Fiche du document numéro 31039

Num
31039
Date
Dimanche 7 avril 1996
Amj
Fichier
Taille
224482
Pages
3
Titre
« Ibuka : souviens-toi ». Deuxième commémoration
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
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Source
CRF
Fonds d'archives
CRF
Type
Communiqué
Langue
FR
Citation
COMMUNAUTE RWANDAISE DE FRANCE
Paris le 7 avril 1996
46 bis rue du Louvre, 75002 Paris
Tél 40399112 Fax : 40263759

RWANDA : « IBUKA : SOUVIENS-TOI ». Deuxième commémoration

Il y'a deux ans commençait au Rwanda l'un des plus grands génocides du siècle :
un million de victimes en moins de trois mois soit la moyenne de plus de 10000 victimes
par jour. L'extermination systématique des tutsis et les assassinats politiques de hutu, tel
est le triste bilan de l'idéologie génocidaire qui gangrenait le Rwanda depuis des années.

Le 7 avril a été décrété par le gouvernement rwandais journée de deuil national.
Au tour d'"IBUKA-Souviens-toi" cette journée a pris une dimension internationale. La
communauté rwandaise de France s'associe tout naturellement à cette journée de souvenir
et de recueillement.

La Communauté rwandaise de France tient à exprimer ses plus sincères
remerciements à toutes les personnes physiques et morales qui se sont associées au
peuple rwandais pour honorer la mémoire des victimes de la dictature de Habyarimana et
ses complices.

Honorer la mémoire des victimes c'est rendre justice aux orphelins, aux veuves,
au peuple rwandais tout entier et, au delà, à la Communauté internationale, qui crient
justice. Honorer la mémoire des victimes, c'est se donner les moyens de mettre fin à
l'impunité qui a couvert tous les crimes commis tout au long du régime dictatorial.

La Communauté rwandaise de France a salué la création par les Nations Unies du
tribunal Pénal International pour le Rwanda. Elle lance un appel à la Communauté
internationale pour qu'elle fournisse à ce tribunal les moyens humains et matériels qui lui
permettront d'être enfin opérationnel.

La Communauté rwandaise de France se félicite que des États dont la Belgique, le
Cameroun, le Canada, la Suisse et la Zambie aient arrêté les personnes impliquées dans le
génocide et les massacres du Rwanda des mois d'avril, mai et juin 1994 et regrette
vivement que bien d'autres États persistent à protéger et à soustraire à la justice des
individus dont l'implication dans le génocide est de notoriété publique.

La Communauté rwandaise de France tient à remercier les États, les Organisations
et les personnalités qui, dans le strict respect de la souveraineté du Rwanda, contribuent à
la création du système judiciaire qui permette de rendre justice en toute sérénité et en toute
équité.

En effet, le système judiciaire est le maillon le plus faible de tout régime dictatorial
et le régime Habyarimana n'a pas échappé à cette règle. Honorer le mémoire des victimes,
c'est créer, malgré le manque de moyens matériels et humains, malgré les graves
traumatismes subis par la population, un État de droit auquel aspire le peuple rwandais.
C'est respecter au delà même de la lettre l'esprit des Accords de paix d'Arusha. C'est cet
esprit qu'ont combattu et continuent de combattre les responsable du génocide en ses
réclamant parfois de façon outrageusement légère des textes de ces mêmes Accords.

Honorer la mémoire des victimes c'est combattre le négationisme et le
révisionnisme sous ses multiples formes. Une des formes insidieuses du révisionnisme
consiste à pratiquer un habillage pseudo-historique en présentant le génocide comme
l'aboutissement logique d'un processus inéluctable des luttes interethniques entre la
majorité hutu et la minorité tutsi (les twa, la 3è composante du peuple rwandais est
généralement passée sous silence). On dilue ainsi les responsabilités directes et
individuelle dans un amas de responsabilités collectives et anonymes. L'histoire du
Rwanda n'est certainement pas à confondre avec l'histoire de l'idéologie génocidaire. La
forme la plus commune et la plus grossière du révisionnisme se présente sous la théorie
du double génocide - l'idée du double génocide date de l'année même du génocide - qui en
confondant victimes et bourreaux vise à banaliser le génocide lui-même. Traduit en
termes simplifiés, cette idée, cette stratégie revient à dire : "puisque tout le monde est
coupable, personne n'est coupable. Passons l'éponge, asseyons-nous autour d'une table
et négocions le partage démocratique du pouvoir entre majorité hutu et minorité tutsi" !

