Fiche du document numéro 31503

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31503
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2001
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L’activité des tribunaux pénaux internationaux (2001)
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FR
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Annuaire français de droit
international

L'activité des tribunaux pénaux internationaux
M. le Professeur Hervé Ascensio, Mme le Professeur Rafaëlle Maison

Citer ce document / Cite this document :
Ascensio Hervé, Maison Rafaëlle. L'activité des tribunaux pénaux internationaux. In: Annuaire français de droit international,
volume 47, 2001. pp. 241-281;
doi : https://doi.org/10.3406/afdi.2001.3661
https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2001_num_47_1_3661
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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
XLVII - 2001 - CNRS Éditions, Paris

L'ACTIVITE DES TRIBUNAUX PENAUX
INTERNATIONAUX(2001)
Hervé ASCENSIO et Rafaêlle MAISON

Outre les nombreuses décisions de procédure, les chambres de première
instance du T.P.I.Y. ont rendu en 2001 quatre jugements portant sur la culpabilité 1
et celles du T.P.I.R. un jugement 2. Il convient de mentionner également, pour le
T.P.I.Y., les jugements relatifs à la seule sentence3 et ceux portant sur des
demandes d'acquittement au titre de l'article 98bis R.P.P. 4 La Chambre d'appel,
quant à elle, a rendu trois arrêts sur les jugements au fond au titre du T.P.I.Y. 5 et
trois au titre du T.P.I.R. 6 Ce rythme, désormais plus rapide - notamment pour le
T.P.I.Y. -, reste tout de même encore préoccupant compte tenu du nombre des
accusés détenus et des mandats d'arrêt à exécuter. Les interrogations sur l'avenir de
ces juridictions subsistent donc, tandis que parallèlement la C.P.I, devrait voir le
jour dans le courant de l'année 2002. L'hypothèse du renvoi de certaines affaires
devant des juridictions nationales, quand cela est possible, est désormais très
sérieusement envisagée. Pour le T.P.I.Y., un projet de « délocalisation » devant les
juridictions des États issus de l'ex-Yougoslavie paraît bien avancé. Si une politique
analogue est encore exclue pour le T.P.I.R., la mise en place au Rwanda de
juridictions spécifiques s'inspirant de procédures traditionnelles, dites juridictions
« gacaca », devra être observée avec attention.
Comme à l'accoutumée, l'activité des tribunaux pénaux internationaux pour
l'année 2001 sera présentée en distinguant la procédure internationale pénale (I)
et l'application du droit humanitaire (II).
(*) Hervé ASCENSIO, Professeur à l'Université Paris XIII.
{**) Rafaêlle MAISON, Professeur à l'Université d'Amiens.
n° IT-96-23-T&IT-96-23/1-T,
1. T.P.I.Y., Ch., Jugement,
22 février
Le Procureur
2001 (ci-après
cl Dragoljub
« jugement
Kunarac,
KunaracRadomir
») ; T.P.I.Y.,
Kovac
Ch.,etJugement,
ZoranVukovic,
Prosecutor v. DarioKordic & Mario Cerkez, N° IT-95-14/2-T, 26 February 2001 (ci-après «jugement Kordic»);
T.P.I.Y., Ch., Judgement, Prosecutor v. Radislav Krstic, N° IT-98-33-T, 2 August 2001 (ci-après «jugement
Krstic»); T.P.I.Y., Ch. I, Jugement, Le Procureur cl Miroslav Kvocka, MilojicaKos, Mlado Radie,
Zoran Zigic, Dragoljub Prcac, n° IT-98-30/1-T, 2 novembre 2001 (ci-après «jugement Kvocka »).
2. T.P.I.R., Ch. I, Jugement, Le Procureur cl Ignace Bagilishema, n° ICTR-95-1A-T, 7 juin 2001 (ciaprès « jugement Bagilishema »).
3. T.P.I.Y., Ch., Jugement relatif à la sentence, Le Procureur cl Stevan Todorovic, n° IT-95-9/1-S,
31 juillet 2001 ; T.P.I.Y., Ch., Jugement relatif à la sentence, Le Procureur cl Zdravko Mucic alias
« Pavo », Hazim Délie et Esad Landzo alias « Zenga », n° IT-96-21-Tbis-R117, 9 octobre 2001.
4. T.P.I.Y., Ch., Judgement on Defence Motions to Acquit, Le Procureur cl Dusko Sikirica, Damir
Dosen, Dragan Kolundzija, N° IT-95-8-T, 3 September 2001. Sur cette procédure, v. infra, I, 3.
5. T.P.I.Y., App., Arrêt, Le Procureur cl Zejnil Delalic e.a., n° IT-96-21-A, 20 février 2001 (ci-après
« arrêt Celebici ») ; T.P.I.Y., App., Arrêt, Le Procureur cl Goran Jelisic, n° IT-95-10-A, 5 juillet 2001 (ciaprès « arrêt Jelisic ») ; T.P.I.Y., App., Le Procureur cl Zoran Kupreskic e.a., n° IT-95-16-A, 23 octobre
2001 (ci-après « arrêt Kupreskic »).
6. T.P.I.R., App., Arrêt, Jean-Paul Akayesu cl Le Procureur, n" ICTR-96-4-A, 1er juin 2001 (ci-après
« arrêt Akayesu ») ; T.P.I.R., App., Clément Kayishema et Obed Ruzindana cl Le Procureur, n° ICTR-951-A, arrêt rendu en deux temps («jugement » du 1er juin 2001 rendu oralement et « motifs du jugement »
du 19 juillet 2001) (ci-après « arrêt Kayishema-Ruzindana ») ; T.P.I.R., App., Arrêt, Alfred Musema cl
Le Procureur, n° ICTR-96-13-A, 16 novembre 2001 (ci-après « arrêt Musema »).

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L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX
I. - LA PROCÉDURE INTERNATIONALE PÉNALE
A. Les règles de procédure

1. La révision du règlement de procédure et de preuve
Les règlements de procédure et de preuve (R.P.P.) ont été modifiés le 12 avril
2001, le 12 juillet 2001 et le 13 décembre 2001 pour le T.P.I.Y., les 30-31 mai 2001
pour le T.P.I. R. Ces révisions poursuivent deux objectifs : la codification de la
jurisprudence en matière procédurale et la recherche d'une plus grande efficacité.
La révision d'avril 2001 adapte les dispositions du R.P.P./T.P.I.Y. à
l'existence de juges ad litem et de juges permanents 7. Elle précise également la
procédure devant le juge de la mise en état (art. 65ter), puis lors de la conférence
préalable au procès (art. 73bis) et lors de la conférence préalable à la
présentation des moyens à décharge (art. 73ter). On relèvera que la possibilité
d'appel est restreinte pour certaines décisions prises en cours de procès
(admistration de la preuve et procédure), sauf si la Chambre de première
instance certifie que l'appel est nécessaire à la poursuite du procès (art. 73). Ces
questions pourront en tout état de cause être évoquées lors d'un éventuel appel
du jugement. La deuxième révision de l'année 2001 a procédé à des modifications
de détail et précisé les dispositions transitoires en cas de carence dans l'exercice
de la fonction de Président ou du Vice-Président du Tribunal (art. 22). La révision
du 21 décembre 2001 est plus importante. Tout d'abord, des amendements
précisent certains points techniques relatifs aux procédures préalables aux
procès et cherchent, à nouveau, à encadrer davantage l'appel de certaines
décisions - par exemple avec l'instauration d'un filtre de trois juges pour l'appel
des ordonnances adressées aux États aux fins de production de documents
(art. 54bis). De plus, trois nouveaux articles ont été adoptés. L'article 62ter porte
sur la procédure en cas d'accord de plaidoyer, celui-ci devant être présenté devant
la Chambre de première instance, qui n'est nullement liée. L'article 68bis permet
au juge de la mise en état ou à la Chambre de première instance d'infliger des
sanctions en cas de manquement aux obligations de communication. Quant à
l'article 126bis, il précise les délais pour le dépôt des réponses aux requêtes
(14 jours en principe et 7 jours pour la réplique). Enfin, les dispositions relatives
au choix et aux obligations des conseils ont été nettement renforcées - ce dont il
sera rendu compte dans la subdivision suivante.
La révision des 30-31 mai 2001 aligne certaines dispositions du R.P.P./
T.P.I. R. sur les dispositions équivalentes du R.P.PVT.P.I.Y. : article 15bis sur
l'absence d'un juge, précision dans l'article 40bis sur le fait que la durée
maximale de 90 jours de détention d'un suspect est calculée à partir du
lendemain du transfert au Tribunal. En revanche, certaines modifications sont
propres au T.P.I. R. : création d'un article Iter à portée générale sur les délais,
paragraphe supplémentaire de l'article 41 consacré à l'inventaire des effets saisis
de l'accusé, nouvel article bbbis permettant d'émettre un mandat d'arrêt à tous
les États. On regrettera à nouveau ces écarts croissants de procédure, pas
nécessairement justifiés par la spécificité de l'une ou l'autre juridiction.

7. V. cette chronique, A.F.D.I., 2000, pp. 290-291.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

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2. Les problèmes relatifs à l'organisation de la Défense
Le droit de l'accusé à un conseil continue à soulever des difficultés devant
le T.P.I. R. dans le contexte de la commission d'office, qui est le cas général.
Confirmant la solution déjà retenue dans l'arrêt Kambanda, l'arrêt Akayesu
énonce « qu'en principe, le droit à l'assistance gratuite d'un avocat ne confère
pas le droit de choisir celui-ci » 8, et ce même s'il existe une pratique
permettant à l'accusé de choisir sur la liste des avocats établie par le Greffier.
La Chambre d'appel souligne qu'il s'agit alors d'un vœu, qui ne lie pas
forcément le Greffier, lequel « a un large pouvoir d'appréciation qu'il exerce
dans l'intérêt de la justice » (§ 62). En l'occurrence les atermoiements de
l'accusé sont soulignés par la Chambre d'appel qui « s'estime fondée à
exprimer son désaccord quant à l'utilisation abusive en l'espèce du droit de
l'accusé indigent à bénéficier d'une assistance juridique aux frais de la
communauté internationale » (§ 64). La tension entre, d'une part, les accusés
et leurs avocats et, de l'autre, le Greffe du T.P.I.R. perdure donc. Il semblerait,
par ailleurs, que certaines pratiques douteuses se soient développées (partage
d'honoraires avec les familles des accusés), expliquant une partie des
interventions du Greffe et des changements d'avocats en cours de procédure.
L'ensemble souligne à nouveau la nécessité de renforcer l'organisation de la
Défense par la constitution d'un barreau autonome 9. Le fait que le Greffier
tout à la fois élabore la Directive relative à la commission d'office de conseils
de la défense et en surveille l'application constitue l'un des principaux points
de conflit. Le T.P.I.Y., quant à lui, a cherché à améliorer quelque peu le
système en créant un Conseil consultatif représentatif de la Défense (art. 44
D) 10 et en prévoyant, depuis la révision du 13 décembre 2001, que la directive
relative à la commission d'office devait être « édictée par le Greffier et
approuvée par les juges permanents » (art. 44 C). La réflexion mériterait
toutefois d'être poursuivie.
Actuellement, les avocats peuvent être sanctionnés par les juridictions ad hoc
elles-mêmes lorsqu'ils sont reconnus coupables d'outrage au Tribunal, en cas de
conduite entravant le cours de la justice. Dans une affaire concernant Me Vujin,
ancien avocat de Dusko Tadic, la Chambre d'appel du T.P.I.Y. se prononçant en
première instance avait estimé qu'il s'agissait là d'un pouvoir inhérent à tout
tribunal, ce qui justifie la création du délit d'outrage à l'article 77 R.P.P. n L'arrêt
d'appel rendu par une autre formation de la Chambre d'appel a confirmé cette
appréciation12. Selon le premier arrêt, l'outrage suppose que les personnes
entravent « délibérément et sciemment » le cours de la justice, condition qui sera
ensuite intégrée dans le R.P.P./T.P.I.Y. lors de la révision du 13 décembre 2001.
C'est pour non-respect de cette condition que la Chambre d'appel a annulé une
autre décision de première instance, celle qui condamnait Me Nobilo à une

8. Arrêt Akayesu, § 61 ; arrêt Kambanda, § 33.
9. V. cette chronique, A.F.D.I., 1998, p. 376.
10. V. cette chronique, A.F.D.I., 2000, p. 293.
11. T.P.I.Y., App., Arrêt relatif aux allégations d'outrage formulées à rencontre du précédent
conseil, Milan Vujin, Le Procureur cl Dusko Tadic, n° IT-94-1-AR77, 31 janvier 2000, §§ 12-29.
12. T.P.I.Y., App., Arrêt confirmatif relatif aux allégations d'outrage formulées à l'encontre du
précédent conseil, Milan Vujin, Le Procureur cl Dusko Tadic, n° IT-94-1-AR77, 27 février 2001, notamment
p. 4 : « Attendu que, pour garantir un fonctionnement efficace et équitable, le Tribunal international doit
avoir le pouvoir de connaître de l'outrage et de le sanctionner ». Dans cette seconde décision qui affirme
la possibilité d'un appel pour toute condamnation pénale, y compris l'outrage au Tribunal, la Chambre
d'appel estime que la procédure appropriée aurait dû consister à renvoyer le jugement de première
instance à une chambre de première instance.

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L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

amende13. En l'occurrence, il s'agissait des conditions d'utilisation d'un
témoignage fait lors d'un autre procès, en méconnaisance d'une ordonnance de
protection du témoin-expert. Selon la Chambre d'appel, il était alors nécessaire
de démontrer soit la connaissance effective de l'ordonnance, soit l'aveuglement
délibéré. Mais « le simple fait de s'abstenir de vérifier si une ordonnance aux fins
de mesures de protection a été délivrée en faveur d'un témoin particulier ne
saurait en aucun cas être assimilé à un outrage » 14. De plus, l'arrêt souligne les
carences de la procédure lorsque l'accusation d'outrage émane d'une formation de
jugement se saisissant proprio motu. En l'espèce, l'accusé n'avait pas été informé
avec suffisamment de détails des accusations portées contre lui. La révision de
décembre 2001 y a remédié pour le T.P.I. Y. en prévoyant des garanties de
procédure équivalentes à celles existant pour tout procès devant le Tribunal. De
plus, une Chambre de première instance estimant qu'il y a outrage pourra
désormais, au lieu de se saisir d'office, demander au Procureur d'enquêter afin
qu'il émette un acte d'accusation ou, au cas où le Procureur serait en conflit
d'intérêt, demander au Greffier de nommer un amicus curiae chargé d'enquêter,
de lui faire rapport sur la nécessité d'engager des poursuites et même,
éventuellement, de poursuivre en lieu et place de la Chambre (art. 77 C à E).
Outre les modifications déjà signalées, le R.P.P./T.P.I.Y révisé a réduit la
peine maximale pour outrage - comme pour faux-témoignage d'ailleurs - à sept
années d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende. Mais une précision a été
apportée : la Chambre pourra décider que le conseil n'est plus apte à représenter
un suspect ou un accusé. Une telle conclusion peut désormais également être
tirée d'une faute disciplinaire, en vertu de l'article 46 R.P.P. (et également 44 A).
De surcroît, un conseil pourra être sanctionné, semble-t-il à titre disciplinaire, s'il
« dépose une requête, y compris une exception préjudicielle, qui, de l'avis de la
Chambre, est abusive, ou constitue un abus de procédure ». La sanction pourrait
« notamment » (!) consister dans le refus de paiement d'une partie ou de la
totalité des honoraires dus (art. 46 C). De manière fort regrettable, aucune
garantie procédurale n'est ici mentionnée. On signalera enfin que le Code de
déontologie est également élaboré par le Greffier, « sous le contrôle du Président »
pour le T.P.I. Y. et « sous réserve de son approbation par la réunion plénière »
pour le T.P.I.R. Le règlement de ce dernier se distingue ici en prévoyant que les
modifications sont faites « en consultation avec les représentants du Procureur et
du Conseil de la défense » (art. 46 D). Là encore, une réflexion d'ensemble et une
harmonisation seraient utiles.
B. Poursuites, arrestation, transfert, détention provisoire
1. Poursuites
La jurisprudence a précisé certains points de droit en matière de poursuites.
Dans l'arrêt Celebici, la Chambre d'appel du T.P.I.Y. a estimé que le cumul de
qualifications dans l'acte d'accusation était possible (§ 400), de manière à
permettre à la Chambre de première instance de déterminer la qualification la
plus appropriée après présentation de l'ensemble des éléments de preuve. La
Chambre d'appel du T.P.I.R. l'a également admis dans l'arrêt Musema (§ 369).
Telle est d'ailleurs la pratique habituelle devant les deux tribunaux ad hoc.
13. T.P.I.Y., App., Arrêt relatif à l'appel de la décision portant condamnation pour outrage au Tribunal interjeté
par Anto Nobilo, Le Procureur cl Zlatko Aleksovski, n° IT-95-14/1-AR77, 30 mai 2001.
14. Ibid., § 45.

