Fiche du document numéro 30926

Num
30926
Date
Janvier 2002
Amj
Fichier
Taille
608157
Pages
73
Urlorg
Titre
Rapport de la Recherche sur la Gacaca – Rapport I : Les juridictions Gacaca et leur préparation. Juillet - Décembre 2001
Mot-clé
Source
PRI
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
Rapport de la Recherche sur la Gacaca – PRI
Rapport I
« Les juridictions Gacaca et leur préparation »
Juillet - Décembre 2001

Avec le soutien du Department for International Development (DfID)

Janvier 2002

Table des matières
1. Introduction ________________________________________________________________3
1.1.

Penal Reform International (PRI) ________________________________________3

1.2.

Objectifs et mandat du projet ___________________________________________4

1.3.
Méthodologie _________________________________________________________5
1.3.1. Méthodes de travail ____________________________________________________5
1.3.2. Calendrier et participation _______________________________________________7
1.3.3. Réunions et contacts ___________________________________________________8
1.3.4. L’équipe de recherche __________________________________________________9
2. Observations _______________________________________________________________10
2.1.
Les juridictions Gacaca et leur préparation : un aperçu ____________________10
2.1.1. Objectifs et organisation des tribunaux Gacaca _____________________________10
2.1.2. le travail d'intérêt général ______________________________________________15
2.1.3. Le manque de sensibilisation de la population ______________________________19
2.2.
La « pré-Gacaca » ____________________________________________________22
2.2.1. Les présentations de détenus à la population _______________________________22
2.2.2. La procédure d’aveux _________________________________________________29
2.3.

Gacaca dans les prisons – statistiques, rumeurs et craintes __________________33

2.4.
L’élection des juges Gacaca au Rwanda __________________________________37
2.4.1. Le processus électoral _________________________________________________38
2.4.2. La préparation du succès : les nyumbakumi ________________________________39
2.4.3. Vers la fin de l’ethnisme et d’autres divisions ? _____________________________40
3.

Recommandations ________________________________________________________46
3.1.

Principales observations et recommandations _____________________________46

3.2.
Des questions sensibles qui demandent à être étudiées avec soin ______________48
3.2.1 Le viol comme crime de catégorie 1 ______________________________________48
3.2.2 Faut-il ouvrir le débat au passé proche ? ___________________________________50
3.2.3 Ne pas faire le pari de la justice au détriment de la réconciliation________________54
3.2.4 La question de l’identité et le processus Gacaca _____________________________55
4. Activités futures et thèmes de recherche prévus jusqu’au démarrage des juridictions
Gacaca _____________________________________________________________________58
ANNEXES __________________________________________________________________59

2

1. Introduction
1.1. Penal Reform International (PRI)
PRI est une organisation non gouvernementale internationale fondée en 1989 et enregistrée
aux Pays-Bas. Son siège se trouve au Royaume-Uni, et elle a des bureaux en France, Roumanie,
Russie, Népal, Kazakhstan, Géorgie, Costa Rica et Rwanda. PRI a un statut consultatif auprès des
Nations Unis et du Conseil de l’Europe, et un statut d’observateur auprès de la Commission
Africaine pour les droits des Hommes et des Peuples.
PRI a pour objectif une réforme pénale qui prenne en compte la diversité des contextes
culturels, pour promouvoir :
- Le développement et la mise en œuvre d’instruments de défense des droits de l’homme
sur le plan international, dans les domaines de l’application des lois, et des normes et
conditions de détention ;
- La suppression de toute discrimination injuste et non éthique, dans toutes mesures
pénales ;
- L’abolition de la peine de mort ;
- La réduction de l’usage de l’emprisonnement dans le monde ;
- Le recours à des sanctions constructives autres que l’emprisonnement, qui encouragent la
réinsertion sociale tout en prenant en compte les intérêts des victimes.
En fonction des besoins identifiés, les activités de PRI vont de missions d’estimation des
besoins jusqu’à des programmes complets d’assistance technique aux services pénitentiaires, ou des
activités de groupes de sociétés civiles.
Les programmes PRI mettent l’accent sur la réduction du recours à l’emprisonnement et le
développement des travaux d’intérêt général comme solution alternative à la prison. PRI cherche
également à améliorer les conditions carcérales et à régler les problèmes juridiques, en développant
des programmes aussi variés que l’assistance juridique, les fermes-prisons, la formation du personnel
des prisons et l’assistance aux prisonniers vulnérables.
Au Rwanda, la collaboration entre le Gouvernement (Minijust et Mininter) et PRI s’est
concentrée sur quatre domaines principaux depuis le début du programme PRI en 1998 :
- Formation du personnel des prisons
- Développement de micro-projets dans les prisons
- Amélioration des conditions de travail et d’existence dans les prisons pour le personnel et
les détenus
- Participation à la phase de planning du programme Gacaca national, à travers conseil et
recherche1.
Le programme de PRI pour 2002 et les années à venir prévoit de renforcer ces acquis et de
mettre en pratique l’expérience acquise, de la façon suivante :
Cela a consisté entre autres à organiser avec le Minijust un séminaire international sur les travaux d’intérêt général en
tant que sentence prévue par la loi Gacaca et applicable par les cours Gacaca, ainsi qu’à entreprendre des recherches
sensibles et complexes sur les réactions d’une palette de groupes et d’individus aux diverses propositions sur les travaux
d’intérêt général.

1

3

- Renforcer la bonne gestion des prisons et améliorer le traitement humain des prisonniers
(« jeunes génocidaires », détenues, prisonniers âgés et BaTwa)
- Soutenir le développement et l’installation de la 6Gacaca et des travaux d'intérêt général2.
Les recherches entreprises au Rwanda comme nous l’avons décrit plus haut, font partie d’un
projet plus important lancé par PRI en octobre 1998 appelé «De nouveaux modèles de justice et de
réforme pénale accessibles dans les pays en voie de développement»3.
L’un des points phares du projet est le rôle des systèmes de justice traditionnels et informels
dans l’accès à la justice des populations africaines, en particulier des groupes vulnérables. Une étude
comparative sur certains pays comme l’Afrique du Sud, la Tanzanie, le Malawi, le Mozambique, le
Rwanda, et tout autre pays utilisant des modes efficaces de justice réparatrice, des méthodes
alternatives de résolution de conflit, une justice informelle et d’autres moyens de gérer les groupes
vulnérables, est en préparation. Cette étude se fonde sur la documentation existante, sur des contacts
avec des réformateurs pénaux et des membres du gouvernement des régions, ainsi que sur des visites
de projets et des recherches orientées vers la politique judiciaire.

1.2. Objectifs et mandat du projet
L’introduction des juridictions Gacaca est considérée comme l’élément clé des efforts
entrepris à ce jour pour parvenir à établir une réconciliation nationale et une justice au Rwanda, après
le génocide de 1994.
On ne peut sous-estimer l’ampleur du défi que représente pour le gouvernement rwandais le
fait de devoir statuer sur le cas de milliers d’individus accusés d’actes liés à des crimes de génocide ou
à des crimes contre l’humanité, dans une période où le pays lutte pour rétablir une vie économique et
sociale normale à l’intérieur, et la paix dans toute la région.
Ce rapport a été produit par l’équipe de PRI à Kigali pour informer et conseiller les autorités
rwandaises chargées de cette responsabilité, pour les aider à planifier et mettre en œuvre le projet
Gacaca. Son but est aussi de fournir à la communauté internationale (qui dans l’ensemble se montre
concernée par ce projet et le soutient) les données lui permettant d’évaluer la progression et les
développements des activités liées à Gacaca.
A la demande des autorités nationales – spécialement du Ministère de la Justice et du
département Gacaca de la Cour Suprême (la 6ème chambre) – et de la communauté internationale, les
chercheurs se sont donnés mission de fournir des données honnêtes, objectives et scientifiquement
fondées, en recueillant, traduisant et interprétant les commentaires, réactions et expériences de divers
PRI encadre et soutient un coordinateur Rwandais qui conseille au niveau national pour le développement et la mise en
place du programme de travaux d’intérêt général qui sera un élément clé du processus Gacaca. Il travaille en collaboration
étroite avec le ministère de la justice, qui va recruter et employer des gens pour superviser ces travaux. PRI va fournir un
service d’orientation et de formation complet à ces personnels spécialisés, basé sur l’expérience acquise par PRI lors
d’initiatives semblables, dans d’autres pays.
2

3

Les objectifs de ce projet élargi sont les suivants :
1.
2.
3.
4.

Décrire, promouvoir et mettre en place de nouveaux modèles de justice plus équitables.
Promouvoir la réforme pénale pour éviter des recours à l’incarcération excessifs et évitables.
Publier une étude exhaustive sur le sujet, comme référence et guide pour tout membre du gouvernement ou de
l’appareil judiciaire déterminé à promouvoir la réforme pénale ou de nouveaux modèles de justice
Mener des recherches sur le terrain et des évaluations de l’usage de méthodes alternatives de justice pénale.

4

groupes de Rwandais ordinaires au fil du temps, pour soutenir la conception et la mise en œuvre de
la procédure Gacaca, à intervalles réguliers pendant la durée de vie du projet, et ainsi maximiser son
potentiel de succès grâce à un processus généralement identifié comme « la recherche dans l’
action » 4.
Penal Reform International exprime sa gratitude au Département pour le développement
international (DFID) du gouvernement de Grande-Bretagne, pour son soutien à cette initiative.

1.3. Méthodologie
1.3.1. Méthodes de travail
Les termes de référence de cette recherche précisent qu’il s’agit d’une étude de cas, conduite
de manière approfondie dans deux régions du Rwanda – l’une rurale et l’autre semi-urbaine – aux
trois niveaux administratifs que sont le district, le secteur et la cellule, tout en tenant compte de la
composition de la population.
La recherche est essentiellement qualitative et participative : les sessions de pré- puis celles
des juridictions Gacaca sont ou seront observées, enregistrées et analysées. Des interviews (ouvertes)
ou des discussions de groupe ciblées (FGD)5 ont lieu avec les différentes parties impliquées ainsi
qu’avec d’autres groupes ou personnes pertinents dans les zones concernées. Il semble que cette
méthode soit la seule solution pour rassembler une information fiable, dans un contexte ou les gens
sont dans leur ensemble extrêmement méfiants à l’égard de toute personne qui vient les interroger au
sujet des juridictions Gacaca.
L’étude porte sur le contexte des procès, les procédures appliquées et la participation des
différents groupes et protagonistes, une attention particulière étant accordée aux femmes et aux
jeunes. La légitimité et le parcours des acteurs sont étudiés, le résultat des procès évalué, du point de
vue des victimes (survivants du génocide et leurs familles) comme de celui des accusés (prévenus et
leurs familles). Cette évaluation est faite également au regard des instruments de protection des droits
de l’homme et des règles d’un procès juste et équitable, tout en tenant compte des circonstances
exceptionnelles prévalant au Rwanda.
Par la suite, l’application des peines de travail d’intérêt général sera étudiée à travers quelques
cas. Une étude sur le niveau d’information et l’attitude de la population à l’égard du travail d'intérêt
général devrait avoir lieu.
Recherche-Action ?
Cette étude sociale est délibérément orientée vers l’action. Elle nous paraît être un outil
efficace pour mieux comprendre les conditions dans lesquelles se déroule le programme Gacaca et
par là les améliorer. Cette recherche a un objectif social, qui en associant les protagonistes (rescapés
Voir pour les objectifs de l’étude et sa méthodologie les propositions de recherche suivantes : Klaas de Jonge : « Le
projet de recherche Gacaca au Rwanda. Une étude approfondie des juridictions Gacaca et des travaux d’intérêt général »,
PRI: Kigali, février 2000 et Klaas de Jonge: « La recherche pré-Gacaca » , PRI: Kigali, février 2001.
4

La discussion de groupe ciblée (ou « Focus Group Discussion »-FGD) est une technique de recherche visant à étudier les
connaissances, attitudes et croyances de certains groupes, dont l’objectif est plus particulièrement de rassembler des
données sur les changements sociaux.
5

5

du génocide, témoins, auteurs et le gouvernement), et en considérant leur situation particulière doit
soutenir des actions visant à améliorer les conditions de déroulement du processus Gacaca, tout en
concourant à une meilleure réalisation de ses objectifs.
Cette recherche a démarré par une question centrale : « quels sont les problèmes rencontrés
dans le processus Gacaca et comment ces problèmes peuvent-ils être réglés ? ». A partir des opinions,
besoins et intérêts exprimés par les différents groupes, nous avons identifié les problèmes clés et
tenté de proposer des solutions, issues de l’expérience personnelle de chacun des membres de
l’équipe, de discussions avec des organisations partenaires et de la littérature disponible sur le
génocide et les situations de post-génocide, au Rwanda et ailleurs. Les buts et objectifs du processus
Gacaca, tels que définis par la loi de mars 2001 restent notre référence tout au long de ce travail, qui
peut donc être également considéré comme une forme d’évaluation et de monitoring.
Les données présentées ont été recueillies par des observations directes (comme pour les
élections des juges Gacaca ou les sessions de pré-Gacaca), des questionnaires ouverts proposés à des
individus ou des groupes de discussion composés d’une quinzaine de personnes (groupes de femmes,
d’hommes, de rescapés, de détenus ayant avoué ou non, des personnes qui se trouvaient en exil avant
ou après 1994, de témoins, de familles de détenus, etc.). De nombreux enregistrements ont été
réalisés (sessions de pré-Gacaca et la plupart des interviews). Les interviews individuelles ou groupes
de discussion ont permis d’atteindre plus de 200 personnes, et bien plus encore si l’on inclue le
matériel issu des session de pré-Gacaca.
Pour des raisons pratiques, l’essentiel de ce travail a été réalisé dans le district de Gitarama,
tant pour des raisons budgétaires ou d’accessibilité que parce que les sessions de pré-Gacaca ont
démarré là-bas, au moment où nous commencions la recherche. Nous espérons toutefois pouvoir
étendre la recherche à d’autres régions.
Lors des sessions de pré-Gacaca et des interviews ultérieures, nous avons pu observer que la
population, lorsqu’elle aborde les questions du génocide, de la justice, de la Gacaca et de sa
préparation, ou de la réconciliation, classe le monde qui l’entoure en catégories culturelles
antagonistes6, qu’elles soient régionales (ceux du Nord et ceux du Sud), ou plus fréquemment encore
ethniques (Hutu, Tutsi, Twa – bien que cette dernière catégorie soit beaucoup moins mentionnée).
La prise en compte de la variable ethnique n’existait pas a priori dans notre projet de
recherche. L’expérience sur le terrain a toutefois contraint l’équipe de recherche à intégrer le concept
d’ethnicité dans son analyse pour comprendre les opinions, les besoins, les craintes et les intérêts des
différents groupes dans le cadre du programme Gacaca. Nous avons été conduit à penser que la
construction ethnique est une catégorie importante dans l’expérience humaine des Rwandais. Nous
pensons qu’elle doit être comprise et acceptée afin de pouvoir être dépassée. Ce clivage nous est
apparu central au sein de la population, mais il n’est pas le seul. Les gens s’opposent aussi entre
rescapés/témoins, ou hommes/femmes, ou détenus ayant avoué/n’ayant pas avoué, etc. Nous avons
dû tenir compte de ces données pour l’organisation des groupes de discussion afin de permettre un
échange d’idées plus riche et une liberté de parole qui garantisse des résultats complets et objectifs7.
Dans nos recommandations, nous proposons des moyens d’inviter les rwandais à se regrouper
autour de pôles plus constructifs (les femmes ; les jeunes…) qui transcendent la notion d’ethnie que
le gouvernement souhaite à juste titre combattre.
6 Il s’agit ici de catégories mentales, de perceptions. Dans toutes les cultures, les hommes classent le monde qui les
entoure en catégories culturelles, et la façon dont ils le font influe sur leur interaction avec le monde.
7

Certains groupes n’osent pas s’exprimer en présence d’autres catégories de la population.

