Fiche du document numéro 32465

Num
32465
Date
Samedi 3 juin 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
40962
Pages
6
Urlorg
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 13ème jour - Compte rendu de l’audience du 31 mai 2023
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Ce mercredi 31 mai, l’audience s’ouvre sur l’audition de Monsieur Israël Dusingizimana, témoin capital du dossier. En effet, ce dernier a évoqué la responsabilité de Biguma dans le meurtre du bourgmestre Narcisse Nyagasaza dès 2005 lorsqu’il a été entendu dans le cadre du procès de Monsieur Ndindiliyimana. Or, à cette date, personne n’a encore abordé l’existence de Monsieur Hategekimana, sa responsabilité dans le génocide et aucune procédure judiciaire n’est en cours. De plus, ses déclarations sont constantes depuis ce jour. Lorsqu’il est invité par le Président à parler spontanément, il dira simplement, « je suis emprisonné. J’ai été jugé et condamné à une peine de 24 ans de réclusion. Je suis en prison depuis le 10 mai 1996 ». Monsieur Lavergne entame ses questions en demandant à l’intéressé quelle est sa date de libération prévue. Il lui répond qu’en réalité il a déjà purgé sa peine depuis trois ans et qu’il est, depuis ce jour, toujours en attente de libération sans avoir de raison à cela. Ce dernier poursuit en disant qu’il a été condamné pour assassinat et pillage, notamment lors de l’attaque de la colline de Nyabubare, par la Gacaca du secteur de Rwabicuma, dans le district de Nyanza. Lors du génocide, Monsieur Dusingizimana était le conseiller du secteur de Mushirarungu, dans lequel est située la colline de Nyabubare. Sur interrogation du Président, il parle ensuite des différents bourgmestres de la commune de Nyanza, Denys Sekimonyo, jusqu’en 1993, puis Jean-Marie Vianney Gisagara. Il soutient que les relations de ces deux bourgmestres avec le sous-préfet de Nyanza étaient mauvaises car ils étaient désignés comme « complices du FPR. Ils étaient très proches des Tutsi, ils entretenaient des relations très étroites avec les Tutsi ». Ils seront tous deux tués pendant le génocide. Le témoin déclare que c’est lui-même qui a conduit Denys Sekimonyo à la gendarmerie « dirigée par Birikunzira » où il sera tué. Monsieur Lavergne lui demande ensuite s’il y avait un cachot à la gendarmerie [lien avec la déposition de Madame Uwase du jeudi 25 mai] ce qu’il confirme. Le Président poursuit ses questions et demande au témoin s’il a pu assister à des réunions visant à inciter la population à commettre le génocide. Monsieur Dusingizimana confirme avoir été présent à l’un de ces rassemblements lors duquel il a été dit que « l’ennemi était le Tutsi, que nous devions le tuer, détruire sa maison et manger ses vaches ». La question des armes est ensuite abordée et l’ancien conseiller de secteur confirme la présence d’une arme « à la bouche de laquelle on plaçait quelque chose qu’on lançait à plusieurs mètres et cet engin explosait. C’est quelque chose que l’on posait sur le canon du fusil et on tirait. On tenait ce fusil en main » [ici, il est compliqué de comprendre s’il s’agit d’un mortier ou non. Les tirs de mortier provoquent effectivement des explosions, contrairement aux fusils, cependant ils sont posés au sol]. Il poursuit en évoquant la mise en place de barrières dans le secteur de Mushirarungu, confirmant qu’il y en avait plusieurs, ayant pour objectif d’empêcher les Tutsi de fuir le Rwanda en se rendant au Burundi. Il dit ainsi qu’« effectivement, les gendarmes ont surveillé le fonctionnement de ces barrières » et que l’ordre d’ériger ces dernières émanait bien des autorités, à savoir le sous-préfet et les gendarmes. Il soutient également que Biguma se rendait à ces barrages. Le témoin poursuit en déclarant qu’un changement a bien eu lieu dans le comportement des gendarmes, après le 20 avril 1994. A partir de cette date, ils ont en effet commencé à organiser des fouilles dans les maisons des Tutsi. Le Président Lavergne aborde ensuite l’exécution du bourgmestre de Ntyazo, Narcisse Nyagasaza. Monsieur Dusingizimana déclare avoir vu ce dernier « lorsque l’adjudant Biguma l’avait arrêté en compagnie de cinq autres personnes. Ils avaient été arrêtés à Ntyazo. Ils étaient dans un véhicule double cabine. Ils l’ont conduit à la gendarmerie de Nyanza, c’était très tôt le matin du 23 avril ». En sa qualité de conseiller de secteur, il était venu à la compagnie très tôt ce matin-là pour demander l’appui de la gendarmerie pour une attaque, celle de Nyabubare. Sur le véhicule utilisé pour amener le bourgmestre, il déclare que ce dernier était « de couleur blanche. Pas très blanche mais blanche quand même ». L’ancien conseiller poursuit, disant qu’à ce moment, Birikunzira dit à l’adjudant-chef de prendre le véhicule, de charger des armes légères et