Fiche du document numéro 32386

Num
32386
Date
Lundi 15 mai 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
38253
Pages
6
Urlorg
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 3ème jour - Compte rendu de l’audience du 12 mai 2023
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Les audiences reprennent, ce vendredi 12 mai, par l’interrogatoire de personnalité de l’accusé. Ce dernier est interrogé sur son enfance et sur la composition de sa famille après la séparation de ses parents et le second mariage de son père. Le Président Lavergne lui pose plusieurs questions sur ses demi-frères et demi-sœur. L’accusé les désigne sous des noms qu’il n’avait jamais évoqué avant, déclarant notamment que ces derniers partagent tous le nom de famille de son père. Toujours sur le sujet familial, le Président lui demande s’il sait ce qu’est devenu son beau-frère qui était Tutsi. Monsieur Hategekimana répond qu’il est certainement décédé pendant le génocide, qu’il « a été pris, comme tout le monde ». Repris par Monsieur Lavergne sur cette formulation, il dit « comme tous les Tutsi ». Après une autre série de questions, l’interrogatoire en arrive à la relation de l’accusé avec l’ancien bourgmestre de Rukondo, Didace Hategekimana. Ce dernier lui a notamment fourni la fausse identité, et les papiers afférents, qui lui ont permis de rentrer sur le territoire français. Didace Hategekimana, actuellement détenu au Rwanda, avait été entendu par la Cour lors du procès de Monsieur Bucyibaruta. Monsieur Lavergne se déclare étonné que des personnes censées fuir assez rapidement devant la menace militaire que représente le FPR, pensent à partir avec un lot de pièces d’identité vierges. Il poursuit en interrogeant Monsieur Manier sur l’origine et l’utilisation de son surnom « Biguma ». En effet, comme soutenu par la défense, « Biguma » et Monsieur Hategekimana ne seraient pas la même personne. Aussi, de nombreux témoins ne désignent l’accusé que sous ce surnom précis. Il est donc important d’analyser ce point et de parvenir à comprendre où et quand l’intéressé était nommé par ce patronyme. Ce dernier confirme ainsi qu’il a commencé à être nommé ainsi lorsqu’il était tout jeune et que l’habitude est restée. Cependant, il soutient que « tous les gens qui me connaissent sous le nom de Biguma ne peuvent pas vous donner mon nom Hategekimana car ils ne me connaissent que sous le nom de Biguma ». L’interrogatoire se poursuit, abordant ainsi les activités de l’accusé à partir de 1990. Un point intéressera la Cour pendant plusieurs minutes. En effet, Monsieur Hategekimana possédait plusieurs véhicules. Durant les enquêtes, plusieurs témoins visuels ont affirmé l’avoir vu se déplacer dans des véhicules différents. Ici, encore une fois les réponses de l’accusé ne sont pas claires et diffèrent des versions qu’il a pu donner dans des auditions précédentes. Enfin, le Président revient sur la fuite vers le Congo et demande notamment à Monsieur Manier si, comme plusieurs autres réfugiés, il avait pris la fuite en emportant des armes avec lui. Après avoir soutenu qu’il n’avait emporté aucune arme en fuyant, que ces dernières avaient été déposées dans l’armurerie de la gendarmerie, il finit par reconnaître qu’il avait son pistolet et que, quand il parle d’arme, il évoque uniquement les fusils automatiques, qui eux, sont effectivement restés à Nyanza. Le Président arrête l’interrogatoire sur ce point.

