Fiche du document numéro 31529

Num
31529
Date
1992
Amj
Auteur
Fichier
Taille
7891605
Pages
11
Titre
Enjeux nationaux et dynamiques régionales en Afrique des Grands Lacs [Extrait : « Pluralisme politique et équilibre ethnique au Rwanda et au Burundi »]
Page
51-58
Lieu cité
Mot-clé
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Fonds d'archives
Extrait de
Enjeux nationaux et dynamiques régionales en Afrique des Grands Lacs, André Guichaoua (dir.), Lille, USTL/CNRS, 1992, pp. 51-58.
Type
Livre (extrait)
Langue
FR
Citation
Quand on voit combien les acteurs nationaux des évolutions politiques actuelles au Rwanda et au Burundi mesurent les enjeux et les
Contraintes de leurs Choix et apprécient les tenants et les aboutissants
des différents discours, on pourrait se demander ce qu'apporte le regard
extérieur. Quand on considère d'autre part le rôle joué depuis les indépendances (pour ne pas parler de la phase coloniale) par les interventions et
es opinions de groupes ou d'Etats étrangers à la région , on se dit qu'une
analyse spécifique des intérêts et des grilles de lecture de ces acteurs
extérieurs s'imposerait ici, en Europe, au moment de parler de ces deux
pays francophones d'Afrique orientale

Je pense que, dans le cadre universitaire qui est le nôtre, il est
précisément important de situer les problèmes dans leur dimension historique, sans aucun exotisme. L'expertise “africaniste” a trop souvent coincidé avec un certain naturalisme considéré comme approprié à des peuples
traités ethnographiquement, pour que l'effort intellectuel ne porte pas
aujourd'hui essentiellement sur l'élucidation des situations sociales et
politiques contemporaines. La spécificité des enjeux au Rwanda et au
Burundi n'a rien à perdre dans une ouverture sur les débats, d'une grande
banalité pour l'ensemble du monde actuel, concernant la définition de la
démocratie, des droits de l'Homme et des principes d'une communauté
nationale.

Là question posée par le titre de mon exposé est celle d'une double
aspiration à la liberté politique et au respect des différences héréditaires.
Non contradictoires en principe sur le plan des Droits de la personne
humaine, ces deux exigences, posées en termes de "loi de la majorité” ou
“d'équilibre ethnique”, ont pu être ressenties comme antinomiques dans
l'expérience historique des deux pays depuis trente ans.

Cela est dû sans doute à la dimension propre du fait “ethnique” au
Rwanda et Burundi. Sans revenir ici sur le débat scientifique concernant
les entités hutu et tutsi!, qui focalisent ce débat, il faut pourtant se
rappeler les grandes lignes de leur vécu historique. On est en présence

-----
1 Voir articles de JP CHRÉTIEN et de C VIDAL, dans JL. AMSELLE et E. M'BOKOLO (éds.),
Au cqeur de l'ethnie « ie Paris, 1995. Le débat se poursuit dans les deux pays: au moment où au Burundi certains supportent mal que la littérature coloniale sur la question ait été remise en cause par
1es recherches dans deux dernières décennies, au Rwanda des in-
tellectuels réagissent contre les simplismes d'une historiographie officielle marquée par un ethnisme systématique.
Voir E. NTEZIMANA “Histoire. culture et conscience nationale : le cas du Rwanda des origines à 1900. Etudes rwandaises I 4, 1987 pp. 462-
497. M Mugabo "L'absurdité de l'ethnisme à la rwandaise" Dialogue n° 151, Fév.
1992, pp. 3-7

p2

d'anciennes identités sociales héréditaires, dont les rapports ont changé
selon les lieux et les époques Cette division à été confortée, interprété
racialement et mise en oeuvre socialement, par les colonisateurs,
conyaincus, jusqu'à une date récente, d'une supériorité atavique des Tutsi
‘hamites” sur les Hutu “bantous”. Quelle que soit la part des héritages
archaïques et des recompositions Coloniales dans ce clivage, il faut bien
constater qu'il est devenu au tournant des Indépendances une véritable
obsession dans la nouvelle couche instruite. Les luttes politiques, faisant
feu de toutes les solidarités possibles, se sont inscrites dans cet univers
culturel des années 50-60. Les drames sanglants connus par les deux pays
depuis cette époque et les centaines de milliers de réfugiés qui en sont
issus ne pouvaient que reproduire, sur la base d'un mélange de peurs et de
haines un antagonisme à même de cristalliser Une conscience ethnique.