un mortier 60 et d’aller sur la colline. Il lui a également dit de ramener le militaire [Pierre Ngirinshuti]. Monsieur Dusingizimana monte ensuite dans la voiture et ils se dirigent tous vers Nyabubare. Un premier arrêt est fait au niveau du domicile d’un dénommé Ntashamaje, les cinq Tutsi sont emmenés en contrebas de la route et exécutés sur ordre de Biguma. Le véhicule repart et il fait un deuxième arrêt devant le bureau de secteur, alors en construction. Narcisse Nyagasaza est débarqué du véhicule et emmené à environ 15 mètres au-dessus de la route. Philippe Hategekimana lui demande de vider ses poches et saisit les 1 000 francs qu’il en sort. Le bourgmestre se couche ensuite par terre et est assassiné de « deux balles ». Par la suite, le groupe repart, accompagné par des membres de la population locale, en direction de la colline de Nyabubare. Le véhicule s’arrête une troisième et dernière fois devant le domicile d’Israël Dusingizimana. Les occupants du véhicule descendent, déchargent le mortier et marchent environ 300 à 500 mètres. La population poursuit son chemin sur la colline et débusque les réfugiés avec des armes traditionnelles. Les gendarmes s’arrêtent pour installer l’arme. Biguma appelle Ngirinshuti. Le témoin déclare qu’environ 300 personnes ont été tuées ce jour-là. Il met sa tête entre les mains et déclare à la Cour qu’il n’est pas capable de poursuivre ses déclarations à cause d’une crise de diabète. Monsieur Dusingizimana est envoyé à l’hôpital. Les médecins soutiendront, plus tard dans la journée, qu’il ne lui est pas possible de poursuivre son audition. Il sera reconvoqué le vendredi 2 juin.

Le Président demande donc à entendre le deuxième témoin de la journée. Célestin Nigirente, un assaillant, déposera depuis Kigali. Il ne souhaite pas faire de déclaration spontanée. Le Président Lavergne commence donc à lui poser différentes questions. Monsieur Nigirente habitait dans la commune de Nyabisindu, dans l’ancien secteur de Mushirarungu. Il poursuit en disant que le génocide a commencé, dans sa localité, le 22 avril 1994. Selon lui, l’élément déclencheur a été un discours du gendarme Biguma qui a réuni la population au centre de négoce « Bleu Blanc » et a donné l’ordre de « tuer les Tutsi et manger leurs vaches ». Si le témoin ne se souvient pas exactement de la date, il est absolument sûr que c’était un vendredi [c’est donc bien le 22 avril]. Il poursuit en déclarant que le lendemain, alors qu’il était à Mbiya avec d’autres personnes, Biguma, plusieurs gendarmes et le conseiller Dusingizimana arrivent et leurs demandent de les suivre jusqu’à Munyinya, où étaient rassemblés des Tutsi. Sur une question du Président, il confirme que Munyinya et Nyabubare désignent le même lieu. Il évoque ensuite l’exécution du bourgmestre Nyagasaza. Il soutient avoir assisté à cette exécution. Monsieur Nigirente va décrire les évènements. Presque tout correspondra aux déclarations du témoin précédent. Le bourgmestre est emmené « environ 20 mètres en contre-haut de la route », Biguma lui demande « d’ôter de sa poche ce qu’il avait ». Simplement, le témoin déclarera que Nyagasaza est tué « d’un seul coup », par Biguma. Ce qui ne correspond pas aux déclarations ni de Dusingizimana, ni des autres témoins oculaires de la scène. Il explique ensuite que pendant que certaines personnes s’occupent d’enterrer le corps du bourgmestre, une autre partie du groupe continue son chemin vers le domicile du conseiller Dusingizimana. A cet endroit, ils retrouvent « beaucoup de Hutu ». Biguma et Dusingizimana disent qu’il faut maintenant se diriger vers Nyabubare. Là encore, les déclarations de Monsieur Nigirente diffèrent de celles du témoin précédent. En effet, il soutient que le véhicule a continué sa route pour s’arrêter en contre-haut du domicile d’une personne nommée Kayibanda [Israël avait déclaré quant à lui que le véhicule s’était garé à son domicile]. Il confirmera cependant que l’adjudant-chef a appelé le dénommé Pierre en lui demandant de « venir le voir ». Parlant de l’arme qui a été installée pour tirer sur la colline, il parviendra simplement à dire que « c’était un fusil qui avait un canon qui ressemble à un mégaphone […] il y avait beaucoup d’explosions, il y en avait même qui soulevaient la terre. Il y avait beaucoup de poussière ». Enfin, il décrira la tenue des gendarmes « couleur kaki et béret rouge ». La parole est donnée aux avocats des parties civiles. Maître Epoma prend la parole et demande à l’intéressé si le fait d’inciter la population à tuer et manger les vaches des Tutsi était une façon d’encourager à commettre des massacres. Il répond par l’affirmative : « Pour moi cela voulait dire que l’on devait d’abord les tuer pour pouvoir ensuite piller les biens ». Maître Tapi prend la suite et demande si Biguma suscitait