Fiche du document numéro 32217

Num
32217
Date
Vendredi 13 mai 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
34142
Pages
3
Titre
« Les larmes qui coulent en dedans… » [Texte lu par Emery Gahuranyi lors de l'inauguration de la Place Aminadabu Birara à Paris]
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Type
Discours
Langue
FR
Citation
Les larmes qui coulent en dedans
amarira y’umugabo
Les larmes de l’homme coulent en dedans
Amarira y’umugabo atemba ajya munda
Nous sommes ici pour célébrer un héros
Ses hauts faits sur les collines de Bisesero.
Un héros ça ne pleure pas ça se bat
Aminadabu Birara s’est battu jusqu’au bout
Et fut tué durant un combat inique
Une guerre qui n’en était pas une
Des pierres quelques lances érodées
contre une horde de miliciens armés
Il fut tué sans avoir flanché, ni pleuré
Un homme rwandais ça ne pleure pas
Et pourtant aujourd’hui devant cette place
qui porte désormais son nom
en mémoire de ses hauts faits, de sa bravoure
je voudrais qu’il ait pu vivre pour pleurer,
dire sa peine infinie, sa colère son désarroi.
Que toutes et tous ici nous autorisions à
détourner les larmes d’un peuple meurtri,
pour qu’au lieu de couler en dedans,
elles se déversent et inondent la place,
qu’elles débordent et délavent le ciel de Paris
Car l’extermination des Tutsi de Bisesero
n’est pas qu’une histoire rwandaise, non,
c’est aussi celle d’une honte française
qui longtemps s’est refusée à dire son nom
Celle d’une cohabitation, d’une collusion,
d’une contrition qui coule en dedans.
Un pardon sur le bout de la langue.
Il faudrait parler de la résistance menée
par Aminadabu Birara à la tête des Abasesero
En première ligne les hommes: affaiblis
suivis des femmes: cueilleuses de cailloux
pendant que les vieux et les enfants à l’arrière
tentaient de courir, tentaient seulement
Il faudrait parler des hauts faits du courage inouï
Une cérémonie c’est fait pour glorifier, pour honorer
D’autres le feront bien mieux que moi
Les poètes rescapés n’ont que leurs mots pour pleurer
Car rien ne les ramènera à la vie, les milliers de tués
Des milliers, je vous dis des milliers
et ça n’est pas une statistique ni une tragédie,
non, tous ces morts auraient pu être évités
Il eut suffit de volonté, de courage ou juste d’humanité
pour qu’Aminadabu Birara soit vivant plutôt que célébré.
Inauguration Place Aminadabu Birara - Paris XVIIIème - texte de Beata Umubyeyi Mairesse

1

Des milliers, songez donc, cinquante milliers !
Des personnes des vies pas des chiffres que l’on égrène
sans y penser vraiment :
cinquante milliers de vies !
Seuls trois mille Tutsi ont survécu à Bisesero
Pas une tragédie, non, leur sort n’était pas scellé,
il eut suffit de peu, ça s’appelle l’humanité.
Et cette plaque aujourd’hui est là pour nous le rappeler
Plantée comme une écharde dans le sol de France
Elle dit autant le souvenir et le respect
pour cet homme qui, comme lors des progroms de 1959, 1962 et 1973,
pensez donc toutes ces répétitions, on avait pris l’habitude de tuer les Tutsi,
cet homme qui, avec d’autres, avait fait la réputation de Bisesero,
lieu de résistance et de combat: «nous refusons de mourir comme des cancrelats»!
Cette plaque dit: Ne l’oubliez pas, ni lui ni tous les suppliciés
elle crie comme nous l’avions fait alors, en vain, d’avril à juillet :
la lâcheté du monde qui se disait civilisé.
Mais elle dit aussi désormais : quel chemin parcouru !
Quelle ironie n’est ce pas que ça soient
les suppliciés, les affamés, réduits à n’être que des ombres
qui nous donnent aujourd’hui une leçon de courage
Alors que les hommes armés, formés au combats
les ont abandonnés aux mains des miliciens
D’eux nous ne parlerons pas n’est-ce pas
L’écho de leurs clameurs empoisonne encore les nuits
des trois mille rescapés, trois mille, une poignée,
abandonnés sur la colline de Muyira
Pendant des semaines pourchassés après avoir lutté
menés par celui qu’ils appelaient le « Commandant » Birara,
épaulé par son fils Nzigira qui fut lui aussi finalement tué,
par Nzabihimana, par Karamaga et tant d’autres.
Ceux qui sont restés en ont témoigné
Ils pensaient périr jusqu’au dernier, après la terrible attaque du 13 mai
une poignée a tenu jusqu’en juin
Birara a été assassiné si près de la fin
Une poignée, ceux qui sont restés, éreintés, désespérés
Pouvez vous seulement imaginer comment tenir jusqu’à la fin de juin ?
Quelle ironie et pourtant nous nous devions d’être là,
parce que cette écharde a le mérite du souvenir
Douleur lancinante dans la chair de notre humanité commune
Et si nous partageons cette mémoire sur une place publique
cette histoire rwandaise qui est aussi française,
c’est que les larmes des hommes peuvent enfin couler
à Bisesero comme à Paris.
Aminadabu Birara était un homme de courage et nous pouvons le pleurer.
Nous pleurons aujourd’hui aussi les milliers de personnes tuées
Inauguration Place Aminadabu Birara - Paris XVIIIème - texte de Beata Umubyeyi Mairesse

2

Sur les collines de Bisesero entre avril et juin 1994, à
Nyarutovu
Kigarama
Jurwe
Kazirandimwe
Uwingabo
Gitwa
Cyabahanga
Muhingo
Gatsata
Regete
Muyira
Nyagafumba
Cyamaraba
Ruronzi
Gitabura.

Inauguration Place Aminadabu Birara - Paris XVIIIème - texte de Beata Umubyeyi Mairesse

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