Or, en l'absence de particularismes linguistiques et de division
territoriale entre les deux grandes composantes de la population, les
solutions ne peuvent être cherchées ni dans un fédéralisme, ni dans une
politique d'autonomie culturelle, mais dans la définition de règles de
coexistence et de non-discrimination, certains diront dans la recherche
des principes d'une intégration mutuelle

Cette constatation nous conduit donc à essayer d'approfondir le
rapport entre les deux impératifs incontournables de la démocratisation au
Rwanda et au Burundi: le pluralisme des choix politiques et le respect des
composantes de naissance. L'histoire récente montre, nous semble-t-il,
que loin d'être antagonistes, ces deux exigences ont échoué ensemble et
peuvent donc réussir ensemble.

A —- UNE REFLEXION HISTORIQUE - L'ECHEC DES PREMIERS
MULTIPARTISMES (1961-1966)

Les participants à cette journée d'études sont suffisamment avertis des réalités des deux pays pour que nous n'ayons pas à brosser ici une
chronique des trente dernières années, de Rwagasore à Guyoya et de
Kayibanda à Habyarimana. Il est cependant utile de se remémorer la
première expérience de multipartisme au Burundi et au Rwanda, au début
des années 60, et de réfléchir aux conditions de son échec, en relation avec
la position de la question ethnique

avt justesse par Claudine Vidal. IN faut observer 11 que la
Hutu et Tutsi dans les deux pa
que loin d'être antagonistes, ces deux exigences ont échoué ensemble et
peuvent donc réussir ensemble.



p3



1) Rwanda - du pluralisme au parti du “peuple majoritaire”

À l'indépendance le pays connaissait quatre grands partis (par
ordre d'importance aux élections législatives de 1961: Parmehutu, Unar,
Aprosoms et Rader. Le Parmehutu, qui avait été le fer de lance de la
Févolution de 1959-61, jouait un rôle dominant qui évolua rapidement vers
un statut de parti unique imbriqué à l'Etat. Dès juillet 1963, le président
camtance souhaitait qu'il ny ait pas une proliferation de partis suscep-
tibles de “distraire la population” et de “rendre incohérent le progrès”. De
fait ke autres partis disparurent peu à peu, les cadres de l'Aprosoma
furent absorbès par le Parmehutu, ceux du Rader et de l'Unar éliminés de la

scène politique en 1964. Aux législatives de 1965 11 ne restait plus que
des candidats du Parmehutu. La presse non gouvernementale disparut en
1963, sauf le journal catholique A7ayomeatexe qui eut cependant des
difficultés en 1968 pour avoir osé critiquer le pouvoir. D'autre part les
groupes représentant des différences d'intérèts, d'appartenance regianale
ou de génération au sein du Parmehutu furent neutralisés comme
“déviationnistes” à partir de 19665.

Or les moments décisifs de cette évolution vers un dirigisme
mono-partisan ont coincidé de façon significative avec des campagnes de
mobilisation sur une base ethnique. En particulier en 1963-64 la solidarité
hutu est invoquée face aux menaces que font peser sur le régime des
groupes de réfugiés, et chaque fois que des dissidences sont combattues
par le pouvoir, elles sont dénoncées comme des formes de "Bunyenzi”
(d'esprit inyenzl, c'est-à-dire antihutu). On retrouve à ces occasions la
logique du régime fondé en 1961: à l'issue de la chute du système dit
“féodo-racial” de la monarchie tutsi au profit d'une république gérée par
une nouvelle éhite d'extraction hutu, le Parmehutu se presentait comme le
parti dur et pur de cette cause, le représentant naturel de la démocratie
[Pemcats -ssi “) en fonction de la position par détinition majoritaire
l'rubesde rayemmrsh/") qu "peuple hutu”. La dérive autoritaire vers le
Le unique trouvait une légitimité apparente dans là dérive idéologique
que représentait la confusion entre un projet de justice sociale et un

‘antseme d'exclusion raciale. Le Comité nations! du Farmehutu ne procla-
vos pos en mai des que “le Fuanda est le pè ÈS des ER (Gantul °

sec gétarra seul des visées 2 féodae tentait stes”, signifiant ? par à qu e fe
Tutsl rtiretent une catégorie “étrangère” qui devait se faire tolèrer
dans son propre paus 7 L'échec du pluralisme ; donc coïncide ave
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articulation entre monopartisme et ethnisme militant: elle mérite en tout
Cas aujourd'hui notre attention.