6

Nous sommes convaincus que cette recherche est fiable (dans le sens où ses résultats
pourraient être corroborés par d’autres chercheurs) et valide (c’est à dire que nos instruments sont
précis et que ses enseignements peuvent être appliqués à d’autres populations). Les méthodes
employées sont comparables aux méthodes de recherche utilisées ailleurs. Toutefois, il est vrai que
s’il s’était agi d’un travail purement académique (ce qui n’a jamais été notre objectif), les données et
études de cas auraient été présentées différemment. Mais une fois encore, l’objectif de ce travail est
de soutenir la mise en œuvre du programme Gacaca pour lui permettre d’atteindre au mieux ses
objectifs de réconciliation nationale.

1.3.2. Calendrier et participation
Les recherches sur le terrain n’ont commencé que fin avril 2001, mais leur préparation avait
commencé beaucoup plus tôt, en tant qu’une des activités du coordinateur de recherche
(coordinateur de projet intérimaire, chercheur sur les travaux d’intérêt général).
Il s’agissait d’obtenir l’autorisation de conduire ces recherches auprès des différents
départements du gouvernement, de recruter et former un assistant de recherche, d’étudier les
documents existants et d’en traduire certains du kinyarwanda en français, de participer à une
conférence à Cape Town (Afrique du Sud) début février sur « Génocide, l’expérience Rwandaise et la
transition sud-africaine », ainsi que d’effectuer différentes visites dans les collines pour finir de
localiser les endroits où les recherches seraient menées.
Notre petite équipe commença les recherches sur le terrain dans la province de Gitarama et, à
un degré moindre, à Kigali, dans la province de Murambi et à Butare.
Comme prévu, nous avons participé à un certain nombre de réunions publiques pré-Gacaca
et nous avons organisé une série de séminaires et d’entretiens individuels avec les différents groupes
impliqués : personnalités officielles, rescapés du génocide (parmi lesquels des femmes violées) et
différents groupes de prisonniers (détenus libérés, ou retournés en prison pour que leur dossier pénal
soit complété). Le photographe Marco Longari, a réalisé un reportage lors de certaines de ces
réunions publiques.
De mai à juillet, nous avons surtout réuni des informations, laissant la rédaction formelle,
l’analyse et les conclusions pour plus tard.
Cependant, même nos notes de recherches à l’état brut se sont déjà révélées utiles et ont
permis de suggérer des améliorations à l’organisation de ces réunions pré-Gacaca, dans le but de
mieux comprendre comment expliquer la loi Gacaca, relativement complexe, à une population en
grande partie sous-éduquée et très mal informée.
Certains documents et formulaires de la loi Gacaca ont été également modifiés après avoir été
testés sur le terrain. Nous espérons que certaines de nos conclusions donneront lieu à des décisions
politiques, par exemple un effort sur la sécurité des détenus ayant confessé leurs crimes, et qui sont
ensuite menacés par d’autres prisonniers.8

8

PRI : « La procédure d’aveux et le TIG – Rôle du Mininter », Kigali/Paris, juillet 2001.

7

1.3.3. Réunions et contacts
Nous avons discuté de certaines de nos conclusions avec les organisateurs de ces réunions
pré-Gacaca (le Ministère Public et RCN/Réseau de Citoyens) et avons pu apporter notre aide à la
mise en place des présentations de prévenus sans fiches à la population9, dans les districts de
Ntongwe et Runda (Gitarama). Le débat sur les questions posées, et les craintes exprimées par
différents groupes de population que nous avions interviewés au sujet de ces présentations et des
futures juridictions Gacaca, s’est révélé particulièrement utile. Lors des présentations faites par le
ministère et son équipe, ils ont commencé à exprimer ces questions et ces craintes.
Dans la mesure où (en tout cas à Ntongwe) les autorités locales n’ont pas semblé du tout
intéressées par ces réunions publiques10, et encore moins par leur résultat (la mise en liberté
provisoire d‘environ un quart des détenus présentés), ce n’est que pendant les réunions elles-mêmes
que la population des campagnes, au niveau administratif le plus bas, a pu être informée de leur
objectif et de leur fonctionnement.
Certaines de nos conclusions ont été tout d’abord discutées avec le Ministère chargé des
prisons (Mininter), en particulier le faible taux d’aveux des prisonniers, le besoin de séparer ceux qui
avaient avoué des autres détenus, et le besoin d’améliorer la sécurité à la fois à l’intérieur des prisons
et dans la communauté en général. Si nos conclusions et recommandations ont été dans l’ensemble
comprises et acceptées, les contraintes budgétaires ont été accusées de limiter la possibilité de
modifications majeures.
Nous avons également présenté nos conclusions à un groupe récemment créé, constitué de
pays donateurs et de plusieurs ONG internationales (« Groupe de travail de concertation sur le
processus Gacaca ») sous les auspices de l’Union Européenne, qui ont accepté nos recommandations
après quelques discussions et modifications11.
Elles furent par la suite présentées lors d’une réunion au sommet de personnalités officielles
du gouvernement et d’ambassadeurs des principaux pays donateurs, pour l’instant sans résultat
concret. Cela remet inévitablement en cause la capacité réelle de la communauté internationale à
contribuer au succès du processus Gacaca.
Si la communauté internationale en général convient des avantages cités plus haut du
programme Gacaca, elle nourrit de sérieux doutes quant à son fonctionnement, au vu de l’immensité
des problèmes bureaucratiques et logistiques liés à la mise en œuvre d’un tel programme à l’échelle
nationale. Sur le plan des droits de l’homme et sur le plan légal, elle s’inquiète de l’impartialité et de
l’indépendance des juges élus, et du respect du droit des accusés à être défendus, en particulier pour
les prévenus de deuxième catégorie (qui risquent la prison à perpétuité), pour qui une représentation
légale formelle est exclue.

9 Cf. données de recherches PRI et rapport interne RCN: « Présentations à la population – sensibilisation aux juridictions
Gacaca »; Kigali, septembre 2001
10 Cette indifférence des autorités locales (dans ce cas de Ntongwe) est regrettable, parce que les autorités locales
semblent inspirer plus de confiance que toute autre instance gouvernementale ou même que les chefs religieux.
11 Cf. : « Réunion de concertation sur le processus Gacaca; Délégation de la Commission européenne – 30 août 2001 ».

8

1.3.4. L’équipe de recherche
Klaas de Jonge, Coordinateur de recherche. Anthropologue hollandais, Klaas de Jonge
possède plus de trente ans d’expérience dans la recherche et le développement. Il a rejoint PRI en
janvier 1998, à l’origine pour en établir le programme au Rwanda. Klaas de Jonge a coordonné le
travail de recherche de Gacaca à plein temps depuis mai 2001.
Léonilla Musengimana, chercheur
Charles Kayibanda, chercheur
Salim Bucyanayandi , chauffeur, logisticien, assistant de recherche
Marco Longari, photographe

9

2. Observations
2.1. Les juridictions Gacaca et leur préparation : un aperçu
En 1994, environ un million de citoyens rwandais12 furent tués au cours d’un génocide
perpétré contre les Tutsi et de massacres visant les opposants politiques Hutu, programmés et
perpétrés par l’ancien gouvernement. Environ trois millions de personnes furent contraintes à l’exil.
Le pays fut dévasté. Les institutions chargées de faire respecter la loi et d’appliquer les décisions de
justice (tribunaux, police, prisons, etc.) avaient cessé de fonctionner.
Après le génocide, près de 130.000 personnes accusées de l’avoir organisé ou d’y avoir pris
part furent mises en prison dans des conditions très difficiles. Sept ans plus tard, environ 125.000
d’entre elles étaient encore détenues dans l’attente d’un procès. La solution d’une amnistie générale
fut écartée car il était admis par le nouveau gouvernement (Gouvernement d’Unité Nationale), le
peuple rwandais et la communauté internationale que les responsables du génocide et des massacres
devraient en rendre compte, pour éradiquer la culture de l’impunité et renforcer le respect de la loi et
du principe du châtiment des fautes.
Le gouvernement parvint à la conclusion que le système classique de justice – de type
Européen – ne pouvait être l’unique solution au problème juridique que le Rwanda devait affronter13.
C’est pourquoi, dès 1998, il commença à rechercher une autre solution. Cela conduisit, en 1999, à la
proposition d’une solution purement rwandaise pour suppléer le système de justice traditionnel : les
juridictions Gacaca, un nouveau système de justice participative (une version réinventée du système
communautaire traditionnel de résolution de conflits), auquel l’ensemble de la société prendrait part.
Le gouvernement publia en juillet 1999 un projet concernant ces « juridictions Gacaca »14 qui fut
suivi d’une série de discussions avec plusieurs groupes de représentants de la population rwandaise,
et de la communauté internationale.
Après plusieurs modifications du projet initial, la « loi Gacaca » a été adoptée et publiée en
mars 200115.

2.1.1. Objectifs et organisation des tribunaux Gacaca
D’après le gouvernement16, les avantages des nouvelles juridictions Gacaca seraient les
suivants :
12 En décembre 2001, le gouvernement Rwandais a publié le nombre de victimes du génocide sur une période d’environ
quatre ans, du 01/10/1990 au 31/12/1994. 1 074 017personnes ont été tuées, dont 93.7% de Tutsis.
13 Bien que le gouvernement rwandais ait effectué un travail de justice remarquable, comme le montre l’étude “Cinq ans
après le génocide au Rwanda, la justice en question”, ICG Report Rwanda N°1, 7 avril 1999, il a reconnu qu’au rythme
actuel du système classique, il faudrait plus de 100 ans pour juger tous les détenus.
14 Les “juridictions Gacaca” investies de l’autorité judiciaire sur les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, et
autres violations des droits de l’homme perpétrées au Rwanda du 1er octobre 1990 au 31 décembre 1994”, Kigali: juillet
1999.
15 Loi organique N° 40/2000 du 26/01/2001 portant création des « Juridictions GACACA » et organisation des
poursuites des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité, commises entre le 1er
octobre 1990 et le 31 décembre 1994 ; Journal Officiel de la République du Rwanda, 15 mars 2001 ; pp - 66-98.

10

ni les victimes ni les suspects ne devront attendre des années pour voir justice
faite : accélération des procès.
les coûts imputés aux contribuables pour l’entretien des prisons17 seront réduits,
ce qui permettra de faire face à d’autres besoins urgents.
la participation de chaque membre de la communauté à la mise en lumière
des faits sera le meilleur moyen d’établir la vérité.
les tribunaux Gacaca permettront une prise en compte du génocide et d’autres
crimes contre l’humanité plus rapidement que les tribunaux classiques : déraciner la culture de
l’impunité.
les nouveaux tribunaux mettront en place des approches innovantes en matière de
justice criminelle au Rwanda , en particulier des condamnations à des travaux d’intérêt général
qui aideront à la réintégration des criminels dans la société.
l’application de la loi permettra d’aider le processus de cicatrisation et de
réconciliation nationale au Rwanda, qui est considéré comme la seule garantie de paix, de
stabilité et de développement futur du Rwanda, ainsi qu’à la prise de responsabilité politique
de son peuple
Les personnes accusées de génocide sont divisées en quatre catégories18:
Première catégorie : les planificateurs, les organisateurs et les leaders du
génocide, ceux qui ont agi en position d’autorité, les meurtriers de grand renom ainsi que
ceux qui sont coupables de tortures sexuelles ou de viols.



Deuxième catégorie : les auteurs, co-auteurs ou complices d’homicides
volontaire ou d’atteintes contre des personnes ayant entraîné la mort et de ceux qui avaient
l’intention de tuer et ont infligé des blessures ou ont commis d’autres violences graves qui
n’ont pas entraîné la mort.

Troisième catégorie : ceux qui ont commis des atteintes graves sans intention
de causer la mort des victimes.


Quatrième catégorie : ceux qui ont commis des infractions contre les biens.

Les accusés de la première catégorie seront jugés par les tribunaux ordinaires : les “Tribunaux
de première instance” /“Tribunaux de magistrats”.
Pour tous les autres cas, le gouvernement devra mettre en place environ 11.000 juridictions
Gacaca, chacune constituée de 19 juges élus, connus pour leur intégrité. Ces juges civils recevront
une formation avant que les tribunaux n’entrent en activité.
16 “Speech of the Vice-President and Minister of Defence on the Occasion of the Opening of the Seminar on Gacaca
Tribunals”; Kigali, July 12, 1999.
Du fait du système Gacaca, nombre de détenus quitteront les prisons, mais le Rwanda restera probablement longtemps
un pays avec une population carcérale énorme (voir plus bas).

17

18 Pour plus d’information, voir outre la loi organique Gacaca, le tableau 1 (Annexe) et les publications suivantes : Daniel
de Beer : « Loi Rwandaise du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives du crime de
génocide ou de crimes contre l’humanité. Commentaire et Jurisprudence », Kigali/Bruxelles 1999 ; “Manuel explicatif sur
la Loi Organique portant création des Juridictions Gacaca”; Cours Suprême, Département des Juridictions Gacaca &
ASF-B ; Kigali, Octobre 2001.

11

Leur élection a eu lieu entre le 4 et le 7 octobre 2001, et plus de 254.000 personnes ont été
élues. La formation de ces “personnes intègres” commencera au début 2002.
Il y aura quatre niveaux de juridictions pour les différentes catégories de crimes (2, 3 et 4)
jugés par les tribunaux Gacaca. Seules les catégories 2 et 3 pourront faire appel. Les jugements seront
alors examinés au plus haut niveau de l’administration, par le district et la province respectivement.
Les 9201 juridictions Gacaca des cellules rechercheront les faits, classeront les prévenus et
jugeront les cas de la quatrième catégorie (sans appel).
Les 1545 juridictions Gacaca des secteurs se chargeront des cas de la troisième catégorie.
Les 106 juridictions Gacaca des districts (anciennes communes) entendront les cas de la
deuxième catégorie et les appels de la troisième catégorie.
Les 12 juridictions Gacaca des provinces (anciennes préfectures) ou de la ville de Kigali se
chargeront des appels de la deuxième catégorie.
A chaque niveau de juridiction, trois structures coexistent :
1)
L’Assemblée Générale (au niveau de la cellule, l’ensemble de la population de
18 ans et plus, à chacun des autres niveaux, un groupe d’environ 50 à 60 “personnes
intègres” élues),
2)
Le Siège : 19 juges dans chaque juridiction,
3)
Le Comité de Coordination constitué de 5 personnes choisies parmi les 19
juges.
Les tribunaux Gacaca ne seront pas habilités à condamner à mort. Les condamnations des
personnes qui avaient entre 14 et 18 ans à l’époque des faits correspondront à la moitié de la peine
équivalente d’un adulte. Les enfants qui avaient alors moins de 14 ans ne seront pas jugés et seront
libérés.
A l’exception des prévenus de catégorie 2 qui refuseront d’avouer et de plaider coupable, il a
été décidé que la moitié de la peine de prison encourue par tous les autres prévenus de catégorie 2 ou
3 pourra être remplacée par une peine de travail d’intérêt général. Le temps passé en détention
préventive avant la condamnation sera déduit de cette peine.
Les prévenus de catégorie 4 n’encourent pas de condamnation. Si aucun accord ne peut être
trouvé pour la restitution des biens volés ou détruits, le Siège de la juridiction Gacaca de la Cellule
fixera le montant de la réparation.
Les personnes qui ont déjà été jugées par les tribunaux classiques ne pourront bénéficier des
remises de peine des juridictions Gacaca.
La coordination du développement de Gacaca semble poser certains problèmes19:
Le Ministère de la Justice est responsable de l’élaboration des textes de toutes les lois
(indemnisation20) et décrets (travaux d’intérêt général) relatives aux juridictions Gacaca, tandis que le

19 Voir PRI, RCN, ASF : Mise en place des juridictions Gacaca : Enjeux structurels et organisationnels ; Kigali, février
2001.