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Une autre pratique du Procureur a été évoquée, celle de la modification
tardive des actes d'accusation. Dans l'affaire Musema, l'accusé l'invoquait comme
motif d'appel. La Chambre d'appel l'a écarté, car elle a préalablement infirmé la
condamnation pour le chef d'accusation correspondant (viol en tant que crime
contre l'humanité). Toutefois, le passage sonne comme un avertissement 15. D'une
manière générale, on peut regretter que le respect des délais pose régulièrement
problème au Procureur devant le T.P.I.R. 16
2. Le contrôle de licéité du transfert et de la compétence (jurisdiction) du Tribunal
L'événement le plus médiatisé de l'année 2001 à propos des juridictions
pénales internationales a certainement été le transfert de Slobodan Milosevic à
La Haye, rendu possible par l'évolution de la situation politique en République
fédérale de Yougoslavie - et par l'insistance des États-Unis auprès du nouveau
gouvernement serbe. Il a eu lieu le 29 juin 2001, alors même que la Cour
constitutionnelle de la R.F.Y., saisie d'un recours, avait suspendu la procédure
interne de remise. Lors de sa comparution initiale le 3 juillet, Slobodan Milosevic
a manifesté son refus de quelque forme de coopération que ce soit avec le T.P.I.Y.,
ce qui a conduit la Chambre de première instance à estimer qu'il plaidait non
coupable. L'accusé a ensuite déposé deux mémoires contestant la licéité du
Tribunal, les modalités de son transfert et, par voie de conséquence, la licéité de
sa détention. Ces exceptions préliminaires ont été rejetées par la Chambre de
première instance 17. Bien qu'une large partie d'entre elles eût pu être écartée par
la seule référence au précédent de l'arrêt Tadic (compétence) du 2 octobre 1995 18,
les juges ont préféré les examiner toutes. La motivation relative à la licéité de la
création du Tribunal n'apporte pas d'éléments originaux, contrairement à
certains développements répondant à des griefs nouveaux. Parmi ceux-ci figurent
la mise en cause de l'indépendance du Procureur, l'immunité du chef d'État et la
violation du droit interne lors du transfert de l'accusé.
Selon le mémoire des amid curiae 19, le Procureur aurait lancé un mandat
d'arrêt contre Slobodan Milosevic sous la pression du Conseil de sécurité des
Nations Unies, ce qui démontrerait son absence d'indépendance. Évitant de se
demander si un procureur doit nécessairement être indépendant, la Chambre de
première instance constate que les termes du Statut l'exigent (art. 16 § 2). Il y
aurait donc violation de celui-ci s'il était démontré qu'il n'a pas agi de manière
15. § 343 : « Da Chambre d'appel] souhaite souligner le caractère particulièrement tardif du dépôt
par le Procureur de sa requête le 29 avril 1999 (...). La Chambre d'appel est d'avis que la Chambre de
première instance, avant d'autoriser une modification de l'acte d'accusation, doit être particulièrement
attentive au respect des droits fondamentaux de l'accusé tels qu'énoncés aux article 19 et 20 du Statut.
Pour ce faire, la Chambre de première instance doit se demander si la modification pénalisera
injustement l'accusé dans la conduite de sa défense et garder à l'esprit le fait que plus la modification est
demandée tardivement, plus elle est susceptible de pénaliser l'accusé. »
16. À tel point que, dans l'affaire Kayishema-Ruzindana, l'ensemble de son appel a été déclaré
irrecevable en raison du dépôt hors délai de son mémoire (arrêt, § 48) ! Par conséquent, seuls les motifs
d'appel des accusés ont été examinés.
17. La décision a été rendue oralement le 30 octobre 2001, la version écrite étant ultérieure :
T.P.I.Y., Ch., Decision on Preliminary Motions, Prosecutor v. Slobodan Milosevic, n° IT-99-37-PT, 8
November 2001.
18. V. cette chronique, AF.D.I., 1995, pp. 115s. Pour la règle du précédent telle qu'affirmée dans
l'arrêt Aleksovski, v. cette chronique, A.F.D.I. , 2000, pp. 284-289. Ici, la décision réaffirme le caractère
contraignant des arrêts pour les chambres de première instance, tout en estimant devoir donner ses
propres arguments (§ 4 : « give its own reasons for its conclusions »), en une démarche syncrétique.
19. Sur le rôle des amici curiae dans le procès Milosevic, v. infra, I, C, 1. Sur la procédure d'amicus
curiae en général, v. Hervé Ascensio, « L'amicus curiae devant les juridictions internationales »,
R.G.D.I.P., 2001/4, pp. 897-930.

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L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

indépendante, notamment « if there was mala fides on the part of the Prosecutor
in indicting the accused » (§ 14 de la décision), ce qui n'est pas ici le cas. Selon la
Chambre, les demandes du Conseil de sécurité visant à ce qu'il enquête sur les
événements du Kosovo 20 n'ont pas porté atteinte à son indépendance et peuvent
être comparées aux indications de politique pénale données par un gouvernement
aux juridictions en droit interne. Il en aurait été autrement si le Procureur avait
été soumis à de véritables instructions de la part du Conseil ou de quelque autre
entité (§ 15).
En matière d'immunité, la règle selon laquelle un chef d'État ne peut
invoquer sa qualité officielle comme obstacle à l'engagement de sa responsabilité
pour les crimes entrant dans la compétence du Tribunal est considérée comme
étant de nature coutumière (§ 31). Sont invoqués en ce sens les dispositions des
Statuts des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, du T.P.I.Y. et du T.P.I.R., de la
C.P.I. , du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, les principes de Nuremberg, la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le projet de
Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. Il paraît effectivement
bien difficile aujourd'hui de prétendre qu'un chef d'État pourrait invoquer une
quelconque immunité devant une juridiction internationale. Mais ici, la règle est
présentée comme ayant une portée tout à fait générale, ce qui est confirmé par
une référence à l'affaire Pinochet devant la Chambre des Lords britanniques
(§ 33). Aucune distinction n'est faite selon la nature interne ou internationale de
la juridiction, ou selon que le chef d'État est en exercice ou ne l'est plus. Seul le
caractère international du crime est pertinent pour rejeter l'immunité, ce qui
paraît conforme aux évolutions du droit international 21.
La violation du droit interne lors du transfert est présentée comme un
problème lié à la structure fédérale de la R.F.Y. Mais ici la problématique des
rapports entre droit international et État fédéral est en quelque sorte inversée par
rapport aux questions habituellement soulevées. L'entité fédérée, la Serbie, a bien
exécuté le mandat d'arrêt émis par le Tribunal, alors que le mandat avait été
transmis à l'entité fédérale apparemment compétente en la matière 22 ; la violation
des règles de répartition des compétences a donc permis le respect d'une obligation
internationale. La décision rappelle que, selon l'article 58 R.P.P., les dispositions
du Statut prévalent sur le droit interne des États faisant l'objet d'une demande de
transfert (§ 45). S'agissant d'une obligation internationale, elle concerne l'État
dans son ensemble, donc y compris le niveau fédéré, et même si le mandat n'a été
transmis qu'au niveau fédéral. Il semble que le rapprochement soit ensuite
rapidement fait entre l'article 58 R.P.P. et l'article 27 de la Convention de Vienne
sur le droit des traités. En effet, estimant que le Statut du Tribunal doit être
interprété comme un traité, la Chambre de première instance déclare :
« The Federal Republic of Yugoslavia has an obligation under the Statute to
comply with the request to arrest and transfer the accused and, therefore, cannot rely
20. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, pp. 474-476.
21. À l'heure où cette chronique est rédigée, l'arrêt de la Cour internationale de Justice du 14
février 2002 dans l'Affaire relative au mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du
Congo c. Belgique) fait apparaître une contradiction partielle avec la décision sur les exceptions
préliminaires dans l'affaire Milosevic. Il affirme en effet l'existence d'une immunité de nature coutumière pour
un ministre des affaires étrangères en exercice, accusé de crimes internationaux devant une juridiction
interne (§ 54 de l'arrêt). Un moyen de concilier les deux décisions consisterait à interpréter la position de
la Chambre de première instance du T.P.I.Y. comme visant seulement, soit la poursuite d'un ancien chef
d'État, soit la poursuite d'un chef d'État même en exercice mais devant une juridiction internationale auxquels cas l'absence d'immunité nous paraît relever de l'évidence.
22. L'accusé était alors détenu dans une prison serbe, en vertu du droit pénal serbe, pour des
infractions sans rapport avec celles relevant de la compétence du T.P.I.Y.

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on its internal law, namely the division of power as between the federal government
and its States as a justification for failure to comply. Although it is the accused,
and not the Federal Republic of Yugoslavia that is seeking to rely on the internal
constitutional system of the Federal Republic of Yugoslavia, it follows that if the
Federal Republic of Yugoslavia itself cannot rely on internal laws, then, a fortiori,
neither can the accused. Accordingly, this ground is dismissed » (§ 47).
La violation potentielle des droits de l'accusé résultant du droit interne est
ainsi neutralisée par l'obligation étatique vis-à-vis du Tribunal. Il s'agit, à
première vue, d'une approche classiquement dualiste des rapports de système
entre droit international et droit interne : un État ne peut invoquer son droit
interne pour ne pas respecter une obligation internationale et, inversement, la
violation du droit interne est sans pertinence du point de vue du droit
international du moment qu'aucune obligation internationale n'est violée. Mais,
en fait, le raisonnement va un peu plus loin : la violation du droit interne est ici
sans pertinence parce qu'elle permet à l'État de respecter ses obligations
internationales. Or la question est surtout de savoir si cette violation du droit
interne ne constituait pas en même temps une violation des droits de l'accusé
résultant du droit international des droits de l'homme, auquel cas : 1/ il y aurait
un conflit d'obligations du point de vue de l'État et 2/ le Tribunal devrait
s'interroger sur les conséquences de la violation des droits de l'accusé dans le
cadre de sa propre procédure. Telle avait été l'approche retenue par la Chambre
d'appel du T.P.I.R. dans l'affaire Barayagwiza 23. Rappelant cette jurisprudence
et sans grand souci de cohérence avec les paragraphes qui précèdent, la décision
utilise ensuite un raisonnement davantage centré sur les droits de l'individu pour
conclure :
« the circumstances in which the accused was arrested and transferred (...) are not
such as to constitute an egregious violation of the accused's rights. It should be
noted that, in Barayagwiza, the Appeals Chamber did find an abuse of process but
that was on the basis that he was detained for 11 months without being notified of
the charges against him. Consequently, the doctrine of the abuse ofprocess is
inapplicable, and this ground is dismissed » (§ 51).
L'exception préliminaire relative à l'illicéité du transfert est donc rejetée à la
fois parce que l'État était obligé de procéder au transfert, la violation du droit
interne n'étant pas pertinente, et parce que la violation des droits de l'accusé
n'est pas suffisamment grave pour avoir un effet sur la procédure devant le
Tribunal. Il est heureux que les deux raisonnements répondant, pour le premier,
à un grief de l'accusé et, pour le second, à un grief des amici curiae, aboutissent
au même résultat. L'ensemble de la motivation fait néanmoins apparaître une
distorsion entre une approche de droit international classique {i.e. le droit des
traités et la figure étatique) et une approche de droit international des droits de
l'homme {Le. l'individu, sujet de droit international).
Parallèlement, Slobodan Milosevic a tenté de contester la légalité de sa
détention devant le juge néerlandais et devant la Cour européenne des droits de
l'homme. Il invoquait notamment le caractère illégitime et discriminatoire du
T.P.I.Y., son immunité d'ancien chef d'État et le fait que les Pays-Bas violaient
ses droits en acceptant sa détention sur leur territoire. Saisi en référé, le
Président de la Cour régionale de La Haye a estimé, par une décision du 31 août
2001, que le Tribunal avait un fondement juridique suffisant, que la procédure
suivie respectait les droits de l'accusé, que la limitation de la compétence des
23. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, pp. 477-480, et 2000, pp. 294-296.

248

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

Pays-Bas portant sur la détention des personnes accusées devant le T.P.I.Y. était
licite et que les juridictions néerlandaises n'étaient pas compétentes. Après avoir
formé un appel, l'accusé s'en est désisté le 17 janvier 2002. Cet élément a été
déterminant pour l'issue de la procédure devant la Cour européenne, puisqu'il a
motivé la décision d'irrecevabilité pour non-épuisement des voies de recours
internes 24.
3. La détention provisoire
La détention provisoire reste de principe pour les personnes accusées devant
les tribunaux pénaux internationaux 25. L'article 65(B) R.P.P. a certes fait l'objet
d'une révision en novembre 1999 qui a supprimé la condition relative aux
« circonstances exceptionnelles », alors nécessaire pour obtenir une libération
provisoire. La jurisprudence n'en a pas moins continué à estimer qu'en raison de
la gravité des infractions et de l'absence de forces de police internationales 26, il
revenait à la personne détenue de faire la preuve que sa libération ne risquait pas
de conduire à une non-comparution ou de mettre en danger les victimes et
témoins. Toutefois, la discussion a été réouverte cette année par une décision de
première instance répondant à une demande de Momcilo Krajisnik 27. Celui-ci
cherchait à obtenir le même statut que sa co-accusée, Biljana Plavsic,
actuellement unique bénéficiaire d'une mesure de liberté provisoire28. La
décision, rejettant la demande, souligne certaines différences entre les deux cas :
la reddition volontaire de Mme Plavsic, son âge et son engagement à collaborer
avec le Procureur 29. La pertinence de ces éléments est nettement mise en doute
par le Juge Robinson dans son opinion dissidente ; mais c'est surtout sur le plan
des principes qu'il s'oppose aux deux juges majoritaires. S'appuyant sur le droit
international des droits de l'homme, notamment sur la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, il estime que la charge de la preuve devrait
peser sur le Procureur et non sur l'accusé. L'argument de la spécificité du
Tribunal par rapport à une juridiction interne est également rejeté, avec tout de
même un certain manque de pragmatisme. Il reste à voir si cette critique, pour
l'heure minoritaire, aura une influence sur la pratique des tribunaux ad hoc 30.

n" 77631/01,
24. C.E.D.H.,
déposée
Slobodan
le 20 décembre
Milosevic2001).
cl Pays-Bas, Décision sur la recevabilité, 19 mars 2002 (requête
25. V. cette chronique, A.F.D.I. , 1997, p. 374.
26. Sur ce dernier point, v. par exemple T.P.I.Y., Ch., Decision on Motion by Momir Talic for
Provisional Release, Prosecutor v. Brdanin and Talic, N° IT-99-36-PT, 28 March 2001, § 18.
27. T.P.I.Y., Ch., Decision on Momcilo Krajisnik's Notice of Motion for Provisional Release,
Prosecutor v. Momcilo Krajisnik & Biljana Plavsic, N° IT-00-39&40-PT, 8 October 2001.
28. T.P.I.Y., Ch., Decision on Biljana Plavsic's Application for Provisional Release, Prosecutor v.
Momcilo Krajisnik & Biljana Plavsic, N° IT-00-39&40-PT, 5 September 2001.
29. À vrai dire, il n'est pas interdit de penser que la « reddition volontaire » de Mme Plavsic ait pu
faire l'objet de négociations avec le Procureur, dont l'un des éléments aurait été sa libération provisoire.
Momcilo Krajisnik soulignait quant à lui qu'il n'avait pas pu se rendre volontairement au Tribunal
puisque l'acte d'accusation le concernant avait été tenu secret jusqu'au jour de son arrestation ! S'il en avait
été informé, il se serait bien évidemment rendu de lui-même à La Haye...
30. Une demande de libération provisoire de Slobodan Milosevic, invoquant la nécessité de
préparer sa défense, a été rejetée assez succinctement et avec les arguments habituels (T.P.I.Y., Ch., Decision
on Accused's Application for Provisional Release, Prosecutor v. Slobodan Milosevic, N° IT-02-54-T, 6
March 2002).

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

249

C. Préparation, conduite des procès, recours
1. L'organisation du procès
Dans l'affaire Milosevic, l'attitude initiale de l'accusé, déniant toute
légitimité au Tribunal et refusant de se faire assister d'un avocat, a conduit la
Chambre de première instance saisie à ordonner la désignation par le Greffier
d'un amicus curiae 31. Elle s'est inspirée en cela d'une technique analogue utilisée
dans les pays de common law. Quoique Yamicus soit censé ne pas représenter
l'accusé mais seulement assister la chambre, la liste de ses pouvoirs démontre
suffisamment quel sera son rôle :
« (a) making any submissions properly open to the accused by way of preliminary
or other pre-trial motion ;
(b) making any submissions or objections to evidence properly open to the accused
during the trial proceedings and cross-examining witnesses as appropriate ;
(c) drawing to the attention of the Trial Chamber any exculpatory or mitigating
evidence ; and
(d) acting in any other way which designated counsel considers appropriate in
order to secure a faire trial »
Trois amid curiae ont été désignés le 6 septembre 2001 : Steven Kay,
Branislav Tapuskovic et Michaïl Wladimiroff. La même chambre a fait droit à
leur demande de communication de tous les documents également transmis à
l'accusé 32. Il apparaît donc que les trois amici seront présents tout au long du
procès pour veiller au respect des droits de l'accusé 33. Ce dernier ayant par la
suite décidé de se défendre lui-même et étant de surcroît assisté en coulisses
par plusieurs conseils, nul doute que sa défense sera particulièrement bien
assurée.
L'organisation de son procès a également soulevé des difficultés. Le
Procureur souhaitait obtenir, en vertu de l'article 49 R.P.P., la jonction des trois
actes d'accusation portant sur les événements au Kosovo, en Croatie et en BosnieHerzégovine 34, de manière à mener un seul procès. Sa demande était motivée à
la fois par des raisons d'opportunité, notamment éviter de déplacer plusieurs fois
certains témoins, et par des arguments juridiques, au premier rang desquels
l'idée que l'ensemble relevait d'une même entreprise criminelle visant à créer une
« Grande Serbie » 35. La Chambre de première instance a cependant considéré
que, si la jonction des actes concernant la Croatie et la Bosnie-Herzégovine était
justifiée compte tenu de la «close proximity in time, type of conflict and
N° IT-99-37-PT,
31. T.P.I. Y., 30
Ch.,
August
Order 2001,
Inviting
complété
Designation
par T.P.I.Y.,
of Amicus
Ch.,curiae,
OrderProsecutor
Inviting Designation
v. Slobodan of
Milosevic,
Amicus
curiae, Prosecutor v. Slobodan Milosevic, N° IT-01-51-PT, 23 November 2001.
32. T.P.I.Y., Ch., Order Concerning the Provision of Documents to Amici curiae, Prosecutor v.
Slobodan Milosevic, N° IT-99-37-PT, 19 September 2001.
33. D'après la décision de désignation du Greffier, ils sont d'ailleurs soumis au code de conduite
professionnel des avocats devant le T.P.I.Y.
34. Respectivement affaires n° IT-99-37-PT (acte d'accusation confirmé le 24 mai 1999, puis
amendé le 29 juin 2001 et le 29 octobre 2001), IT-01-50-PT (acte d'accusation émis le 27 septembre et
confirmé le 8 octobre 2001) et IT-01-51-PT (acte d'accusation émis le 12 novembre et confirmé le 22
novembre 2001).
N° IT-99-37-PT
35. T.P.I.Y.,&Ch.,
IT-01-50-PT
Decision on
& IT-01-51-PT,
Prosecution's 13
Motion
December
for Joinder,
2001, Prosecutor
§ 16. Sur le
v. succès
Slobodan
de Milosevic,
la notion
d'« entreprise criminelle » dans la jurisprudence récente, v. infra, H, C, 1.