2) Eurundi - du pluralisme au parti de “l'unité nationale”

Dans un contexte historique et un rapport de forces différent, voire
antithetique, le Burundi présente une évolution parallèle. À la veille de la
décolonisation une vingtaine de partis s'étaient créés, regroupés en
Cartels, avec pour enjeu une accession plus ou moins rapide à
l'Indépendance Caktwkukirs $. La victoire électorale de l'Uprona en
septembre 1961, suivie en octobre de l'assassinat de son leader charisma-
tique, le prince Rwagasore, entraîna la dislocation du cartel dit du Front
commun trop lié à l'ancienne administration de tutelle et la disparition du
; Le . qui en était le noyau dur. Aux élections l législatives de 1965, l'Uprona

‘etrouvait en face d'un seul concurrent, le PP. (Parti du peuple) forte-
ment inspiré par le modèle du Parmehutu, mais il était lui-même divisé en
plusieurs tendances largement influencées par les appartenances

ethniques”. L'exemple de la révolution rwandaise joue dès lors un rôle
déterminant, donnant corps aux analogies des situations: elle inspire les

calculs d'une partie de l'élite hutu et les inquiètudes de l'élite tutsi, elle
marque surtout l'opinion burundaise au travers de l'arrivée de dizaines de
milliers de réfugiés tutsi rwandais entre 1961 et 10964 et enfin à
l'occasion de la crise d'octobre 1965, où pour la premiére fois on assiste à
l'engrenage de tueries massives € -ontr e des paysans tutsi suivies de repré-
sailles aussi aveugles contre des Hutu. Ce qui semblait préfigurer un
scénario équivalent à celui vécu Rwanda en (959 se transformait en une
répression de l'élite politique hutu. Le PP. s'effaça, le régime. resté
monarchique entra en crise: c'est durant l'interrègne bref de Ntare V, entre
le mwami Mwambutsa et la Suns instaurée par Micombero, que
lUprona futt érigé en parti unique le 23 novembre 1966 5

Comme au Rwanda donc, mais de manière plus caricaturale sans
doute, vu la distorsion croissante entre la représentation des Tutsi au
pouvoir et leur situation minoritaire dans le pays, la montée de la
conscience ethnique a accompagné la fin du SNA politique. Les
extrermismes de ce type ne s'expriraient en 1962-£€ 3 que dans des groupes
(EE rrinaritaires, avant de toucher l'Uprons en a en 8. Ler ARE de
& dermier, léegitimé par un discours sur l'umté nationale Cafe” et un
brogressisme volontiers tei né aux couleurs de l'ancien bloc de l'Est, se lie

é la mar itée d'une politique sécuritaire tutsi Ici également on peut discu
Ler de te part des csleuls de telle ou telle fsctio n, du rôle de ls peur et des
mampulations de la peur, mais en constatant le Hen entre l'étoufferment

artis politiques et ls rech du Eurundi”, in

1. Histoire =

“Aa F swset- TUpnaocas En 4, Ta7Tgue
nd Burundi New Tork, Praecer 1970 pp 747-475

1931. pp.