12

Département de la Cour Suprême chargé des Gacaca, appelé la 6ème Chambre, ne dispose d’aucun
pouvoir législatif. Les travaux d’intérêt général, bien que cruciaux pour le succès des cours Gacaca,
sont considérés comme une mesure d’exécution d’une peine (ce qu’ils sont de par la loi) et de ce fait
ne dépendent pas de la 6ème Chambre, mais du Ministère de la Justice21. Un décret présidentiel
concernant les travaux d’intérêt général a été préparé mais en janvier 2002 il n’était encore ni terminé
ni signé. De plus, le « Mininter » est à la fois responsable des prisons et du transfert des prévenus
alors que « Minifin » (le Ministère des Finances) contrôle et distribue le budget Gacaca.
La 6ème Chambre, avec le soutien de l’ONG Avocats sans frontières (ASF), a produit en
octobre 2001 le premier manuel de formation pour les juges Gacaca. La formation de ces milliers de
juges doit avoir lieu en mars et avril 2002. Le rôle de ce département et de ces équipes d’agents
appelés « agents décentralisés » est de conseiller et appuyer les juridictions Gacaca.
Le Parquet ne jouera qu’un rôle d’information en fournissant des résumés de tous les dossiers
de recherche sur le génocide (fiches)22 aux tribunaux Gacaca concernés. Il avait été prévu de préparer
les dossiers de tous les détenus avant fin 2001 et d’accélérer la préparation des fiches pour les cours
Gacaca23, objectifs qui se sont révélés trop ambitieux en raison du manque de personnel qualifié
disponible.
Pour régler l’énorme dossier du génocide et pour accélérer le processus juridique, le Parquet
(soutenu par l’ONG RCN) a commencé, fin 2000, à régulariser la situation des détenus sans fiches
ou aux fiches incomplètes, à l’époque encore nombreux. Certains d’entre eux furent ensuite
présentés à la population des communautés des collines où il était présumé qu’ils avaient commis
leurs crimes. La population était invitée à témoigner en leur faveur, ou contre eux. A la suite de ces
confrontations pré-Gacaca, certains furent relâchés “à titre provisoire” si aucune preuve de leur
participation à des crimes majeurs lors du génocide n’avait pu être établie.
Ce nouveau système Gacaca se base sur une justice participative et sur les vertus de
réconciliation qui lui sont attribuées. Selon le Ministère de la Justice, la population qui se trouvait
dans les collines pendant le génocide sera “témoin, juge et partie”.
20 L’Assemblée nationale a voté un fonds d’indemnisation en tant que mesure de réparation envers les victimes du
génocide, pour compenser les épreuves passées. Un projet de loi a été ébauché pour indemniser les rescapés, mais peu de
choses ont été faites pour faire déboucher ce projet. Cf. « Projet de Loi portant création, organisation et fonctionnement
du Fonds d’Indemnisation des Victimes des infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre
l’humanité commises entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 . » et le rapport d’ASF/MINIJUST au sujet du
« Séminaire sur la réparation pour les victimes du génocide et des crimes contre l’humanité commis au Rwanda entre le
1er Octobre 1990 et le 31 Décembre 1994 » ( Kigali, du 07/06 au 09/06/2000).
21 Voir le rapport du “Séminaire sur les Travaux d’Intérêt Général » organise par le ministère de la justice en coopération
avec Penal Reform International (Kigali, 11-12 janvier 2000) et les divers projets de décrets sur les travaux d’intérêt
général. La dernière version est datée d’août 2001 : « Projet d’Arrêté Présidentiel relatif à la peine alternative à
l’emprisonnement de Travaux d’Intérêt Général ». Certains spécialistes auraient préféré que ces travaux soient définis par
une loi et que les questions légales qui s’y rapportent soient débattues et tranchées au parlement, et non sur ordre
présidentiel.
22 Certains observateurs ont exprimé leur inquiétude quant à ce “rôle informatif” présumé du Parquet, en raison de
l’impact potentiel des “fiches” écrites sur le processus de prise de décision des juges. Selon eux l’impact de ces fiches
pourrait devenir trop important, car elles pourraient donner aux juges une forte impression de la culpabilité des prévenus,
en particulier lorsque des preuves substantielles sont mentionnées dans ces fiches. Cf. : “Appendice au rapport
d’évaluation par Karl Peter Puszkajler et Joachim Kaetzier. L’introduction de gacaca et l’impact du projet des avocats de
la défense”; DCHR, janvier 2000.
23 Voir « Analyse des opérations de remplissage et de saisie à l’ordinateur des fiches destinées aux Juridictions Gacaca »,
Kigali, 13 novembre 2001. A cette date seul un quart des fiches étaient terminées.

13

En fait, ces juridictions Gacaca combineront les pouvoirs des anciens tribunaux Gacaca
traditionnels, des tribunaux ordinaires et même du Procureur de la république. Selon la loi Gacaca,
ces juridictions sont habilitées à mener des enquêtes, assigner à comparution, faire des perquisitions,
ordonner des détentions préventives, prononcer des sentences, évaluer les dommages et confisquer
des biens.
Si le nom de ces nouvelles “juridictions Gacaca” s’inspire, comme il est dit plus haut, d’un
système traditionnel de résolution de conflits qui porte ce nom, elles sont bien différentes du modèle
original, auquel participait en principe l’ensemble de la communauté mâle (les femmes et les jeunes
n’y participaient pas directement). Le Gacaca traditionnel avait pour objectif principal “non pas de
déterminer la culpabilité ni d’appliquer la loi de l’Etat (…) mais de rétablir l’harmonie et l’ordre social
dans une société donnée, et d’y réinsérer la personne qui était source de désordre”24. La plupart des
conflits réglés par le Gacaca étaient d’ordre civil, concernant les droits de propriété, les problèmes
matrimoniaux, les atteintes aux biens, etc.
Il pouvait également régler certains délits mineurs, comme des larcins. Les sanctions
permettaient de régler les conflits, par exemple par le paiement d’une compensation. Non seulement
l’individu, mais sa famille entière, étaient tenus pour responsables de ses actes. Les crimes sérieux
comme le vol de bétail ou les assassinats étaient en général réglés par le roi (mwami).
Avec le temps, les Gacaca traditionnels devinrent plus formels. Des Gacaca de ce type
continuent à fonctionner aujourd’hui à Kigali ainsi qu’ailleurs dans le pays, où ils règlent des conflits
mineurs comme par exemple la propriété d’un logement à la suite d’un divorce, l’occupation illégale
d’une maison (à Kigali), ou dans les campagnes la restitution d’une vache, la division d’une parcelle
ou d’un champ, le refus d’honorer la promesse de réparer une maison, ou une dette impayée. Les
juges, aujourd’hui des notables locaux, entendent les deux parties impliquées dans la dispute, posent
des questions, puis écoutent les interventions des membres de la communauté qui le souhaitent. Les
juges résument les faits et parviennent à une conclusion. Ils demandent aux deux parties d’accepter le
verdict. Si elles l’acceptent, le procès est clos, sinon, de nouvelles investigations peuvent être
entreprises, ou le cas peut être transféré à un tribunal classique. Les conclusions sont notées dans un
registre et signées par les parties impliquées25.
En principe, Penal Reform International (PRI) – qui s’intéresse énormément au rôle joué par les
systèmes de justice traditionnels et informels dans l’accès à la justice des populations d’Afrique et

24 Vandeginste, Stef: “Justice, Reconciliation and Reparation after Genocide and Crimes against Humanity: The proposed
establishment of popular Gacaca Tribunals in Rwanda”, Addis Ababa, 8-12 November 1999 (Conférence).
25 Cela pourrait être une bonne idée de donner à ces tribunaux la mission de régler les petits différends qui peuvent naître
au sein des communautés pendant et après les procès Gacaca, en raison de ceux-ci, par exemple à propos des travaux
d’intérêt général, ou entre prisonniers libérés et survivants, etc. L’Afrique du Sud a une grande expérience non seulement
de réconciliation, avec sa Commission de Vérité et de Réconciliation, mais aussi d’autre modèles de résolution de conflits
dans la communauté, qui pourraient être très utiles dans un contexte où l’héritage du génocide est encore vivace
(sentiments d’insécurité, de dépendance, et désir de représailles) mais où après Gacaca les membres d’une même
communauté devront coopérer à nouveau. Par exemple, le programme Community Peace Programme (CPP) travaille sur
l’établissement de la paix dans des communautés semi-rurales et urbaines d’Afrique du Sud. Le but de CPP est de
changer la mentalité dominante par des formations et des travaux pratiques : d’une mentalité où les gens croient que la
violence est la seule solution, et où l’Etat répond par la force, à une situation où les gens sont aptes à résoudre leurs
problèmes avant que ceux-ci ne relèvent de la police et des tribunaux. Si les cours Gacaca plus traditionnelles citées plus
haut ne peuvent faire cela, d’autres institutions devraient être établies pour remplir ce rôle.

14

d’ailleurs26 – n’est pas favorable à la superposition ou au mélange de systèmes judiciaires formels et
informels. D’après des expériences tentées dans d’autres pays africains, PRI considère que les forums
informels devraient rester séparés du système juridique traditionnel et que seules les cours formelles,
avec toutes les précautions de procédure nécessaires, devraient juger les personnes, ainsi que lorsque
la peine encourue est sévère (comme l’emprisonnement).
Au Rwanda cependant, il est impossible de mener ceci à bien, du seul fait du nombre de
prévenus et la situation actuelle du Rwanda représente un cas exceptionnel (Stevens, 2000, p. 156) où
la théorie doit s’incliner devant la réalité. Ainsi PRI soutient-elle la proposition du gouvernement
rwandais de créer des tribunaux Gacaca informels, dont les décisions seront appliquées par l’Etat.
Comme nous l’avons vu, les tribunaux Gacaca n’opéreront pas dans un cadre procédural et légal
aussi strict que celui des tribunaux traditionnels, mais précisément pour cette raison, seront beaucoup
plus rapides et moins coûteux. Il reste néanmoins évident que les personnes accusées de crimes
pouvant les mener en prison du fait de la loi sur le génocide, doivent être jugées avec toutes les
précautions de procédure considérées comme nécessaires à l’équité du procès.
Ce programme Gacaca intervient dans un contexte de développement beaucoup plus large
qui est pour le moment encore caractérisé par un très haut niveau de pauvreté, ce qui peut entraver la
réalisation des principaux objectifs sociaux du gouvernement, comme de restaurer la confiance dans
les institutions rwandaises (dans le système juridique, entre autres) ou parvenir à réconcilier les
populations.

2.1.2. le travail d'intérêt général
Nos recherches pendant le second semestre 2001 ont prouvé que l’information sur ce sujet
est quasi inexistante.
D’après la loi Gacaca, une peine de travaux d’intérêt général est une peine alternative à
l’emprisonnement prononcée par les juridictions Gacaca, par laquelle les personnes reconnues
coupables d’un crime de génocide ou d’un crime contre l’humanité peuvent être condamnées, avec
leur assentiment, à exécuter un travail non rémunéré au sein de la communauté pour une durée
déterminée, dans une institution d’accueil.
Comme le montre le tableau en annexe 1, le choix de remplacer la deuxième moitié d’une
peine de prison par une période équivalente de travaux d’intérêt général s’applique seulement à
certaines catégories de condamnés : ceux de catégorie 2 qui ont avoué, et tous ceux de la catégorie 3.
Comme pour les juridictions Gacaca en général, l’introduction des travaux d’intérêt général a
pour but de combattre l’impunité, de réparer le tissu social et de promouvoir la réconciliation. Au
delà de ces objectifs généraux, on espère également :
- inciter à la confession des crimes, en particulier pour les prisonniers de
catégorie 2,
- résoudre le problème de la surpopulation carcérale, et en réduire le poids sur
le budget de l’Etat.

26 Cf. plus bas, ainsi que les analyses de documents de Joanna Stevens pour Penal Reform International : “Traditional
and Informal Justice Systems in Africa, South Asia, and the Caribbean”, PRI: Londres/Paris 1998 et “Traditional and
Informal Justice Systems & Access to Justice in Sub-Saharan Africa”, PRI: Londres/Paris 2000.

15

- participer à la réhabilitation sociale des détenus et employer cette force de
travail pour contribuer au développement du pays.
La tragédie du génocide s’est déroulée il y a seulement sept ans, l’émotion qu’elle a engendrée
est encore très forte et beaucoup de gens, victimes ou non, en sont encore profondément
traumatisés. Cela fera des travaux d’intérêt général au Rwanda une expérience radicalement différente
de celle d’autres pays, principalement car ce type de sanction est habituellement réservé à des
délinquants purgeant des peines courtes et qui ne représentent pas un risque pour la société.
Au Rwanda, les peines de TIG sont même proposées pour certains prisonniers de catégorie
2, qui ont été gravement impliqués dans le génocide et les massacres, mais qui ont entièrement avoué
leurs crimes à la satisfaction des tribunaux locaux.
Dans les campagnes en général, la population ne sait encore rien du fonctionnement des
sentences de TIG proposées comme alternative à l’emprisonnement. Les détenus interrogés en ont
entendu parler, sans en connaître les détails et la plupart apprécient cette solution comme alternative
à la prison mais elle en rend certains mal à l’aise, car ils craignent des actes de vengeance.
La population Tutsi (survivants et réfugiés rentrés d’exil) était généralement choquée
d’entendre dire que même des meurtrier pouvaient être ainsi mis en liberté conditionnelle, et
retourneraient donc dans leur ancienne communauté comme de simples voisins.
D’après certains survivants, « il est inconcevable qu’une personne qui a tué puisse bénéficier
d’une remise de peine, il est impensable que l’on doive vivre avec une telle personne… » ; « lorsqu’ils
reviendront vivre parmi nous, ils pourraient nous exterminer ! » ; « ces gens pourraient s’échapper à
nouveau… » ; ils demandent aussi : « quels bénéfices retireraient les survivants de ces travaux
d’intérêt général ? » 27.
Voici d’autres exemples :
Témoignages 1 – Rescapés
C’est inconcevable qu’une personne qui a tué ait une faveur de diminution de sa peine, c’est impensable
de pouvoir cohabiter avec elle et cela risque de provoquer un autre génocide.
Est-ce que je pourrais dormir tranquillement en le (mon propre criminel) voyant tout le temps à côté de
moi ? Est-ce que je pourrais cohabiter avec mon tueur ? Pour moi il devrait rester en détention au cachot
ou en prison.
Ces gens risquent de se réfugier de nouveau.
Je n’attends rien de bon de ces travaux ; il faut mettre ces types dans un endroit où je ne les vois pas
ainsi nous serons tranquilles.
En exécutant la peine de cette façon, à qui vont profiter ces travaux ? L’Etat ou le rescapé ? Est ce des
TIG que les détenus vont faire seront pour l’intérêt des orphelins ou des veuves du génocide ? Il vaudrait
mieux les garder en prison. Le TIG pourra créer des problèmes aux rescapés qui verront à côté d’eux des
personnes qui ont tué les leurs.

27 Nous recommandons que la question du lien entre TIG et développement local soit examinée, particulièrement pour
voir comment en faire bénéficier les rescapés et d’autres groupes vulnérables.