250

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

responsibility of the accused » 36, tel n'était pas le cas pour l'acte d'accusation
portant sur le Kosovo. Selon elle, le lien avec le plan ou la stratégie commune de
l'accusé serait « too nebulous », compte tenu du silence de l'acte d'accusation sur
ce point, et un procès unique serait beaucoup trop long 37. Elle conclut donc à la
tenue de deux procès, conduits par la même chambre, en commençant - à
l'encontre de la chronologie des faits - par le Kosovo, l'acte d'accusation
correspondant ayant été émis en premier. La date de début du premier procès a
été fixée au 12 février 2002. Cette décision a néanmoins été réformée par la
Chambre d'appel, qui a accepté la jonction des trois affaires et un procès unique,
commençant à la même date. Elle décide néanmoins que les éléments de preuve
relatifs au Kosovo devront être présentés en premier, étant donné que ceux
relatifs à la Croatie et à la Bosnie n'avaient pas encore été entièrement transmis
à l'accusé 38. Selon les estimations, la durée du procès devrait être comprise entre
18 mois et 2 ans.
2. Le droit à un procès équitable
En matière d'impartialité des juges, de nouvelles contestations ont eu lieu,
appliquant les mêmes critères que les années précédentes. Dans l'arrêt Akayesu,
la Chambre d'appel du T.P.I.R. a facilement écarté le motif d'appel portant sur
des propos ou des questions des Juges Kama et Pillay lors des audiences, après
les avoir replacés dans le contexte du procès (§§ 194s.). Dans l'arrêt Celebici, la
Chambre d'appel du T.P.I. Y. revient sur la situation de la Juge Odio-Benito
nommée vice-présidente de la République du Costa-Rica alors que le procès était
encore en cours ; elle reprend largement la solution dégagée à l'époque par le
Bureau du Tribunal 39 (§§ 685-693). Un grief nouveau portait sur sa participation
à l'administration du Fonds des Nations Unies pour les victimes de torture. Là
encore, la partialité qui en résulterait n'est pas démontrée (§§ 694-709) 40.
Deux arrêts sont venus préciser le rôle du juge dans la procédure. Tout
d'abord, l'arrêt Celibici aborde la délicate question de l'endormissement du Juge
Karibi-Whyte à certains moments du procès. Selon la Chambre d'appel,
l'inattention d'un juge, pour enfreindre le droit à un procès équitable, doit avoir
causé un préjudice réel à l'une des parties (§ 625). Cela n'est pas le cas en l'espèce
et, de plus, le problème aurait dû être soulevé devant la Chambre de première
instance elle-même (§§ 630-650). Bien que les périodes d'endormissement aient
été trop brèves pour démontrer que le Juge ne suivait plus le procès, la Chambre
d'appel a néanmoins tenu à affirmer que « Judge Karibi-Whyte's conduct cannot

36. Ibid., § 46.
37. Ibid., respectivement §§ 45 et 47. Le Procureur annonce 380 à 395 témoins au total, ce qui
demanderait quelques 300 jours d'audience ! Il est heureusement prévu qu'une partie d'entre eux fasse
une déclaration écrite à la place d'un témoignage oral, conformément à la procédure prévue à l'article
92bis R.P.P.
38. T.P.I.Y., App., Decision on Prosecution Interlocutory Appeal from Refusal to Order Joinder,
Prosecutor v. Slobodan Milosevic, N° IT-99-37-AR73 & IT-01-50-AR73 & IT-01-51-AR73, 1 February 2002.
Compte tenu de la motivation lapidaire et du renvoi implicite aux arguments développés par le
Procureur, il est nécessaire de compléter la lecture de cette décision par celle du mémoire du Procureur
(T.P.I.Y., App., Interlocutory Appeal of the Prosecution against « Decision on Prosecution's Motion for
Joinder », Prosecutor v. Slobodan Milosevic, N° IT-99-37-AR73 & IT-01-50-AR73 & IT-01-51-AR73, 15
January 2002). Celui-ci souligne notamment les éléments des actes d'accusation portant sur l'entreprise
commune et estime qu'ils répondent à l'exigence de l'article 49 R.P.P. relatif à une « même opération »,
telle qu'interprétée par la jurisprudence antérieure.
39. V. cette chronique, A.F.D.I. , 1998, pp. 382-383.
40. V. mutatis mutandis, l'arrêt Furundzija à propos de la Juge Mumba, in cette chronique,
A.F.D.I., 2000, pp. 301-302.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

251

be accepted as appropriate conduct for a judge » (§ 629). Dans l'affaire Jelisic,
c'est une attitude en un sens opposée qui était contestée, à savoir les
interventions appuyées des juges durant les procès, contrairement à la tradition
juridique de la common law. Celles-ci ne sauraient être interprétées comme
remettant en cause par principe le droit à un procès équitable, car :
« in long and complicated cases, such as most of those which come to the Tribunal,
it is necessary for the Trial Chamber to exercise control over the proceedings. That
control may well need to be vigorous, provided of course that it does not encroach
on the right of a party to a fair hearing » (arrêt Jelisic, § 16).
Le principe d'égalité des armes a été réexaminé dans l'arrêt KayishemaRuzindana, qui a confirmé la position de la Chambre de première instance41.
Ainsi, « l'égalité des armes entre la Défense et l'Accusation ne signifie pas
nécessairement l'égalité matérielle de disposer des mêmes ressources financières
et/ou en personnel » (§69). Une réponse analogue a été faite dans le jugement
Bagilishema à une demande de la défense « tendant à ce que soit mis à sa
disposition autant d'enquêteurs, d'assistants et de conseils que n'en dispose le
Bureau du Procureur » (§ 14). Les règles du procès équitable applicables sont
celles déjà dégagées par la jurisprudence, notamment dans l'arrêt Tadic 42.
Un argument soulevé à propos de la présomption d'innocence posait un
problème nouveau dans l'affaire Kayishema-Ruzindana. Selon Kayishema, la
résolution 955 du Conseil de sécurité, posant statut du Tribunal, remettrait en
cause le principe en raison de l'utilisation de l'expression « personnes présumées
responsables » (§ 75). À vrai dire, cet argument remarquablement superficiel
est, depuis quelque temps, régulièrement avancé par certains avocats et une
partie de la doctrine43. Il est évident que la présomption d'innocence ne
s'analyse pas à l'aune des termes d'un préambule ou de l'intitulé d'une
juridiction, mais par l'examen de l'ensemble des règles de procédure mises en
place. La Chambre d'appel se limite à écarter l'argument en rappelant que le
principe de la présomption d'innocence figure à l'article 20.3 du Statut (§ 77).
Ceci pourrait être complété par un renvoi à l'ensemble des discussions
approfondies menées dans les différents jugements sur l'application des règles
de preuve.
Enfin, l'important sujet du droit pour l'accusé de garder le silence a été
abordé dans l'arrêt Celebici. La Chambre de première instance semble avoir
considéré l'attitude de l'accusé lors de son procès, et notamment le fait qu'il n'ait
pas témoigné, comme une circonstance aggravante pour la détermination de sa
peine. La Chambre d'appel, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme, estime qu'il n'existe pas un droit absolu à
garder le silence pendant le procès impliquant que l'on ne puisse en inférer quoi
que ce soit au moment de déterminer la culpabilité (§ 782). Toutefois, en
l'absence de disposition sur ce sujet dans le Statut et le R.P.P. qui viendrait
encadrer la prise en compte du silence, et compte tenu de l'évolution manifestée
par l'article 67(l)(g) du Statut de la C.P.I., elle conclut à l'existence devant le
Tribunal d'une interdiction absolue de tenir compte du silence dans la
détermination de la culpabilité ou de faire des déductions sur cette base lors de
la détermination de la peine (§ 783). Dès lors, l'erreur de la Chambre de

41. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, p. 484.
42. Ibid., p. 483-484.
43. Il l'a également été, parmi d'autres griefs, par Slobodan Milosevic devant la Cour européenne
des droits de l'homme. Cf. supra.

252

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

première instance sur ce point (§ 784) - entre autres - conduit au renvoi devant
une autre chambre de première instance chargée de prononcer une nouvelle
sentence.
3. L'acquittement selon la procédure de l'article 98bis R.P.P.
L'article 9Sbis du R.P.P. permet à la formation de jugement d'acquitter
l'accusé après présentation des moyens à charge et avant présentation des
moyens à décharge. Cette procédure a été engagée, à la demande des accusés,
dans de nombreuses affaires44. Une jurisprudence constante a précisé les
conditions de sa mise en œuvre, s'inspirant des règles en vigueur dans les pays
de common law - puisque seuls ces systèmes connaissent une procédure
analogue, si l'on excepte l'Espagne. Il s'agit, pour la Chambre de première
instance saisie, de se demander si aucune formation de jugement ne pourrait
raisonnablement rendre un verdict de culpabilité sur la base des éléments de
preuve présentés par l'Accusation. Seul l'acquittement prononcé dans l'affaire
Jelisic — d'office et non à la demande de l'accusé -, paraît avoir utilisé un critère
différent, plus exigeant vis-à-vis du Procureur. En effet, Goran Jelisic a été
acquitté du chef de génocide, le seul pour lequel il plaidait non coupable 45, car la
Chambre de première instance a estimé que les éléments à charge ne pouvaient
pas la convaincre au-delà de tout doute raisonnable de sa culpabilité. La
Chambre d'appel a accepté le grief du Procureur sur ce point, considérant que la
Chambre aurait seulement dû, à ce stade de la procédure, se demander si aucun
tribunal ne pouvait raisonnablement être convaincu (arrêt Jelisic, § 37).
Reprenant l'examen des éléments de preuve présentés par l'Accusation à propos
de l'intention génocidaire à l'aune de ce critère plus souple, elle conclut qu'il
n'était pas possible de prononcer l'acquittement au titre de l'article 986is (§ 72).
Elle estime aussi que la Chambre de première instance aurait dû accepter
d'entendre le Procureur avant de se prononcer sur l'insuffisance des éléments
présentés (§ 28). Compte tenu de ces conclusions, on pouvait s'attendre à ce que
l'affaire Jelisic soit renvoyée à une chambre de première instance pour juger du
chef de génocide. La Chambre d'appel a, de manière extrêmement contestable,
décidé de n'en rien faire. Invoquant la longueur de la procédure et les ressources
limitées du Tribunal et s'appuyant sur le pouvoir discrétionnaire que lui
conférerait l'article 117 (C) R.P.P., elle considère que les circonstances ne sont
pas appropriées pour annuler l'acquittement et rejuger l'affaire (§ 77). Cette
position est fermement critiquée par les Juges Shahabuddeen et Wald, dans leur
opinion dissidente.
Postérieurement à l'arrêt Jelisic, une chambre de première instance a
procédé à un acquittement partiel dans l'affaire Sikirica, notamment à propos
des chefs d'accusation de génocide et de complicité de génocide. Quoique la
Chambre de première instance prétende appliquer le critère requis par l'article
98bis R.P.P., son analyse de l'intention génocidaire reste sujette à discussion. H
est par conséquent délicat de considérer, à ce stade, qu'aucun tribunal ne
pourrait raisonnablement être convaincu par les éléments à charge46. Plus
généralement, l'importance et la difficulté des questions soulevées devraient
44. Notamment T.P.I.Y., Ch., Decision on Defence Motions for Judgement of Acquittal, Prosecutor
v. Dario Kordic and Mario Cerkez, N° IT-95-14/2-T, 6 April 2000 (rappelant la jurisprudence antérieure
et se démarquant, déjà, de la décision de première instance dans l'affaire Jelisic, § 17) ; T.P.I.Y., Ch.,
Decision on Motion for Acquittal, Prosecutor v. Dragoljub Kunarac e.a., N° IT-96-23-T, IT-23-1-T, 3 July
2000 ; T.P.I.Y., Ch., Decision on Defense Motions for Acquittal, Prosecutor v. Miroslav Kvocka e.a., N° IT98-30/1-T, 15 December 2000.
45. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, pp. 500-502.
46. V. infra, II, B, 2, spec, note (84).

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

253

inciter à davantage de prudence avant de prononcer des acquittements peut-être
prématurés. On peut se demander si les arguments financiers, évoqués à notre
sens abusivement par la Chambre d'appel, ne commencent pas à peser de
manière excessive sur l'activité de l'ensemble du Tribunal.
4. L'appel
Les arrêts de l'année 2001 confirment, et éventuellement développent, la
jurisprudence bien établie sur la détermination du champ de l'examen en appel,
c'est-à-dire l'erreur de droit et l'erreur de fait ayant entraîné un déni de justice 47.
La jurisprudence du T.P.I.R. suit parfaitement celle du T.P.I.Y. ^
La Chambre d'appel accueille rarement les demandes visant à une nouvelle
appréciation des faits, qui suppose que l'accusé démontre le déni de justice. Le
critère pertinent est alors le caractère déraisonnable de l'argumentation du juge
de premier instance. Ainsi, l'arrêt Kayishema-Ruzindina, à propos d'un problème
de concordance entre témoignages, affirme qu'« il revient au juge du fait
d'apprécier la valeur probante d'un témoignage, ce pouvoir d'appréciation
couvrant également la manière dont la Chambre de première instance décide de
traiter les contradictions apparentes » (§ 230). À l'inverse, illustrant l'hypothèse
du caractère déraisonnable d'une argumentation en première instance, l'arrêt
Celebici a annulé la condamnation de l'un des accusés, Hazim Délie, pour deux
chefs d'accusation (§§ 459-450).
L'apport d'éléments de preuve additionnels aboutit plus sûrement à revoir
l'appréciation des juges du fond. Les éléments additionnels ne sont pas des faits
nouveaux mais des éléments éclairant d'un jour nouveau les faits présentés en
première instance. Le premier problème est celui de leur admissibilité. L'article
115 R.P.P. pose deux conditions : la partie les invoquant ne devait pas disposer
de ces éléments au moment du procès en première instance et l'intérêt de la
justice doit le commander. Toutefois, il a été admis que la Chambre d'appel
dispose d'un « pouvoir inhérent d'admettre des éléments de preuve disponibles
en première instance, mais dont l'exclusion entraînerait une erreur
judiciaire » 49. Même si ce pouvoir a jusqu'ici été fort peu utilisé, l'élément
relatif à l'intérêt de la justice devient déterminant dans tous les cas. L'arrêt
Kupreskic l'a quelque peu assoupli, par rapport à la jurisprudence Tadic. En
effet, il suffit de démontrer que les nouveaux éléments peuvent (« could ») avoir
un effet sur la décision et non qu'ils auraient probablement un tel effet (« would
probably ») (arrêt Kupreskic, §§ 66-69). L'admission des éléments additionnels
conduit à reconsidérer les conclusions factuelles faites en première instance
(Kupreskic, § 72 ; Musema, §§ 184-186). Le critère alors retenu dans l'arrêt
Kupreskic est assez strict : il consiste à se demander si aucun juge du fond
n'aurait raisonnablement pu conclure à la culpabilité compte tenu des
nouveaux éléments relatifs aux mêmes faits, la charge de la preuve pesant sur
l'accusé. Ceci lui permet de ne pas renvoyer devant une nouvelle chambre de
première instance en cas de simple doute et de substituer sa propre
appréciation à celle de la chambre de jugement. Les trois frères Kupreskic sont
ainsi acquittés en appel (§§ 245-246 et 303-304). La Chambre d'appel du
T.P.I.R. adopte le même raisonnement dans l'arrêt Musema. En raison de la
47. V. cette chronique, A.F.D.I. 2000, pp. 302-303.
48. Pour un exemple de référence de l'une à l'autre : arrêt Akayesu, §§ 174s.
49. Citation reflétant la jurisprudence antérieure, extraite de T.P.I.Y., App., Arrêt relatif à l'appel
de la décision portant condamnation pour outrage au Tribunal interjeté par Anto Nobilo, Le Procureur cl
ZlatkoAleksovski, n° IT-95-14/1-AR77, 30 mai 2001,.§ 27.

254

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

non-concordance entre un nouveau témoignage et un témoignage entendu en
première instance, l'accusé est innocenté de l'une des condamnations pour viol
(§194)50.
En matière d'admission d'un motif d'appel invoquant une erreur de droit, la
seule limite résultant du Statut est que l'erreur soit susceptible d'invalider la
décision. La position adoptée dans l'arrêt Akayesu à propos de certains motifs
d'appel du Procureur assouplit considérablement cette condition. La Chambre
d'appel y affirme, en effet, l'existence d'un pouvoir discrétionnaire de se
prononcer, même proprio motu, sur des questions de droit surgissant à l'occasion
de l'appel, alors même que leur résolution serait sans incidence sur le dispositif
de la décision de première instance 51. Il faut, pour cela, que « leur résolution
[soit] de nature à contribuer substantiellement au développement de la
jurisprudence du Tribunal » et qu'il y ait « un lien de connexité avec l'affaire
considérée » (§§ 23-24). Ce qui ressemble dès lors d'assez près à un avis juridique
- encore que l'arrêt s'en défende52 -, émis sur une question a priori non
susceptible d'appel, va au-delà du cadre tracé par l'article 24 du Statut 53. Pour
justifier cette extension, la Chambre d'appel souligne « qu'en décidant de se
prononcer sur une question d'intérêt général, elle remplit son rôle d'unification
du droit » (§ 22).