Après une courte suspension d’audience, le second témoin de la journée est invité à entrer dans la salle. Monsieur Vincent Depaigne, juriste, est convoqué à la demande de Maître Bernardini, avocat de l’association Survie. Ce dernier décide de commencer son audition par une déclaration spontanée dans laquelle il présente différentes observations à la Cour. Tout d’abord, il rappelle que le génocide est un « processus collectif et politique. C’est un phénomène lié à la notion d’Etat ». Il poursuit en présentant son travail sur la responsabilité des Etats, analysant une décision de la Cour internationale de justice et l’article 1er de la Convention de 1948 pour la répression et la prévention du crime de génocide. A cette fin, il développe notamment certaines observations sur le rapport Duclert et la responsabilité de la France. Le Président ouvre les questions et ce sont directement les parties civiles qui prennent la parole. Sur une question de Maître Simon, le témoin déclare que, « dans le cas du Rwanda, le génocide tel qu’il s’est déroulé ne pouvait pas se dérouler sans l’appui de la gendarmerie et des militaires ». Enfin, Maître Bernardini prend la parole et est directement coupé par le Président Lavergne qui laisse entendre que la déclaration de ce témoin n’est pas pertinente, que l’interrogatoire doit être courte car « nous avons d’autres éléments très importants à étudier ». Finalement, la parole est laissée à l’avocat de la défense, Maître Guedj, qui lui demande s’il peut s’exprimer sur le rôle des troupes du FPR pendant le génocide. Le témoin lui répond qu’il n’a pas d’informations précises sur ce point. La déposition étant terminée, le Président décide de reprendre l’interrogatoire de personnalité de l’accusé.

Me Karongozi, avocat de parties civiles, s’approche du micro. Il demande à l’intéressé si certains membres de sa famille ont été tués par des soldats du FPR, ses conseils évoquant constamment les crimes de ces forces armées. Sans grande surprise, Monsieur Manier répond par la négative. Par la suite, Me Karongozi revient sur le salaire de l’accusé et lui demande si ce dernier lui permettait d’acheter tous les véhicules qu’il déclare posséder. Aucune réponse claire ne sera apportée par Monsieur Hategekimana. Après des questions de la part d’autres conseils, la place est laissée au Ministère public. La première avocate générale pose plusieurs questions sur des sujets différents. Cependant, toutes démontrent les nombreux mensonges qu’a pu prononcer Monsieur Manier, sur ses papiers d’identité, sur son voyage au Cameroun, sur son curriculum vitae… Lorsque Maître Guedj est invité à prendre la parole, il demande à pouvoir poser ses questions un autre jour car il a de nombreuses questions à poser et qu’il est déjà tard.

L’après-midi s’ouvre avec l’audition de Madame Laëtitia Husson, ancienne juriste du TPIR citée à la demande du Ministère public. Cette dernière commence par une déclaration spontanée dans laquelle elle retrace tout d’abord son parcours de juriste près les juges de la Cour d’appel du TPIR. Dans ce sens, elle fait une présentation de la création du TPIR, de son organisation et de son travail. Enfin, elle poursuit en présentant les conclusions de ce dernier sur l’existence d’un génocide. Le Président prend finalement la parole et pose différentes questions sur le fonctionnement de ce tribunal ad hoc et soulève les différences entre ce système et la procédure française, notamment sur deux points. Tout d’abord en ce qui concerne les témoins. Ces derniers sont en effet obligés de se déplacer devant la Cour et ne peuvent pas être auditionnés à distance. Une telle procédure n’est pas motivée par un risque que les témoins subissent des pressions, mais parce qu’elle permet d’assurer effectivement un procès équitable en accordant à la défense et à l’accusation les mêmes armes pour contre-interroger les témoins. Aussi, elle confirme que la transcription de l’ensemble des auditions est une obligation devant cette juridiction car les témoins ne sont pas réauditionnés pour les procédures d’appel, les juges doivent donc pouvoir avoir accès au verbatim des auditions de première instance. Enfin, le Président Lavergne demande à Madame Husson si les témoins, notamment ceux détenus au Rwanda, « ont pu se plaindre d’avoir subi des pressions ». Cette dernière répond que si, effectivement, il y a eu beaucoup d’accusations en ce sens de la part des conseils de la défense, il s’avère en réalité que des témoins ont été condamnés pour avoir été corrompus par les avocats des accusés. Il y a eu des problèmes de pression de plusieurs côtés, c’est indéniable, mais il ne faut pas en faire une généralité. Les parties civiles sont invités à prendre la parole. Maître Philippart demande tout d’abord à Madame Husson si elle a pu constater des situations d’amnésie ou d’hypermnésie chez les rescapés. Cette dernière répond qu’il existe en effet les deux configurations, la généralité restant cependant les témoins « affectés par les traumatismes et le passage du temps ». Elle soutient que les juges ont réussi tout de même à entendre ces témoins moins précis, se concentrant sur les éléments réellement importants pour les faits en question et éludant les éléments périphériques. Aussi, interrogée par Maître Bernardini, elle décline les différentes formes de responsabilités que le statut du TPIR retient et pour lesquelles les accusés peuvent donc être reconnus responsables. Le Ministère public poursuit et demande des précisions à Madame Husson sur le fonctionnement procédural du TPIR, notamment le déroulement des enquêtes, les échanges entre les deux parties au procès et les caractéristiques des différentes preuves qui pouvaient être apportée. Finalement, Maître Guedj prend la parole et pose plusieurs questions au témoin. En réalité, ses questions font le parallèle avec les demandes de renvoi et d’information complémentaires qui avaient été exprimées lors de l’audience d’ouverture du procès. Ainsi, il demande si la transmission des transcrits est jugée indispensable au TPIR. Cette dernière répond par l’affirmative, déclarant que les comptes rendus d’audience sont effectivement réalisés et communiqués. Sur la question du déplacement sur site, elle soutient que cela n’était pas une obligation au TPIR. Enfin, sur les auditions de témoins, Madame Husson rappelle que le caractère obligatoire du déplacement de ces derniers n’était aucunement lié à de potentielles pressions. Cela résultait simplement du choix de fonctionnement du tribunal, tous les témoins devant se déplacer. L’audition se termine et le Président fait entrer le témoin suivant.