16

De l’autre côté, le TIG aidera à diminuer le nombre de personnes qui consomment le budget de l’Etat
Mais, l’Etat, est ce qu’à son tour il va indemniser le rescapé ? Quels avantages le rescapé va tirer de ces
travaux ? C’est l’Etat qui les soutient, ils n’ont qu’à continuer à travailler pour lui et qu’ils restent là-bas.
Ces travaux ne vont pas servir aux rescapés (…) nous avons l’expérience avec les fameux fonds
d’assistance aux rescapés.
Le rescapé n’aura rien. (…) Pourquoi alors le prisonnier ne viendrait pas travailler directement pour le
rescapé ? Ce serait une sorte d’indemnisation.
C’est une bonne chose de faire sortir des détenus pour aller travailler, mais, ça devrait se faire pour les
personnes qui ont avoué leurs crimes et qui ont demandé pardon.
Il pourra y avoir des détenus qui seront à plus de 10 km du lieu d’exécution des travaux, dans ce cas que
deviendra le rendement de ces travaux ?
Mais pour le cas de celui qui demande réellement pardon, on n’a qu’à le libérer au lieu de dire qu’il vienne
exécuter une peine tout près de chez moi.

Témoignages 2 – Détenus
Nous avons reçu des explications et c’est une bonne chose.
Nous avons apprécié cette alternative d’emprisonnement, le TIG est à soutenir.
Mais, il y aura des gens qui ne pourront pas les exécuter notamment les vieilles personnes, les malades,
les dames et bref, tout le groupe de vulnérables.
Est-ce que l’affectation des détenus dans les TIG tiendra compte de leurs capacités ? Est-ce que les
services (médecins, enseignants…) sont aussi prévus ? Proposition : un détenu médecin ou un
enseignant peut travailler 2 à 3 jours comme peine et le reste comme travail à rémunérer et cela pourra
aider la famille … et ce serait une voie de réconciliation.
Inquiétude : pour le cas du rescapé qui a peur de cohabiter avec le détenu de la 2ième catégorie mis en
liberté provisoire pour exécuter le TIG, que fera l’Etat si les gens comme lui deviennent nombreux et s’ils
persistent dans cette vision ?
Sur la question d’inquiétude des rescapés sur leur cohabitation avec les criminels : c’est peut-être fondé
(…) mais les inquiétudes se trouvent des deux côtés et cela soulève le problème de pardon.

Répondre à ces craintes est nécessaire pour que la population comprenne la situation, en
particulier les survivants et les prisonniers. L’information sur les juridictions Gacaca s’améliore,
quoiqu’elle soit encore insuffisante, mais ce n’est pas le cas à propos des TIG. C’est surtout parce
que le concept de « travail en tant que punition » était courant pendant la période coloniale, sous le
nom de « travaux forcés » et qu’il rappelle aussi la relation d’exploitation « patron-client » courante
autrefois au Rwanda sous le nom de « ubuhake » 28, qu’il est absolument nécessaire de bien faire
comprendre ce que sont ces travaux d’intérêt général.
De nombreuses craintes ont été exprimées à propos du fait que les cours Gacaca vont bientôt
commencer à fonctionner et que pratiquement rien n’a été fait au sujet les travaux d’intérêt général.
Imaginez que les cours Gacaca commencent à fonctionner et que les prisonniers choisissent
Cf. sur le développement de la relation ubuhake à travers le temps: Newbury, Catherine: “The Cohesion of Oppression.
Clientship and Ethnicity in Rwanda, 1860-1960”; New York, CUP 1988 et Vansina, Jan: “Le Rwanda ancien. Le royaume
nyiginya »; Paris: Karthala, 2001.
28

17

d’effectuer des travaux volontaires pour le bénéfice de la communauté pendant un nombre d’heures
déterminé par la cour Gacaca au lieu d’aller en prison. Si certaines conditions préalables ne sont pas
remplies et si le système de TIG n’est pas en place, cela pourrait entraîner l’échec du programme
Gacaca29 car une très grande méfiance pourrait s’emparer de la population qui refuserait alors de
participer sincèrement et honnêtement.
De nombreuses institutions auront probablement besoin d’investissements supplémentaires
pour pouvoir intégrer des personnes (hommes ou femmes) purgeant une peine de TIG, de manière à
ce qu’ils puissent faire un travail utile à la communauté. Si cela n’est pas bien organisé, et qu’il n’y a
rien à faire pour les condamnés dans cette institution, ce placement pourrait être perçu comme une
option vraiment indulgente, voire une amnistie déguisée.
La mise en place du TIG soulèvera de nombreuses questions30, qui doivent être examinées
soigneusement et auxquelles il faudra trouver une solution. Si toutes les précautions ne sont pas
prises pour tenir compte des besoins et des sentiments des victimes et de leur famille, ce mécanisme
pourrait devenir contre-productif, au moins dans certains de ses aspects.
En outre, le nombre de personnes potentiellement impliquées, le déroulement du processus
sur plusieurs années, la durée potentielle des peines et le très court délai avant que les premières
sentences ne soient prononcées contribuent à en faire un problème très particulier et complexe.
L’aspect sécurité doit être débattu en profondeur par les ministères responsables de la police
nationale et des forces de défense locales, respectivement le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de
l’Administration locale. Cela ne s’applique pas seulement à la situation en dehors des prisons mais
aussi à l’intérieur de celles-ci, point sur lequel le Ministère de l’Intérieur détient une grande
responsabilité.
L’inquiétude pour le futur chez les populations Tutsi en général et chez les survivants du
génocide en particulier se traduit par un fort sentiment d’insécurité au sein de ce groupe, surtout
parmi les plus vulnérables comme les femmes et les personnes âgées. Ceci est particulièrement lié à la
libération conditionnelle des détenus de catégorie 2 qui seront passés aux aveux et auront une peine
de travail d'intérêt général à effectuer.
Témoignages – Rescapés et leurs familles
Maintenant nous vivons à peine et dans l’insécurité… nous sommes mal vus, … nous ne sommes pas
écoutés.
Les Tutsi sont très peu nombreux dans l’ensemble de la population et nous avons peur de ces gens.
Les autorités de base, ce sont des types qui ont été élus par la masse composée majoritairement des
Hutu, nous n’avons par exemple qu’un seul responsable Tutsi parmi tous les gens élus dernièrement.
Le juge rescapé se sentira dans l’insécurité.
Il faut faire attention à la sécurité des gens qui vont témoigner.

29

Cf. une lettre de PRI du 1er février 2001 au Ministère de la Justice.

Cf. le rapport PRI “Rapport sur les travaux d’intérêt général au Rwanda”, Kigali/Paris, avril 2001. Il montre qu’au côté
des ministères qui seront impliqués dans le programme TIG, plusieurs organisations sont prêtes à jouer un rôle dans un
tel programme, mais peu sont prêtes à lancer quelque chose, en pratique, tant que le décret TIG n’a pas été publié et
adopté.

30

18

On dit que la sécurité des gens est prévue lors des procès Gacaca, si ce sont les « local defence
forces31», on ne pourra pas avoir confiance en eux ; Les « local defence » peuvent être aussi accusés car
ce sont des enfants de ces criminels qui sont en prison ou à l’extérieur.
Nous sommes des vieilles personnes éparpillées ici et là, sans aucune force de se défendre.
Il y a des gens qui viennent de passer de longues années en prison alors qu’ils sont innocents, ils ont été
arrêtés suite aux faux témoignages (…) Vous ne trouvez pas que les innocents que nous avons chargés
pourront nous en vouloir et même nous faire mal ?

2.1.3. Le manque de sensibilisation de la population
Alors que nous pensons que l’acceptation et le succès des cours Gacaca dépendra en grande
partie de la façon dont elles seront connues et comprises du public, l’information de la population en
général, des détenus et des survivants du génocide demeure insuffisante malgré des débats à ce sujet
depuis plus de deux ans.
Même si la plupart des gens étaient au courant de l’arrivée des juridictions Gacaca, en maijuin 2001 peu connaissent bien la loi Gacaca (votée quelques mois auparavant) : ils font mal la
distinction entre les différentes catégories de crimes et les peines appliquées à chacune, ils
comprennent mal les dispositions de cette loi concernant la procédure d’aveux et le plaidoyer de
culpabilité, et n’ont pas la moindre idée de ce que représentent les “travaux d’intérêt général” comme
alternative à la peine de prison. Nos conclusions correspondent à celles d’autres études32, même si les
nôtres semblent encore moins positives, en partie probablement parce que notre étude s’est déroulée
parmi la population rurale de Gitarama qui possède un niveau d’éducation relativement bas.
Même si globalement les juridictions Gacaca ont été accueillies avec bienveillance, en partie
parce qu’elles étaient perçues comme une décision du gouvernement contre laquelle on ne pouvait
rien, et aussi parce que tout le monde était d’accord sur le fait que le processus de justice classique
demande trop de temps, le programme Gacaca dans son ensemble a tout de même souffert d’une
mauvaise information, de la méfiance, du doute et du désintérêt de la population. Nous avons été
intéressés et inquiets de constater que notre étude indiquait qu’une meilleure connaissance du
processus Gacaca n’améliorait pas l’attitude de la population envers les Gacaca. Au contraire, ceux
qui étaient mieux informés avaient plutôt moins confiance dans les juridictions Gacaca que les
autres33, ce qui soulève des interrogations fondamentales quant au développement futur des
campagnes d’information.

31 Les Forces de défense locales, communément appelées Local Defence sont des forces de police locales, volontaires et
non professionnelles mais armées.
32 Centre de Gestion des Conflits, Ministry of Justice & John Hopkins University: ”Perceptions about the gacaca law in
Rwanda : evidence from a multi-method study”; Kigali, avril 2001 et Schotsmans Martien: “A l’écoute des rescapés.
Recherche sur la perception par les rescapés de leur situation actuelle » ; Kigali : GTZ, décembre 2000.

33 Cf. la première publication mentionnée dans la note n°32

19

A ce jour, la plupart des études n’ont pas posé de questions sur leur appartenance ethnique
aux personnes interrogées ou n’ont pas inclus ce facteur dans leurs analyses des résultats34. Nous
nous sommes aperçus que la façon dont la population perçoit les choses dépend énormément de son
identité ethnique et de l’expérience vécue lors du génocide, ce qui nous a conduit à prendre en
compte ce facteur, parmi d’autres, dans l’élaboration de cette étude35.
Témoignages 1 – Rescapés et autres
Nous ne sommes pas contre qu’il soit réalisé, le projet Gacaca traîne.
Pratiquer Gacaca c’est pour minimiser le génocide. Parce que Gacaca était pour les infractions mineures
comme le vol, les insultes…
On sait que c’est la manipulation de l’Etat, c’est toujours créer les moyens d’avoir de l’argent de la part
des Gouvernements étrangers.
Tous ceux qui ont des gros ventres travaillent dans la juridiction Gacaca.
Nous souhaitons que ces gens qui ont tué les nôtres soient gardés en prison et qu’ils soient libérer plus
tard.
Les peines prévues par la loi de Gacaca sont légères… ces gens seront libérés trop vite.
Pourquoi le Gacaca ? On l’a déjà réalisé à partir du moment où les prisonniers sont en train de se balader
à l’extérieur.
Quand ils reviendront cohabiter avec nous ils pourront nous exterminer !
Nous les rescapés nous étions cachés et nous n’avons rien vu. Les gens en prisons, sont eux qui
connaissent bien la situation. Nous avons l’espoir qu’ils vont dire la vérité, mais si ce n’est pas le cas ?
Les Hutu qui sont restés sur les collines pendant le génocide devraient être interrogés car ils savent très
bien les gens qui ont tué les nôtres.
On ne croit pas à ce que disent les rescapés.
Les rescapés peuvent seulement indiquer les pistes lors des interrogatoires. C’est le groupe des criminels
qui doit dire la vérité.
C’est l’Etat qui a préparé le Gacaca tout comme c’est l’Etat qui a préparé le génocide.
Les femmes n’ont aucune facilité pour parler du problème de viol.
Dans le cas où les détenus seraient présentés à la population que se passera t’il quand le nombre de
rescapés sera infime sur la colline par rapport au grand nombre des membres des familles des détenus ?
Est-ce que vous pensez que quelqu’un pourra dénoncer son enfant, son ami ou son beau-frère ? Il y a
une inquiétude sur ce cas.
Il y a des gens qui ont été tués dans d’autres communes, comment connaîtra-t-on les criminels ?
Nous voyons les détenus sortir car nous habitons tout près de leur lieu de passage, tu demandes à
quelques uns de te dire qui a fait cela [tué] ; il te répond que ce sont des gens de Byumba. Et qui a donc
tué les enfants alors qu’ils étaient avec les tiens ? Et mes vaches, qui les a séparées des tiennes pour
aller les tuer ?
On libère un détenu et il vient sensibiliser les autres qui sont à l’extérieur à ne rien dire.
34 La publication mentionnée dans la note (33) ne s’attaque pas à cette question, et bien que l’étude Liprodhor l’ait fait,
elle n’a pas utilisé ces données pour son analyse : Liprodhor: “Juridictions Gacaca au Rwanda. Résultats de la recherche
sur les attitudes et opinions de la population rwandaise” ; Kigali, 2000.
35 Pour une discussion de la “question ethnique”, voir plus bas.

20

nous qui sommes seuls, qui va nous soutenir ?
Lors du Gacaca il faudra amener les dossiers de ces gens et les lire devant la population. Ils pourront se
dénoncer comme ils l’ont déjà fait quand on constituait leurs dossiers.

Témoignages 2 – Détenus
Le processus entamé est bon en soi mais il faut accélérer pour que les gens aient plus de confiance en
elles.
Le calendrier du projet Gacaca doit être respecté.
Espérons que Gacaca aura lieu sans tarder.
Confiance au projet Gacaca : le Gacaca leur permettra de se positionner c’est à dire avoir une libération
ou savoir combien d’années d’emprisonnements après les jugements.
Femme : elle ne connaît pas les avantages prévus par la loi sur le Gacaca, mais elle a espoir que ces
tribunaux pourront changer la situation (détention qui dure longtemps) vécue jusqu’à présent.
On doit sensibiliser les diverses couches de la société sur la réussite de ce projet (Gacaca), plus de
sensibilisation, aussi pour les rescapés.
Il pourra y avoir une sensibilisation des gens pour qu’il témoigne plutôt à charge qu’à décharge des
détenus.
Il craint que un groupe d’intimidateurs [rescapés] puisse se constituer.
Les avantages du projet Gacaca peuvent être sabotés même par les autorités de mauvaise intention.
L’Etat n’est pas un Etat de droit, il est guidé par les sentiments. C’est un Etat d’un petit groupe : les
rescapés… La justice actuelle est trop penchée du côté des rescapés ce qui provoque l’impunité de ces
derniers. Aussi longtemps que ce sera ainsi, on n’espéra pas grand chose de cette justice (Gacaca).
Quelle serait l’intervention de la communauté internationale s’il y a des « imperfections » dans la défense
des droits des détenus ?
Pourquoi cette prolongation de la durée du génocide : on dit que le génocide a commencé le 1/10/90 pour
terminer le 31/12/94 ? Pourquoi pas fin juin 1994 !
Gacaca ne va pas réussir si on ne considère pas que le génocide a commencé dès l’entrée des militaires
de FPR en 1990 et après leur réussite de 1994 ; parce que ces derniers devraient aussi être considérés
comme génocidaires car ils ont exterminé en masse les Hutu.
Le Gacaca traîne ; il n’est pas évident que la vérité prendra sa place ; n’y aura-t-il pas des intimidations ?
Le Gacaca pourra bien séparer de ses descendants ou tous seront punis pour un crime commis par une
seule personne (question de complicité) ; nous sommes arrêtées pour les crimes de nos enfants ou maris
(question de responsabilité individuelle ou collective).
Différence génocide - simples tueries pas claire.
Les détenus pourront se défendre ?