Lorsqu'un motif d'appel porte sur la procédure, la Chambre d'appel paraît
assez hésitante à le rattacher soit à une erreur de fait, soit à une erreur de droit.
Dans l'arrêt Musema, l'accusé soulevait divers motifs d'appel relatifs à
l'admissibilité des éléments de preuve en rapport avec leur fiabilité et leur
crédibilité. Pour la Chambre d'appel, l'ensemble relève de l'appréciation du juge
des faits54. Tous les griefs sont rejetés car le caractère déraisonnable de
l'argumentation au fond est considéré comme non démontré. Dans ce même arrêt,
les questions de procédure présentées par l'Appelant pour la première fois en
appel sont rejetées (§ 341). En revanche, dans l'arrêt Celebici, un grief relatif à
l'admissibilité d'une interview de l'accusé, réalisée dans des conditions posant
problème du point de vue de ses droits, est considéré comme une question de droit
(§ 532). Le contrôle reste cependant limité à un éventuel dépassement par la
Chambre de première instance de son pouvoir discrétionnaire, considéré comme
considérable (« considerable ») en matière d'admissibilité des preuves (§ 533).
On retrouve une difficulté analogue à distinguer entre l'erreur de droit et
l'erreur de fait lorsque l'appel porte sur la sentence, ce qui est révélateur de la
faiblesse des critères juridiques en la matière. Elle est résolue de la même
manière, c'est-à-dire par un contrôle portant sur le pouvoir discrétionnaire des
50. Ceci n'a néanmoins pas eu de conséquence sur la sentence (emprisonnement à vie), compte tenu
de la confirmation des autres condamnations.
51. En ce sens déjà, T.P.I.Y., App., Arrêt, Erdemovic, § 16, et Tadic, §§ 247,281, 315. En l'espèce, il
s'agit des « motifs d'appel » soulevés par le Procureur à propos des points de droit suivants : utilisation
du critère de l'agent public ou du représentant du Gouvernement pour les crimes de guerre ; nécessité de
l'élément discriminatoire dans la définition du crime contre l'humanité ; caractère direct et public de
l'incitation comme mode de commission des crimes. Sur les réponses apportées, v. infra II.
52. § 23 : « À la différence de la Cour internationale de Justice ou de certaines juridictions
nationales, la Chambre d'appel du Tribunal ne détient pas de pouvoir consultatif. En revanche, elle peut juger
nécessaire de répondre à des questions d'intérêt général si elle estime que leur résolution est de nature à
contribuer substantiellement au développement de la jurisprudence du Tribunal. »
53. V. les arguments en faveur d'un tel pouvoir dans la déclaration du Juge Shahabudeen et contra
l'opinion dissidente du Juge Nieto-Navia, ce dernier appliquant les techniques d'interprétation de la
Convention de Vienne sur le droit des traités au Statut du Tribunal.
54. Selon le Juge Shahabuddeen, dans sa déclaration jointe, « in the normal situation there is no
requirement for proof of reliability as a condition of admissibility ; reliability is to be left for later
evaluation as part of weight. »

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

255

chambres de première instance. En effet, les seuls critères proprement
juridiques relevés sont l'obligation de tenir compte, d'une part, de la gravité de
l'infraction (arrêt Aleksovski du 24 mars 2000, § 182) et, d'autre part, des
circonstances aggravantes et atténuantes (arrêt Kayishema-Ruzindana, §§ 335336). L'appréciation du poids conféré auxdites circonstances est laissée à la
Chambre de première instance qui dispose pour cela d'un pouvoir « très étendu »
{ibid., § 337). Pour contester le quantum de la peine, la charge de la preuve pèse
donc sur l'Appelant qui doit démontrer « que l'on peut discerner de la part de la
Chambre de première instance une erreur dans l'exercice de son pouvoir
d'appréciation souverain » (arrêt Musema, § 390) 55. Ceci conduit à un exercice
assez ... discrétionnaire du pouvoir de réformation des sentences par la
Chambre d'appel 56.
Quelques questions nouvelles sont apparues en matière d'appel, notamment
à propos de la langue utilisée. La Chambre d'appel du T.P.I.R. affirme ainsi, dans
l'arrêt Akayesu, que « [l]a seule version faisant foi est la version originale du
Jugement » (§ 185), en l'occurrence la version anglaise. Un motif d'appel de
l'accusé est alors rejeté au motif qu'il est fondé sur une interprétation faite à
partir de la traduction française, démentie par la version anglaise. À cette
occasion, la Chambre d'appel rejette également « l'argument d'Akayesu selon
lequel la version qui devrait être retenue est celle qui correspond à la langue
parlée et comprise par l'accusé » (ibid.). Enfin, soucieuse d'affirmer la possibilité
de faire appel de toute condamnation pénale, y compris lorsqu'il s'agit du délit
d'outrage57, la Chambre d'appel du T.P.I.Y. a été amenée à s'appuyer sur
l'article 14 du Pacte international sur les droits civils et politiques. Elle affirme
alors que cet article « est une norme imperative de droit international à laquelle
le Tribunal ne saurait déroger » 58.
IL - L'APPLICATION DU DROIT HUMANITAIRE
Si les jurisprudences d'appel et de première instance tendent
quantitativement à s'équilibrer en 2001, les nouveautés en matière
d'interprétation et d'application du droit humanitaire sont plus évidemment
perceptibles dans les décisions rendues par les juges du fond. L'intérêt principal
de l'affaire Bagilishema jugée par le T.P.I.R. réside dans l'appréciation des
éléments de preuve présentés à l'encontre du bourgmestre de la ville de Mabanza
pour des événements tragiques déjà évoqués dans l'affaire KayishemaRuzindana. Cette appréciation a conduit au premier acquittement prononcé par
le T.P.I.R., mais il n'est pas ici question d'interroger ces conclusions factuelles. En
revanche, dans les affaires Kordic, Kunarac, Krstic et Kvocka jugées par le
T.P.I.Y., des conclusions importantes sont présentées quant à la la définition de
certains actes susceptibles d'être qualifiés de crime de guerre ou de crime contre
l'humanité (viol, torture, réduction en esclavage, déportation), quant à la
qualification du génocide et surtout quant à la notion d'« entreprise criminelle
commune ». Les affaires Kordic et Kvocka se rapportent à des faits dont le
T.P.I.Y. a déjà eu l'occasion de connaître, respectivement l'offensive croate contre
55. V. mutatis mutandis arrêt Celebici, § 725, et la jurisprudence antérieure citée.
56. V. cette chronique, A.F.D.I., 2000, pp. 323-325, et infra II, C, 3.
57. V. supra, I, A, 2.
58. T.P.I.Y., App., Arrêt confirmatif relatif aux allégations d'outrage formulées à l'encontre du
précédent conseil, Milan Vujin, Le Procureur cl Dusko Tadic, n° IT-94-1-AR77, 27 février 2001, p. 3.

256

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

la population musulmane en Bosnie-centrale (voir l'affaire Blaskic, qui signalait
déjà l'incidence néfaste, encore une fois soulignée ici, du plan de paix VanceOwen)59 et la persécution de la population civile non-serbe dans la région de
Prijedor, plus particulièrement dans le camp d'Omarska (voir l'affaire Tadic).
L'affaire Kunarac est singulière en ce qu'elle se rapporte uniquement à des faits
de viols systématiques et de réduction en esclavage des femmes musulmanes par
la soldatesque serbe dans la région de Foca. La Chambre a situé ces faits dans le
contexte massif de persécution de la population musulmane, en estimant :
« The policy behind the Serb attack was to gain total supremacy over the Muslims
in the area and finally a homogenous Serb region. To this end, that policy also
encompassed expulsion through terror, ie inducing other Muslims to leave the area
for fear of being mistreated, imprisoned or even killed by the Serbs, should they fall
into the latter's hands. (...) [The accused] mistreated Muslim girls and women,
because they were Muslims. They therefore fully embraced the ethnicity-based
aggression of the Serbs against the Muslim civilians, and all their criminal actions
were clearly part of and had the effect of perpetuating the attack against the
Muslim civilian population » (§§ 579 et 592).
L'affaire Krstic n'est pas moins marquante, dans la mesure où c'est l'offensive
serbe contre la zone de sécurité de Srebrenica qui y est analysée, et la
qualification de génocide retenue pour la première fois dans un jugement de
condamnation du Tribunal pour l'ex- Yougoslavie. On peut remarquer que le
Procureur n'a pas tenté d'incriminer l'offensive contre la zone protégée en ellemême, évitant ainsi le débat relatif au défaut de réaction internationale. Ce sont
les faits massifs de déportation et d'extermination de la population musulmane,
résidant ou réfugiée dans la ville du fait de persécutions antérieures, qui se
trouvent au centre de l'affaire. L'influence du général Mladic, toujours en fuite, y
apparaît déterminante, alors que la Chambre n'a pu décider si Krstic avait pris
part à la décision d'exécution massive de tous les membres masculins de la
population bosniaque musulmane. Le but ultime de cette décision paraît avoir été
de s'assurer définitivement, c'est-à-dire dans la durée, du contrôle d'une zone
statégique pour la reconstruction d'un territoire ethniquement serbe (§ 597).
La lecture des arrêts d'appel est, il est vrai, plus technique, les juges du
second degré s'attachant à confirmer des solutions déjà dégagées en matière
d'applicabilité des articles relatifs aux crimes de guerre, à préciser les conditions
auxquelles le cumul d'infraction doit être écarté et à formuler des indications
quant aux critères permettant de déterminer les peines.
A. Les crimes de guerre
En matière de crime de guerre, la jurisprudence de l'année 2001 se
caractérise par un réexamen des conditions d'applicabilité des articles des
Statuts des T.P.I. (1) et par la précision de la définition de certains crimes
d'origine conventionnelle, qui conduit les Chambres à statuer, de manière parfois
surabondante, sur l'application des traités à vocation humanitaire (2)
1. L'application des articles des Statuts relatifs aux crimes de guerre
II pourra paraître surprenant que les débats relatifs à l'applicabilité des
articles des Statuts des T.P.I. consacrés aux crimes de guerre (articles 2 et 3 du
59. V. cette chronique, A.F.D.I., 2000, p. 305.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

257

Statut T.P.I.Y., article 4 du Statut T.P.I.R.) se soient perpétués au cours de
l'année 2001. On pouvait en effet penser, au moins pour ce qui est du T.P.I. Y.,
que l'état de la jurisprudence était fixé depuis la fin de l'affaire Tadic. C'est une
contestation juridique assez radicale de cette jurisprudence par la défense qui
oblige la Chambre d'appel du T.P.I.Y. dans l'affaire Celebici à confirmer la valeur
contraignante du précédent Tadic. Dans l'affaire Akayesu, la Chambre d'appel du
T.P.I.R. est quant à elle incitée par le Procureur à reconsidérer le travail mené en
première instance.
Dans l'affaire Celebici, la défense contestait en premier lieu l'applicabilité de
l'article 2 au conflit opposant forces serbes et forces gouvernementales en BosnieHerzégovine, au motif que ce conflit n'était pas international et que les victimes
serbes ne pouvaient être tenues pour des « personnes protégées » au sens de la IVe
Convention de Genève de 1949. Elle réfutait en outre l'applicabilité de l'article 3
aux conflits armés internes. L'intérêt de la réponse de la Chambre d'appel réside
dans le fait qu'elle est amenée à s'interroger à la fois sur la force contraignante de
la solution d'appel précédemment dégagée dans l'affaire Tadic en 1995 et 1999 et
sur le point de savoir si la solution adoptée par la Chambre de première instance
dans l'affaire Celebici, avant l'arrêt d'appel Tadic de 1999, peut être considérée
comme compatible avec les exigences de ce dernier arrêt. Sans revenir sur
l'ensemble du raisonnement, on notera que la Chambre d'appel considère, suivant
en cela la doctrine du précédent qui s'est dégagée en 2000, qu'« aucune raison
impérieuse de justice » (§ 26) ne l'oblige à s'écarter de l'interprétation du Statut
fixée en 1995 et 1999. Elle estime en outre que les conclusions de fait et de droit de
la Chambre de première instance dans l'affaire Celebici ne sont pas incompatibles
avec la jurisprudence Tadic 1999. Il en va ainsi de l'interprétation extensive de la
notion de « personne protégée », dont on peut sans doute estimer que la Chambre
d'appel Tadic s'était ensuite inspirée en 1999 60 dans une espèce qui n'exigeait pas
cette construction (§§ 86-105). De même, en déterminant le caractère
international du conflit, la Chambre de première instance dans l'affaire Celebici,
ne s'est pas écartée du critère du « contrôle global », même si elle ne l'a pas
formellement adopté (§ 48). Deux remarques s'imposent sur ce dernier point. Dans
un premier temps, on peut remarquer que, confrontée aux critiques de la défense,
la Chambre d'appel confirme l'apparente condamnation du test utilisé par la C.I.J.
dans l'affaire Nicaragua 61 pour identifier les agents de fait de l'État et précise les
rapports entre jurisprudences de la C.I.J. et du T.P.I.Y. en ces termes :
« This Tribunal is an autonomous international judicial body, and although the
ICJ is the "principal judicial organ" within the United Nations system to which the
Tribunal belongs, there is no hierarchical relationship between the two courts.
Although the Appeals Chamber will necessarily take into consideration other
decisions of international courts, it may, after careful consideration, come to a different
conclusion » (§ 24).
Sur l'emploi du critère du « contrôle global », on signalera qu'il est sans doute
étrange de contraindre à ce point les Chambres de première instance dans ce qui
relève essentiellement d'une appréciation des faits relatifs au contrôle par un
État d'individus qui ne sont pas formellement intégrés à sa structure
organique62. Dans un second temps, on relèvera que la Chambre de première
instance dans l'affaire Celebici avait, en s'adaptant parfaitement à la logique du

60. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, pp. 491-492.
61. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, pp. 489-491.
62. Ibid.

258

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

conflit dont elle était saisie, mis l'accent sur la présomption d'internationalité du
conflit après le retrait des forces yougoslaves du territoire bosniaque en l'absence
d'accord entre les deux États. 63 En estimant qu'elle s'est conformée au critère du
« contrôle global », la Chambre d'appel ne semble guère saisir l'originalité ni la
pertinence de la démarche adoptée, qui ne requérait pas qu'il soit fait application
de ce critère (§ 46).
La doctrine du précédent employée dans l'affaire Celebici met
parfaitement en lumière les strates successives d'interprétation du Statut.
Elle conduit au réexamen, dans une affaire donnée, du travail des juges de
première instance à l'aune de l'évolution, quasi permanente - pour ne pas dire
instantanée au regard de sa concentration dans le temps -, de l'interprétation
du Statut en appel dans d'autres affaires, interprétation parfois d'ailleurs
inspirée par le travail de la Chambre de première instance soumis à examen.
La souplesse paradoxale de la doctrine du précédent (on peut s'écarter du
précédent) induit en outre la réactivation de débats apparemment
définitivement tranchés.
Dans l'affaire Kordic, la Chambre de première instance utilise les éléments
de jurisprudence antérieurement dégagés pour cerner l'applicabilité de
l'article 2 64. Le conflit en Bosnie centrale est qualifié d'international du fait de
l'intervention directe de la Croatie (§§ 108-110) et, de manière surabondante (la
Chambre y insiste), par le fait que les forces bosno-croates peuvent être
considérées comme des agents de fait de la Croatie (§§ 111-146). Elle conforte
par là la solution adoptée en 2000 dans l'affaire Blaskic. Pour ce qui est de la
qualité de personnes protégées des victimes musulmanes de l'offensive croate,
elle tend également à l'exhaustivité en s'interrogeant à la fois sur la
« nationalité » de ces victimes (elles sont au pouvoir d'une partie dont elles ne
sont pas ressortissantes) (§§ 150-151) et sur leur « ethnicité » ou leur allégeance
à une partie au conflit (§§ 152-154). La vérification de ce second élément
consacre une démarche qui a déjà été adoptée mais dont l'intérêt n'apparaît
pas, au regard de faits de l'espèce, évident65. On doit en revanche noter que cet
emploi « tous azimuts » du critère d'ethnicité récemment dégagé (Tadic, 1999)
vient sans aucun doute mettre en péril la logique originelle de l'interprétation
de l'article 2 (Tadic, 1995). Rappelons en effet que l'application de cet article
aux seuls conflits internationaux était précisément justifiée par le renvoi à la
notion de « personne protégée » en ce qu'elle incorporait un élément
d'internationalité, élément qui, aujourd'hui, n'apparaît plus déterminant. Le
réexamen de cette interprétation au regard de la doctrine souple du précédent
pourrait donc, un jour, s'imposer...
L'arrêt Akayesu revient quant à lui sur la nécessité, affirmée par le
jugement de première instance, d'établir la qualité d'agent public ou d'agent de
facto du Gouvernement pour établir la responsabilité d'un individu pour crime
de guerre 66. S'appuyant sur une analyse réaliste de l'objectif des Conventions
de Genève et des Protocoles et estimant que celles-ci « s'adressent
essentiellement aux personnes qui, du fait de leur autorité, sont responsables de
l'ouverture des hostilités ou qui sont autrement engagées dans la conduite de
63. V. cette chronique, A.F.D.I., 1998, pp. 389-390.
64. Notons que dans les autres affaires jugées cette année en première instance par le T.P.I.Y.
(Kunarac, Krstic et Kvocka), aucun chef d'accusation n'était présenté sur le fondement de l'article 2 du
Statut et que les Chambres se sont en conséquence bornées à vérifier de manière classique les conditions
d'applicabilité de son article 3.
65. V. cette chronique, A.F.D.I., 2000, p. 307
66. V. cette chronique, A.F.D.I., 1998, p. 387.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

259

celles-ci » 67, la Chambre de première instance n'en avait pas moins restreint
théoriquement le principe de la responsabilité pénale des individus en droit
international. La Chambre d'appel du T.P.I. R. conclut dès lors, sans surprise,
« que la Chambre de première instance a commis une erreur sur un point de
droit en limitant l'application de l'article 3 commun à une certaine catégorie de
personnes, telle que définie par la Chambre de première instance » (arrêt
Akayesu, § 445). On relèvera toutefois qu'il est nécessaire de distinguer les
crimes de guerre des crimes qui pourraient être commis alors qu'un conflit armé
a lieu au même endroit mais sans rapport avec celui-ci. À ce propos, la Chambre
d'appel précise :
«(...) l'article 3 commun [aux Conventions de Genève] requiert un lien étroit entre
les violations commises et le conflit armé. Ce lien entre les violations et le conflit
armé implique que, dans la plupart des cas, l'auteur du crime entretiendra
probablement un rapport particulier avec une partie au conflit. Il n'en reste pas moins que
ce rapport particulier n'est pas un préalable à l'application de l'article 3 commun et,
par conséquent, à l'article 4 du Statut. De l'avis de la Chambre d'appel, l'erreur
commise par la Chambre de première instance a été d'exiger que ce rapport
particulier soit une condition autonome de mise en œuvre de la responsabilité pénale
pour une violation de l'article 4 du Statut » (§ 444).
On peut tout de même se demander si les cas constituant de supposées
exceptions au lien avec l'une des parties au conflit ne sont pas en réalité
couverts par la notion d'agent de facto, sans quoi il s'agirait de crimes de droit
commun.
2. La précision de la définition de certains crimes d'origine conventionnelle
Dans l'affaire Kordic, la Chambre de première instance a été amenée par les
parties à apporter un certain nombre de précisions quant aux crimes de guerre
énumérés dans le Statut. Ainsi, pour ce qui est de la prise d'otages, s'appuyant
sur le commentaire de la IVe Convention de Genève élaboré par le C.I.C.R. et
l'affaire Blaskic précédemment jugée, elle estime :
«An individual commits the offence of taking civilians as hostages when he
threatens to subjects civilians, who are already unlawfully detained, to inhumane
treatment or death as a means of achieving the fulfilment of a condition » (§ 314).
On notera que, dans cette brève conclusion, la pression exercée sur l'adversaire
n'est pas expressément envisagée et que le crime semble presque détaché du
contexte conflictuel. La Chambre s'interroge en outre sur des définitions
désormais assez classiquement envisagées par la jurisprudence (homicide
intentionnel, mauvais traitements, attaques contre des personnes ou des biens
civils, pillage) mais également sur un certain nombre d'obligations de
comportement, dont la violation est punissable mais qui ne sont pas
inconditionnelles. En ce qui concerne par exemple la détention illicite de civils, la
Chambre parvient aux mêmes conclusions que celles retenues dans l'affaire
Celebici (première instance) 68. On peut noter à cet égard le débat soulevé par la
défense qui présentait des décisions de la Cour suprême des États-Unis rendues
lors de la seconde guerre mondiale, et rejetant les requêtes de citoyens
américains d'origine japonaise détenus sur le territoire américain (§ 278). La
Chambre de première instance, remarquant l'évolution de la jurisprudence
67. Jugement Akayesu, § 630.
68. V. cette chronique, A.F.D.I., 1998, pp. 394-396.

