Fiche du document numéro 31797

Num
31797
Date
Jeudi 23 juin 1994
Amj
Hms
13:00:00
Auteur
Fichier
Taille
25577
Pages
3
Surtitre
Journal de 13 heures [2/2]
Titre
Jacques Bihozagara : « Nous pensons que la France, qui a armé ces gens qui sont en train de tuer, qui les a entraînés militairement, va constituer un corridor pour donner un coup de souffle à ces fascistes qui sont maintenant en débandade et vont vers le Zaïre »
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
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Résumé
Jacques Bihozagara, "Representative for Europe, Rwandan Patriotic Front": "France will be a reliable partner. But not in the military field! We need France for development projects, for the reconstruction of the country and for other things. But in a completely bilateral framework where there is mutual respect. […] We remain very opposed to French military intervention. We have said that we support the humanitarian initiative within the framework of the agreements of Arusha first and also within the framework of United Nations resolution 918 which in fact entrusted the mission to UNAMIR II which would be made up of neutral countries.But we consider that France is not neutral in this game. France, which remained in Rwanda for three years, saw massacres, could not prevent them: how is it now intervening to stop the massacres? […] Concerning the intervention, we say that it is late since the Rwandan Patriotic Front has I made a commitment to save populations. And we think that France, which got involved precisely in this policy, which armed these people who are killing, which trained them militarily, we rather think that it will constitute a corridor, a wall to finally give a breath of fresh air to these fascists who are now in disarray and who are going towards Zaire. […] UNAMIR was a multilateral force that included both Africans and Europeans, including Belgium. What surprises us is that when the Rwandan people needed international assistance, we were already packing up. And after 500,000 deaths now we think of them. That's really cynical!"
Source
Fonds d'archives
INA
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
[Daniel Bilalian interviewe en plateau Jacques Bihozagara.]

Daniel Bilalian : Monsieur Bihozagara, vous avez entendu ce que vient de dire Monsieur Juppé. Il vous a présenté, euh, comme le vice-président du…, du gouvernement, euh, de transition qui normalement doit s'installer dans votre pays au Rwanda. Est-ce que, euh, comme le dit Monsieur Juppé, votre position a évolué par rapport à la France ? Ces derniers jours vous étiez carrément hostile à cette inven…, à cette intervention. Vous parliez d'"envahisseurs" à propos des Français et vous étiez contre et même prêt à faire en sorte que vos troupes se battent contre les Français s'ils [sic] les rencontraient.

Jacques Bihozagara, "Représentant pour l'Europe, Front Patriotique Rwandais" : Il faut d'abord, euh, préciser que je n'étais pas seul, euh, dans cette mission. J'étais avec, euh, le secrétaire général de notre, euh…

Daniel Bilalian : Organisation.

Jacques Bihozagara : Organisation. Et… ce que Monsieur Alain Juppé a dit, c'est exact : euh, la France sera un partenaire fiable. Mais pas dans le domaine militaire ! Nous avons besoin de la France pour les projets de développement, pour la con…, la reconstruction du pays et pour d'autres choses. Mais dans un cadre tout à fait, euh, bilatéral où il y a respect mutuel. Alors…

Daniel Bilalian : Bon, est-ce que…, alors ça veut dire ça ne change rien dans un premier temps : l'opération… -- vous l'avez entendu, vous avez entendu les informations de nos envoyés spéciaux comme moi --, votre position ne change pas ? Vous êtes hostile à l'intervention française et vous…, il y a un risque de conflit entre, euh, les troupes qui dépendent de vous et les Français s'ils se rencontrent ?

Jacques Bihozagara : Oui, nous sommes très…, nous restons très opposés à l'intervention militaire française. Tout simplement, nous avons dit que nous soutenons l'initiative, euh, humanitaire dans le cadre des accords, euh, d'Arusha d'abord et…, mais aussi dans le cadre de la résolution 918 des Nations unies qui en fait confiait la mission, euh…, à la MINUAR II qui serait composée des pays neutres ! Mais nous considérons que la France…

Daniel Bilalian : N'est pas un pays neutre.

Jacques Bihozagara : N'est pas neutre dans ce…, dans ce jeu-là. La France qui est restée trois ans au Rwanda a vu des massacres, n'a pas pu les empêcher : comment est-ce que maintenant elle intervient pour arrêter les massacres ?

Daniel Bilalian : Bon. Cela dit, euh, la France intervient d'abord, vous l'avez entendu, pour sauver des minorités tutsi, c'est-à-dire votre peuple qui se trouve en difficulté dans des…, dans des régions, euh, qui sont sous contrôle, euh, du gouvernement actuel. Ça vous devriez être sensible. Et puis en plus, euh, personne ne s'est vraiment manifesté pour vous venir en aide. Alors la France dit : "Nous y allons parce que tout le monde est là, euh, tout le monde est choqué mais personne ne se décide" !

Jacques Bihozagara : D'abord je pense que la…, la France est en train, euh, de tomber dans un jeu politicien. Pourquoi sauver les minorités tutsi ? Parce que ce ne sont pas les seules qui sont menacées par le crime : il y a des Hutu modérés, il y a l'opposition, il y a l'intellectuel hutu qui est visé. Donc je voudrais bien que ça soit clair que les groupes qui sont menacés ne soient pas seulement des Tutsi. Alors concernant l'intervention maintenant, nous disons d'abord qu'elle est tardive puisque le Front patriotique rwandais a déjà pris l'engagement de sauver des populations. Et nous pensons que la France, qui s'est mouillée justement dans cette politique, qui a armé ces gens qui sont en train de tuer, qui les a entraînés militairement, nous pensons plutôt que elle va constituer un corridor, un mur pour finalement, euh…, donner un coup de souffle à ces gens, je veux dire à ces fascistes qui sont maintenant en débandade et qui vont vers le Zaïre.

Daniel Bilalian : Alors vous pensez que l'intervention française va plutôt servir à…, à donner du répit aux forces gouvernementales qui se battent contre vous. Cela dit, euh, ces pays neutres, par exemple vos, euh…, vos frères africains, les autres pays africains, n'interviennent pas dans cette affaire ?

Jacques Bihozagara : Oui vous savez que l'OUA a pris une position contre…

Daniel Bilalian : Oui contre mais n'a…, n'a rien décidé de concret. Donc, euh, qui doit intervenir ou est-ce qu'on ne doit pas intervenir finalement ? Personne ne doit intervenir ?

Jacques Bihozagara : Mais je vous dis que il y a des troupes africaines…, des pays africains, euh, qui ont déjà répondu positivement à l'intervention. Mais qui manquent de moyens.

Daniel Bilalian : Ouais, oui. Bon, enfin, elles étaient là, elles n'ont…, elles n'ont rien fait au début des combat le mois dernier. Elles étaient à Kigali, on les a vues, puisqu'elles sont même reparties pour certaines.

Jacques Bihozagara : Mais il n'y avait pas que des groupes africaines [sic]. Vous savez que la force…, la MINUAR, était une force multilatérale, euh, qui comprenait bien…, autant bien de…, de…, de…, de…, des Africains que des Européens, notamment la Belgique. Alors justement ce qui nous étonne, c'est qu'au moment où l'ON…, les Rwandais, le peuple rwandais avait besoin d'une assistance internationale déjà on pli…, on pliait bagages. Et après 500 000 morts maintenant on songe à eux. C'est vraiment du cynisme !

Daniel Bilalian : Je vous remercie.

Jacques Bihozagara : Je vous en prie.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024