la crainte parmi les membres de la population. Monsieur Nigirente confirme qu’« on le craignait beaucoup ». Maître Gisagara s’approchera du micro et posera diverses questions au témoin pour certaines des parties civiles qu’il représente. Enfin, Maître Karongozi poursuivra l’interrogatoire. Il redemandera au témoin qui a tiré sur Nyagasaza, rappelant notamment les déclarations antérieures de Monsieur Nigirente. Finalement ce dernier reconnaîtra que c’est un gendarme qui a tiré sur le bourgmestre mais qu’il ne peut pas savoir qui c’est : « Il est difficile de se rappeler cent pour cent de ce qui s’est passé mais ils étaient à deux ». Le Parquet sera invité à poursuivre l’interrogatoire du témoin. Les deux magistrates poseront diverses questions, tout d’abord sur l’attaque de Nyabubare, puis sur les rondes effectuées pour trouver les Tutsi et finalement sur les barrières. Enfin, Maître Guedj se lèvera pour prendre la parole. L’avocat de la défense reviendra sur de nombreux éléments. Il y a beaucoup de points de précision dont le témoin ne se rappelle pas. Il termine par demander à l’intéressé de ne répondre à ses questions que par oui ou par non. Les avocates générales et plusieurs conseils de parties civiles soutiennent qu’il ne lui est pas possible de limiter les réponses du témoin. Pourtant, Maître Guedj poursuit. Finalement, il ne ressortira rien de très probant de cet interrogatoire. Tout de même, à la fin, le conseil de Monsieur Manier demandera si le témoin a pu bénéficier d’une réduction de peine et, si oui, sur quel principe. Ce dernier répond que ça a été rendu possible car il a plaidé coupable. Maître Guedj termine son intervention en demandant à Monsieur Nigirente s’il est au courant, ayant accusé Biguma lors des Gacaca, que ce dernier a été acquitté par cette juridiction. Le Ministère public fait directement remarquer que cette déclaration est fausse. Dans un premier dossier, il a été acté que « Philippe Hategekimana » était en attente de jugement et, dans un second, que « Biguma », a été condamné. Après vérification, il est donné raison au Parquet et il est fait savoir à la défense que les côtes doivent être vérifiées.

Le troisième et dernier témoin de la journée, Monsieur Augustin Nzamwita est entendu par la Cour en visioconférence. Ne souhaitant pas non plus faire de déclaration spontanée, le Président commencera donc l’interrogatoire. Le témoin avait 13 ans pendant le génocide. Son père tenait un débit de boisson près de la rivière Akanyaru, aux environs de la frontière avec le Burundi. Il a donc pu être témoin des différentes allées et venues lors du génocide. Il déclare à la Cour avoir vu Biguma arriver dans un véhicule militaire de couleurs blanche possédant une double cabine. Il décrit ensuite l’arrestation du bourgmestre Nyagasaza, ce dernier est « arrivé devant le gendarme [Biguma], et on lui a donné des coups de pied. [Biguma] disait qu’il fallait le tuer en faisant un signe de main autour du cou ». Par la suite, les membres de la population présents, incités par les gendarmes, sont descendus vers la rivière pour essayer de tuer les Tutsi tentant de fuir vers le Burundi. Philippe Hategekimana quant à lui a repris la route avec le bourgmestre et des collègues jusqu’au carrefour dit « Pinduma », où il a arrêté Pierre Nyakanashi. Monsieur Nzamwita n’en saura pas plus car il va s’exiler au Burundi : « Nous fuyons le FPR qui était venu, qui avait pris celui qui était notre conseiller à l’époque, qui l’avait emmené à Ntyazo et qui l’avait gardé quelque jours ». Le Président termine son interrogatoire et donne la parole aux membres de la Cour. Sans question de leur part, Maître Gisagara est invité à s’avancer vers le micro. Il s’étonnera simplement que Monsieur Nzamwita parle de « guerre » pour évoquer la période couvrant les trois mois du génocide et lui demande s’il parle bien du massacre des Tutsi quand il utilise ce terme. Le témoin répondra uniquement, « non, c’est comme ça ». Le Ministère public ne posera pas de questions. Maître Lhote prendra la parole pour la défense. Il interrogera d’abord le témoin sur l’identité exacte de l’accusé. Ce dernier répondra qu’il se nommait « Hategekimana Philippe et Biguma était son surnom ». Il lui pose ensuite diverses questions sur les raisons de son exil. L’audition terminant assez tôt, le Président décide de procéder à la lecture de plusieurs documents. En effet, trois témoins devaient être entendus par la Cour mais sont décédés entre temps. Le principe devant une Cour d’assises étant l’oralité des débats, les différentes auditions de ces témoins doivent être lues en audience. La journée se termine ensuite et les audiences reprendront le lendemain à 9h.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France
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