Fiche du document numéro 31040

Num
31040
Date
Septembre 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
311117
Pages
4
Titre
Media français et propagande raciste de Kabila
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Mot-clé
Fonds d'archives
CRF
Type
Note
Langue
FR
Citation
Quoique de façon moins marquée qu'en 1996-97, lors de l'offensive
éclair contre Mobutu, la guerre actuelle dans l'ex-Zaïre est bien
présente dans les media, dans les grands quotidiens notamment mais
aussi dans les journaux télévisés ou radio-diffusés -- les médias
français à titre d'exemple.

Pour un lecteur initié et directement concerné par les problèmes de la
région des Grands Lacs dans leur complexité, les analyses proposées
sont généralement sommaires voire caricaturales. Mais il n'est pas
question ici de faire une critique de ce traitement trop
réducteur, s'agissant de problèmes si éloignés des préoccupations
quotidiennes du(grand)public-cible, essentiellement français. Ce qui est
extrêmement grave et qu'il faut dénoncer avec la plus grande des
énergies, c'est la reprise dans certains media français -- et occidentaux
de façon générale -- de la propagande raciste de Kabila.

Pour mobiliser une population congolaise qui n'en peut mais, l'on le sait
que ce dernier -- imitant en cela de tristement célèbres modèles
comme Habyarimana au Rwanda -- présente la guerre actuelle comme
une simple invasion de son pays par l'Ouganda et le Rwanda, dont les
dirigeants ne chercheraient qu'à créer un vaste Empire hima-tutsi
dans la région ! Et depuis l'extension du conflit à toute la région et
l'engagement du Zimbabwe et de l'Angola, les "Bantous" sont appelés à
stopper l'expansionnisme des "Nilotiques", dans un conflit présenté
comme étant celui de deux "races"(et pas seulement de deux ethnies) !
Un petit échantillon pour mesurer la virulence de la propagande
raciste de celui qui ose se réclamer du Grand d'Afrique, Patrice
Lumumba :

le discours d'Abdoulaye Yeroudia, son chef de cabinet, dans un
interview à la presse internationale : "L'heure est à l'épuration… Pour
nous, ce sont des déchets et c'est même des microbes qu'il faut qu'on
éradique avec méthode, avec résolution. Et le temps que vous voulez
que je chiffre dépend de la résistance des microbes ; mais pour ce qui
nous concerne, nous sommes décidés à utiliser la médication la plus
efficace !" Eux, c'est "l'ennemi intérieur", les Tutsis qu'il faut traquer et
mettre hors d'état de nuire.

On croirait réentendre la Radio-Télévision des Mille Collines aux
heures sombres du génocide de 1994 au Rwanda : un véritable
cauchemar, qui vous empêche de dormir la nuit.

Les horribles scènes de lynchage dans les rues Kinoises, transmises par
toutes les télévisions, suffiraient -- s'il en était encore besoin -- pour
montrer la terrible efficacité de ces appels à la haine répétés par les
plus hautes autorités de l'État.

Et pourtant des journalistes "sérieux" reprennent dans des journaux
sérieux les criminelles analyses de Kabila et de ses idéologues de
malheur.

La lecture d'un court échantillon -- éditions du vendredi 21 au mardi
25 août 1998 de trois grands quotidiens nationaux français -- est
véritablement consternante.

Pour Libération, sous l'alerte plume de Stephen SMITH, les "forces
tutsies -- l'armée rwandaise et des immigrés (sic) -- ont pris des armes
contre Laurent Kabila" (Libération du week-end du 22 et 23 août).
Les "immigrés" en question ce sont les Congolais Banyamulenge, qui se
sont installés dans un coin du vaste territoire bien avant que les
frontières du (futur) Congo ne soient tracées au compas lors du partage
du "gâteau" africain à la Conférence de Berlin (1884). De même, dans le
numéro du lundi 24 août, il est question pour S. SMITH de "forces
tutsies en route pour la capitale congolaise" ou de "l'incongrue alliance
des troupes tutsies et d'anciens mobutistes" etc. Et aucune mention
des très nombreux autres Congolais (militaires ou civils) anciens anti-
Mobutu qui animent la rébellion anti-Kabila !