Monsieur François Graner, témoin de « contexte » cité à la demande de Survie, est invité à s’approcher de la barre. Il souhaite commencer par une déclaration spontanée dans laquelle il présente ses travaux sur l’organisation de la gendarmerie avant et pendant le génocide. Il fait ainsi débuter son propos à la révolution hutu de 1959. Il parle aussi du rôle de la France dans l’organisation et la formation des troupes de gendarmerie, rapportant que de nombreux militaires français ont été envoyés au Rwanda et incorporés dans les forces rwandaises pour former les gendarmes. Il évoque ensuite la guerre civile et le passage au multipartisme. Après plusieurs dizaines de minutes, le Président Lavergne coupe Monsieur Graner dans sa déclaration lui demandant quelle est la pertinence des éléments qu’il apporte (faisant ici référence à l’implication des militaires français). Le témoin essaye d’expliquer que la suite de ses propos permettra de comprendre la pertinence et, s’il le faut, qu’il s’en expliquera plus en avant pendant les questions. Le Président, assez énervé, lui rétorque qu’il ne comprend toujours pas la pertinence des déclarations et que, dans tous les cas, « il n’y aura pas beaucoup de questions ». Maître Bernardini est obligé d’intervenir pour rappeler que le témoin, étant cité sur le « contexte », il n’a pas connaissance des faits d’espèce. Déstabilisé, Monsieur Graner terminera rapidement sa déposition spontanée. Logiquement, Monsieur Lavergne ne pose aucune question. La troisième jurée s’adresse au témoin et lui demande s’il peut développer son propos sur la responsabilité de la gendarmerie dans les rassemblements des Tutsi et l’organisation des massacres. Ce dernier confirme ainsi que dans de nombreux endroits, les gendarmes ont contribué à rassembler les Tutsi et ont lancé l’assaut, à l’aide des Interahamwe. Enfin, Maître Bernardini, demande à Monsieur Graner s’il a pu constater, dans certains cas, qu’une personne prenne de fait une position d’autorité, remplaçant la personne ayant l’autorité de droit. Le témoin confirme qu’effectivement, les rapports ont pu être très mouvants.

Sans question des autres avocats des parties civiles et de la défense, l’audition se termine. Maître Gisagara se lève du banc, s’avance vers le micro et s’adresse au Président de la Cour afin de revenir sur l’incident survenu lors de l'audition de Monsieur Graner. Le conseil de la CRF soutient qu’effectivement, si le Président Lavergne souhaite couper les témoins et les avocats des parties civiles car il considère les déclarations « non pertinentes », il se doit de faire la même chose avec la défense. En effet, la pertinence des questions sur les crimes du FPR dans les camps de réfugiés au Congo ou lors de la guerre civile peut également être remise en question en l’espèce. Maître Bernardini, avocat de l’association Survie, intervient également.

Finalement, la Cour procède à la diffusion du documentaire de La marche du siècle, « Rwanda : autopsie d’un génocide » (septembre 1994).

L’audience est suspendue et reprendra le lundi 15 mai à 9h30.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France
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