D’après les réponses concordantes souvent entendues lors de nos recherches pour la période
concernée, il paraît évident que les survivants du génocide et les réfugiés de retour d’exil même si ils
ne s’y disent pas réellement opposée, ne croient pas beaucoup dans le potentiel ou les “bienfaits”
annoncés de la juridiction Gacaca.

21

Ces groupes reprochent au régime de l’époque d’avoir organisé le génocide et accusent
maintenant le gouvernement “de libérer de dangereux criminels qui devraient rester en prison”. Ils
doutent que la vérité soit établie car les rares survivants n’ont pas vu grand-chose qui puisse servir de
preuves, et doutent de l’intention des détenus et de leur famille de parler. Ils ont insisté énormément
sur le fait qu’ils se sentaient très en danger et abandonnés de tous, même de leurs propres organismes
comme Ibuka.
Le reste de la population (en particulier les détenus et leur famille) se montre beaucoup plus
positive : selon eux les cours Gacaca peuvent accélérer les procès, permettre de relâcher les innocents
(la grande majorité des détenus selon eux) et punir les véritables criminels. Mais ils ont également des
doutes quant au rôle de l’Etat et l’impartialité des procès. Ils se plaignent de la lenteur du processus
et du manque d’efforts faits pour améliorer leur information.
La seule source d’information de la population des zones rurales de Gitarama, Butare et
Umutara, a été jusqu’ici la radio. Les gens sont ainsi au courant que Gacaca va être mis en place “un
de ces jours,” ce qui engendre beaucoup de scepticisme et sans apporter d’amélioration substantielle
à la qualité de l’information concernant cette initiative36. Bien que les cours Gacaca aient été
mentionnées régulièrement au cours des réunions et par les autorités locales, ce fut toujours d’une
façon très générale (“c’est bien…”), sans beaucoup plus d’explications.
Les efforts faits par les départements responsables des campagnes d’information sur les cours
Gacaca n’ont pas eu le succès escompté dans ce domaine et on peut douter que cette sensibilisation
ait été à ce jour une priorité suffisante lors des discussions avec la population. Il semble que les
programmes d’information ne se basent pas sur une approche ouverte et interactive, et que les
populations ont parfois l’impression d’être contraintes d’accepter le programme Gacaca37 plutôt que
d’y être sensibilisées et intéressées.

2.2. La « pré-Gacaca »
2.2.1. Les présentations de détenus à la population38
L’équipe de recherche PRI a assisté et participé à plusieurs présentations de détenus à la
population. Il s’agissait de la deuxième phase d’un projet du Parquet, appuyé par RCN.
Pendant la première phase, 20.000 dossiers ont été identifiés, modifiés, complétés ou créés,
officialisant la situation légale de nombreux détenus dont les dossiers étaient incomplets ou
inexistants39. Les détenus qui souhaitaient s’inscrire pour la procédure d’aveux ont pu le faire. Si
36 Par exemple lorsque la radio mentionnait que le Ministre de la justice, assistant à une présentation de détenus sans
dossiers à la population d’une commune de Cyangugu pour établir qui en étaient les coupables et les innocents, était
intervenu en faisant arrêter sur le champ certaines personnes qui avaient été désignées comme des complices de crimes
restées en liberté.
37 Le fait qu’au cours des derniers mois des centaines de jeunes gens, chômeurs pour la plupart, aient été plus ou moins
raflés contre leur gré, pour suivre dans des camps de solidarité une sorte de “formation Gacaca” de plusieurs mois,
souligne ce point.
38 Voir : Klaas de Jonge : « Recherche sur la pré-Gacaca », PRI, Kigali, février 2001.
39 Si nombreux que les statistiques officielles sont traitées comme hautement confidentielles, quasi secrètes, ce qui
signifie probablement que le pourcentage de détenus sans dossier (des prisonniers qui n’ont jamais rencontré un
OMP/ « Officier du Ministère Public ») doit être élevé au point d’en être embarrassant.

22

18.000 de ces dossiers doivent encore faire l’objet de recherches supplémentaires, ce premier résultat
représente un grand succès et démontre qu’avec cette méthode il serait possible d’accélérer
considérablement les recherches préliminaires et de mettre à jour les dossiers de tous les prisonniers
rwandais en détention préventive en deux ans environ. 40
Pendant la deuxième phase, des 1.800 prévenus contre lesquels on n’avait pu réunir assez de
preuves de leur participation au génocide (en particulier ceux classés en catégorie 4, ainsi que des
mineurs et des personnes âgées), 800 ont été présentés à la population. 200 d’entre eux environ ont
bénéficié d’une mise en liberté provisoire et les autres (environ 600) sont retournés en prison avant
de comparaître en 2002 devant les cours Gacaca. Même s’il s’agit d’un nombre relativement restreint,
il nous permet de mieux comprendre le fonctionnement du “vrai” processus Gacaca et les problèmes
éventuels qui peuvent se présenter. La population n’a pas participé massivement à ces présentations,
plus cependant dans certains districts que dans d’autres, et de façon croissante. (Voir l’annexe 2 pour
une description détaillée de l’une de ces premières présentations.)
L’introduction de ces confrontations (en kinyarwanda) par le Procureur général (PG) et ses
assistants a été un moment capital, car c’était souvent la première fois que la population et les
prisonniers recevaient une explication longue et détaillée de la Gacaca et de ses préparatifs, présentée
dans le contexte de l’histoire récente du Rwanda, d’une façon accessible et distrayante
(Ntongwe/Gitarama, mai 2001).
Enregistrements – traduction du kinyarwanda
Procureur Général (PG) : En 1994 Kinani [surnom de Habyarimana] fut abattu dans l’avion par des
inconnus.(…) les extrémistes ont saisi ce prétexte pour arriver à leur mauvais objectifs d’extermination.
Ainsi sont devenus célèbres les Bagosora, les Nahimana Ferdinand dont vous entendez souvent les
noms à la radio et autres gens du Nord. Ils ont décidé de mettre en place le Gouvernement des
Banyenduga pour mieux les manipuler. Ils ont intronisé Sindikubwaboà la présidence. C’est lui qui a fait
décimer les Tutsi de Butare, je mens ? Il a mobilisé les meilleurs massacreurs jusque vers le 20 et quand
il est arrivé à Butare, beaucoup d’entre vous l’ont entendu à la radio quand il disait « Eh les gens de
Ndora, qu’attendez-vous pour commencer ? » Ils sont partis avec la Garde Présidentielle de
Habyarimana, ils ont terrorisé les gens, celui qui avait peur de tuer était tué à son tour. Le 21 avril, ces
événements ont eu lieu ici à Ntongwe, rappelez-vous, tout le convoi protocolaire est passé par ici, la suite
funéraire du corps de Habyarimana est passée sur cette route, vous avez vu ça, n’est-ce pas ? N’est-ce
pas ici que les tueries ont commencé deux jours après ce passage ? N’est ce pas ici que l’on tuait les
gens sur base de leurs physionomie, en tirant seulement sur eux sans même trop savoir s’ils étaient
Tutsi ?
- Oui , nous avons vu ça ! dit un paysan.
Et on a soutenu les interahamwe de cette région en leur versant de grandes sommes d’argent et en leur
disant de bien continuer leur travail. Bagosora n’est -il pas passé par ici ? Ici sur cette même route ? On a
semé en vous un mauvais fruit et puis ils sont partis. Maintenant il sont en Europe, en Amérique et que
sais-je encore. On vous a trompé, vous vous êtes entretués. Les rwandais eux-mêmes ont détruit leur
propre pays, mais chaque chose a une fin, tout le monde qui tuait pensait que ça allait se terminer comme
ça sans autres conséquences.
Notre pays s’est toujours distingué par l’impunité. Les gens ont été tués depuis les années 1960 jusqu’en
1973 ; puisqu’on tuait un Tutsi, c’était normal. Depuis 1973 jusque 1990, si c’était normal, depuis 1973
jusque 1990, si c’était un Tutsi ou un Munyenduga, c’était normal. Vous comprenez ça, vous ? je voudrai
vous dire, Rwandaise, Rwandais mes compatriotes, que ces temps d’impunités sont révolus. L’objectif de
cette rencontre d’aujourd’hui est de révéler la vérité, le mensonge et les intrigues sont démodés.
40 Cf.: RCN: « Projet AID-PJG – Résultats cumulatifs (Du 19 mars au 21 septembre 2001) », Kigali, septembre 2001.

23

Les débats sur certains groupes de détenus ont aussi donné une idée de ce à quoi il fallait
s’attendre lors des véritables procès Gacaca (cas d’un détenu dont le dossier était presque vide) :
Enregistrement – Traduction du kinyarwanda
P.G. : Ces 2 filles-là derrière venez ici. Ces 2 dames. Celles-là, celles-là, là. Asseyez-vous. Il y a un
homme qui porte une jaquette, viens ici toi aussi. Que ceux qui chargent viennent ici et ceux qui
déchargent aussi (…) C’est seulement à propos du génocide que vous pouvez parler ? Eh, c’est étonnant
cet homme-là tu le connais et il ne dit pas non.
Laisse-moi te dire une chose, étant donné ce que je sais de la curiosité des Rwandais, je sais ce qui s’est
passé ici, pourquoi t’intéresses-tu à ton voisin dans le bien mais dans le malheur tu l’ignores ? Tu le
connais ?
- Non
P.G. : Il n’a jamais été connu, il n’a jamais apparu pendant la guerre qui a duré combien de mois ? Avant
l’arrestation de Ntungura et la fuite des gens vers Save, vous ne les connaissez pas ? Mais pourquoi estce que personne n’a évoqué les Burundais ? Vous ne savez pas les maux qu’ils ont causés ici ?
- Ce que je sais c’est qu’il venait de l’apprentissage d’utilisation du fusil, c’était samedi, j’ai appris des
enfants de la maison qui fuyaient qu’ils l’ont rencontré à Shyira mais il ne les a pas tués, il est venu chez
nous et a demandé : où sont les enfants de Nyiragihanga et Nyiramitubu ? Les gens ont commencé à fuir
samedi.
P.G. : Il travaillait avec un agronome de Mukunguri, grand-frère ou petit frère d’Alfred qui s’appelle
Jacques, c’est lui qui faisait la sensibilisation des gens dans les meetings de la CDR [parti politique
composé du groupe d’extrémistes Hutu : Coalition pour la Démocratie et la République]. Et personne ne le
sait alors que ces meetings se tenaient en plein jour, nous le savons tous, moi aussi j’étais Mukombozi
(partisan et/ou milicien du Parti Social Démocrate-PSD) vous m’entendez, laissez-moi vous le dire
ouvertement, j’ai beaucoup sensibilisé aux idéaux du PSD et même maintenant je le fais, c’est mon droit !

[Le PG veut faire comprendre à la population que faire partie des partis politiques n’est pas un
crime en soi, que lui aussi a sensibilisé et continue de sensibiliser en faveur de son parti PSD.
Mais ici, il contredit le Gouvernement qui veut que pendant cette période de transition, les
campagnes de sensibilisation ne sont pas autorisées].
- Quand nous fuyons, une autre fois, je l’ai trouvé à la barrière de Nyamukumba, arrivé à la Commune, ils
ont tiré sur nous et nous ont chassés.
PG : Il était à la barrière de Nyamukumba, et vous ne savez pas ça ? Tu étais Président de la
CDR dont aah-fff [il rit très fort] viens ici toi, oui toi au moins.
- Moi ce que je sais de lui, ce n’est pas un mensonge, d’ailleurs on dit que nous sommes bons amis.
- Oui, c’est vrai [des femmes affirment]
- Je sais que ce fusil il l’a porté, je l’ai vu passer sur la route devant ma maison et il portait le fusil.
PG : Vous connaissez cet homme ? Il est rescapé
- Oui, je suis rescapé
P.G. : As-tu quelque chose contre cet homme ? Il a porté un fusil à la barrière, en tant que Président de la
CDR, il a dirigé des meetings partout où tu as cité.
- Quand il était président de la CDR…. [le PG l’interrompt.]
P.G. : Eh, tu es rescapé aussi ? Tu as un mauvais antécédent avec cet homme

24

- Rien
P.G. : Ceux qui ne sont pas rescapés qui n’ont pas des charges à lui porter où sont - ils ? Ils se taisent. ?
Cela veut dire qu’ici même dans Ntongwe, il se peut qu’il y ait un problème entre les rescapés et non
rescapés, comment allez-vous cohabiter ?
- En revenant des cours sur l’utilisation du fusil, c’était samedi, il était à bord d’un Daihatsu blanc, il le
portait ouvertement. Il était en compagnie d’un militaire.
P.G. : Il était avec un militaire, vous m’entendez là ! Nous allons vous le dire, mais vous savez plus que
nous. Cette maman là qui rit, là-là. Dis-moi, dis-nous un peu. J’entends ah. Ceux qui savent quelque
chose de lui, tous le chargent ? Vous le chargez ? Allez vous faire enregistrer là-bas. Il n’y a rien d’autre,
alors qu’il retourne là. D’après vos témoignages, il n’y a pas de décharge, qu’il retourne là-bas nous allons
balancer et on verra. C’est ça la procédure, ensuite nous remettons le dossier à Gacaca et puis le procès
sera le vôtre. Vous allez vous taire jusque quand ? Vous faites du tort à vos enfants et à vous mêmes.
Emmanuel, [2x] tu sais lire, tu ne sais pas. Tu connais la loi. Oui ? Je t’encourage à la respecter
pratiquement et tu te montreras supérieur à eux.

Emmanuel retourne en prison et devra attendre le début de Gacaca. Le Procureur lui
recommande de passer aux aveux et continue (cas d’un détenu qui avoue) :
Enregistrement
Attention, attention ! Cet homme s’appelle Sylvestre, Secteur Kayenzi Cellule Kayenzi, qui le connaît ?
Regarde autour de toi à partir d’en bas. Que ceux qui le connaissent lèvent la main ? OK. Venez ici tout
près. Tu le connais ? Vous le connaissez tous ? Vous ne le connaissez pas alors qu’il est de Nyabitare ?
Vous savez quelque chose de lui ? Viens ici. Vous savez quelque chose ? Y a-t-il quelqu’un pour le
décharger ? Quelqu’un pour le charger au moins ? Vous êtes bizarres donc, je suis curieux de ce Gacaca
vraiment. Tu le charges, toi ?
- Oui
P.G. : Tu le charges de quoi ?
- Moi je charge la mort de mon mari
P.G. : Tu a porté plainte au Parquet ?
- Non
P.G. : Va maintenant te plaindre au Parquet qu’il a tué ton mari. Quel est son nom ?
- Il s’appelait. Emmanuel Kalisa
P.G. : Tu acceptes cette charge ?
- Oui
P.G. : Tu n’as jamais porté au Parquet. Mais nous nous disposons de tes plaintes mais tu ne t’es jamais
plainte. Ça c’est une erreur, vous devez venir vous plaindre. Qui encore ? Tu le charges quoi ?
- Je le charge d’être co-auteur dans la mort de Kalisa
P.G. : OK . Toi aussi ? Tu le charges la mort de qui ?
- Moi je charge qu’il a tué tous mes frères, il les a exterminés
P.G. : Ils sont au nombre de combien ?
- L’un s’appelait Pascal Habiyambere, l’autre Kanani Fréderic, ensuite il a tué six enfants de Pascasie.
P.G. : Tout ce qu’ils ont dit, tu es d’accord avec ?

