaine de Paarl est une jolie ville un peu assoupie, surtout réputée pour ses vignobles. Ils se déploient à perte de vue dans un paysage vallonné qui rappelle les coteaux lyonnais. C’est dans l’une des fermes viticoles de cette région à l’est du Cap qu’un employé dénommé Dieudonné Nibashumba, considéré comme un réfugié burundais, a été arrêté le 25 mai.

Très vite, sa véritable identité est dévoilée : cet homme chauve et massif, à l’allure débonnaire, n’est autre que Fulgence Kayishema. Un Rwandais en réalité, recherché depuis plus de deux décennies par la justice internationale pour des crimes qui se sont déroulés bien loin de ce paysage bucolique. Dans son pays natal, au cœur de l’Afrique des Grands Lacs, où il a activement participé au génocide des Tutsis en 1994. On reproche notamment à cet ancien inspecteur de police judiciaire d’avoir contribué à la mort de 2 000 Tutsis qui s’étaient réfugiés dans une église de Nyange, dans l’ouest du pays.

Comme certains complices, parmi lesquels Jean-Marie Vianney Nzapfakumunsi, dont Libération révèle l’implication, il a échappé aux enquêteurs qui, depuis près de trente ans, traquent les responsables supposés de ce génocide à travers le monde. Longtemps, tous ont cru pouvoir bénéficier d’une totale impunité : Kayishema, sous différentes identités, a obtenu le statut de réfugié non seulement en Afrique du Sud, mais aussi dans le petit pays voisin, Eswatini, autrefois appelé Swaziland.

Son passé aura fini par le rattraper. Et malgré ses dénégations – « Je n’ai joué aucun rôle » a-t-il déclaré lors de sa première comparution devant un tribunal sud-africain début juin, en brandissant un livre religieux – il devrait être prochainement extradé vers le Rwanda pour y être jugé. Le Tribunal international pour le Rwanda (TPIR), qui l’avait inculpé dès 2001, avait en effet transféré son dossier à son pays natal en 2012, anticipant la fermeture de cette juridiction trois ans plus tard.

Bataille contre le temps



Crée en septembre 1994, deux mois après la fin du génocide, le TPIR, basé à Arusha en Tanzanie, a prononcé 61 condamnations définitives et 14 acquittements. Reste ceux qui n’ont pas pu être retrouvés avant la fermeture du tribunal, lequel survit néanmoins, à travers l’existence du « mécanisme » basé à La Haye aux Pays-Bas, et chargé de traquer les derniers « gros poissons » qui figurent sur une liste établie il y a plus de vingt ans par la justice internationale.

Fulgence Kayishema en faisait partie. Tout comme Félicien Kabuga, le suspect longtemps le plus recherché, considéré comme le « financier du génocide ». Après une longue traque, il avait été arrêté en mai 2020 à Asnières, en banlieue parisienne. Puis envoyé, pour être jugé, à La Haye. Son procès a démarré en septembre. Mais a été définitivement interrompu ce mercredi, en raison de l’état de santé défaillant de l’accusé. Cet homme puissant, soupçonné d’avoir été au cœur de la planification du génocide, est devenu un vieillard buté, désormais déclaré sénile, qui échappe ainsi à une condamnation. Près de trente ans après la tragédie, le temps joue bien contre la justice.

La nomination de Serge Brammertz au poste de procureur du « mécanisme » en 2016 a pourtant donné une nouvelle impulsion aux recherches. Déjà auréolé de l’arrestation de Radovan Karadzic et Ratko Mladic pour les crimes commis en ex-Yougoslavie, ce magistrat belge renforce les équipes et adopte une méthode plus offensive. Bientôt, les noms des fugitifs rwandais les plus recherchés seront rayés, l’un après l’autre, de l’affiche qui expose leurs visages aux yeux du monde.

Un millier de mandats d’arrêt



Trois d’entre eux, certes, étaient déjà morts lorsqu’ils furent enfin localisés. Une semaine après l’arrestation de Kabuga, les traqueurs de Brammertz acquièrent ainsi la certitude qu’Augustin Bizimana, ministre de la Défense pendant le génocide, est décédé à Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, dès août 2000. Il faudra attendre mai 2022, au terme d’une longue enquête, pour confirmer également que Protais Mpiranya, commandant de la garde présidentielle en 1994, est bien l’homme enterré en octobre 2006 sous le nom de Sambao Ndume dans un cimetière d’Harare, la capitale du Zimbabwe. Moins d’une semaine plus tard, les enquêteurs découvrent aussi le décès de Phénéas Munyarugarama, un officier accusé d’avoir orchestré les massacres dans la région du Bugesera, dans le sud du Rwanda. Lui aussi était activement recherché.

Pendant toutes ces années, les proches de ces trois inculpés n’ont jamais révélé leur décès. Afin de maintenir la flamme, celle des forces génocidaires encore actives dans la région ? Avant son décès en 2002 en république démocratique du Congo (RDC), Phénéas Munyarugarama faisait partie des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), une milice constituée à l’origine par d’anciens génocidaires et toujours active dans l’est de la RDC. Les FDLR étaient également en contact avec Kayishema.

Sur la liste du TPIR, il ne reste plus désormais que trois fugitifs. Mais en dehors de ceux répertoriés par la justice internationale, combien sont encore en fuite ? Au Rwanda depuis 1994, des mandats d’arrêt ont été délivrés pour plus d’un millier de responsables supposés de massacres. Selon le site Justice Info, près des trois quarts de ces suspects se trouvent en Afrique, dont plus de 400 en RDC. Mais aussi plus d’une quarantaine en France. Le génocide de 1994 au Rwanda n’a pas fini d’intéresser la justice.
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024