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p5

Le
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É0 et la montee de l'exclusion ethnique, qui
détoucha sur la catastrophe (4755") de 19728

des libertés à la fin des annees

LS)

En conclusion de cette evocation de l'échec du premier raultipar-
tisme dans les deux pays, avec chacun sa conception de "l'équilibre"
ethnique, il faudrait s'interroger sur ce que signifiait à l'époque la vie
politique et l'adhésion à un parti. Les terminologies en langues rationäles
évoquent le militantisme de partis de masse: UTUGOIIÈNWE en kirundi et
/shysks" en kinyarwanda font référence à l'ardeur, à une attitude presque
belliqueuse. Les réalités sont plus complexes: des travaux récents
montrent le rôle décisif, dans ces sociétés dotées d'une vieille expérience
politique, des intermédiaires culturels® soit des élites ‘traditionelles”
{anciennes autorités locales, chefs de lignäge comme les /ekarde du Nord
du Rwanda, notables Boss singe oh au Burundi), soit des élites “modernes”
(lettrés ruraux”: catéchistes, instituteurs, secrétaires, assistants médi-
Caux.) Partis de notables à ja base où les appartenances régionales, ligna-
gères, scolaires, religieuses cimentent des solidarités subtiles ou bien
partis de masse épisodiquement autour de grandes causes (l'indépendance
pour l'Uprona, la révolution sociale pour le Parmehutu!, les grandes forma-
tions, en devenant des partis-Etats, sant gérées par des cadres perma-
nents, en principe des "avant-gardes” du peuple selon le modèle léniniste
qui à marquê tout le système des partis uniques en Afrique. “Secrétaires”
et "propagandistes” (shernmreneshysks en kinyarwanda) sont des bureau-

crates formant, avec l'administration territoriale, une nouvelle couche de
notables chargés d''encadrer” et “d'animer”, c'est-à-dire de contrôler, la
population, avec les avantages d'une intégration au corps de l'Etat, mais
aussi à ce niveau avec un poids croissant du clientélisme ethnique comme
forme hégémanique de solidarité.

B - NOUVELLE DONNE DE LA FIN DES ANNEES 80 (1988-1991)

Faisons un saut d'une vingtaine d'années pour nous placer à la fin
des années GÙ au morment ou l'exigence de pluralisme et l'hypotheque
ethnique vont de nouveau se poser de façon brûlante dans les deux pays.
Introduction.

8 TP CHRETIEN. "Le clivage et Je. « du pouvoir.
LFP. a EEE & GUI OUA &. LE JEUNE, Lacrise d'août 1

“b 1969 pp 7

a cour du roi biusinea, sans

{ Chur-h and

Hauqeqir di
E cUruUrisi.

}


Si on se rappelle que le système du parti unique se justifiait géné-
ralement sur deux plans - sa capacite virtuelle à mobiliser les populations
four un developpement intégré et son rôle dans là construction de l'umté
Hationale - , la situätion de la fin des années 70 et du début des années 80
put créer de faux espoirs. L'illusion du “développement”, c'est-à-dire d'une
solution purement socio-économique des problèmes, à la faveur d'un boom
romentané des cours du Café et d'un effort d'investissement international
sans précédent, donna aux deux "Deuxièmes Républiques”, à Kigali et à
Bujumbura, des allures de despotisme éclairé: modernisation des deux
faljs, en particulier sur le plan des transports et de l'énergie, essor du
commerce, mesures sociales en milieu rural, mise en place de mécanismes
institutionnels d'allure représentative avec élections à candidatures
multiples, procédures de discussion au niveau des collines et en même
Lemps libéralisation relative sur le plan “ethnique” (visites des réfugiés à
leurs familles au Rwanda, retours de réfugiés au Burundi, réintégration
progressive dans la vie sociale et scolaire des Tutsi au Rwanda, des Hutu
su Burundi, après les traumatismes des crises de 1972 et 1 973).

Cependant la "démocratisation” restait contrôlée dans le cadre des
partis uniques (Uprona et MRND) et la dilution escomptée des passions
ethniques à l'ombre de ce paternalisme développeur n'empêchait pas le
maintien de mesures, plus ou moins discrètes, de cantonnement surtout
pour les places de responsabilité: système des quota à GZ pour les Tutsi du
Ewanda, blocage à environ un quart des Hutu dans les organes dirigeants du
Burundi. Jusqu'au milieu des années 580 les communautés de réfugiés
étaient peu entendues. C'est à l'intérieur des deux pays que des failles se
manifestérent, propices à une relance de la vie politique, sur le double
enjeu qui fait l'objet de cet exposé.