25

- Oh, je suis d’accord
P.G. : Tu peux dire leurs noms ?
- Je ne me souviens plus de leurs noms mais j’en suis d’accord
P.G. : Quelqu’un d’autre pour le charge d’autre chose que ce qui a été dit. A part les rescapés, personne
d’autre pour le charger ? Qui sont ses voisins de sa cellule ? Ceux de la Cellule Kayenzi ? Où êtes-vous ?
Levez la main.(…) Je voudrais vous dire que votre honnêteté à dire la vérité est très lointaine. Cet homme
a été courageux, il a reconnu ses crimes et a plaidé coupable. Tous ceux qu’on a cités, il les a déjà
reconnus et en a demandé pardon, vous comprenez. Vous, vous voulez le couvrir en vous taisant alors
qu’il l’a reconnu lui-même, vous comprenez cela ? L’année prochaine il rentrera il aura purgé la moitié de
sa peine qu’il a d’ailleurs dépassé puisqu’il a plaidé coupable avant que personne ne le charge. Quand at-il été arrêté ? En 96, donc il vient de faire cinq ans et plus en prison vous comprenez qu’il a dépassé la
moitié de sa peine. Quand Gacaca débutera l’année prochaine, cet homme, disons-le aux personnes
présentes ici, il rentrera chez lui, s’il vous demande pardon, allez-vous le lui accorder ? [Des cris de
mécontentements et le PG lance des rires ironiques]. Que vous le vouliez ou non, la loi du pays [il rit de
plus belle], laisse-les crier et retourne à ta place. [et il rit encore].
Et alors, moi qui n’ai plus les miens, tu me diras quoi ? Mais je dois le dire pour me libérer. Nous devons
léguer à nos enfants un héritage de fruits nouveaux. Et alors tu continueras à y penser, à murmurer
nananaaaa [murmures de chagrin] et tes spermes produiront des enfants qui produiront des enfants qui
font nananaaaa. Que tu le veuilles ou non, tu dois laisser à tes enfants une bonne éducation, de bons
fruits. Si nous avons souffert, si nous avons perdu tous les nôtres, nous ne devons pas faire tout pour
faire souffrir les autres, n’est-ce pas ? Libérez-vous, moi je suis déjà libéré. Et alors, les morts tu ne peux
pas les ressusciter. Mais celui-ci est l’une des personnes courageuses que nous devons vous présenter
car il y en a qui ne veulent pas plaider coupable en espérant que vous allez les couvrir et les décharger
mais lui a reconnu ses crimes, dans le Gacaca on va les décharger, vous comprenez. Mais quand tout se
fait ici, en présence de tout le monde, c’est signe que Gacaca est déjà fait, il a fait ses aveux, il a reconnu
son crime, on ne dira plus rien de plus que ce qu’on n’a pas révélé ici même, on ne le démontrera nulle
part ailleurs. Quant à dire que tu ne pardonneras pas ou tu ne feras pas quoi, ça c’est très mauvais que tu
le veuilles ou non, la loi c’est la loi, le pays c’est le pays il se reconstruira, n’est-ce pas. Mais quoi alors ?
Nous nous réhabiliterons, nous recommencerons à vivre. La loi c’est ça, s’il n’avait pas fait ses aveux il
allait subir un emprisonnement à perpétuité, mais il a reconnu son crime, la loi c’est la loi, soyez
bienveillants, n’est-ce pas c’est son droit. (…)

Le discours du Procureur général montre qu’il essaie de sensibiliser et d’informer la
population plus largement, par exemple à propos du sida, lorsqu’il dit que le sida est moins présent
dans les prisons qu’ailleurs, ce qui est d’ailleurs faux (voir plus bas).
Parfois certains groupes ont été choqués, comme lorsqu’il a dit en riant que tel meurtrier qui
avait avoué était un très brave homme et qu’il serait relâché, qu’ils le veuillent ou non… Le dernier
exemple concerne une jeune femme qui a été mise en liberté (provisoire) le lendemain.
Le Procureur Général a insisté sur le fait que la personne qui commet un crime en est tenue
pour responsable, mais pas les membres de sa famille.
Enregistrement
PG. : Florence. Ta date de naissance ? Pourquoi est-ce que tu as peur ?
- J’ai 25 ans.
PG : Tu es de quel secteur, de quelle cellule ?
- Secteur Nyakabungo, cellule Byimana.

26

PG : Vous tous de la cellule Byimana, ne connaissez-vous pas Florence ? Levez le doigt ! Savez-vous
quelque chose à propos d’elle ? Pas du tout ! Qui sont les rescapés de Nyakabungo et de sa cellule ?
Sont-ils tous décimés ? Et ceux qui l’ont chargée avant sont-ils tous décimés ? Eh ! Il est grand temps de
dire la vérité ! Vous dame âgée, probablement que tu es une monitrice, ou bien tu l’a été. Es-tu la voisine
de cette fille Florence ?
- Je la connais. Elle est innocente.
PG : Que l’on note tes déclarations et ton identification. Toi, homme lunetté, es-tu voisin de cette fille ?
L’autre qui la connais ? Toi, homme âgé, c’est toi que je veux.
- Je la connais mais nos cellules sont différentes.
PG : Tu as quelle relation avec elle ?
- Elle est la fille de cette femme.
PG : Je sais, chacun est responsable de ses propres actes. Sais-tu quelque chose à propos d’elle ? Tu ne
sais rien d’autre à propos d’elle ?
- Non.
PG : La faute pénale est personnelle, on n’est pas responsable des fautes commises par ses parents, ni
par ses enfants. Sais-tu quelque chose qui la concerne ? Sais-tu comment elle s’est comportée pendant
la guerre ?
- Non, nous ne sommes pas des voisins.
PG : Quels sont ses voisins qui la connaissent ? Sais-tu quelque chose à propos d’elle ? Comment s’estelle comportée pendant la guerre ? Non rien. Cette dame en rouge, plutôt jeune homme , tu n’en sais
rien?
- Rien. [Eclat de rire généralisé].
PG : Tu viens de passer combien de temps en prison ?
- 7 ans environ.
PG : Elle va passer bientôt 7 ans en prison. Elle a eu la chance puisqu’elle a été à l’abri de la pandémie,
le SIDA ! n’hésitez pas à la prendre pour fiancée ! Vraiment il existe un condom appelé « prudence »,
malheureusement je n’en ai pas sur moi, sinon je pourrais vous en donner. Rien n’est plus aisé que de
s’en munir ! L’accident n’est jamais prévisible, mais cela existe.
Cet enfant est-ce que vous le connaissez ?
- Non, nous ne le connaissons pas.
PG : Dans le dossier à notre disposition, il serait responsable de la mort de 2 enfants : BATAMURIZA et
MUTETERI . Ceci serait semblable à ce que l’on assimile aux actes commis par ta mère. Il serait complice
de sa mère dans la trahison dans l’assassinat de gens. Vrai ? Es-tu d’accord ? [Sans réponse]. Et quand
nous nous adressons à l’OMP qui a mené l’enquête, il nous répond que l’inculpé plaide non coupable, et
que lui même ne dispose pas de preuves et qu’il faut encore des enquêtes, et l’enquête c’est vous qui
devez la mener et fournir des preuves. Savez-vous quelque chose à propos de lui ? Non ! Rien ! Et vous
les rescapés, qu’en dites-vous ? Rien. La faute est personnelle à l’égard de son auteur. Celui qui aura de
nouvelles preuves contre lui pourra nous les fournir. La loi en vigueur nous défend de maintenir pendant
longtemps cet enfant en prison sans raisons valables. Nous le lâchons provisoirement jusqu’à ce que les
preuves soient fournies, car cette infraction de génocide ne prescrit jamais, ainsi donc cet enfant demain
matin devra retourner chez lui [Applaudissement vif et prolongé].

Cependant, la façon dont la réunion de Ntongwe (Gitarama) a été organisée et les réponses
des différents groupes n’ont pas toujours été appréciées du public et ont suscité de nombreuses
questions :
27

Témoignages 1 – Rescapés et réfugiés rentrés d’exil
Témoignages à décharge (voisins, etc.) étaient plus nombreux que les témoins à charge (les rescapés).
On ne devrait pas nous attribuer, nous seuls, la part de juger les génocidaires alors que nous étions dans
des cachettes.
Les présentations ont eu lieu pendant que les enfants rescapés étaient à l’école ( …), alors que ces
enfants ont des témoignages à donner. Ils n’ont donc pas pu assisté et comme quelques détenus n’ont
pas eu de témoins à charge ils ont été libérés. Que fera-t-on ?
Les libérations faites au moment des présentations ne prouvent pas l’innocence des concernés, il y en a
qui sont présentés quand leurs victimes ne sont pas là et le parquet se plaît à les libérer mais vous devez
savoir que cela cause des conflits.
Les non-rescapés ne veulent pas dire ce qu’ils ont vu et même fait.
Il faut que les rescapés aillent « chercher » des preuves.
Les Hutu n’ont pas voulu dénoncer.
Comment un seul individu peut-il témoigner en faveur de tous les accusés.
Les non-rescapés n’ont pas voulu se prononcer parce que c’était la première fois.
Même pour un type qui a fait ses aveux, les Hutu n’ont pas voulu le dénoncer (PG a blâmé la population).
La population attribue tous les crimes aux gens de l’Est : Kibungu, Bugesera.
Le viol n’est pas discuté.
Contre la libération des détenus ayant tué (détenu qui a fait ses aveux), impossible de le pardonner.
Même qui a fait ses aveux, doit rester en prison.
La présentation a commencé tard. Elle s’est faite trop attendre.
Il faudrait que la présence de toute la population concernée soit une exigence, et que si nécessaire, la
force soit utilisée pour faire participer les gens.
La population devrait être regroupée par secteurs, pour que les gens ne puissent pas se cacher dans la
foule et murmurer des choses.
Ce processus du premier essai s’est passé en désordre.
Les autorités locales n’ont pas donné l’importance à cette opération.
Il n’y avait pas eu assez de sensibilisation sur la participation (manque de sensibilisation).

Témoignages 2 – Familles des détenus et détenus
Certains rescapés se mettent ensemble pour accuser les prisonniers sans dossier.
Pourquoi ne veulent-ils pas que nous témoignions en faveur des membres de notre famille ?
Comment un seul individu peut accuser tout prisonnier mis devant le public ?
Comment peut-on comprendre qu’une personne se rappelle d’accuser un individu après 7 ans en prison ?
Ce processus est clair et nous donne l’espoir que les juridictions Gacaca réussiront.
Des femmes étaient accusées de complicité et d’avoir montré aux bandes des tueurs là où les gens
étaient cachés.

28

Les membres des familles des détenus, n’ont pas pu témoigner bien qu’ils aient manifesté cette volonté et
ils sont mécontents.
Les rescapés attribuent un tort à toute la famille surtout quand il y a un interahamwe dans cette famille.

Plus tard, un nouvel élément a été introduit lors de ces présentations, qui semble dans
certaines occasions augmenter le nombre de confessions ainsi que la participation de la population. Il
s’agit de la présence d’un groupe de détenus religieux (pour la plupart membres de l’une des
nombreuses communautés protestantes) qui déclarent s’être confessés à cause de leur foi et engagent
l’assistance à faire de même. Ils dansent en tenant la Bible à la main, et leur chants portent sur Dieu
et le Ciel, mais aussi sur la nécessité de dire la vérité et de reconstruire le pays. En public, ils avouent
leurs crimes et demandent pardon à la population.
On les appelle les “groupes de choc” car ils incitent les détenus réticents à passer aux aveux.
Il s’agit d’une initiative personnelle d’un procureur général, mais le gouvernement semble avoir
accepté cette innovation, ce qui est remarquable étant données les relations souvent difficiles entre
l’état séculier et les nombreuses confessions religieuses41.

2.2.2. La procédure d’aveux
Les données qui sont présentées ici ont été recueillies parmi des détenus dans les prisons et
lors des sessions de pré-Gacaca. Toutefois, elles donnent une idée de ce qui pourrait se passer lors
des sessions Gacaca à proprement parler si les mesures d’encouragement et d’accompagnement ne
sont pas révisées.
Comme il a été mentionné plus haut, les détenus qui dans le cadre de la première phase du
projet du Parquet/RCN souhaitaient s’inscrire pour la procédure d’aveux et plaider coupable pour
bénéficier d’une remise de peine, ont pu le faire. Les aveux de 2.600 prisonniers sur les 20.000 qui
ont choisi cette option pendant la période d’investigation, ont été reçus. Cela montre également que
le nombre d’aveux complets obtenus des prévenus demeure très faible42 (13 %), probablement en
raison du manque de confiance qu’inspire généralement cette procédure. Néanmoins, le nombre de
détenus qui passent aux aveux est en augmentation et cela continuera probablement si les prévenus
réalisent que certains de ceux qui ont avoué ont été libérés par les tribunaux Gacaca beaucoup plus
rapidement que d’autres qui se trouvaient dans la même situation mais n’ont pas choisi cette
procédure.
La plupart des détenus commencent par faire des aveux partiels (s’ils savent que les preuves
de leur culpabilité existent), ou s’attribuent des délits mineurs. Certains semblent s’être organisés – et
ils ont eu des années pour le faire – pour essayer de présenter des témoignages crédibles permettant
41 Probablement du fait de l’échec des chefs, en particulier de l’Eglise Catholique, à condamner le génocide, le
gouvernement s’inquiète par exemple des réunions Gacaca plus traditionnelles organisées depuis 1996 par certains prêtres
pour réconcilier les fidèles. Cette attitude semble avoir changé.
42 Cependant il faut se rappeler que même un faible nombre de détenus passant aux aveux peut indiquer un nombre bien
supérieur de complices : à la prison centrale de Kigali Central Prison/PCK, 278 détenus ont cité les noms de 1941
personnes (eux-mêmes compris) présumées responsables du massacre de 3700 personnes durant le génocide (cf. tableau
p. 35).

29

d’épargner d’autres prisonniers et d’autres personnes (membres de leur famille, amis et personnes
influentes ou disposant de moyens importants) et d’accuser des individus décédés ou ayant quitté le
pays. Ils accusent aussi les complices qui sont parvenus à rester en liberté, pour leur faire aussi
endosser leur part de responsabilité.
La procédure d’aveux et le plaidoyer de culpabilité
Les groupes interrogés et les individus ont donné l’impression récurrente que la population
en général sait peu de choses sur la procédure d’aveux, à l’exception de nombreux détenus masculins,
et de certains survivants du génocide. Les détenues sont très ignorantes de cette procédure. Elles
semblent penser qu’elle ne s’applique qu’aux hommes. Elles ne semblent pas savoir que la peine
appliquée aux complices d’un meurtre (ce qui est souvent leur cas) est considérée comme relevant de
la même catégorie que celle réservée à la personne condamnée pour meurtre ou ayant avoué.
Conformément aux dispositions légales, (de la loi Gacaca comme de celle sur le génocide), les
juges des cours classiques semblent en pratique plus indulgents envers les femmes qu’envers les
hommes. Il reste à voir si cela se passera de la même façon dans les cours Gacaca.
Témoignages 1 – Rescapés du génocide et réfugiés rentrés d’exil
Entretiens individuels et Discussions de groupe ciblées (FGD)
Qu’il demande pardon, on peut le lui accorder mais ça dépend des individus…
Nous contestons ce système d’aveux qui encourage les criminels à avouer pour recevoir une réduction de
peine, 7 ans c’est rien pour quelqu’un qui a tué et je pense que tous vont avoir recourt aux aveux pour
sortir.
Ils refusent (les aveux) parce qu’ils sont solidaires dans le meurtre ou le crime, ils sont complices ; ce sont
les dossiers qui vont aider à identifier d’autres criminels.
Les détenus qui sont des véritables assassins empêchent les autres à faire les aveux.
Quand ils sont ensemble ils se disent la vérité et se dénoncent entre eux.
Pourquoi ce pardon (…) Par le fait que ces gens sont encore en vie dans les cachots, ils ont déjà reçu le
pardon. Moi, je ne veux pas donner pardon, il faut qu’on emprisonne ces criminels
Femme rescapée (assez traumatisée) : si j’avais d’autres préoccupations je n’hésiterai pas à leur
pardonner

Témoignages 2
Entretiens individuels et FGD, surtout avec des détenus
Nous avons reçu les explications sur les avantages des aveux ; c’est bien de faire les aveux pour celui qui
a réellement commis l’infraction.
Plusieurs personnes de cette commune (Runda) ont été tuées par les réfugiés qui venaient de Kigali et
Byumba, or il n’y a personne qui se trouve dans ce cachot.
Peu d’aveux ? : ceux qui les ont accusés injustement ne veulent pas demander pardon (Runda : 500
innocents sur 800 détenus…) : on peut pas inventer un crime pour contenter les gens.
S’il avoue et qu’il dénonce un individu, il sera mal vu soit à l’intérieur soit par les gens de l’extérieur.
Les détenus sont découragés par le fait que l’Etat n’a encore rien fait pour ceux qui ont déjà avoué.