Analysant l'intervention de l'Angola et du Zimbabwe aux côtés de
Kabila, Le Monde, dans l'édition du vendredi 21 août, ose parler
d'une "alliance bantoue (le groupe ethnique qui a peuplé toute la moitié
méridionale de l'Afrique) dirigée contre les régimes tutsis au pouvoir
en Ouganda, au Rwanda et au Burundi".

La rhétorique raciste de Kabila est longuement reprise et à la lettre
dans l'éditorial du Figaro du 24 août en guise d'analyse. Pour Charles
LAMBROSCHINI "Museveni cherche à bâtir un «Tutsiland» regroupant
l'ensemble des ethnies nilotiques. Cette union politique
intégrerait, outre l'Ouganda et le Rwanda, le Kenya, la Tanzanie, le
Burundi et les provinces orientales de l'ex-Zaïre" ! L'éditorialiste conclut
en parlant d'une possible "remise en question des frontières héritées de
la colonisation avec un partage [qui] se dessine entre deux zones : celle des Nilotiques et celle des Bantous".

Et le lecteur trouve, deux pages plus loin dans le même numéro, une
définition de ces deux zones : reportant les propos entendus lors d'un
meeting dans un grand stade de Kinshasa, l'envoyé spécial Pierre PRIER
écrit : "Un intellectuel [?] n'hésite pas à traduire la guerre qui se
généralise en affrontement entre Nilotiques et Bantous : les gens de la
vache et de la lance, qui dominent au Rwanda, … contre les cultivateurs
et les gens de la forêt tenus pour inférieurs par les peuples
d'éleveurs".

Cette catégorisation pourrait paraître farfelue si elle n'était pas tout
simplement un appel à tuer un voisin, un collègue de bureau, un
compatriote… Or, le journaliste du Figaro reporte ces appels sans en
dénoncer l'horreur. On peut même s'interroger en lisant le titre de
l'article ("Fièvre patriotique à Kinshasa") : le terme "raciste" n'est-il pas
le seul approprié ?

Des journaux télévisés -- à France 2, en particulier -- ou radio-diffusés ne
sont pas toujours en reste. Et pourtant la terrible recette est bien
connue : tous les dictateurs sanguinaires et "génocidaires", de Hitler à
Kabila en passant par Habyarimana, se présentent comme les
défenseurs d'une mythique "race pure" contre la "vermine" envahissante ;
et cela, en instrumentalisant cyniquement les bas instincts en vue
d'établir ou de sauver leur trône.

Bien que la littérature raciste pseudo-scientifique qui fait aujourd'hui
des ravages au RD Congo ait été introduite dans la région des Grands
Lacs par les anciens colonisateurs -- les Tutsis sont
des "Hamites" originaires d'Abyssinie etc. -- ces derniers s'en lavent
aujourd'hui les mains : aucune dénonciation de la chasse aux Tutsis
dans l'ex-Zaïre ; même la très médiatique et médiatisée Madame
Bonino (le Commissaire européen à l'action humanitaire) est aux
abonnés absents.

Et pourtant l'on devrait dénoncer sans se lasser ces discours de haine
qui s'appuient, comme toujours, sur une flagrante et énorme
désinformation : la race "bantoue", tout comme la race "aryenne", n'existe
pas et n'a jamais existé. Les termes "bantou" et "nilotique" -- tout comme le
terme "hamitique" -- désignent des familles linguistiques et culturelles.
Or, Dos Santos, Kabila, Kagame, Mugabe, Mujoma, Museveni (ou encore
Mandela, Bongo, Sassou Nguesso, Buyoya, Moï et bien d'autres) sont
TOUS...bantous !

