Fiche du document numéro 32471

Num
32471
Date
Jeudi 26 février 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
30860
Pages
3
Urlorg
Titre
Rwanda : un témoignage accablant pour l'ONU
Sous titre
Selon le général Dallaire, le génocide aurait pu être évité.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Arusha, envoyée spéciale.

Le major général Roméo Dallaire hésite, visiblement embarrassé. Jusqu'ici, l'ancien commandant des forces de la Minuar a longuement répondu à toutes les questions de l'avocat de Jean-Paul Akayesu, l'ex-bourgmestre de Taba accusé de génocide par le Tribunal international pour le Rwanda (TPR). Il a détaillé dans un français chantant ses relations avec les autorités rwandaises d'alors et avec les rebelles du Front patriotique rwandais, séparées par une zone démilitarisée dans le nord du pays.

«Que savez-vous de Jean-Pierre?», vient de demander Me Nicolas Tiangaye. Le 11 janvier 1994, alerté par un informateur désigné par ce prénom, Roméo Dallaire envoie un fax aux Nations unies où Koffi Annan, l'actuel secrétaire général, est alors en charge des missions de la paix. Des extrémistes hutus sont en train de préparer l'extermination des Tutsis, prévient l'officier canadien. Son informateur a précisé que des miliciens interahamwe se vantent de pouvoir tuer 1 000 Tutsis toutes les vingt minutes. La Minuar, chargée de maintenir la paix au Rwanda jusqu'à des élections, peut-elle, doit-elle intervenir? De New York, la réponse arrive, négative : une intervention serait incompatible avec le mandat donné par le Conseil de sécurité. L'histoire est connue, mais, assis là même où des dizaines de rescapés du génocide sont venus témoigner, Roméo Dallaire se tait. Le juge Laïty Kama, président du TPR, intervient : «Est-ce classé secret?» Le témoin acquiesce.

L'audition très attendue du commandant de la mission de paix au Rwanda n'aura duré qu'une journée. Mais, malgré les limites fixées par l'ONU pour la levée de son immunité, le militaire a ouvert une brèche. Il aurait dû se concentrer sur «les questions pertinentes» ayant rapport avec l'affaire Akayesu. Il a lourdement chargé la communauté internationale, décrivant l'impossible situation dans laquelle lui et ses troupes se retrouvèrent à partir du 6 avril. A un moment, Me Tiangaye, qui fut autrefois l'avocat de l'ex-empereur Bokassa, lui a demandé si une force avec un réel mandat aurait pu arrêter les massacres : «Absolument», répond ce militaire de 51 ans, rentré psychologiquement brisé du Rwanda.

Mais, à chaque fois qu'il est question de ses relations avec ses supérieurs directs à New York, le juge Kama prendra soin de l'interrompre. Pendant quatre mois, Roméo Dallaire est, comme il le dit, «techniquement sans mandat», dirigeant des troupes qui n'ont jamais été équipées à temps pour une mission de paix, et qui sont encore moins préparées à faire face à ce qui allait être le troisième génocide du siècle. «On n'avait même pas les ressources pour s'autodéfendre», dit-il, rappelant que les Etats contribuaient à la mission de paix sur la base du volontariat. En juin, l'opération Turquoise, l'intervention humanitaro-militaire française, lui complique encore la tâche. Tout ce qui est proche des Français, et notamment les contingents de l'Afrique francophone de la Minuar, est alors considéré comme ennemi par les troupes rebelles de Kagame.

Au moment même où il a besoin de reconstituer ses forces, Dallaire est obligé, pour les protéger, de faire partir une partie de ses troupes. De façon générale, les relations de la force internationale avec les militaires français sont «complexes». Dallaire se refuse évidemment à critiquer directement un Etat, même s'il admet que l'opération Turquoise a permis aux dirigeants rwandais «de ne pas mourir au champ d'honneur» et de fuir. Ce qu'il a sur le cœur depuis quatre ans, c'est que l'on ne peut pas regarder une population se faire massacrer et rester «amorphe» : «Il a toujours été facile d'accuser les Nations unies, mais ce n'est pas un Etat souverain. C'est nous. Tous.» Visiblement ému, il ajoute : «Si nous ne sommes pas intervenus, nous avons tous une part de responsabilité dans la continuation du génocide.» Les juges et l'accusation ne lui poseront que quelques questions. Le TPR sera le premier tribunal international à interpréter la Convention de 1948 et à rendre une décision sur le crime de génocide. Alors, on lui fait préciser s'il pense que les massacres étaient organisés. Dallaire s'emporte : «Tuer un million de gens et être capable d'en déplacer 3 ou 4 millions est tout de même une mission significative. Il fallait qu'il y ait une méthodologie.» Le général Dallaire sera sans doute amené à revenir à Arusha, pour témoigner dans d'autres affaires, et notamment le procès Bagosora, son interlocuteur au ministère de la Défense rwandais avant et pendant le génocide. Mais, déjà, la comparution pour la première fois à Arusha d'un officier de ce rang a entrouvert la boîte de Pandore. Il y aura d'autres uniformes à la barre, seuls capables d'éclaircir les chaînes de commandement qui aboutirent à la tragédie rwandaise.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024