30

C’est difficile d’avouer pour quelqu’un qui a versé le sang d’une ou des personnes ; souvent les rwandais
ont peur ou ils ont la crainte de dire publiquement les choses.
Les aveux des crimes commis, cela demande un dépassement de soi. Les aveux c’est une question
individuelle.
Il n’y aura pas de vérité dans Gacaca, que ce soit pour les Hutu ou pour les Tutsi.
Les rescapés sont en position supérieure, ils sont toujours bien compris et gardent le dernier mot, la
masse restante quant à elle n’a pas de moyens de défense.

Certains survivants du génocide nous ont dit qu’ils n’avaient pas confiance en la population
Hutu en général et encore moins en les détenus, qu’ils considèrent avoir tous été des exécuteurs
volontaires ou leurs complices pendant le génocide, aucun d’entre eux ne méritant ni pitié ni pardon
pour l’instant. Ils doutent aussi de leur intention ou de leur capacité à faire des aveux complets et
authentiques. D’autres victimes souhaitent pardonner à ceux qui ont fait des aveux francs et sincères,
surtout si leur propre niveau socio-économique a pu être amélioré.
Les détenus sont à nouveau beaucoup plus positifs à propos de la procédure d’aveu mais
refusent souvent de reconnaître la moindre responsabilité dans le génocide (« nous sommes
innocents, c’est pourquoi nous nous confessons »), ou citent de nombreux obstacles, excuses ou
circonstances atténuantes.
Les présentations publiques de prisonniers sans dossiers à la communauté, lors des audiences
pré-Gacaca, montrent que la population en général hésite à porter des accusations dans de telles
conditions, et que les survivants du génocide ne savent souvent pas bien ce qui s’est passé. Ce qui
veut dire que, pour connaître la vérité, les choses dépendront beaucoup du témoignage des
prisonniers eux-mêmes et surtout de ceux qui ont avoué.
Si les choses devaient se passer de la même façon lors des réunions des véritables juridictions
Gacaca, cela signifierait que le succès du processus dépendrait en grande partie du nombre d’accusés
qui avoueraient et plaideraient coupable. La réduction de peine (voir annexe 1) et la possibilité de
commuer la moitié de cette peine en travaux d’intérêt général est le prix à payer pour connaître la
vérité et promouvoir la réintégration et la réconciliation entre les différents groupes de Rwandais.
Pour pouvoir être recevables comme aveux, les déclarations doivent contenir :
une description détaillée de tout ce qui est en relation avec le délit confessé
des informations sur les collaborateurs et complices
des excuses pour le délit commis.

-

Même si la plupart des détenus masculins (ceux des prisons plus que ceux des cachots)
connaissent les avantages de cette procédure d’aveux (une réduction significative de leur peine), le
nombre d’aveux demeure pour l’instant très faible. Par exemple, seuls 11% des détenus de la Prison
Centrale de Gitarama ont pour l’instant choisi de cette possibilité. Les intellectuels et notables
emprisonnés sont particulièrement réticents, dans la mesure où ils encourent souvent une inculpation
en catégorie 1.
Les raisons en sont les suivantes :
-

le manque d’information sur cette procédure (surtout chez les femmes)
l’espoir qu’il n’y aura aucune preuve des crimes commis
31

- l’innocence
- l’absence d’amélioration des conditions de détention de ceux qui ont déjà
avoué (souvent même le contraire)
- l’absence d’accélération du procès de ceux qui ont avoué par rapport aux
autres
- un manque de confiance de la part des prisonniers qui croient que les autorités
ne tiendront pas leur promesse de réduire les peines après avoir entendu les aveux (« c’est
juste une ruse ») la crainte de fournir des informations sur des collaborateurs ou des
complices encore en liberté et la crainte des réactions des membres de la communauté
lors des séances Gacaca.
- la pression sociale et l’intimidation des prisonniers ayant avoué de la part des
autres prisonniers, et des membres de leur famille hors de la prison.
De plus, le nombre d’aveux enregistrés officiellement par le Parquet reste bien au-dessous des
aveux exprimés. On peut donc se demander si les autorités rwandaises elles-mêmes, ou certains de
leurs représentants, reconnaissent à sa juste importance la procédure d’aveux comme un moyen de
reconstituer la vérité durant les juridictions Gacaca. Il est clair par ailleurs que certains Rwandais ne
sont pas en faveur de cette procédure, qui permet à la plupart des génocidaires dont les aveux seront
acceptés de sortir rapidement de prison.
Alors que le début du véritable programme Gacaca approche, les prisonniers semblent mieux
informés sur les procédures d’aveux, mais cela ne s’est pour l’instant pas encore traduit par une
augmentation rapide du nombre de ces aveux.
En même temps la pression sociale, les menaces (souvent de mort) et l’intimidation à l’égard
de ceux qui ont avoué leurs crimes (surtout ceux qui ont ‘tout’ avoué et pas seulement ce que l’on
savait déjà) ont considérablement augmenté, de même que leur marginalisation au sein des prisons et
celle de leurs familles dans leurs communautés. Cette pression va probablement augmenter encore et
pourrait mener à une intensification des menaces et même avoir des conséquences plus graves
encore pour cette catégorie de prisonniers.
Il faudrait donc encore mieux faire connaître cette procédure et isoler les détenus ayant
avoués des autres prisonniers (surtout des « fortes têtes » et des meneurs) le plus rapidement
possible. Selon le Mininter, les budgets ministériels ne disposent pas de fonds permettant de prendre
ces mesures, même s’il en comprend la nécessité43. Cependant, l’implication de la communauté
internationale dans le succès des juridictions Gacaca, si explicitement exprimée, pourrait être
démontrée en termes très concrets par le soutien à de telles mesures.

43 Ceci fut dit explicitement lors de deux récents séminaires pour le personnel du Mininter et tous les directeurs de
prison, organisé par PRI, sur le travail d’intérêt général et la procédure d’aveux.

32

2.3. Gacaca dans les prisons – statistiques, rumeurs et craintes
Dans plusieurs prisons, les détenus – encouragés par les autorités – ont commencé leur
propre Gacaca. Les prisonniers ont formé des comités qui ont entendu les confessions de leurs
camarades. Par exemple, dans la Prison Centrale de Kigali (PCK), la commission Gacaca a entendu,
au cours des trois dernières années, 1.127 confessions sur un total de 8.000 prisonniers. Les détenus
se sont organisés en secteurs géographiques et se sont confessés devant ceux qui venaient de la
même région.
Voici une courte description d’une “session Gacaca” dans une prison (Rilima, novembre
2001) à propos de la mort d’une femme inconnue tuée dans un certain secteur :
Récit
Des détenus-juges Gacaca – ceux que l’on appelle comités « urumuri » (la lumière) – étaient assis dans
une petite cour à l’intérieur de la prison, pleine de monde, sous des bâches de plastique usées. Ils
devaient présider les débats. Des gardes Gacaca, eux aussi détenus mais reconnaissables à leurs
bonnets, gardaient l’œil sur la foule.
Le président d’Urumuri a rappelé le nom de la cellule où la femme avait été abattue et a demandé si
aucun détenu de leur voisinage immédiat ne pouvait témoigner à propos de ce meurtre.
Un homme a réagi et le président lui a demandé s’il avait vu quelque chose. Il a dit que non mais qu’il
avait entendu le coup de feu et qu’il avait pris peur et s’était enfui. Dans sa fuite, il avait vu le corps de la
femme mais pas les meurtriers. Il se trouvait avec son jeune frère et cinq voisins, la plupart étant
maintenant dans la même prison. L’un après l’autre, les gardes Gacaca sont allés chercher les personnes
en question dans leurs différents quartiers et les ont amenées devant le comité pour qu’elles témoignent.
Ensuite, certaines ont été raccompagnées dans leurs quartiers :

Un des juges (J) : Vous ne faisiez pas de ronde à cet endroit ?
Interrogé (I) : Non
J: Comment sais-tu tout cela ?
I : Nous avons entendu le bruit et nous sommes allés voir.
J : Y avait-il des gens qui avaient des fusils chez vous ?
I : Je n’en sais rien ( pause ) il n’y en avait pas.
J : N’y avait-il pas de voisins près de la place où cette femme a été tuée ?
I : Personne n’était proche de cet endroit.

Témoin (T) :
Ces gens savent tout, ils cachent la vérité ; j’étais avec Ndagijimana, nous allions acheter du riz et au lieu
où on a tué cette dame nous avons trouvé des gens dont je ne connais pas les noms mais dont je
reconnais certains de visage…
Il montra deux parmi ceux qui avouaient avoir enterré la dame et dit qu’il connaît quelqu’un d’autre qu’il
voit dans la prison. On appela ceux qu’on avait éloigné au début et il en reconnu un.
Il montra celui qui tenait en main la pièce d’identité de la femme et précisa que cette dernière se tenait
debout près d’eux. Il déclara qu’après leur arrivé un certain Kidibori est venu, amené par quelqu’un qu’il
ne connaissait pas sur un vélo et comme il avait un fusil, il a demandé pourquoi on ne tuait pas la femme
et il a immédiatement tiré sur elle. Il cita le nom de quelqu’un d’autre qui était là et comme il était malade
on alla le questionner au lit et il dit tout conformément à ce que ce témoin venait de dire.

33

Selon le Comité, cette enquête a révélé la responsabilité des deux frères dans ce meurtre. L’un comme
l’autre ont nié et déclaré qu’ils ignoraient qui étaient les coupables : le plus jeune se trouvait près de la
maison de sa mère, occupé à garder ses chèvres et n’avait retrouvé son frère aîné et ses amis que
lorsqu’ils étaient en train de transporter le corps de la femme.
Après avoir réuni toutes les informations concernant la mort de cette femme, ce qui avait été dit a été noté
par écrit, et montré aux participants pour vérifier s’ils étaient d’accord avec ce qu’on avait écrit.

Nous avons demandé au comité Gacaca de la prison de Kigali (PCK), qui semblait le mieux
organisé de ceux que nous avons vus, de nous donner les résultats complets de leur travail pour les
deux communes pour lesquelles les prisonniers avaient donné beaucoup d’informations sur ce qui
s’était passé pendant le génocide : une commune urbaine, Kacyru, composée en 1994 de 5 secteurs et
de 23 cellules et une commune rurale, Bicumbi avec 15 secteurs et 90 cellules. Les résultats ont été
véritablement surprenants : 230 pages manuscrites avec des tableaux et des descriptions en français,
et également une version en kinyarwanda (211 pages). Ils présentaient des listes avec des noms de
personnes originaires de ces communes qui avaient été tuées (pendant le génocide ou lors de batailles
entre combattants), indiquant ce qui s’était passé, la liste des blessés, les cas de viols ayant eu lieu
dans ces zones, et la liste des dégâts matériels.
Finalement, ils ont dressé la liste des personnes qui, à ce qu’ils savaient, avaient commis ces
crimes : les noms des meurtriers, le groupe auquel ils appartenaient et leurs chefs, le nom des
mineurs qui avaient participé au génocide, l’endroit où se trouvent maintenant les coupables qui ont
survécu, et les noms de personnes pouvant fournir des informations supplémentaires.
La liste de ces suspects de crimes de génocide doit certainement être utilisée avec grande
prudence. Cependant, nous pensons que les listes d’événements (personnes tuées, blessées ou violées
et dommages matériels, pour chaque cellule et secteur) devraient se révéler très utile pour les juges
Gacaca au niveau des cellules lorsqu’ils commenceront leurs propres listes.
La possibilité de transférer ces données compilées par les divers comités Gacaca des prisons
aux différentes cellules ou secteurs n’a pas été envisagée par manque de confiance en leur fiabilité. Si
cette méfiance est certainement fondée dans le cas des listes de coupables, il n’y a pas de raison
d’avoir les mêmes doutes sur la liste d’événements. Un problème pratique se pose toutefois car des
réformes administratives depuis 1994 ont entraîné le changement de nom et de frontière de certains
secteurs et communes.
En se basant sur ces données sur les coupables, et tout en reconnaissant leur manque de
fiabilité, nous pouvons déjà tenter d’y voir plus clair. D’après ces statistiques, sur 814 personnes
incarcérées pour génocide à la PCK et originaires de la partie rurale de Kigali (Bicumbi), seules 278
d’entre elles (ou 34%) auraient participé aux meurtres dans cette zone. Les autres auraient commis
d’autres délits ou sont innocents.

34

Informations de la PCK sur les meurtres dans la zone rurale de Kigali (Bicumbi)
Victimes:
Victimes du génocide:

3 700

Victimes de guerre:

3 745

Autres causes:

757

Total:

8 202

Meurtriers (génocide):
Statut

Nombre

Détenus

%
583

30

Décédés

398

20

En liberté

960

50

1 941

100

PCK
(814
détenus
Bicumbi au total)

de 278

Gikondo

141

Remera

150

Autres prisons

14

Au Rwanda

706

Hors du Rwanda

92

Non localisés

162

Total

D’après ces informations, présentées par le comité Gacaca de la PCK, environ un tiers des
détenus pour génocide ont participé aux meurtres, les autres ont commis des délits moindres, voire
aucun délit, selon les détenus eux-mêmes.
Si cela est vrai, la plupart des prisonniers restants (catégorie 3 et 4) pourraient (sous
conditions) être relâchés lors des audiences Gacaca : environ 74.000 sur un total de 112.000 détenus,
plus le groupe des prisonniers de catégorie 2 qui ont avoué (soit environ 28.000) 44.
Si l’on extrapole à partir des chiffres présentés par les détenus, on peut évaluer à environ
46.000 le nombre de personnes ayant commis des faits classés en catégorie un ou deux (meurtres) qui
se trouvent actuellement en liberté au Rwanda, et qui pourraient donc potentiellement faire l’objet
d’une arrestation lorsque les tribunaux Gacaca fonctionneront.
On peut imaginer que beaucoup tenteront de quitter le pays pour échapper à l’arrestation
mais le Rwanda conservera une immense population carcérale d’environ 60.000 personnes (10.000
n’ayant pas avoué, plus 46.000 nouvelles arrestations, plus 3.000 détenus de catégorie 1).
44 A ce jour il semble y avoir eu environ 20.000 confessions, émanant toutes probablement de détenus de catégorie 2 ce
qui permet d’évaluer à environ 28.000 les confessions à attendre dans un avenir proche.