260

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

américaine et de la position du gouvernement de cet État lors d'affaires plus
récentes, refuse de retenir ces précédents jurisprudentiels (§§ 290-291) 69, par
ailleurs antérieurs à la IVe Convention de Genève. Enfin, on remarquera que,
pour statuer sur le chef de « destruction ou endommagement délibéré d'édifices
consacrées à la religion, à la bienfaisance et à l'enseignement » (article 3 d)), la
Chambre entend se référer à la Convention de 1954 pour la protection des biens
culturels en cas de conflit armé (§ 361), tout en estimant que la protection, dans
le cadre de ce droit spécial, n'excède pas celle du droit commun sur les ouvrages
civils, c'est à dire qu'elle disparaît dès lors que ces ouvrages sont utilisés pour des
fins militaires (§ 362). C'est donc sans s'interroger sur le caractère coutumier des
normes incorporées dans la Convention de 1954 que la Chambre envisage son
application, renvoyant à cet égard au précédent Tadic 1995 (§ 167).
Il n'est pas ici question d'interroger de nouveau cette démarche 70, également
utilisée dans l'affaire Celebici pour ce qui est des Conventions de Genève de 1949,
dont la défense faisait valoir qu'elles ne liaient pas le nouvel État de BosnieHerzégovine. On se contentera de remarquer que, dans l'affaire Celebici, le fait
d'envisager l'application directe du droit conventionnel a surtout fourni l'occasion
à la Chambre d'appel de prendre parti sur la théorie de la succession
automatique aux traités relatifs aux droits de l'Homme. Ainsi, elle a estimé :
« Irrespective of any findings as to formai succession, Bosnia and Herzegovina
would in any event have succeded to the Geneva Conventions under customary law,
as this type of convention entails automatic succession, Le., without the need for
any formal confirmation of adherence by the successor State. It may be now
considered in international law that there is automatic State succession to multilateral
humanitarian treaties in the broad sense, Le., treaties of universal character wich
express fundamental human rights » (§ 111).
Il est sans aucun doute curieux de constater que cette conclusion est appuyée par
la référence au caractère coutumier des normes inscrites dans les Conventions de
Genève et au rapport du Secrétaire général sur l'établissement du Tribunal,
exprimant la nécessité qu'il applique le droit international coutumier afin que la
question de l'adhésion des États à telle ou telle convention n'ait pas à se poser
(§ 113). Ces références dispensaient en effet sans aucun doute la Chambre
d'appel de s'interroger sur la succession de la Bosnie-Herzégovine aux
Conventions de Genève...
Dans l'affaire Kunarac, la Chambre de première instance est pour sa part
revenue sur la définition du viol et de la torture, en apportant un certain nombre
de précisions par rapport au précédent Furundzija 71. Pour ce qui est du viol en
premier lieu, la Chambre accepte le principe posé dans Furundzija, en vertu
duquel le crime consiste pour partie dans « the sexual penetration, however
slight : (a) of the vagina or anus of the victime by the penis of the perpetrator or
any other object used by the perpetrator ; or (b) of the mouth of the victim by the
penis of the perpetrator ». Toutefois, elle vient préciser les éléments de contrainte
qui caractérisent en outre l'infraction en assouplissant la formule qui avait été
retenue dans l'affaire Furundzija et selon laquelle les actes précédemment visés
69. Les affaires citées par la défense et tranchées par la Cour surprême des États-Unis étaient les
suivantes : Korematsu v. United States, 323 U.S. 214 (1944) et Hirabayashi v. United States, 320 U.S. 81
(1943). L'évolution récente de la jurisprudence américaine est illustrée par une affaire relative au même
Korematsu et tranchée par la Cour de district du nord de la Californie en 1984 : Korematsu v. United
States, 584 F. Supp. 1406-1424 (N.D.Ca. 1984).
70. V. cette chronique, A.F.D.I., 1995, pp. 124-126.
71. V. cette chronique, A.F.D.I., 1998, pp. 396-399.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

261

doivent avoir été perpétrés « by coercion or force or threat of force against the
victim or a third person ». En effet, selon la Chambre, cette définition apparaît
par trop restrictive en ce qu'elle ne se réfère pas à d'autres facteurs qui
rendraient un acte de pénétration sexuelle non-consensuel ou non-volontaire
(§ 438). Se fondant sur l'analyse des législations nationales, elle en dégage le
principe fondamental en des termes plus généraux :
« The basic principle which is truly common to these legal systèmes is that serious
violations of sexual autonomy are to be penalised. Sexual autonomy is violated
wherever the person subjected to the act has not freely agreed to it or is otherwise
not a voluntary participant » (§ 457).
Cette absence de consentement caractérisant le viol n'existe pas uniquement
lorsqu'est employée la force ou la menace de la force mais également lorsque la
victime ne se trouve pas en mesure de résister, du fait de sa vulnérabilité, d'une
incapacité physique ou mentale, ou lorsqu'elle a été amenée à commettre ces
actes par surprise ou par de fausses représentations, circonstances
expressément envisagées dans certaines législations nationales (§§ 446-452).
Dès lors, pour la Chambre, les actes de pénétration sexuelle sont constitutifs de
viol lorsque « such sexual penetration occurs without the consent of the victim ».
Elle poursuit :
« Consent for this purpose must be consent given voluntarily, as a result of the
victim's free will, assessed in the context of the surrounding circumstances » (§ 460).
Ces précisions apparaissent tout à fait utiles dans une affaire où les victimes
ont été réduites en esclavage pendant plusieurs mois (voir infra, 2.I.2.),
régulièrement violées par les accusés et constamment soumises à la possibilité
d'être violées par les accusés ou leurs « invités », dans le cadre de l'attaque menée
contre la population civile musulmane de Foça. Retraçant le contexte général de
cette affaire, la Chambre précise qu'à l'issue de la prise de contrôle des villes et
villages musulmans dans la région de Foça, hommes et femmes étaient séparés et
détenus en des lieux distincts :
« The women were kept in various centers where they had to live in intolerable
unhygienic conditions, where they were mistreated in many ways including, for
many of them, being raped repeatedly. Serb soldiers or policemen would come to
these detention centres, select one or more women, take them out and rape them.
(...) Some of these women were taken out of the detention centres to privately owned
apartments and houses where they had to cook, clean and serve the residents, who
where Serb soldiers. They were also subjected to sexual assaults. (...) After months
of captivity, many women were expelled or exchanged » (§§ 574 et 577).
On voit que, dans ce contexte d'asservissement sexuel continu la coercition se
présentait sous une forme spécifique, perverse et diffuse.
Pour ce qui est de la torture, la Chambre se dissocie également quelque peu
du précédent Furundzija, même si l'on peut estimer que sa démarche est ici
moins évidemment nécessaire. Elle semble avant tout vouloir détacher la
définition de la torture de toute référence au caractère étatique de l'acte, c'est à
dire au fait qu'il doit avoir été commis « par un agent de la fonction publique ou
toute autre personne agissant à titre officiel » (Convention de 1984, article
premier). À cette fin, la Chambre opère une distinction entre droit international
des droits de l'homme et droit humanitaire. Ainsi, selon elle :
« The role and position of the state as an actor is completely different in both
regimes. Human rights law is essentially born out of the abuses of the state over its
citizens and out of the need to protect the latter from state-organised or state-sponsored

262

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX
violence. Humanitarian law aims at placing restraints on the conduct of warfare so
as to diminish its effects on the victims of the hostilities » (§ 470).

Si l'on ne voit pas très bien en quoi les deux propositions sont contradictoires, la
Chambre s'appuie toutefois sur cette distinction pour écarter la définition de la
torture figurant dans la Convention de 1984, pourtant considérée comme
reflétant le droit international coutumier dans l'affaire Furundzija (§ 482). Se
référant principalement au commentaire des protocoles additionnels aux
Conventions de Genève édité par le C.I.C.R. (§§ 491-492), ainsi qu'au Statut du
Tribunal, la Chambre précise :
«A violation of one of the relevant articles of the Statute will engage the
perpetrator's individual criminal responsability. In this context, the participation of the
State becomes secondary and, generally, peripheral. With or without the involvment of the State, the crime committed remains of the same nature and bears the
same consequences » (§ 493).
Si le droit humanitaire ne concernait que si peu les États (ou les mouvements
insurrectionnels), on devrait encore se demander pourquoi le Statut du Tribunal
renvoie à des Conventions qui visent principalement à réguler leurs relations en
temps de guerre. Surtout, au regard des faits de l'espèce, dans laquelle les
personnes condamnées étaient toutes membres des forces serbes, et dont les
actes, insiste la Chambre, se sont inscrits dans un contexte général de
persécution émanant de l'une des parties au conflit armé, on comprend mal
l'insistance de la Chambre à conclure que :
« The presence of a state official or of any other authority-wielding person in the
torture process is not necessary for the offence to be regarded as torture under
international humanitarian law » (§ 496).
Tout comme la position de la Chambre d'appel du T.P.I.R. relative à
l'applicabilité de l'article 4 de son Statut 72, cette conclusion illustre une tendance
de la jurisprudence à n'envisager que l'auteur individuel des crimes, en
détachant assez artificiellement ceux-ci du contexte conflictuel.
B. Les crimes contre l'humanité
La jurisprudence de l'année 2001 témoigne à la fois de l'unification et de la
complexité accrue de la notion de crime contre l'humanité (1). Le génocide est
quant à lui pour la première fois retenu par le T.P.I.Y., le drame de Srebrenica
donnant notamment lieu à un travail pointu et fort convaincant de qualification
dans l'affaire Krstic (2).
1. Les crimes contre l'humanité stricto sensu
Le rejet de l'élément discriminatoire dans la définition des actes, autres que
les persécutions, susceptibles d'être qualifiés de crimes contre l'humanité, imposé
par l'arrêt Tadic de 1999, paraît définitivement acquis depuis l'arrêt d'appel
rendu cette année dans l'affaire Akayesu. L'identification d'une forme simple et
d'une forme aggravée de crime contre l'humanité (persécutions), induite par ce
rejet, rend toutefois plus complexe l'infraction, notamment dans sa dimension
intentionnelle, comme en témoigne l'affaire Kordic (2.1.1). Des éléments de
72. V. supra, II, A, 1.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

263

précisions relatifs aux actes constitutifs de crimes contre l'humanité, autres que
les persécutions, sont en outre dégagés par les Chambres de première instance
(2.2.2).
a) Les deux formes de crime contre l'humanité
Après la position adoptée par la Chambre d'appel du T.P.I.Y. dans son arrêt
Tadic marquant l'abandon partiel de l'élément discriminatoire dans la définition
du crime contre l'humanité, un problème de cohérence entre les deux tribunaux
ad hoc subsistait puisque l'article 3 du Statut du T.P.I.R. mentionne
expressément un tel élément 73. La Chambre d'appel du T.P.I.R. est parvenue à
résoudre cette difficulté, dans son arrêt Akayesu, en estimant qu'il s'agissait là
seulement d'une limitation de compétence. Elle applique ainsi à l'élément
discriminatoire dans le Statut du T.P.I.R. un raisonnement analogue à celui tenu
par le T.P.I.Y. à propos du lien avec un conflit armé figurant, lui, dans le seul
Statut du T.P.I.Y. L'ensemble repose sur une reconstruction de la volonté du
Conseil de sécurité :
« 464. Pour la Chambre d'appel, sauf dans le cas de la persécution, le droit
international humanitaire n'exige nullement que soit établie l'existence d'une intention
discriminatoire comme élément constitutif de tous les crimes contre l'humanité. Dans cette
mesure, la Chambre d'appel reprend à son compte la conclusion et l'analyse
générales figurant dans l'Arrêt Tadic (...). Toutefois, bien qu'une telle condition ne
s'attache pas au crime lui-même, des crimes contre l'humanité de toutes sortes peuvent,
dans les faits, être commis dans le contexte d'une attaque discriminatoire dirigée
contre une population civile. (...) C'est dans ce contexte, et compte tenu de la nature
des événements du Rwanda (où une population civile a effectivement été la cible
d'une attaque discriminatoire), que le Conseil de sécurité a décidé de limiter la
compétence du Tribunal à l'égard des crimes contre l'humanité aux seuls cas dans
lesquels ils survenaient dans une situation caractérisée par la discrimination. Ce qui
revient à dire que le Conseil de sécurité entendait par là que le Tribunal ne devait
pas poursuivre les auteurs d'autres éventuels crimes contre l'humanité.
465. La Chambre d'appel conclut que ce faisant, le Conseil de sécurité ne s'écartait
pas du droit international humanitaire ni ne modifiait les éléments juridiques
requis par ce droit pour les crimes contre l'humanité. Il limitait tout au plus la
compétence du Tribunal à un sous-ensemble de ces crimes qui, dans les faits,
peuvent être commis dans une situation donnée. Dans le même ordre d'idées, la
Chambre d'appel relève que le Statut du TPIY inclut à son article 5 une condition
expresse d'existence d'un lien avec un conflit armé. (...) Là encore, en restreignant
le champ d'application de l'article, le Conseil de sécurité n'a pas pour autant voulu
que la définition figurant au Statut du TPIY constitue une dérogation au droit
international coutumier. (...) En effet, il s'agit d'une limitation du domaine de
compétence, qui n'introduit aucun élément additionnel aux éléments constitutifs
du crime tels qu'on les connaît en droit international coutumier. »
II est sans doute heureux, au regard de la cohérence du système répressif,
que la Chambre d'appel du T.P.I.R. ait été plus sensible à la jurisprudence du
T.P.I.Y. que ce dernier à la définition du crime contre l'humanité que donnait le
Statut du T.P.I.R.
Dans l'affaire Kordic, la Chambre de première instance du T.P.I.Y.
s'interroge sur l'intention criminelle requise afin de condamner un individu pour
73. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, pp. 494-497.

264

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

un crime contre l'humanité « discriminatoire », pour persécutions, au sens où ce
terme est désormais employé. Alors que le Procureur proposait raisonnablement
d'aligner cette intention sur la forme « simple », non discriminatoire, de crime
contre l'humanité, c'est à dire d'estimer que l'intention spécifique est établie dès
lors que le participant a connaissance du contexte dans lequel s'inscrivent ses
actes (ici l'attaque discriminatoire contre la population civile) (§ 216), la Chambre
récuse cette interprétation, au motif suivant :
« This approach does not incorporate the requisite heightened mens rea that
justifies the increased gravity of criminal liability for the crime ofpersecution » (§ 217).
Elle insiste par ailleurs sur le fait qu'adopter la solution proposée par le
Procureur (expansion of mens rea) conduirait le Tribunal dans la voie dangereuse
de la responsabilité pénale collective, sans que cette conséquence soit plus
clairement explicitée (§ 219). Ces deux raisons amènent la Chambre à affirmer :
« In order to possess the necessary heightened mens rea for the crime ofpersecution,
the accused must have shared the aim of the discriminatory policy » (§ 220).
La distinction des deux formes de crimes contre l'humanité se prolonge ainsi par
la spécificité de leurs éléments intentionnels. On est toutefois surpris de voir
ainsi apparemment surgir la confusion entre intention criminelle et mobile, qui
semblait définitivement clarifiée pour ce qui est du crime contre l'humanité
depuis l'arrêt d'appel rendu dans l'affaire Tadic74, et qui tend également à
disparaître de la jurisprudence relative au génocide. 75
Notons enfin que, dans la même affaire Kordic, la Chambre de première
instance fait siennes les conclusions que nous jugions malheureuses d'une autre
Chambre de première instance dans l'affaire Kupreskic 76, en limitant à l'extrême
les actes susceptibles d'être qualifiés de persécutions. Ainsi, l'incitation à la haine
raciale et, surtout, le fait d'écarter des personnes (en l'occurrence des bosniaques
Musulmans), en raison de leur origine ethnique, des postes de responsabilité
qu'ils occupaient avant le conflit, ne peut relever du chef de persécution au motif
que ces actes « do not rise to the same level of gravity as the other crimes against
humanity enumerated in article 5 » (§§ 209-210). On comprend que cette
interprétation exagérément restrictive de la notion de persécution ait suscité des
réserves au sein même du Tribunal. Ainsi, dans l'affaire Kvocka, une autre
Chambre de première instance a exprimé directement une certaine réticence, en
rappelant :
« Jurisprudence from World War II trials found acts or omissions such as denying
bank accounts, educational or employment opportunities, or choice of spouse to
Jews on the basis of their religion, constitute persecution. Thus, acts that are not
inherently criminal may nonetheless become criminal and persecutorial if
committed with discriminatory intent. The Kordic Trial Chamber Judgement stated that,
in order for the principle of legality not to be violated, acts in respect of which the
accused are indicted under the heading of persecution must be found to constitute
crimes under international law at the time of their commission ». The Trial
Chamber reads this statement as meaning that jointly or severally, the acts alleged in the
Amended Indictment must amount to persecution, not that each discriminatory act
alleged must individually be regarded as a violation of international law » (§ 186).

74. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, pp. 497-498.
75. V. infra, II, B, 2.
76. V. cette chronique, A.F.D.I., 2000, pp. 316-318.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

265

b) Extermination, expulsion, réduction en esclavage
Des précisions relatives aux actes, autres que les persécutions, susceptibles
d'être qualifiés de crimes contre l'humanité ont été apportées par les T.P.I. Dans
l'affaire Krstic, notamment, la Chambre de première instance s'est interrogée sur
l'extermination (article 5 b)). Après s'être référée au Code élaboré par la C.D.I, et
au Statut de la C.P.I. , ainsi qu'au sens commun du terme, elle a estimé :
« For the crime of extermination to be established, in addition to the general
requirements for a crime against humanity, there must be evidence that a particular
population was targeted and that its members were killed or otherwise subjected to
conditions of life calculated to bring about the destruction of a numerically
significant part of the population » (§ 503).
Plus intéressante, au regard des faits présentés, est l'analyse de l'expulsion
(« deportation ») comme acte constitutif d'un crime contre l'humanité
(article 5 d)). À l'issue de l'offensive serbe contre la zone de sécurité de
Srebrenica, des exactions ont été perpétrées afin de forcer la population
musulmane à quitter la région. Le transfert massif de 25 000 enfants, femmes et
vieillards qui en résulta peut-il être considéré comme un acte d'expulsion ou de
transfert forcé illicite ? La Chambre renvoie, afin de le déterminer, aux
dispositions des Conventions de Genève qui autorisent une évacuation totale ou
partielle de population lorsque « la sécurité de la population ou d'impératives
raisons militaires l'exigent » et dans la mesure où la population évacuée est
« ramenée dans ses foyers aussitôt que les hostilités dans (le) secteur auront pris
fin » (art. 49, IVe Convention de Genève ; art. 17, Protocole II). Des illustrations
d'une analyse jurisprudentielle des « raisons militaires imperatives » sont
évoquées par la Chambre77 qui, au regard des faits de l'espèce, ne peut que
conclure :
«• In this case no military threat was present following the taking of Srebrenica. The
atmosphere of terror in which the evacuation was conducted proves, conversely,
that the transfer was carried out in furtherance of a well organised policy whose
purpose was to expel the Bosnian Muslim population from the enclave. The
evacuation was itself the goal and neither the protection of the civilians nor imperative
military necessity justified the action » (§ 527).
Dans l'affaire Kunarac, c'est la réduction en esclavage (article 5 c)) qui est,
pour la première fois, évoquée. Après une analyse de la jurisprudence pénale
internationale, des instruments conventionnels de droit humanitaire ou de
protection des droits de l'Homme, la Chambre parvient à la brève définition
suivante : « enslavement as a crime against humanity in customary international
law consist(s) of the exercise of any or all the powers attaching to the right of
ownership over a person » (§ 539). Cette définition s'accompagne d'un certain
nombre de précisions. Ainsi, pour la Chambre de première instance :
« The « acquisition or « disposal » of someone for monetary or other compensation,
is not a requirement for enslavement. Doing so, however, is a prime example of the
exercise of the right of ownership over someone » (§ 542).

77. Il s'agit de l'affaire Wilhelm List and others (« the Hostages Trial »), US military Tribunal,
Nuremberg, 1948, Law Reports of Trials of War Criminals, Vol. VIII, Case N* 47 et de l'affaire Von
Lewinski, British Military Court at Hamburg, Dec. 19, 1949, Annual Digest 1949.

266

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

D'autres indications permettent d'attester de l'exercice de pouvoirs similaires
à ceux qu'induit la propriété :
« Indications of enslavement include elements of control and ownership ; the
restriction or control of an individual's autonomy, freedom of choice or freedom of
movement ; and, often, the accruing of some gain by the perpetrator. The consent or
free will of the victim is absent. It is often rendered impossible or irrelevant by, for
example, the threat or use of force or other forms of coercion ; the fear of violence,
deception or false promise ; the abuse of power ; the victim's position of
vulnerability; detention or captivity, psychological oppression or socio-conomic
conditions. Further indications of enslavement include exploitation ; the exaction of
forced or compulsory labour or service, often without remuneration and often,
though not necessarily, involving physical hardship ; sex ; prostitution ; and
human trafficking. (. . .) The duration of the suspected exercise ofpowers attaching
to the right of ownership is another factor that may be considered when
determining whether someone was enslaved (...). Detaining or keeping someone in
captivity, without more, would, depending on the circumstances of a case, usually not
constitute enslavement » (§ 542).
C'est donc par l'analyse d'un certain nombre d'indices que l'existence de la
réduction en esclavage peut être attestée. Dans l'affaire Kunarac, qui porte sur
des cas de viols systématiques de femmes musulmanes dans la région de Foça, le
crime de réduction en esclavage est retenu à l'encontre de plusieurs accusés.
Ainsi, pour ce qui est de Kunarac, qui maintint, pendant une période de plusieurs
mois, deux femmes dans une maison abandonnée, où elles étaient régulièrement
violées, la Chambre estime que les victimes
« were denied any control over their lives (...) during their stay there. They had to
obey all orders, they had to do household chores and they had no realistic option
whatsoever to flee the house in Trnovace or to escape their assailants. They were
subejcted to other mistreatments, such as Kunarac inviting a soldier into the house
so that he could rape FWS-191 for 100 Deutschmark if he so wished (...) The two
women were treated as the personal property of Kunarac and DP6. (...) Both men
personally committed the act of enslavement » (§ 742).
Dans le cas de Kovac, qui maintint quant à lui plusieurs femmes dans son
appartement, où elles étaient constamment violées par l'accusé ou d'autres
soldats « invités », empêchées physiquement et psychologiquement de s'enfuir,
obligées de s'acquitter des tâches ménagères, affamées, et enfin, pour certaines
d'entre elles, vendues à d'autres soldats (§§ 746-780), la Chambre estime :
«Radomir Kovac's conduct was wanton in abusing and humiliating the four
women and in exercising his de facto power of ownership as it pleased him. (. . .) For
all practical purposes, he possessed them, owned them and had complete control
over their fate, and he treated them as his property » (§ 781).
2. Le génocide
La jurisprudence de l'année 2001 en matière de génocide s'illustre tout
particulièrement par les conclusions de la Chambre de première instance du
T.P.I.Y. dans l'affaire Krstic. Les espoirs que l'on pouvait fonder sur
l'intervention des Chambres d'appel dans les affaires Akayesu, KayishemaRuzindana, Musema et surtout Jelisic sont en effet déçus, ces arrêts
apparaissant tantôt succincts, tantôt quelque peu ambigus au regard de la
clarification des éléments nécessaires à la preuve de cette infraction. Quelques
commentaires s'imposent toutefois sur l'affaire Jelisic.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

267

On se souvient qu'en première instance Jelisic avait été acquitté du chef de
génocide au motif que l'intention spécifique à ce crime n'avait pu être établie.
Nous estimions que la Chambre avait en réalité, de manière détournée,
sanctionné le défaut de preuve avancé par le Procureur quant à l'existence d'un
contexte plus large dans lequel s'inscrivaient les actes de celui qui se faisait
appeler l'« Adolf serbe » 78 et attendions donc de l'appel des précisions quant à la
nature « massive » du crime de génocide et quant à la détermination de
l'intention génocidaire au niveau de l'exécutant (il est vrai particulièrement
zélé). 79 Si la Chambre d'appel procède au réexamen des preuves et conclut que
l'intention génocidaire individuelle de Jelisic aurait dû être considérée comme
établie par les premiers juges, sans d'ailleurs en tirer de conclusion quant à
l'acquittement, sur le plan de la définition du crime, les apports demeurent assez
incertains 80. La Chambre estime que l'intention spécifique au crime de génocide
« exige que l'auteur du crime, en commettant l'un des actes prohibés énumérés à
l'article 4 du Statut, souhaite détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux en tant que tel » (§ 46). Il est toutefois nécessaire de
distinguer intention et mobile :
« le mobile personnel du génocidaire peut, par exemple, être la perspective d'un
profit économique personnel, d'avantages politiques ou d'une certaine forme de
pouvoir. L'existence d'un mobile personnel n'empêche pas que l'auteur soit
également animé de l'intention spécifique de perpétrer un génocide » (§ 49).
Cette distinction de principe est importante, la question n'ayant jamais été
directement évoquée pour ce qui est du crime de génocide.81 Par ailleurs, la
Chambre estime que la preuve de l'intention génocidaire personnelle peut être
inférée « d'un certain nombre de faits et de circonstances, tels le contexte général,
la perpétration d'autres actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le
même groupe, l'ampleur des atrocités commises, le fait de viser
systématiquement certaines victimes en raison de leur appartenance à un groupe
78. Dans son opinion partiellement dissidente annexée à l'arrêt d'appel, le Juge Shahabudden fait
une appréciation toute différente des éléments de preuve présentés, qu'il est, à plusieurs égards,
intéressant de reproduire ici. Renvoyant au jugement de la Chambre, il précise ainsi : « La première partie de
cette courte note faisait allusion à la preuve de l'enlèvement, par camion frigorifique Bimeks, de 10 à
20 cadavres par jour. Si cet élément de preuve était admis, ses implications devaient être considérées à
la lumière de l'appartenance de la grande majorité des personnes tuées à un groupe ethnique particulier
à rencontre duquel il a été prouvé de manière irréfutable que (...) l'intimé était animé d'une intention
discriminatoire. Un tribunal raisonnable pourrait alors conclure, sur la base de ces éléments, que des
vies ont été anéanties de manière systématique et organisée ; que le système et l'organisation reposaient
tout entier sur le fait que des personnes étaient tuées en raison de leur appartenance à un certain groupe
ethnique ; que l'intimé, s'il n'a pas été prouvé qu'il dirigeait effectivement le camp, avait un pouvoir de
vie ou de mort sur les prisonniers, ce dont ces derniers étaient bien conscients (...), qu'il usait de son
pouvoir pour organiser les exécutions ; et que, partant, il était animé de l'intention de détruire des personnes
en raison de leur appartenance à un groupe ethnique. Il n'est pas nécessaire de se demander s'il agissait
seul et, dans l'affirmative, quelles en sont les implications sur le plan juridique. Il y a lieu de penser qu'il
agissait de concert avec d'autres personnels militaires, et n'importe quel tribunal raisonnable pouvait en
conclure que le camp, d'une certaine dimension, avait été installé et était administré par d'autres, et que
l'accusé n'aurait pu agir comme il est présenté l'avoir fait durant toute une période sans l'aval de ses
supérieurs ». (§ 16). Le juge Shahabuddeen paraît bien ici tenir l'existence d'une organisation pour une
condition de la qualification du crime.
79. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, pp. 500-502.
80. V. supra, I, C, 3.
81. De même, dans l'arrêt Kayishima-Ruzindana, la Chambre d'appel rejette très clairement le
mobile comme élément constitutif du génocide : « La Chambre d'appel observe qu'il ne faut pas confondre
l'intention criminelle {mens reà) et le mobile. En effet, s'agissant du génocide, le mobile personnel
n'exclut pas la responsabilité pénale à condition que les actes proscrits par l'article 2 2) a) à e) ont été
commis "dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel" » (§ 161).

268

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

particulier, ou la récurrence d'actes destructifs (sic) et discriminatoires », ce qui
apparaît assez souple. Enfin, si « l'existence d'un plan ou d'une politique n'est pas
un élément juridique constitutif du crime de génocide », la Chambre d'appel
considère que « lorsqu'il s'agit d'établir une intention spécifique, l'existence d'un
plan ou d'une politique peut, dans la plupart des cas, avoir son importance »
(§ 48). Cette caractérisation, finalement assez peu contraignante, de l'intention
génocidaire ne met pas fin au débat sur le caractère organisé du crime mais
semble autoriser l'emploi d'une des interprétations présentées par le Procureur
selon laquelle un accusé a l'intention criminelle requise si « agissant en tant que
complice, il commet des actes en sachant qu'un génocide est en cours, que ses
actes y participent et qu'il est probable que son comportement entraîne la
destruction, en tout ou en partie, du groupe comme tel » (§ 42).
Sans doute plus instructif est le jugement rendu dans l'affaire Krstic, dont on
doit d'ailleurs saluer la présentation, la Chambre de première instance
examinant très précisément les éléments de preuve, avant de s'interroger sur
leur qualification juridique 82. Une des questions débattues devant la Chambre
était celle de l'identification du groupe victime du génocide, le Procureur hésitant
entre le groupe des bosniaques musulmans ou le groupe plus restreint des
bosniaques musulmans de Srebrenica (§ 558). Si la Chambre note qu'aucune
caractéristique nationale, ethnique, raciale ou religieuse ne permet de distinguer
la population bosniaque musulmane de Srebrenica du reste de la population
bosniaque musulmane, c'est principalement en se référant au critère subjectif
d'identification du groupe utilisé dans les affaires Nikolic et Jelisic83 qu'elle
estime que les auteurs des crimes de Srebrenica visaient plus généralement le
groupe des bosniaques musulmans (§ 560). Ainsi, pour la Chambre :
« The evidence tendered at triai (...) shows very clearly that the highest Bosnian
Serb political authorities and the Bosnian Serb forces operating in Srebrenica in
July 1995 viewed the Bosnian Muslims as a specific national group {§ 559) » .
La seconde question se posant alors était d'évaluer si, par le meurtre
systématique de tous les hommes musulmans de l'enclave protégée, le génocide
pouvait être qualifié, le projet criminel soumis à la Chambre n'apparaissant pas
comme celui de détruire le groupe bosniaque musulman dans son ensemble. La
Chambre, répondant à la défense et rappelant les termes de la Convention sur
le génocide, précise que les actes criminels contre les membres du groupe
doivent avoir été perpétrés dans l'intention de détruire le groupe « en tout ou en
partie ». Dans l'analyse de ce que constitue l'intention de détruire « en partie »
le groupe, la Chambre note que la jurisprudence et les avis doctrinaux se
réfèrent tantôt au nombre de victimes en visant « une partie substantielle » du
groupe, un nombre « considérable » de membres du groupe, tantôt à une partie
spécifique du groupe, c'est à dire par exemple à son « leadership », tantôt à une
partie du groupe implantée dans une zone géographique limitée, c'est à dire la
région d'un pays ou même une ville. Elle en déduit qu'elle dispose d'une marge
d'appréciation afin d'identifier ce qu'est la destruction d'une « partie » du
groupe, avant de conclure :
« The intent to destroy a group, even if only in part, means seeking to destroy a
distinct part of the group as opposed to an accumulation of isolated individuals
82. Une telle présentation, qui n'est pas toujours adoptée (dans l'affaire Kordvc par exemple, les
éléments de droit sont d'abord présentés et la réflexion sur la qualification et la définition des crimes y
demeure souvent assez abstraite) est plus à même de rendre compte de la vivacité du débat judiciaire.
83. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, p. 504.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

269

within it Although the perpetrators of genocide need not seek to destroy the entire
group protected by the Convention, they must view the part of the group they wish
to destroy as a distinct entity which must be eliminated as such. A campaign
resulting in the killing, in different places spread over a broad geographical area, of a
finite number of members of a protected group might not thus qualify as genocide,
despite the high total number of casualties, because it would not show an intent by
the perpetrators to target the very existence of the group as such. Conversely, the
killing of all members of the part of a group located within a small geographical
area, although resulting in a lesser number of victims, would qualify as genocide if
carried out with the intent to destroy that part of the group as such located in this
small geographical area. Indeed, the physical destruction may target only a part of
the geographically limited part of the larger group because the perpetrators of the
genocide regard the intended destruction as sufficient to annihilate the group as a
distinct entity in the geographic area at issue. In this regard, it is important to bear
in mind the total context in which the physical destruction is carried out (§ 590) » .
Cette analyse, qui met l'accent sur le contexte et le projet sous-tendant les
actes criminels, plus que sur le nombre des victimes, apparaît fort
convaincante84. Elle conduit la Chambre à conclure qu'en éliminant
systématiquement tous les membres masculins de la population musulmane de
Srebrenica, les forces serbes savaient que cette destruction aurait un impact fatal
sur cette partie du groupe bosniaque musulman. Ainsi, leur mort empêchait la
reprise du territoire de la ville, elle marquait la disparition de deux ou trois
générations d'hommes dans une société traditionnelle patriarcale, elle
s'accompagnait en outre du transfert forcé de tous les autres membres du groupe,
de la destruction des maisons et de la principale mosquée de Srebrenica, et de la
dissimulation des cadavres rendant impossible un rite funéraire autorisant le
deuil des proches des victimes (§§ 595-596). Dès lors, pour la Chambre, l'intention
de tuer tous les hommes musulmans d'âge militaire à Srebrenica est constitutive
de l'intention de détruire « en partie » le groupe bosniaque musulman (§ 598) 85.
La raison pour laquelle le groupe bosniaque musulman de Srebrenica a été
spécialement visé est cernée par la Chambre qui estime :
« The strategic location of the enclave, situated between two Serb territories, may
explain why the Bosnian Serb forces did not limit themselves to expelling the
Bosnian Muslim population. By killing all the military aged men, the Bosnian Serb
84. À l'inverse, on constate que, dans l'affaire Sikirica, les juges du T.P.I.Y., confrontés au point de
savoir si l'intention de « détruire en tout ou en partie les populations bosniaque Musulmane ou croate
de Prijedor » pouvait être décelée chez l'accusé, se sont engagés dans une comptabilité sinistre,
estimant qu'un nombre de victimes s'élévant à « 1000-14000 Muslims out of a total of 49 351 in the Prijedor
municipality (...) would hardly qualify as a "reasonably substantial part of the Bosnian Muslim group
in Prijedor" », et ont conclu, au regard de ces chiffres que « on the whole, the number of Bosnian
Muslims and Bosnian Croats detained in the Keraterm camp, and who were victims within the terms of
Article 4 (2) (a), (b) and (c), is negligible » (§§ 72 et 74). Sinistre et déplacée puisqu'il s'agissait d'évaluer
l'intention de détruire un groupe en partie, et non sa destruction actuelle ! La méthode est sans aucun
doute inadaptée...
85. Les développements de la Chambre relatifs à la destruction du groupe dans sa dimension
culturelle et sociologique (§§ 574-580) ne sont pas sans incidence dans cette conclusion et il convient d'en
rendre brièvement compte. Si la Chambre estime justement que la Convention de 1948 et le droit coutumier positif « limits the definition of genocide to those acts seeking the physical or biological
destruction of the group », excluant ainsi de la définition du génocide des actes visant à annihiler l'identité du
groupe, elle précise néanmoins : « Where there is physical or biological destruction there are often
simultaneous attacks on the cultural and religious property and symbols of the targeted group as well, attacks
which may legitimately be considered as evidence of an intent to destroy the group. In this case, the Trial
Chamber will thus take into account as evidence of intent to destroy the group the deliberate destruction
of mosques and houses belonging to members of the group (§ 580) ».