1} Rwanda - crise du discours sur "la masse”

Trente ans après l'Indépendance, la société du Fwanda à changé. La
persistance d'un discours populiste rural, couvrant ce qu'André Guichaoua à
appelé “l'ordre paysans des hautes terres”, cache de plus en plus mal le
rôle croissant de l'argent et des affaires, l'aggravation des inégalités
Ciales entre bourgeoisie plus où moins liée à l'Etat et paysannerie, mais

sussi au sein du monde rural® Selon une lecture plus positive, on pourrait
souligner aussi l'émergence d'une nouvelle couche d'entrepreneurs et la
multiplication des compétences dans un pays qui, au moment de
l'Indépendance, était pratiquement dépourvu de cadres. La société civile
sest donc diversifiée privilèges et frustrations se sont multinliés,
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Le ie découpage simpliste entre les “ethmes” Ce

gsraire


FESSES RDA ES PIS

p7


n'est pas un hasard si depuis 1989 on voit proliférer les petits journaux,
reflets critiques de cette évolution.

L'idéclagie officielle du régime comme émaration naturelle du
"peuple majoritaire” s'est trouvée démystifiée à là fois par ces nouveaux
conflits d'intérêt autour de l'Etat et par le poids des origines régionales
dans l'accès aux fonctions dirigeantes. Le système du parti unique débou-
chait, au Rwanda comme au Burundi, sur un clientélisme structure en
factions “régionalistes”. La dénonciation de la mainmise sur le pouvoir de
groupes issus des préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi à du rnême coup
relativisé la méfiance à l'égard de la minorité tutsi et posé le probléme de
la marginalisation institutionnelle de celle-ci. Les courants d'opposition
en gestation ont très vite recouvert le clivage ethnique: l'aspiration au
pluralisme impliquait un démantélement des structures héréditaires
entretenues par le système des quota au nom d'un “équilibre” figé.

L'attaque lancée en octabre 1990 par le F PR. pouvait redonner vie
à l'animosité interethnique. Beaucoup d'observateurs ont d'ailleurs
présenté cela comme une évidence inéluctable. En fait, pour des raisons
intérieures et extérieures que tout le monde connaît, le processus de
démocratisation a été accéléré malgré la querre civile. La Cornmision
nationale de synthèse constituée en septembre 1990 sort en janvier 1991
un projet de Charte politique nationale qui pose l'exigence du pluralisme,
en précisant que tout parti "doit être national et ne peut exercer ses
activites sur des bases ethniques, régionales, confessionnelles ou sur
toute autre forme de discrimination”. En juin 1991, quand le Conseil natio-
nal du développement adopte une révision de la constitution autorisant le
multipartisme!®, plusieurs formations nouvelles se sont déjà manifestées
{MDR, héritier de l'ancien Farmehutu; Parti libéral; Parti sacial-démo-
crate) et le MRND. du président Habyarimana & légérement changé son
titre. À la fin de 1991 douze partis ont été enregistrés.

Les assises du recrutement de chacun de ces partis sont variables:
les citadins de Kigali sont massivement dans l'opposition, comme l'ont
mont ré les manifestations de novembre 1901 et de janvier 1992, le PS0.
est trés implanté au sud, le MDP. au centre, le PL à l'est (et il accueille
le plus de Tutsi! le MR NC. à ses appuis “légitimistes” du nord. Même si on
trouve des esprits sectaires ici et là, aucune de Ces formations n'affiche

d'exclusive ethnique où régionale. 1 nous paraît significatif qu'un Club de
réflesion des d'intellectuels rwandais, réuni à Kigali en mars 1992, ait
défendu l'idée d'une Conférence nationale svec dans son programme la
discussion de ous les sujets tabous qui sont à la base de la discorde
entre les enfants dune même nation”, parmi lesquels "les malheureuses
dichotormies hutu-tutsi, Kiga-nduge et la problematique de l'ethnicité et de

andaiz un tuilitant du MED. dés sa niais-


p8

=
LI
la régionalité " etc. L'affirmation du pluralisme va de pair avec le recul de
l'esprit de discrimination selon la naissance.

