Fiche du document numéro 32310

Num
32310
Date
Vendredi 21 avril 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
168311
Pages
3
Titre
Prise de parole d'Hubert Védrine lors du procès en diffamation intenté par ce dernier contre Annie Faure [Notes détaillées mais non verbatim prises par François Graner]
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Type
Transcription d'audience d'un tribunal
Langue
FR
Citation
XVIIème chambre
Audience du 21 avril 2023
Procès en diffamation intenté par Hubert Védrine contre Annie Faure

Prise de parole d’Hubert Védrine
15h50 - 16h20
Notes détaillées mais non verbatim

Je réagis aux différents points soulevés par les témoins. Je ne suis pas ému, je suis enroué.

Vous n’avez pas le monopole de la compassion. Les souffrances des génocides sont abominables. On ne peut pas utiliser les souffrances de tous les génocides, de tous les massacres, uniquement pour mettre en cause son pays [réactions dans la salle, la présidente fait un rappel à l’ordre].

Je parle souvent du Rwanda alors que je n’ai pas eu de rôle significatif répréhensible. J’ai été motivé par ma fidélité et solidarité avec Mitterrand et le gouvernement Balladur. J’ai dirigé l’Institut François Mitterrand, je suis redevable à Mitterrand. Je ne me défends pas, moi, car toutes les accusations contre moi sont fabriquées.

On m’a reproché de ne pas être au courant des détails de Turquoise. Oui, moi je m’occupais de la décision générale : il fallait bloquer la guerre civile. Je n’étais pas au courant de la mise en œuvre et de ses détails.

Mitterrand malade, était-il en état de gouverner ? La seule période où il n’était pas possible de lui poser des questions de fond, c’est la petite semaine après sa deuxième opération. Le reste du temps, il avait une maîtrise intellectuelle lumineuse, il répondait aux questions. Dans le livre de Balladur, il dit qu’il avait une fois par semaine une longue conversation avec Mitterrand sur beaucoup de sujets. Sur 1993-95 il se dit d’accord avec Mitterrand sur le Rwanda, et maître de la mise en œuvre. Moi-même (par exemple dans le cas de l’Airbus d’Alger) j’ai pu être associé aux réunions pour représenter l’Elysée.

Il y a eu sa conférence de presse avec Mandela le 4 juillet 1994, c’était le premier chef d’Etat occidental à soutenir l’ANC.

Les alertes : Mitterrand est le mieux alerté depuis le début. Il connaît les massacres de Tutsis de 1962. Il anticipe bien les horreurs si on ne fait rien.

Les lanceurs d’alerte non écoutés. La note de Joxe que je n’ai pas transmise « par peur de déplaire » : il y préconisait de faire des conseils de défense, c’est ce qu’on a fait avec Lanxade donc cette lettre était superflue. Joxe était jaloux de Lanxade.

Impasses : on ne parle jamais de l’Ouganda. Kagame ne peut rien pour récupérer le pouvoir perdu sans l’armée ougandaise. On ne parle jamais des Congolais, des Sud-Africains et des autres Africains. On ne parle d’Onana que pour l’empêcher de parler ; je ne l’ai vu qu’une fois dans un colloque que je n’ai pas organisé. Idem pour Judi Rever, invitée comme moi (je n’étais pas organisateur). Michela Wrong, sur le régime de Kagame. Ce n’est pas mes amis, je ne les protège pas.

L’article du Point : séparation Hutus-Tutsis. C’était complètement idiot comme idée, mais c’était comme l’Erythrée, ou le Soudan, ou la fin de l’Autriche-Hongrie à Versailles, ou l’ex-Yougoslavie. C’était idiot mais géopolitiquement pas choquant.

Je n’ai pas répondu à l’article de Saint-Exupéry dans XXI car à l’Institut François Mitterrand, on pensait inutile d’attaquer les dizaines d’accusateurs. On comptait sur les livres pour leur répondre. Ça n’a pas marché. J’ai finalement lancé trois procédures en diffamation.

Barril : il n’a jamais été gendarme de l’Elysée. Il a eu une carte d’accès car il était proche de Prouteau. Elle lui a été retirée après l’affaire des Irlandais de Vincennes. Après c’est un électron libre, avec une activité en Afrique. Sans lien avec l’Elysée au sens sérieux.

Balladur, sa lettre à Quilès : je trouve bien qu’on redécouvre la MIP, que Duclert a enterrée. Balladur dit que Mitterrand ne veut pas juger car il n’y a pas de mandat de l’ONU. Il y a eu un consensus fragile pour avoir cette résolution.

Les réticences des Etats-Unis pour ne pas être engagés (m’a dit Madeleine Albright, et Clinton l’a reconnu après) : ils auraient préféré une force africaine. La France était malgré elle la seule à pouvoir y aller.

Août 1993 est une fierté, un soulagement. Moi je suis aux manettes, Juppé est un facilitateur. En 1990, il fallait stopper la guerre civile. Kagame n’intervient pas pour arrêter un génocide. Il fallait maintenir l’équilibre.

Khmer noir : c’est l’expression d’un ingénieur coopérant revenu du Cambodge, qui comparait avec les zones « libérées » par le FPR.

Tutsiland : Onana le cite dans la bouche des Congolais. Kagame met la main sur le Congo. Ce n’est pas un mot inventé par les Français.

Madeleine Albright n’a jamais mis en cause la France. Elle a juste regretté le trauma somalien qui a empêché les Etats-Unis d’intervenir plus tôt.

En résumé, Mitterrand depuis le début veut empêcher la guerre civile, maintenir l’équilibre militaire et politique. Sinon le vainqueur impose sa loi.

Si la France avait fait la politique qu’on lui reproche maintenant, jamais elle n’aurait fait pression de 1990 à 1993 sur le gouvernement rwandais pour le retour des réfugiés rwandais ; le Rwanda n’aurait pas accepté Arusha ni des partis. La France n’est pas seule aux manettes : il y a aussi la Tanzanie, etc.

La seule époque où je m’en occupe, c’est pour avoir l’accord des Etats-Unis et de l’ONU pour que la France intervienne.

Ma question : il aurait fallu que la France fasse quoi ? Rien, en 1990 ? Rester en 1993 malgré les demandes de Kagame ? Pour s’engager dans la guerre civile ? En 1994, ne rien faire ? Face aux malheurs atroces du génocide ? On voulait qu’on s’engage d’un côté, s’ajouter à l’armée ougandaise pour aider le FPR ? Quel est le reproche obsessionnel délirant ?

Duclert m’a apporté son rapport lui-même. Je conteste la responsabilité lourde. Duclert m’a dit « Le rapport n’a rien contre vous ». Rien sur les ventes d’armes ni sur la protection des génocidaires. Cessons d’ignorer les nombreux bons ouvrages qu’on traite de négationnistes.

Questions de l’avocat d’Annie Faure : Vous admettez que, dans notre système, les gens qui font une politique doivent en répondre ?

R : Je ne comprends pas.

Q : Si leur politique s’avère désastreuse, ils doivent en répondre ?

R : Oui, sinon je n’aurais pas fait cette procédure. Mais ce n’est pas moi le sujet, c’est Mitterrand et la France. J’ai fait trois procédures (et non pas contre la quinzaine ou vingtaine d’accusateurs) car cela doit avoir lieu. Je demande un débat au Parlement, dans la presse ou à l’international.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024