Fiche du document numéro 31772

Num
31772
Date
Mercredi 15 mars 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
41346
Pages
3
Urlorg
Titre
Génocide des Tutsi du Rwanda : le tribunal de Paris valide la qualification de « nazi africain »
Soustitre
Dans un tweet, la journaliste Maria Malagardis avait qualifié de « nazi africain » M. Aloys Ntiwiragabo, chef du renseignement militaire rwandais durant le génocide des Tutsi. Poursuivie par ce dernier pour « injure publique »[1] la journaliste d’investigation a été relaxée par le tribunal correctionnel de Paris.
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Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Comme journaliste d’investigation ayant suivi l’actualité du Rwanda depuis 1993 (un an avant le génocide des Tutsi), Maria Malagardis était fondée à qualifier Aloïs Ntiwiragabo de « nazi africain ». Même si l’expression est clairement injurieuse, elle apparaît légitime au vu des explications et documents fournis par l’accusée[2]. Un soulagement et une grande satisfaction pour l’accusée et l’avocat de Libération, Me Emmanuel Soussen. Un jugement qui n’est pas sans conséquences en terme de droit – sous réserve d’un possible appel de l’ancien chef de l’espionnage militaire rwandais, qui coule des jours paisibles en France.

Aloys Ntiwiragabo « mérite » le tweet



Me Emmanuel Soussen souligne que les juges de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris présidée par Mme Delphine Chauchis ont rangé un tweet dans la case « expression journalistique », au vu de la profession de son auteur, lui accordant ainsi la protection du droit de la presse. Au nom de la liberté d’expression, il est donc possible de ramasser en une formule lapidaire un long travail d’investigation.

« Le tribunal a indiqué dans ses attendus que le tweet n’avait pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression, analyse Me Emmanuel Soussen. Le tribunal a également relevé la qualité des informations accumulées sur Aloys Ntiwiragabo par la journaliste de Libération et plusieurs de ses confrères ou consœurs »[3].

L’avocat ajoute : « Maria Malagardis savait que Aloys Ntiwiragabo a fait l’objet d’enquêtes du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) et que si ces enquêtes n’ont pas abouti à une procédure judiciaire, c’est en raison de l’agenda de fermeture du Tribunal et non parce que les enquêteurs auraient pu craindre un non-lieu ».

Les enquêtes inabouties du TPIR



Le tribunal correctionnel de Paris a également pris en compte les recherches historiques sur le génocide des Tutsi du Rwanda. L’historien Jean-Pierre Chrétien avait été le premier à qualifier la tragédie de « nazisme tropical » en avril 1994, au moment où se déroulait le génocide. A sa suite, des historiens, des analystes, des journalistes, etc., ont souligné les similitudes entre l’extermination des Tutsi du Rwanda et la « solution finale » des hitlériens. De hauts responsables rwandais qui alimentaient la propagande de haine préparant le passage au crime massif avaient d’ailleurs eux-mêmes invité leurs militants à s’inspirer du « mode d’emploi » de la propagande nazie… Chez les chercheurs, l’expression « nazisme tropical » est devenue une formulation presque banale pour résumer la tragédie.

La journaliste avait donc le droit de qualifier de « nazi africain » un homme soupçonné d’être un des principaux « chaînons manquants » du génocide des Tutsi du Rwanda (un million de morts en cent jours).

Aloys Ntiwiragabo avait disparu des radars de l’actualité



Des documents retrouvés au ministère de la Défense, des dépositions de témoins et des expertises au TPIR, il ressort que le G2 était un service cumulant information militaire et information extérieure, comme si en France la DGSE et la DGSI fusionnaient. Tout-puissant en 1994, Aloys Ntiwiragabo s’est aussi révélé un désinformateur très habile après sa fuite au Zaïre (actuelle RDC), signant plusieurs textes visant à disculper les « génocidaires » de toute responsabilité dans l’extermination des Tutsis du Rwanda. C’est notamment le cas du long texte intitulé « Contribution des FAR à la recherche de la vérité sur le drame rwandais », non signé mais dont il a reconnu la paternité devant le juge Jean-Louis Bruguière, document qui reproduit fidèlement la thèse des auteurs du coup d’Etat de 1994, thèse contredite par le travail d’enquête dans ce dossier fleuve[4].

Aloys Ntiwiragabo, 76 ans, peut se mordre les doigts de sa plainte. Elle apparaissait surprenante de la part d’un homme qui avait fait de la discrétion son moyen de protection favori. Par ce biais il avait quasiment disparu des radars de l’actualité. Les informations fournies par la défense de Maria Malagardis et les attendus du jugement de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris constituent une invite au « Pôle génocide » à relancer l’enquête sur le « nazi africain ».

[Notes :]



[1] Cf : https://afrikarabia.com/wordpress/kigali-paris-surprise-au-proces-dun-nazi-africain/

[2] A nom de son client Aloys Ntiwiragabo, Me Chouai avait déposé plainte avec constitution de partie civile le 29 juillet 2020 devant le doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris. Le 12 novembre 2020, une information judiciaire était ouverte contre l’auteur du tweet, identifié par la Brigade de Répression de la Délinquance contre la Personne comme Maria Malagardis – avec d’autant plus de facilité que la journaliste confirmait être l’auteur du tweet. Le 28 mai 2021, elle était mise en examen. Le 14 septembre 2021, Maria Malagardis était renvoyée devant le tribunal.

[3] Le 24 juillet 2020, le journaliste Théo Englebert délivrait une information sensationnelle sur le site Mediapart. L’article était intitulé « Aloys Ntiwiragabo, pilier présumé du génocide des Tutsis, se terre en France ». C’était un scoop. Aloys Ntiwiragabo avait disparu des radars de l’actualité depuis une vingtaine d’années. A l’issue de longues recherches, le journaliste de Mediapart était parvenu à le retrouver dans la banlieue d’Orléans – et à vérifier son identité.

[4] Relire : https://afrikarabia.com/wordpress/semi-clandestin-en-france-et-soupconne-de-genocide-le-rwandais-aloys-ntiwiragabo-poursuit-une-journaliste-pour-injure/
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