2) Burundi - crise du discours “unitaire”:

La société du Burundi a également changé depuis trente ans. Le
détonateur de la crise politique & été dans ce cas le conflit de l'Etat avec
l'Eglise catholique dans les années 1963-87, qui à cassé l'image d'un una-
nimisme officiel. Son rôle dans la chute du régime Gagaza est clair. Mais
l'isolement du pouvoir par rapport à la société civile tenait aussi 5
d'autres facteurs, qui se sont exprimés à cette occasion: le mécontente-
ment de la classe moyenne urbaine, appauvrie par l'ajustement structurel,
devant la montée d'un affairisme d'Etat (équivalent à celui de son homoque
rwandais) et le durcissement d'exclusives ethniques et régionalistes dans
l'accès aux postes de responsabilité, au moment où l'ouverture relative du
régime avait permis la multiplication de diplômés extérieurs au sérail
tutsi du sud. On observait des fichages, des blocages professionnels, un
arrêt du retour amorcé des réfugiés!

L'avénerment du régime Buyoya en 1987 et la crise de Ntega-
Marangara en août 1968 ont accéléré la définition d'une politique fondée
sur deux principes (rééquilibrage et dialogue), considérés comme des
préalables incontournables à la démocratisation. Le rééquilibrage à
cunsisté à la mise en place systématique d'instances composées d'au moins
S0Z de Hutu, qu'il s'agisse du gouvernement Sibomana, des différentes
Commissions chargées de préparer la transition, du nouveau comité central
de l'Uprona issu du congrès de 1990, du Conseil national de sécurité, etc.
Significativement le concept de démocratie est traduit en kirundi par
l'expression zA77W8re rvsengi, “le pouvoir partage”. Le dialogue lancé en
1980 a tous les niveaux sur le rappart de la Commission nationale pour
l'unité, puis sur la Charte finalement adoptée par referendum en février
1991 s'est voulu une pédagogie de la démocratie. Le principe de la
condamnation de toute “discrimination ou exclusion à l'encontre d'une
partie de la population sur le seul fait de son appartenance à une ethnie” a
été intégrée à la Constitution adoptée par le referendur de mars 1902 et à
la loi sur les partis politique d'avril suivant!#

seule jssue pour bâtir la paix civile, mais avec un accent particulier sur
l'abandon du sectarisme ethnique cormme condition de la réussite d'un
gouvernement partagé entre Hutu et Tutsi, tel qu'il s'est rodé depuis plus

de trois ans. L'amnistie genérale d'août 19G0, qui à fait grincer des dents

Le passage au pluralisme apparait donc, ici également, comme la
{

141, d'une Fépublique à l'autre”, Folitique
Marchés

p9
g

aux deux extrêmes, et l'intensification des mesures pour le retour et
l'accueil des refugiés en 1991 entrent dans cette philosophie politique.
Cependant ce volontarisme démocratique ne rencontre pas, aux niveaux
intermédiaires de l'Etat, ni même dans la socièté, une dynamique équiva-
lente à celle déployée par l'opposition rwandaise. Certes une dizaine de
partis sont en gestation, mais touchant souvent des cercles restreints,
encore entraves par des hatitudes autoritaires de l'administration ou
pièges par des obsessions ethniques apparemment répulsives pour la mäjo-
rité de la population. Surtout la vie associative et la presse sont en retard.
rialgré la multiplication actuelle des initiatives : or la démocratie poli-
tique ne peut s'enraciner que sur une socièté civile elle-même
democratisée.

C —- CLARIFICATION DES CONTRADICTIONS POLITIQUES (1991-
1992)

L'évolution parallèle des deux pays, outre les espoirs qu'elle
entrouvre pour leurs habitants, a le mérite de nous aider à sortir d'un
comparatisme stérile entre la république tutsi et la république hutu telle
que l'actualite et les médias nous en ont donné l'habitude. Tant sur
l'ouverture démocratique que sur le réglement de l'impasse dite ethnique,
an observe en effet un reclassement des positions: les opinions publiques
des deux pays, tutsi et hutu confondus, sont en effet partagées aujourd'hui
de plus en plus clairement par une ligne de clivage proprement politique.
Dans la France du rnilieu du XIXe siècle, on aurait parlé du "mouvement” et
de la “résistance” , nous préférons parler des partisans du changement et
de ceux de la crispation.