En effet, le terme "bantou" désigne une famille de langues
géographiquement et démographiquement le plus important de
l'Afrique sub-saharienne : elle s'étend de l'Atlantique à l'Océan Indien
au sud d'une ligne qui va du Mont Cameroun (4° N) à l'embouchure du
lac Tana (2°S), avec seulement quelques enclaves de langues non
bantoues, parmi lesquelles les langues "nilotiques" (ou "paranilotiques").

Ces dernières couvrent une bande étroite allant du Sud Soudan (le
dinka) au Nord-Est de la Tanzanie (le massaï) en passant par le nord de
l'Ouganda (le lango). Le Nord-Est de la RD Congo (l'alur) et le Nord-Ouest
du Kenya (le luo).

Ainsi donc, la propagande de Kabila et de ses complices n'a aucun
fondement "naturel" ou culturel. Malheureusement, quoique fallacieux --
ou peut-être parce que fallacieux -- le discours passe surtout auprès
d'une jeunesse abandonnée à elle-même par des dirigeants
corrompus, soucieux d'entretenir le chaos pour mieux imposer leur
diktat sur un pays depuis longtemps exsangue. Et il est à craindre
que, si l'on continue à laisser courir une aussi grosse contre-vérité, elle
finira par s'imposer en faisant encore plus de ravages : toute l'Afrique
sub-saharienne divisée en deux entités antagoniques
des "vrais" Bantous, authentiques autochtones, contre des vrais-
faux "Nilotiques", impérialistes venus de quelque part ailleurs ! Que l'on
se souvienne de comment, au Rwanda, la propagande raciste du "Hutu
Power" a manipulé l'invention des pseudo-ethnologues belges, pour qui
les Tutsi étaient des Hamites venus d'Abyssinie coloniser les
autochtones "bantous", les Hutus.

L'enjeu est donc de taille. C'est pourquoi, il faut se hâter de faire un
travail pédagogique et rectifier sans cesse en énonçant un lieu
commun : comme les conflits sous d'autres latitudes, la guerre du Congo
est par essence un antagonisme objectivement analysable en termes
de divergences/convergences d'intérêts d'ordre économique ou
politique entre des pays et des Etats, bien au-delà de simples et
supposées accointances ethniques.

Pour terminer, l'on doit se demander comment une presse -- presse
écrite, télévisions et radios confondues -- sérieuse peut se laisser aller à
reprendre les dangereux discours. L'on n'ose pas penser qu'il puisse
s'agir d'une complicité consciente. Est-ce alors le prix à payer pour
pouvoir continuer à exercer sur place sans se faire expulser ? Ou se
laisse-t-elle peut-être tenter par une explication réductrice : ces
conflits lointains ne peuvent venir que de loin, d'atavismes séculaires à
base ethnique voire "raciale" ! L'une et l'autre explication sont bien
minces au regard de la gravité des événements en question. Non
seulement il faut être constamment vigilant afin de ne pas reprendre à
son compte les propagandes des régimes racistes aux abois, mais il est
du devoir moral de chacun de dénoncer avec force ces analyses à
relents génocidaires. Car ce qui menace cette vaste région d'Afrique
noire, c'est ce qui menaçait l'Europe dans les années trente-quarante et
qui la menace encore aujourd'hui dans certaines régions : le racisme
instrumentalisé et institutionnalisé, érigé en système de gouvernement.
Et que l'on ne se méprenne pas : à côté du racisme anti-tutsi couvent
d'autres racismes car le racisme est d'abord une attitude (politique) et
c'est un ogre à qui il faut encore et encore des victimes.

La solution ? Tout le monde sait que l'on ne négocie pas avec Hitler et
ses Nazis : l'éradication du racisme est la condition préalable à une
solution durable et donc politique des conflits qui déchirent cette belle
et riche région des Grands Lacs. Il faut nettoyer les Ecuries d'Augias si
l'on ne veut pas bâtir sur de la fange nauséabonde, sur du sable
mouvant l'Union des pays d'Afrique centrale et orientale pour le grand
bonheur de TOUTES les populations de TOUTES les "ethnies".

BITEZA-BIRI
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024