270

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

forces effectively destroyed the community of the Bosnian Muslims in Srebrenica as
such and eliminated all likehood that it would ever reestablich itself on that
territory (§ 597) ».
De l'emploi du génocide comme moyen d'acquisition d'un territoire... L'analyse
pourrait être prolongée et viser d'autres moments de l'offensive serbe en BosnieHerzégovine, ainsi que le suggérait fortement déjà le T.P.I.Y. dans l'affaire
Karadzic-Mladic96. Dans l'affaire Krstic, la Chambre note d'ailleurs des
« similitudes évidentes entre une politique génocidaire et une politique de
purification ethnique » (§ 562, notre traduction). Mais, pour pouvoir retenir une
qualification de génocide, il conviendra de démontrer que la destruction du
groupe était directement recherchée, car l'idée avancée par la doctrine selon
laquelle « genocide embraces those actes whose foreseable or probable consequence
is the total or partial destruction of the group » est ici rejetée par la Chambre
(§ 571).
Contrairement à ce qu'il en était dans l'affaire Jelisic, l'accusation dans
l'affaire Krstic paraît avoir clairement mis en évidence l'existence d'une
organisation, d'un plan génocidaire. À cet égard, la Chambre de première
instance précise que le Statut du Tribunal n'exige pas que les actes de génocide
soient prémédités sur une longue période. Ainsi note-t-elle :
« It is conceivable that, although the intention at the outset of an operation was not
the destruction of a group, it may become the goal at some later point during the
implementation of the operation. For instance, an armed force could decide to
destroy a protected group during a military operation whose primary objective was
totally unrelated to the fate of the group (§ 572) ».
Une réticence supplémentaire semble apparaître quant à l'idée que
l'existence d'un plan ne serait pas une condition du génocide, la Chambre se
bornant à renvoyer aux conclusions de la Chambre d'appel dans l'affaire Jelisic
(§ 572). Dans l'espèce qui lui est soumise elle estime qu'un tel plan a été
démontré, même si le moment précis auquel la décision de tuer tous les hommes
musulmans n'a pas été définitivement déterminée (§§ 572-573). Et, comme le
signalait la Chambre d'appel dans l'affaire Jelisic, l'existence de ce plan va en
effet simplifier la preuve de l'intention criminelle de Krstic, condamné pour ces
crimes sur le fondement de sa participation à une « entreprise criminelle
commune » 87 :
« The Trial Chamber concludes beyond reasonable doubt that General Krstic
participated in a joint criminal enterprise to kill the Bosnian Muslim military-aged men
from Srebrenica from the evening of 13 July onward. General Krstic may not have
devised the killing plan, or participated in the initial decision to escalate the
objective of the criminal entreprise from forcible transfer to destruction of Srebrenica's
Bosnian Muslim military-aged male community, but there can be no doubt that,
from the point he learned of the widespread and systematic killings and became
clearly involved in their perpetration, he shared the genocidal intent to kill the
men. (...) The intent to kill the men amounted to an intent to destroy a substantial
part of the Bosnian group. Having already played a key role in the forcible tranfer
of the Muslim women, children and elderly out of Serb-held territory, General
Krtsic undeniably was aware of the fatal impact that the killing of the men would
have on the ability of the Bosnian Muslim community of Srebrenica to survive, as
86. V. cette chronique, A.F.D.I., 1997, pp. 394-396.
87. V. infra, II, C, 1.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

271

such. General Krstic thus participated in the genocidal acts of "killing members of
the group" under Article 4 (2)(a) with the intent to destroy a part of the group »
(§§ 633-634).
Ainsi, la participation en connaissance de cause à une entreprise criminelle de
nature génocidaire suffit à condamner Krstic pour cette infraction. Il faut à cet
égard noter que, dans ses remarques introductives relatives au crime de génocide
la Chambre avait, en quelque sorte, annoncé cette conclusion. Ainsi, précisaitelle :
« The Chamber emphasises the need to distinguish between the individual intent of
the accused and the intent involved in the conception and the commission of the
crime. The gravity and the scale of the crime of genocide ordinarily presume that
several protagonists were involved in its perpetration. Although the motive of each
participant may differ, the objective of the criminal enterprise remains the same. In
such cases of joint participation, the intent to destroy, in whole or in part, a group
as such must be discernible in the criminal act itself, apart from the intent of
particular perpetrators. It is then necessary to establish whether the accused being
prosecuted for genocide shared the intention that a genocide be carried out (§ 549) ».
On ne saurait mieux mettre en lumière le caractère collectif de l'infraction, la
nécessité d'établir en premier lieu l'intention de destruction au niveau de la
politique, ou de l'entreprise criminelle collective, puis de s'interroger sur la
participation individuelle à cette entreprise ! L'intention de l'accusé peut à cet
égard être établie dès lors que sa participation est éclairée. On est loin ici des
timides formules parfois retenues en appel, telles celle de l'arrêt KayishemaRuzindana. Saisie directement par la défense de l'argument selon lequel « le
génocide ne peut être commis par un individu isolé » (§ 171), la Chambre,
rappelant que « Ruzindana a été déclaré coupable d'actes commis de concert avec
d'autres », s'est contentée de conclure : « La question fort controversée de savoir si
le génocide peut être commis par une personne agissant seule ne se pose donc pas
en l'espèce et par conséquent, la Chambre d'appel ne les (sic) examinera pas »
(§ 172).
C. La responsabilité pénale individuelle
Le débat relatif aux peines s'enrichit surtout par la confirmation d'un large
pouvoir d'appréciation laissé aux juges du fond au regard des circonstances
spécifiques à chaque affaire (3.3). Il est vrai que l'adoption de critères
juridiques précis était sans doute plus aisée en matière de cumul d'infraction,
encore que les principes adoptés cette année en appel continuent d'être
contestés dans des opinions dissidentes (3.2). L'apport déterminant de la
jurisprudence de l'année 2001 réside surtout dans l'analyse et l'application de
la notion d' « entreprise criminelle commune » par les Chambres de première
instance, qui contribue à clarifier les divers modes de participation individuelle
à l'infraction collective (3.1).
1. La participation individuelle à l'infraction
La jurisprudence de l'année 2001 sur la question des formes de participation
individuelle à l'infraction internationale présente en réalité deux traits
marquants. En premier lieu, l'analyse de la responsabilité des personnes en
position d'autorité, formulée en première instance dans l'affaire Celebici, est
acceptée en appel. La possibilité d'appliquer la responsabilité pour omission à

272

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

une personne de facto en position d'autorité est confirmée (§ 193), de même que la
nécessité d'établir l'existence d'un contrôle effectif sur les subordonnés, pour ce
qui est des personnes en position d'autorité politique mais également pour les
militaires (§ 198). Notons toutefois que, dans le cas des personnes en position
officielle d'autorité, la Chambre semble heureusement ne pas exclure que leur
position officielle dans la chaîne de commandement justifie une présomption de
contrôle effectif :
« In general, the possession of de jure power in itself may not suffice for the finding
of command responsibility if it does not manifest in effective control, although a
court may presume that possession of such power prima facie results in effective
control unless proof of the contrary is produced (§ 197) ».
Enfin, l'analyse de première instance est également confirmée en ce qu'elle
écartait l'hypothèse d'une obligation d'information et de connaissance pesant sur
les commandants militaires. Ainsi, pour la Chambre d'appel :
« A superior will be criminally responsible through the principles of superior
responsibility only if information was available to him which would have put him on
notice of offences committed by subordinates (§ 241) ».
Il a déjà été remarqué que les conclusions relatives au contrôle effectif et à la
preuve de la connaissance des exactions des suborbonnés se situent en deçà de
la jurisprudence du T.M.I, de Tokyo, qui n'est d'ailleurs pas évoquée par la
Chambre d'appel88. Si des décisions juridictionnelles sont effectivement
analysées (celles de certains tribunaux militaires d'occupation en Allemagne),
on ressent surtout ici l'influence des dispositions du premier protocole
additionnel aux Conventions de Genève (article 86 (2), §§ 231-237), qui sont
plus largement protectrices pour les commandants militaires que ne l'était le
précédent de Tokyo. Il est dès lors sans doute correct d'affirmer que la
responsabilité des personnes en position d'autorité ne découle pas directement
et sans possibilité d'exonération de la position hiérarchique occupée, ce qui,
dans la mesure où cette responsabilité peut donner lieu à des peines
atténuées, pourra apparaître décevant à certains. Dès lors, selon la Chambre
d'appel :
« Command responsibility is not a form of strict liability (...). The Appeals
Chamber would not describe superior responsibility as a vicarious liablity doctrine,
insofar as vicarious liability may suggest a form of strict imputed liability (§ 239) ».
En second lieu, et ceci est sans doute l'apport le plus novateur de la
jurisprudence de l'année 2001, les Chambres de première instance semblent
utiliser de plus en plus fréquemment la notion d'« entreprise criminelle
commune » (désormais retenue dans de nombreux actes d'accusation, dont
celui visant Slobodan Milosevic) 89, notion qui était apparue pour la première
fois dans l'arrêt Tadic de 1999. 90 Cette notion, à certains égards encore plus
extensive que ne l'était celle de complot employée dans la jurisprudence des
Tribunaux militaires internationaux, et qui peut se rapprocher du délit
d'appartenance à une organisation criminelle tel qu'interprété par le
Tribunal international de Nuremberg, s'impose en ce qu'elle permet de
rendre compte d'une criminalité de nature collective. Elle dépasse
apparemment, cette année, l'emploi que lui assignait la Chambre d'appel
88. V. cette chronique, AF.D.L, 1998, p. 407.
89. V. supra, I, C, 1.
90. V. cette chronique, AF.D.L, 1999, pp. 507-510.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

273

dans l'affaire Tadic 91. Les Chambres se sont employées à mieux la cerner à
partir d'une analyse de ce précédent et des jurisprudences sur lesquelles luimême se fondait. Elles ont en outre prononcé des condamnations sur son
fondement dans plusieurs affaires relatives tant à des offensives directement
meurtrières contre la population civile (affaire Kordic et surtout Krstic) qu'à
des phénomènes concentrationnaires (affaire Kvocka).
C'est dans l'affaire Brdanin qu'une analyse approfondie de cette forme de
participation à l'infraction internationale est en premier lieu conduite. Dans sa
décision sur la forme de l'acte d'accusation, la Chambre de première instance
exprime avec force la nécessité que l'acte d'accusation soit clair et note les
ambiguïtés que recèle le travail du Procureur92. Revenant sur le précédent
Tadic, elle rappelle que plusieurs termes ont été employés par la Chambre
d'appel (« common purpose » , « common design », « criminal [ou] common
enterprise»...) pour désigner ce qu'elle estime devoir être nommé «entreprise
criminelle commune » («joint criminal entreprise ») (§ 24). Elle note également
que trois formes distinctes illustraient le concept d' «entreprise criminelle
commune » dans cette affaire ^ et propose de ramener ces trois formes à deux, la
forme « simple » d'entreprise criminelle commune, et la forme « extensive »
(« basic and extended form ») (§ 25-27). Dans la forme simple de l'entreprise
criminelle commune, tous les participants doivent avoir « a common state of mind
- that the crime charged should be carried out, and the state of mind required for
that crime » (§ 26). Dans la forme extensive de l'entreprise criminelle commune,
le crime dont les individus sont accusés ne constituait pas l'objet de l'entreprise
commune, mais était une conséquence naturelle et prévisible (« natural and
foreseable ») de l'exécution de cette entreprise. Dès lors, pour la Chambre de
première instance :
« The state of mind of the accused to be established by the prosecution (...) differs
according to whether the crime charged : (a) was within the object of the joint
criminal enterprise, or (b) went beyond the object of that enterprise, but was
nevertheless a natural and foreseable consequence of that enterprise. If the crime charged
fell within the object of the joint criminal enterprise, the prosecution must establish
that the accused shared with the person who personally perpetrated the crime the
state of mind required for that crime. If the crime charged went beyond the object of
the joint criminal enterprise, the prosecution needs to establish only that the
accused was aware that the further crime was a possible consequence in the
execution of that enterprise and that, with that awareness, he participated in that
entreprise (§ 31) ».
La Chambre illustre ces deux formes d'intention par l'exemple d'entreprise
criminelle commune que constitue l'attaque à main armée d'une banque (forme

91. Ibid. Voir sur ce point, l'affaire Brdanin dans laquelle la Chambre de première instance note
également : « Although joint criminal enterprise can be applicable in relation to ethnic cleansing, as the
Tadic Conviction Appeal Judgment recognises, it is obvious that the Appeals Chamber had in mind a
somewhat smaller enterprise than that which is invoked in the present case » (§ 45).
92. On ne peut résister à la tentation de citer les termes ironiques par lesquels cette exigence est
rappelée : « The prosecution appears to have adopted a policy of avoiding a disclosure of as much of that
case as possible until as late as possible. The Trial Chamber draws the inference that the prosecution has
done so to enable it to mould its case in a substantial way during the trial, according to how its evidence
actually turns out. The only alternative explanation for the recalcitrant attitude which the prosecution is
exhibiting is that it still does not know what its case is. The Trial Chamber would be hesitant to draw
such an inference. Both the Trial Chamber and the accused are entitled to know what the prosecution case
is from the outset » (§ 11).
93. V. cette chronique, A.F.D.I., 1999, p. 507.

274

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

simple) pendant laquelle le caissier est blessé (forme étendue, le fait que le
caissier ait été blessé n'est qu'une conséquence de l'exécution de l'entreprise)
(§ 32). Pour que tous les participants soient considérés comme responsables de
l'attaque de la banque, y compris ceux qui n'y ont pas directement participé, le
procureur doit établir que tous « intended the armed robbery to take place and
that they shared the relevant state of mind required for the crime of armed
robbery » (§ 32). Pour considérer tous les participants comme responsables des
blessures infligées au caissier, « the prosecution would have to prove that such a
wounding was a natural and foreseable consequence of carrying a loaded weapon
during an armed robbery, that (each participant) was aware that the wounding of
someone was a possible consequence in the execution of the armed robbery he had
agreed to, and that, with that awareness, he participated in that armed robbery »
(§ 32).
On voit bien par cet exemple que, dans les deux cas, la notion d'entreprise
criminelle commune permet de considérer que tous ceux qui y ont participé sont
responsables des crimes qui sont l'objet même de l'entreprise ou qui sont des
conséquences possibles de son exécution, même s'ils ne les ont pas directement
commis. La Chambre précise en outre que, même si l'objet de l'entreprise
commune n'est pas couvert par un chef d'accusation spécifique - mais que seuls le
sont les crimes résultant de son exécution -, il n'en demeure pas moins que cet
objet également doit être criminel. À cet égard, l'argumentation du Procureur,
qui fonde principalement son accusation sur les conséquences criminelles
possibles de la « purification ethnique » demeure incertaine tant que l'objet de
l'entreprise commune (la purification ethnique) n'est pas en lui-même considéré
comme criminel. Ainsi, pour la Chambre :
« It is necessary for the prosecution to prove that, between the person who
personally perpetrated the further crime charged and the person charged with that
crime, there was an agreement (or a common purpose) to commit at least a
particular crime, so that it can be determined whether the further crime was a natural and
foreseable consequence of executing that agreed crime (§ 44) ».
De même, l'accusation doit décider si les crimes poursuivis se rapportent à
l'objet de l'entreprise commune ou s'ils outrepassent cet objet originel, car la
preuve de l'intention criminelle diffère dans chaque cas. À cet égard, la Chambre
relève d'autres hésitations dans la démarche du Procureur qui semble exclure que
les crimes poursuivis soient envisagés comme l'objet de l'entreprise commune,
c'est-à-dire de la « purification ethnique ». Pour la Chambre à l'inverse :
« The "permanent removal" of inhabitants of a particular ethnicity form their
normal place of residence to some other place in the circumstances pleaded would
appear necessarily to imply, for example, actions which involve : (a) deportation
and I or forcible transfer directed against a particular civilian population in the
course of an armed conflict - thus possibly crimes against humanity as pleaded in
counts 8 and 9 of the current indictment, and (b) appropriation of the property of
those removed in the course of an international armed conflict, not justified by
military necessity and carried out unlawfully and wantonly - thus possibly a grave
breach of the Geneva Conventions of 1949 as pleaded in count 10 of the current
indictment. There may be other examples, but these two will suffice (§ 38) ».
Cette indication pourrait permettre de résoudre l'hésitation surprenante du
Procureur à identifier des crimes inhérents à l'objectif de « purification
ethnique ».
Le premier jugement de condamnation fondé, pour l'année 2001, sur la
participation à une entreprise criminelle a été rendu dans l'affaire Kordic. L'objet

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

275

de l'entreprise criminelle commune a été notamment identifié comme la
persécution de la population bosniaque musulmane de Bosnie centrale et l'on
peut relever que, pour ce qui concerne Dario Kordic, la Chambre a notamment
estimé :
« He was a regional political leader and lent himself enthusiastically to the
common design of persecution by planning, preparing and ordering those parts of the
campaign which fell within his sphere of authority » (§ 829).
Quant à Mario Cerkez, un commandant militaire, la Chambre a notamment
conclu :
« the accused played his part in that campaign (of persecution) by commanding the
troops in some of the incidents. As such, he was a co-perpetrator » (§ 831).
Dans l'affaire Krtsic, la participation à une entreprise criminelle commune
a également été retenue, mais a fait l'objet d'une analyse plus approfondie et
fondée sur les indications fournies par les affaires Tadic et, surtout, Brdanin.
S'interrogeant en premier lieu sur les crimes commis avant la déportation
(crimes commis à la base des Nations Unies, à Potocari) et sur le crime de
déportation en lui-même, la Chambre estime que le général Krstic a participé à
une entreprise criminelle commune dont l'objet était de « purifier » par la force
l'enclave de Srebrenica de sa population musulmane et de faire en sorte qu'elle
quitte le territoire désormais occupé par les forces serbes (§ 610). Si la crise
humanitaire qui fut le prélude à la déportation a été conçue lors de l'élaboration
de l'entreprise criminelle, il n'est pas certain, note la Chambre, que les
exactions commises à Potocari aient également été envisagées lors de
l'élaboration de cette entreprise. Néanmoins, le général Krstic peut en être tenu
pour responsable dans la mesure où elles étaient les conséquences naturelles et
prévisibles de la campagne de « purification ethnique ». S'interrogeant en
second lieu sur l'assassinat massif des hommes à Srebrenica, la Chambre
estime qu'il constitue une évolution de l'entreprise criminelle initiale (§ 619). Si
la Chambre ne peut conclure que Krstic a participé à la prise de décision, sa
participation à l'exécution de cette décision, à la forme aggravée de l'entreprise
criminelle commune, permet de le considérer comme co-auteur des crimes
(§§ 642-644).
L'affaire Kvocka fournit une dernière illustration de l'application de la notion
d'entreprise criminelle commune, également riche d'enseignements. La Chambre
de première instance y insiste sur la seconde forme identifiée par les juges
d'appel dans l'affaire Tadic, qui renvoyait aux affaires relatives aux camps de
concentration jugées après la seconde guerre mondiale, étant elle-même saisie de
crimes principalement commis dans le camp d'Omarska. Une relecture de ces
affaires la conduit principalement à s'interroger sur le niveau de contribution au
système concentrationnaire ou aux unités spéciales d'extermination (affaire des
Einsatzgruppen) requis pour qualifier la participation coupable à l'entreprise
criminelle commune. Pour la Chambre :
« It is possible (...) to trace in the jurisprudence of the concentration camp cases a
theory in which criminal liability will attach to staff members of the camps who
have knowledge of the crimes being committed there, unless their role is not
"administrative" or "supervisory" or "interwoven with illegality" or, unless despite having
a significant status, their actual contribution to the enterprise was insignificant.
The einsatzgruppen case also distinguished between significant and insignificant
contributions to the joint criminal enterprise and took into account the nature of
the duties performed and whether the accused was in position to protest or
influence the criminal activities. Once participation was deemed significant