La crispation se noue évidemment autour des situations de
violence. Les jeunes réfugiés de deuxième génération qui ont rejoint les
rangs des z242/85t; qu Rwanda où Jes commandos de la branche armée du
Palipehutu au Burundi ont sans doute été convaincus des raisons, bonnes ou
mauvaises, de choisir cette voie. Mais chacun à pu constater ces derniers
mois que ces agressions nourrissent en contrepoint le radicalisme de leurs

e

e
s, le
va

adversair puissant lobby hutu e sr miste exprimé par les articles
ouvertement racistes du journal Æsvgure au Rwanda et les secteurs, civils
ou rmlitaires, nostalgiques de l'ordre La des années 70 au Eurundi, les
uns et les autres trés hostiles à l'ouverture démocratique Tout le monde @
en memoire les violences déclenchées depuis la fin de 1991 ay Rwanda
contre les LEE et Mic ES dpposants, po Ur essayer RUES et de

de
“ion des at ta

p 10
10
mars suivant, inspires, comme l'écrit le journal / /rcépenssni 14, par ceux
qui “regrettent les méthodes expéditives d'antan” et distillent leur venin
contre la politique libérale du président Buyoya.

Mul ne s'étonnera que les partisans des intégrismes ethniques
soient tentés de faire alliance par delà les frontières. il est en tout cas un
front qui ne se cache pas sur ce plan, celui qui associe les secteurs les
plus durs du milieu dirigeant rwandais et le Palipehutu burundait dans les
colonnes de Æsrgurs, pour ameuter l'opinion sur la malignité foncière des
Tutsi, dénoncer un prétendu projet de colonisation hima de la région des
grands lacs et prophétiser sans cesse des massacres inéluctables
(S77us1ge en kinyarwanda).

|l est significatif que les courants favorables à un changement
démocratique se soient trouvés en opposition avec cette vision des choses.
Le refus du M.OR. et du P.L. à Kigali de tomber dans le piège de la division
ethnique que leur avait tendu la radio officielle en mars 1992 et leurs
protestations conjointes contre les massacres du Bugesera ont montré que
l'ethnicité n'était plus considérée comme un fait de nature entraînant des
antagonismes ataviques, mais comme l'outil d'une mobilisation idéologique
foncièrement contradictoire avec la démocratisation De même à
fujumbura, le rapport scrupuleux de la Lique burundaise des droits de
l'homme sur les événements de novembre 1991 et les conditions de la
répression, en mettant en valeur sans ambages les violences des assail-
lants du Palipehutu et celles des forces de l'ordre, ont montré que l'âge des
tabous et des manichéismes dans l'interprétation des crises opposant hutu
et tutsi n'était plus compatible avec l'effort de transparence exigé par une
opinion adulte!5.

En conclusion, nous pensons avoir montré que la notion d'équilibre
ethnique”, dont on a tant sbusé à l'âge des monopartismes, doit être
traitée avec précaution dans ce contexte et qu'elle risque d'être aussi
aléatoire ou dangereuse que là nation de “seuil de tolérance” dans nas
débats européens sur l'accueil des immigrés. La démocratie implique en
effet le fonctionnement normal du principe de majorité, mais dans le
respect des droits des individus et sans exclusions s priori liées à la
naissance.

La pesanteur de l'héritage historique des trente derniéres années
met donc les sociètés civiles du Rwanda et du Burundi dans une sorte de
dilemme qu'il faut tien peser la nécessité de tenir compte - sur la base de



: de novembre 1991 Fujumbura

p11


la commune renommée”, pour reprendre l'expression d'un membre de la
Commission constitutionnelle burundaise (16) - de l'appartenance aux compo-
santes hutu, tutsi ou twa afin de veiller à l'absence de discriminations
dans la vie professionnelle ou au pluralisme ethnique effectif des partis
politiques, sans pour autant recourir à des fichages systématiques, qui
figent les clivages et les enveniment. L'équilibre ethnique au Fwanda et au
Burundi ne peut relever d'une arithmétique autoritaire, mais precisement
d'une nouvelle pratique démocratique et, disons-le, d'une nouvelle culture
politique, telle qu'on la voit progressivement s'exprimer depuis quatre ans.

Jean-Pierre CHRETIEN

CNRS (URA 363) - Université de Paris |
Centre de rechercxehs africaines

16 Le Renouveau du Burundi 24/25.5.1992 p.7
Haut

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