Honorer la mémoire des victimes, c'est avant tout condamner avec force
l'idéologie qui constitue l'essence même de la tragédie du peuple rwandais. La
responsabilité directe de cette tragédie revient à ceux qui, au Rwanda, ont conçu, planifié,
exécute ou commandité le génocide des tutsi et les massacres de Hutu de l'opposition
démocratique. Cependant, les germes de cette idéologie qui a fait bien d'autres victimes
dans le monde (le génocide de arméniens, des juifs, de tziganes, … et ce qu'on appelle
aujourd'hui purification ethnique) ont été semées pendant la période coloniale. Au
Rwanda et dans les milieux qui ont soutenu et continuent à soutenir les responsables du
génocide, cette idéologie consiste à identifier majorité ethnique et majorité politique et, par
voie de conséquence, à confiner automatiquement les minorités ethniques dans la position
de minorités politiques. Le combat politique rwandais est réduit alors à une lutte inter-
ethnique séculaire. Une grande partie de la presse internationale, pour des raisons de
complicité, de simplification abusive où même par simple ignorance, à contribué à asseoir
dans l'opinion internationale cette image déformée et déformante de la réalité rwandaise :
désormais les termes de "majorité hutu" appellent automatiquement ceux de "minorité
tutsi". Cette conception aberrante de la démocratie se retrouve dans les discours et sous la
plume de personnalités politiques de premier rang qui plus que d'autres, ne peuvent pas
avoir l'excuse d'ignorer ce qu'est une majorité politique.

Honorer la mémoire des victimes c'est aussi rejeter cette idéologie et reconnaître
que, comme par le passé, bien avant d'être hutu, tutsi ou twa, on est rwandais. Honorer
la mémoire des victimes, c'est retrouver le sens patriotique, basé sur l'unité multiséculaire
du peuple rwandais au delà de certaines contradiction inhérentes à toute société.

Honorer la mémoire des victimes , c'est rendre hommage à tous ceux qui, depuis
deux ans, se consacrent à jeter les bases de la renaissance et de la reconstruction du
Rwanda, d'un Rwanda patrie accueillante pour tous ses enfants et d'un Rwanda
harmonieusement intégré dans la sous région et dans la Communauté Internationale. Cette
tâche est d'autant plus méritoire qu'elle s'accomplit dans des conditions humaines
psychologiques et matérielles souvent difficiles à imaginer sans parler des critiques
souvent malveillantes et des pressions extérieures de ceux qui veulent "achever le travail"
(le génocide et les massacres) de ceux qui bloquent l'action de la justice et de ceux qui
persistent à priver le pays des apports de la coopération bilatérale et multilatérale. Honorer
la mémoire des victimes, c'est aussi rendre hommage aux rescapés qui, malgré des
blessures profondes et indélébiles, s'attellent courageusement à la renaissance du
Rwanda. Un hommage spécial doit être rendu

- à la jeunesse rwandaise qui, mûrie avant l'âge se consacre généreusement à
l'émergence du Rwanda de demain.

- aux femmes qui, cibles privilégiées de la barbarie pendant le génocide, ont repris
avec courage et détermination le flambeau du renouveau.

Saluons ici la mémoire d'Agathe Uwilingiyimana personnalité politique de
premier plan. Le Ministre de l'enseignement, elle a subi les violences du clan
Habyarimana pour avoir eu le courage de mettre fin aux pratiques criminelles d'équilibre
ethnique et régional. Premier Ministre, elle a été une des premiers victimes de la barbarie
parce qu'elle tentait d'enrayer la machine infernale des génocidaires.

La Communauté rwandaise de France

-Constate avec consternation que les responsables du génocide rwandais n'ont
jamais regretté leur crime. Au contraire, ils continuent leurs méfaits et, se préparent, avec
les moyens fournis par leurs complices, à terminer "le travail inachevé" au Rwanda

-Invite, en mémoire de toutes les victimes de la dictature Habyarimana et ses
complices, tous les partisans convaincus du "plus jamais ça" à rester vigilants afin que les
génocidaires soient définitivement mis en échec au Rwanda et partout dans le monde.

COMMUNAUTE RWANDAISE DE FRANCE
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