276

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

enough to incur criminal liability, the level of participation and degree of moral
culpability was reflected in sentencing (§ 282) » .
Dès lors, estime la Chambre, que la participation à l'entreprise criminelle
commune est jugée suffisamment « significative » pour engager la responsabilité
pénale individuelle, il sera également nécessaire de s'interroger sur le point de
savoir si cette participation est celle d'un complice ou d'un co-auteur (§§ 284-287).
L'analyse détaillée des précédents jurisprudentiels permet à la Chambre de
conclure :
« Persons who work in a job or participate in a system in which crimes are
committed on such a large scale and systematic basis incur individual criminal
responsibility if they knowingly participate in the criminal endeavor, and their acts or
omissions significantly assist or facilitate the commission of the crimes. (...) The
participation in the enterprise must be significant. By significant, the Trial
Chamber means an act or omission that makes an enterprise efficient or effective ; e.g., a
participation that enables the system to run more smoothly or without disruption »
(§§ 308-309).
Précisant cette idée de participation « significative » à l'entreprise criminelle
commune, la Chambre s'interroge sur la spécificité des périodes de guerre ou de
violence massive et des individus contribuant à l'entreprise criminelle à un
niveau hiérarchique subordonné. Ainsi :
« The threshold required to impute criminal responsibility to a mid or low level
participant in a joint criminal enterprise as an aider and abettor or co-perpetrator
of such an enterprise normally requires a more substantial level of participation
than simply following, orders to perform some low level function in the criminal
endeavor on a single occasion. The level of participation attributed to the accused
and whether that participation is deemed significant will depend on a variety of
factors, including the size of the criminal enterprise, the functions performed, the
position of the accused, the amount of time spent participating after acquiring
knowledge of the criminality of the system, efforts made to prevent criminal activity
or to impede the efficient functioning of the system, the seriousness and scope of the
crimes committed and the efficiency, zealousness or gratuitous cruelty exhibited in
performing the actor's function (§ 311) ».
Ces principes étant dégagés, la Chambre les applique à l'espèce qui lui est
soumise en concluant dans un premier temps :
« Omarska camp was a joint criminal enterprise, a facility used to interrogate,
discriminate against, and otherwise abuse non-Serbs and which functioned as a
means to rid the territory of or subjugate non-Serbs. The primary means of
sustaining and furthering the purpose of the criminal enterprise was by persecuting
Muslims, Croats, and other non-Serbs held in Omarska camp through various forms of
physical, mental and sexual violence » (§ 323).
Si l'objet de l'entreprise criminelle commune pouvait être identifié en des termes
plus précis, l'apport significatif de ce jugement réside dans l'appréciation
différenciée de la participation des accusés à celle-ci, au regard des critères
précédemment retenus. Tous ont été considérés comme y ayant suffisamment
contribué pour engager leur responsabilité pénale et le faire en tant en que
coauteurs des crimes constituant l'objet de l'entreprise. Toutefois, au regard des
diverses fonctions qu'ils ont exercé dans le camp, de la durée de cet exercice et,
surtout, de leur participation directe ou non aux crimes qui y furent perpétrés, ils

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

277

ont été condamnés à des peines plus ou moins lourdes (de 5 à 25 années
d'emprisonnement).
On doit certainement conclure que ces premières applications de la notion
d'entreprise criminelle commune au processus de « purification ethnique », en ses
diverses formes, témoignent d'un souci pointu d'analyse de la part des juges de
première instance, qui se fondent systématiquement sur l'apport de la
jurisprudence pénale internationale. L'identification précise de la notion dans
l'affaire Brdanin, qui trouve un écho dans l'affaire Krstic, l'analyse des critères de
participation significative ou non significative, ainsi que la différenciation de
l'étendue de la responsabilité encourue dans l'affaire Kvocka permettent
d'espérer que le T.P.I.Y. a trouvé ici un moyen légitime et non-dogmatique de
rendre compte des contributions individuelles aux infractions collectives dont
doivent connaître les juridictions pénales internationales.
2. Le concours d'infraction
Dans l'affaire Celebici, la Chambre d'appel vient confirmer la tendance
inaugurée par les Chambres de première instance dans les affaires Rutaganda et
Kupreskic94 consistant à ne retenir aux fins de la condamnation qu'une seule
infraction en cas de qualification multiple par le Procureur d'un même fait.
L'accent est cependant aujourd'hui mis sur les potentielles injustices découlant
de condamnations multiples pour des faits identiques relevant de plusieurs
qualifications juridiques. Après avoir noté la diversité des solutions adoptées par
les systèmes pénaux nationaux, la Chambre d'appel affirme avec force que ces
condamnations multiples doivent n'être retenues que si les infractions présentent
chacune des « éléments matériels distincts », des éléments uniques (§ 412). En
revanche, lorsque les infractions visées par les multiples chefs d'accusation
s'attachant à une même conduite ne présentent pas chacune d'élément matériel
distinct, unique, il ne faut retenir qu'une seule qualification de cette conduite et
donc ne prononcer qu'une condamnation, sur le fondement de la disposition
statutaire la plus spécifique (§ 413). Appliquant cette doctrine, la Chambre
d'appel estime que les premiers juges ont eu tort de prononcer des condamnations
sur le fondement des articles 2 et 3, les infractions visées par les chefs
d'accusations ne comportant pas chacune d'éléments matériels distincts, et
estiment qu'ils auraient dû retenir la condamnation au seul titre de l'article 2,
disposition plus spécifique en ce qu'elle recquiert la preuve d'un élément
additionnel : le caractère de personne protégée de la victime.
Une opinion dissidente a toutefois été formulée par les Juges Hunt et
Bennouna. Ils admettent le principe général formulé par la Chambre à savoir que
« an accused may only be convicted of more than one offence in respect of the same
conduct where each offence has a unique element that the other offence or offences
do not » (§ 24), mais leur contestation porte notamment sur la manière dont la
Chambre a appliqué ce principe. Elle a indûment pris en compte, selon eux, des
éléments de définition des infractions qui ne se rapportent pas à la conduite de
l'accusé mais à des « legal prerequisites or contextual elements which do not have
a bearing on the accused's conduct » (§ 26), tel que la nécessité, pour appliquer
l'article 2, de prendre en compte la qualité de personne protégée de la victime ou
le caractère international du conflit. De plus, pour les juges, le choix de
qualification auquel devrait procéder les Chambres suggère l'existence « of some

94. V. cette chronique, A.F.D.I., 2000, pp. 322-323.

278

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

sort of gradation of specificity among the Articles of the Statute » (§ 40). Or, pour
ces Juges :
« We do not regard it as possible to derive from the Statute a hierarchy or gradation
of specificity or seriousness amongst the various offences which would assist in any
kind of rigidly imposed determination of the question of which possible cumulative
convictions should be retained. Nor is it desirable to do so (§ 41) ».
L'illustration de l'application de critères moins rigides à l'affaire soumise est
finalement présentée (§§ 46-60). Dans l'affaire Jelisic (et les autres jugements
rendus ultérieurement en 2001), les principes établis par la jurisprudence
Celebici sont appliqués mais donnent également lieu à une opinion dissidente
formulée par le Juge Shahabuddeen.
3. La détermination des peines
Initié au cours de l'année 2000, le débat sur le « régime des peines » se
poursuit dans les arrêts d'appel rendus en 2001 95. Toutefois, les Chambres
d'appel se contentent de propositions assez générales et insistent sur le large
pouvoir d'appréciation des juges de première instance. Dans l'affaire Celebici, la
Chambre d'appel confirme l'idée qu'il serait inaproprié pour elle de déterminer
des lignes directrices pour la détermination des peines (§ 715) car « the
underlying principle is that the sentence imposed largely dépendis) on the
individual facts of the case and the individual circumstances of the convicted
persons » (§ 717). Dans ces conditions, les tentatives de comparaison des peines
prononcées en première instance avec celles de la jurisprudence pénale
internationale antérieure ou des précédents jugements rendus par les T.P.I, euxmêmes paraissent largement vouées à l'échec... Pour la Chambre d'appel dans
l'affaire Celebici (ces conclusions étant reprises dans les affaires Jelisic et
Kupreskic) :
« Although a Trial Chamber is entitled to refer for guidance in sentencing to
precedents from the jurisprudence of the Tribunal and the ICTR, together with
precedents from other jurisdiction, given the individual circumstances of each case and
the varied factors which should be taken into account, such comparisons are
frequently of little assistance (§ 798) » .
Si certains arguments d'appel relatifs aux peines présentés par les accusés ne
sont pas dénués d'intérêt, ils ne reçoivent pas toujours un accueil favorable
devant les Chambres d'appel, qui ne s'autorisent à invalider ces peines que
lorsqu'elles constatent une erreur (« discernible error ») dans l'exercice par les
Chambres de première instance de leur pouvoir d'appréciation (« discretion ») 96.
Parfois même, lorsqu'une erreur paraît avoir été commise, elle ne conduit pas
nécessairement la Chambre d'appel à infirmer le jugement sur la peine. On peut
à cet égard être quelque peu surpris par certaines formulations de la Chambre
d'appel du T.P.I.R. dans l'affaire Kayishema-Ruzindana, qui estime par exemple :
« Point n'est besoin (...) de dire si la) défense d'alibi et le déni de culpabilité
constituent ou pas des circonstances aggravantes. La Chambre d'appel conclut que
quand bien même la Chambre de première instance aurait commis une erreur sur
ce point, une telle erreur n'invaliderait point la peine infligée à Kayishema
(§363)».
95. V. cette chronique, A.F.D.I., 2000, pp. 323-325.
96. Pour la formulation de ce critère v., par exemple, l'arrêt Celebici, §§ 723-725.

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

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II est pourtant évident que le fait de se défendre d'une accusation, c'est à dire
d'exercer un droit incontesté, ne saurait constituer une circonstance aggravante
et la formule conduit à douter de la capacité supérieure de l'instance d'appel à
discerner les erreurs de première instance ! Sur la question des droits des
accusés et du jeu des circonstances individuelles, on a vu que la Chambre
d'appel du T.P.I.Y. a été beaucoup plus raisonnable97. Dans l'affaire Akayesu, la
Chambre d'appel du T.P.I. R. considère que « la peine infligée est proportionnée à
la gravité des infractions commises et reste, par conséquent, dans les limites du
pouvoir d'appréciation de la Chambre de première instance » (§ 417). Elle relève
toutefois une erreur, l'accusé ayant notamment été condamné pour la torture de
six victimes. Or, il apparaissait, dans les motifs, que la réalité des faits n'avait
pas été établie pour l'une d'entre elles. À propos de ce qu'elle décrit comme une
« petite erreur » (§421), la Chambre d'appel estime que « compte tenu de
l'ensemble des peines infligées, des infractions dont Akayesu a été reconnu
coupable et de la totalité de son comportement criminel, l'introduction erronée
de la victime X dans le résumé succinct figurant dans le Jugement sur la
sentence ne suffit pas à justifier une réduction de la peine » (§ 419). De même,
dans l'arrêt Musema, l'annulation de l'une des condamnations n'a pas entraîné
de réduction de la peine, car « [i]l ne fait pas de doute que les conclusions de la
Chambre de première instance quant à la peine à infliger à Musema auraient
été identiques si celle-ci avait conclu à l'acquittement de Musema au regard du
chef d'accusation en question » (§ 399). Dans l'affaire Kayishema-Ruzindana, la
défense s'est également fondée sur la confusion opérée en première instance
entre « l'élément matériel de l'infraction (...) et la circonstance aggravante »
(§ 348). Si cet argument ne retrace pas en l'espèce la démarche de la Chambre de
première instance, on peut se demander s'il n'illustre pas en revanche l'attitude
adoptée par les premiers juges dans l'affaire Akayesu, qui concluaient : « les
circonstances aggravantes l'emportent largement sur les circonstances
atténuantes, d'autant plus que Akayesu a consciemment pris le parti de
participer au génocide ». Mais s'il ne l'avait pas fait consciemment en aurait-il
été coupable ? La Chambre d'appel ne relève toutefois « aucune erreur dans
cette analyse » (§ 417).
La Chambre d'appel du T.P.I.Y. apparaît dans l'ensemble plus sensible aux
argumentations de la défense relatives aux peines prononcées. Ainsi, dans
l'affaire Kupreskic, qui se caractérise également par l'acquittement de trois
personnes condamnées en première instance (Zoran, Mirjan et Vlatko Kupreskic)
au regard de l'insuffisance des preuves présentées, la Chambre d'appel a décidé
de réduire les peines prononcées à l'encontre des deux autres personnes
condamnées en première instance : de 15 à 12 années d'emprisonnement pour
Drago Josipovic (§ 439), de 25 à 18 années d'emprisonnement pour Vladimir
Santic (§ 466). Dans le premier cas, la Chambre a notamment estimé que la
preuve de la position d'autorité n'avait pas été rapportée. Dans le second, la
reconnaissance tardive de la culpabilité, ainsi que la coopération avec
l'accusation ont, entre autres, été prises en compte. L'affaire Celebici fournit une
autre illustration de la révision d'une sentence par la Chambre d'appel mais n'est
pas, cette fois-ci, favorable à la personne condamnée. En l'occurence, ce sont en
effet les arguments du Procureur qui ont convaincu la Chambre d'appel de
proposer à la Chambre de renvoi d'alourdir la peine de 7 ans prononcée en
première instance contre Mucic, en la portant à « une dizaine d'années »
(« around ten years emprisonment », § 853). Ainsi, pour l'instance d'appel, la
97. V. supra, I, C, 2.

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L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

Chambre de première instance « did not have sufficient regard to the gravity of
the offences committed (...) in exercising its sentencing discretion » (§ 755).
Plusieurs précisions s'imposent au regard de cette conclusion. En premier lieu, on
doit noter que la Chambre d'appel estime que la « gravité du crime », évoquée à
l'article 14 (2) du Statut du T.P.I.Y., doit être l'élément déterminant dans le choix
de la peine (§ 731). Elle estime à cet égard que les premiers juges n'ont pas
suffisamment pris en compte la gravité des crimes commis par les subordonnés
de Mucic dans le camp de Celebici, ni la gravité de son défaut persistant de
prévention et de punition de leurs actes, constitutif selon elle d'une forme
d'encouragement (article 7 (3) aggravé) (§§ 732-751). Cette insistance sur le
critère de gravité du crime est prolongée dans la jurisprudence du T.P.I.R., la
Chambre d'appel estimant dans l'affaire Musema :
« la Chambre d'appel fait sienne la jurisprudence du TPIY selon laquelle les
principaux responsables de la hiérarchie, c'est-à-dire les dirigeants et les
planificateurs d'un conflit donné, doivent encourir une plus grande responsabilité pénale
que les subalternes, tels que les soldats exécutant les ordres. Mais ce principe est
en toutes circonstances assorti de la condition essentielle que la gravité de
l'infraction est la considération première que la Chambre de première instance
retient à l'occasion du choix de la peine ; en présence d'une infraction assez grave,
il ne doit pas être interdit à la Chambre de première instance d'infliger une peine
sévère à un accusé du seul fait que ce dernier occupe un rang subalterne dans la
hiérarchie (§ 383) ».
En second lieu, on relèvera que la Chambre d'appel dans l'affaire Celebici accepte
ici de se référer à une affaire antérieurement jugée par le T.P.I.Y. (Aleksovski)
pour alourdir la peine. Elle n'exclut finalement pas que se dégage
progressivement de la pratique du Tribunal une sorte de régime jurisprudentiel
de la peine, partiellement contraignant, dès lors qu'auront été jugées un nombre
suffisant d'affaires présentant des points de comparaison :
« As the number of sentences imposed by the Tribunal increase, there will
eventually appear a range or pattern of sentences imposed in relation to persons where
their circumstance and the circumstances of their offences are generally similar.
When such a range or pattern has appeared, a Trial Chamber would be obliged to
consider that range or pattern of sentences, without being bound by it, in order to
ensure that the sentence it imposes does not produce a unjunstified disparity which
may erode public confidence in the integrity of the Tribunal's administration of
criminal justice (§ 757) ».
La justification principale de cette faveur pour une élaboration jurisprudentielle
progressive d'un régime de la peine est ainsi habilement présentée comme
découlant du principe d'égalité devant le droit, fondement de la confiance
publique dans la justice pénale :
«Public confidence in the integrity of the administration of criminal justice
(whether international or domestic) is a matter of abiding importance to the
survival of the institutions which are responsible for that administration. One of the
fundamental elements of any rational and fair system of criminal justice is
consistency in punishment. This is an important reflection of the notion of equal justice »
(§ 756).
Mais pour être absolument convaincu de la démarche, il faudrait être
absolument convaincu de la pertinence des condamnations servant de référence
en termes de précédent et, à cet égard, on peut continuer de penser qu'une action
réglementaire collective, induisant un débat préalable entre tous les juges relatif

L'ACTIVITÉ DES TRIBUNAUX PÉNAUX INTERNATIONAUX

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aux critères permettant de déterminer les peines, aurait été préférable 98. En tout
état de cause, on doit saluer la réflexion de la Chambre d'appel, tout en
regrettant peut-être que l'espèce lui en ayant donné l'occasion n'ait pas été la plus
significative. En effet, on peut douter que l'erreur constatée ait été
particulièrement marquante (de 7 ans à « une dizaine d'années ») d'autant qu'elle
vient alourdir les conclusions des premiers juges et qu'elle se rapporte à une
condamnation finalement raisonnable en termes de durée. On rappelera que
dans d'autres affaires, des peines de réclusion criminelle à perpétuité n'ont pas
fait l'objet d'analyses substantielles de la part de la Chambre d'appel, alors même
qu'elles venaient parfois (et l'on songe ici à l'affaire Kambanda) " sanctionner un
comportement reconnu par l'accusé dans un plaidoyer de culpabilité 10° dont la
validité pouvait porter à discussion.

98. V. cette chronique, A.F.D.I, 2000, p. 325.
99. Ibid., p. 324.
100. Dans l'affaire Todorovic, la Chambre de première instance du T.P.I.Y. a eu l'occasion de
rappeler que le plaidoyer de culpabilité « should in principle, give rise to a reduction in the sentence that the
accused would otherwise have received », v. T.P.I.Y., Sentencing judgment, Prosecutor v. Stevan Todorovic,
31 July 2001, § 80. Dans ce jugement relatif à la peine rendu après le plaidoyer de culpabilité formulé
par Todorovic, les remords qu'il a exprimé en des termes fort convaincants devant le Tribunal ont
également été pris en compte au titre des circonstances atténuantes (§§ 89-92).

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024