35

Même si l’on considère ces estimations comme variables ou peu fiables, le nombre de
détenus de catégorie 2 pourrait en réalité être beaucoup plus élevé et les coupables encore en liberté
moins nombreux. Cela ne voudra pourtant pas dire que le nombre total de détenus serait plus faible,
bien au contraire.
Selon d’autres estimations fondées sur des données moins empiriques (issues du
gouvernement et des représentants d’ONG), 70 à 80% des détenus seraient probablement à classer
en catégorie 2 (environ 84.000 sur 112.000) dont au moins un quart, peut-être un tiers, (28.000, voir
note 44) passeront aux aveux. Cela signifie qu’environ 56.000 des détenus de 2ème catégorie devront
rester en prison. Avec les nouvelles arrestations de coupables restés au Rwanda (disons 10 à 15 % de
la population actuelle des prisons soit au moins 14.000 personnes) nous pouvons nous attendre,
après Gacaca, à avoir une population carcérale d’environ 73.000 personnes (50.000 « non confessés »,
14.000 nouvelles arrestations, 3.000 personnes de catégorie 1) !
Quelques observations :
Les estimations qui envisagent un total d’environ 60 à 70.000 détenus à la fin du processus
Gacaca signifient que les prisons continueraient à être surpeuplées, que le coût du secteur carcéral
resterait très élevé et que les conditions de détention des prisonniers continueraient très
probablement à se détériorer. Les estimations présentées ci-dessus pourraient varier
considérablement – dans un sens comme dans l’autre – s’il y avait une grande modification du
nombre de confessions et/ou du nombre des arrestations des « génocidaires » encore en liberté ou si
le gouvernement mettait en place des politiques différentes pour ces « nouveaux venus ».
Cette population carcérale importante continuera à être un fardeau considérable, non
seulement pour le secteur des prisons (Mininter) mais aussi pour celui de la justice (Minijust).
Il faut dès à présent réfléchir à ce problème des « nouveaux détenus du génocide » (au moins
pour ceux de catégorie 2 qui veulent passer aux aveux et ceux de catégorie 3) et envisager des
alternatives à l’emprisonnement qui soient proposées avant toute incarcération : par exemple les
travaux d’intérêt général qui représenteraient non pas la moitié mais l’intégralité de la peine, ou des
libérations conditionnelles, et/ou une version rwandaise de la Commission de Vérité et de
Réconciliation sud-africaine, permettant éventuellement une sorte d’amnistie générale, bien que nous
ne soyons pas en faveur d’une telle mesure.
En raison de rumeurs sur une possible vague d’arrestations à grande échelle à l’occasion des
juridictions Gacaca, le sentiment d’insécurité et de crainte semble avoir augmenté dans les derniers
six mois de notre enquête, surtout chez les Hutu des campagnes. Même au sein des ONG locales et
internationales, on spécule sur le fait que les nouvelles arrestations pourraient atteindre le chiffre de
500.000, ce qui nous semble toutefois complètement dénué de fondement.
Bien entendu, ces chiffres sont à manipuler avec précaution. Ils ne sont que des
extrapolations basées sur des données dont la fiabilité n’est pas toujours établie, ou des estimations
fondées sur l’observation des préparatifs de la Gacaca. Il nous semble toutefois quasi-certain que la
population carcérale restera très importante pendant plusieurs années encore. Nous conseillons donc
vivement d’anticiper de cette question et d’y préparer des réponses, que ce soit lors des campagnes
d’information ou au sein même du gouvernement, en termes budgétaires et organisationnels.

36

2.4. L’élection des juges Gacaca au Rwanda
Nos recherches ont montré qu’avant l’élection des juges Gacaca, toute la population a insisté
sur le fait que ces juges devraient être des personnes réellement intègres. Cependant, chaque groupe
doute de l’impartialité de l’autre.
Témoignages 1 – Rescapés et familles
Au moment des jugements, un juge de la famille d’un détenu aura tendance à être partial tandis que le
juge rescapé se sentira dans l’insécurité.
Où est ce qu’on va trouver des juges qui ne sont pas de proche parenté ?
Au moment des élections, y aura-t-il un pourcentage déterminé de juges rescapés ?
Vu que les membres de la famille de ceux qui ont trempé dans le génocide sont majoritaires, je ne vois
pas ce que nous ferons pour avoir de juges qui pourront nous défendre.
Est-ce qu’au moment de Gacaca il n’y aura pas plus de juges Hutu que Tutsi ? Est-ce qu’ils ne vont pas
pencher du côté des détenus qui sont de leurs familles ?
Il y a les collines où tous les Tutsi ont été tués et où il ne reste que les Hutu, qui donnera les témoignages
pour charger les détenus ? Qui pourra diriger les élections ? Qui est-ce qui sera élu, n’est-ce pas ceux qui
ont tué ?

Témoignages 2 – Détenus
Il y a des inquiétudes sur le choix de ces juges… il y aura peu de gens ‘dits sages’ qui pourrant mener à
bonne fin les procès Gacaca.
On va trouver des juges capables, mais avec une réserve qu’il est difficile de trouver un vrai sage ou une
personne à 100% impartiale.
Juges, tant qu’ils ne seront pas rémunérés, leur travail de sera pas efficace (corruption) et la justice ne
sera pas rendue.
Toutes les autorités sont en général Tutsi et on dit que ce sont elles qui sont chargées de préparer la
population pour l’élection des juges. Comment est-ce qu’elles ne vont pas corrompre cette population voir
même ces juges ?
Que les ONG surveillent les élections des juges Gacaca afin qu’il n’y ait pas de corruption ni d’intrigues
car les résultats de Gacaca dépendent beaucoup de la nature des juges.

Du 4 au 7 octobre 2001, l’élection d’environ 254.427 juges Gacaca a eu lieu, une étape
importante de la mise en place des 11.000 tribunaux devant lesquels plus de 100.000 détenus
soupçonnés d’avoir participé au génocide de 1994 seront jugés.
De nombreux journalistes ont couvert cet événement, auxquels on peut se référer pour un
récit du déroulement et de l’atmosphère de ces journées. (voir annexe 4). Cependant, les questions
clés soulevées par les personnes interrogées lors de notre enquête remettaient régulièrement en cause
l’acceptabilité du processus électoral pour beaucoup de Rwandais ordinaires.
Nos informations proviennent du travail d’une petite équipe de recherche de PRI qui a
observé une élection pilote dans le district de Kabagari (Gitarama) à la fin du mois d’août et par la
suite le processus d’élection lui-même dans les districts urbains de Kanombe, Kacyiru et Gikondo

37

(Kigali) et dans les districts ruraux de Kamonyi et Murambi, respectivement situés à Gitarama et
Umutara.

2.4.1. Le processus électoral
Comme les autres, nous avons observé que la participation a été forte le premier jour des
élections (4 octobre), moins dans les districts ruraux cependant que dans les districts urbains. Même
si plusieurs participants avaient certainement considéré leur « devoir civique » de vote comme une
obligation (« il faut bien répondre à l’obligation de l’Etat »), l’ambiance de ce premier jour d’élection
était chaleureuse et détendue. Nulle part les gens n’ont été réunis de force ou obligés à venir voter.
Par contre, à plusieurs endroits dans Kigali, des membres de la « Local Defence Force » ont
demandé à la population de fermer les magasins et les petits marchés. A d’autres endroits ils ont
empêché les gens de quitter les écoles où se tenaient les élections avant la fin de celles-ci ou ont
interpellé les cyclo-taxis qui s’en éloignaient. Mais l’usage de la violence physique n’a été que
rarement mentionné.
Cependant, les préparatifs de la période précédent les élections, comme la campagne de
sensibilisation, mais surtout le travail qui a consisté à s’assurer qu’il y aurait des candidats présentés
aux élections même au plus bas niveau, c’est à dire au niveau des cellules ont eu un impact certain,
comme nous avons pu le constater en observant le processus bien avant le premier jour des
élections.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, beaucoup des soi-disant programmes
d’information ont été insuffisants et souvent organisés sans réel échange, ni sensibilisation du public
par des discussions donnant la parole aux deux parties.
En l’occurrence, la campagne de sensibilisation générale a commencé très tard, souvent
environ une semaine avant les élections, et n’a pas atteint ses objectifs (en tous cas – et sans
exception – dans les districts où nous avons enquêté), pour faire comprendre l’importance pour tous
les groupes de population de participer aux élections des juges Gacaca, dans les campagnes mais
aussi en ville. La participation importante était plutôt due à la croyance qu’avaient les gens qu’il était
obligatoire d’aller voter.
L’une des principales idées fausses que nous avons souvent recensée était la rumeur
persistante selon laquelle les juges recevraient un salaire et/ou d’autres avantages importants. Cela a
certainement motivé certains candidats juges, mais pourrait se montrer dangereux dans un futur
proche, lorsque cela s’avérera inexact.
Comme on pouvait s’y attendre devant le manque de confiance mutuel que nous avons
constaté régulièrement, le manque d’informations sur Gacaca a parfois entretenu des attentes très
spécifiques au sein des deux groupes de population (d’une part les survivants du génocide et les exréfugiés des années 1959 à 1973 qui sont rentrés après le génocide, d’autre part les familles des
détenus et les autres Hutu qui n’avaient pas participé au génocide).
Le premier groupe, (et en particulier les ex-réfugiés Tutsi, qui étaient encore plus actifs que
les rescapés eux-mêmes) ont participé très activement aux élections et tenté d’obtenir le plus de
représentants possible, probablement pour tirer le maximum de leur situation minoritaire et aussi
parce qu’ils considéraient Gacaca comme un moyen d’arrêter enfin les criminels encore en liberté. Le
second groupe a participé, mais en cherchant beaucoup moins à être élus comme juges, en partie
parce qu’ils craignaient de partager la responsabilité de nouvelle arrestations massives, mais aussi
38

parce qu’ils pensaient qu’ils perdraient de toute façon – une attitude qui a également été observée
pendant les élections de mars 2001 au niveau des districts.
C’est seulement pendant la semaine qui a précédé les élections que se sont intensifiées les
campagnes d’information : par la radio, la télévision, la presse mais aussi par le biais des Ministères et
des parlementaires lors des célébrations du 1er octobre (jour de patriotisme). Le président Paul
Kagame a prononcé un discours à la veille des élections, appelant les électeurs à participer
pleinement, et l’a répété le jour même des élections. Des femmes de Kigali ont défilé dans la ville
avec des pancartes portant les mots « la vérité guérit », pour soutenir les cours Gacaca et encourager
leurs « sœurs » à participer aux élections. Dans les campagnes, des meetings organisés à la hâte au
niveau des cellules et des secteurs n’ont en général pas attiré grand monde.

2.4.2. La préparation du succès : les nyumbakumi
Le plus gros du travail de préparation de l’événement fut confié aux nyumbakumi (des groupes
de dix foyers) et en particulier à leurs chefs, qui n’ont appris qu’une semaine avant le début des
élections qu’ils auraient un rôle important à y jouer45. Ils auraient à passer de maison en maison pour
motiver tous les adultes inscrits sur les listes électorales à participer46, et dresser des listes de «
personnes intègres » (‘nyangamugay’) de leur nyumbakumi qui seraient proposées au niveau des cellules.
Ces listes furent transmises à des personnes responsables, au niveau de la cellule, avant les élections.
Certains nyumbakumi proposèrent plusieurs candidats, d’autres quelques uns seulement, mais dans
l’ensemble il y eut peu d’activité électorale au sein des nyumbakumi.
De ce fait, nombre de candidats étaient certains d’être élus juges avant même le début des
élections. Les gens s’en sont bien rendu compte, et certains ont fait des remarques très critiques
(comme : « on dirait qu’on joue une pièce de théâtre ici ») quand les chefs de nyumbakumi ont mentionné les
noms des ‘nyangamugayo’ choisis pour être présentés comme candidats.
Le système électoral47, comme c’est le cas pour la plupart des élections au Rwanda à ce jour,
était indirect. Pendant la séance de l’Assemblée générale de la cellule (tous ses membres éligibles), les
candidats sélectionnés par les nyumbakumi furent présentés au public, qui fut invité à commenter (estil ou est-elle une personne vraiment intègre, un vrai nyangamugayo?) ou à critiquer. Le public pouvait
aussi proposer un candidat.
Ces critères d’intégrité, nous pouvons les déduire du cas des (rares) candidats qui furent
rejetés pour diverses raisons comme l’alcoolisme, un comportement immoral (adultère, prostitution),
45 Il est intéressant de noter que dans une version précédente (sans date) de la loi électorale ce rôle du ‘nyumbakumi’
n’était pas mentionné, mais que voter était obligatoire: “Le vote est obligatoire pour tout Rwandais (…)”,(art. 5). Ce
dernier article fut abandonné dans les versions ultérieures (26/06/01), mais le rôle du ‘nyumbakumi’ était désormais
accentué (art 38): « Chaque ‘nyumbakumi’ désigne un nombre d’intègres au moins égal au nombre nécessaire devant être
présenté par chaque ‘nyumbakumi’ (…). Après l’élection dans les ‘nyumbakumi’, l’Assemblée Générale se réunit, les
candidats choisis sont présentés (…). » Ceci probablement dans le but de mieux garantir le succès et de mieux contrôler
les résultats.
46 L’inscription sur les listes électorales est obligatoire, mais le vote ne l’est pas. Il est plutôt perçu comme un devoir,
même si cela n’était pas clair pour de nombreuses personnes.
47 Cf. Annexe 5.

39

le défaut de paiement de leurs dettes, la participation aux pillages lors du génocide, la propension aux
querelles, le fait de battre leur femme ou d’être “extrémistes”.
Les candidats élus au niveau de la cellule (environ 28) reçurent mandat d’élire, cette fois par
écrit et dans le secret, les 5 à 10 personnes à envoyer au niveau du secteur, les siège de la juridiction
Gacaca de la cellule (19 membres) et un comité de coordination de cinq personnes choisies parmi ces
dix-neuf. Le même processus fut répété aux niveaux supérieurs : secteur, district et province.
D’après les résultats de ces élections, particulièrement dans les villes, nous avons noté que les
candidats présentés au niveau des cellules étaient souvent des gens qui détenaient déjà certaines
fonctions au niveau des nyumbakumi, ou du comité de cellule, et qui étaient déjà reconnus comme des
hommes ou femmes « sages » (‘nyangamugayo’) lors de l’élection des conseillers de district en mars
200148.
Au vu des ces préparatifs, il n’était donc pas surprenant que les élections des juges Gacaca de
cellules se déroulent calmement, d’une manière apparemment disciplinée et équitable, ce qui en soi
représentait un exploit.
Finalement la faible sensibilisation du peuple (surtout dans les campagnes) s’est trouvée plus
que compensée par la mobilisation du tissu de base des cellules, les chefs de nyumbakumi, et cette
politique s’est avérée très efficace.
Pourtant, du point de vue de la procédure, tant chez les électeurs que chez les organisateurs
aux plus bas niveaux, le faible taux de sensibilisation a entraîné (en plus des points cités plus haut)
certaines erreurs dans la procédure suivie : beaucoup de discussions, surtout sur le tirage au sort, la
consultation des autorités quant aux méthodes à suivre, le recommencement de certaines élections, et
des retards.
Le manque de micros ne facilitait pas la tâche des responsables (représentants de commission
électorale et autorités locales) qui devaient se faire entendre de tous. Le matériel nécessaire aux
élections, même s’il arriva parfois avec du retard, s’est avéré plus que suffisant, partout.
Mais ce n’étaient que des problèmes pratiques, qui ne résultaient pas d’une interférence des
autorités – qui se comportèrent en général très bien.

2.4.3. Vers la fin de l’ethnisme et d’autres divisions ?
Dans son discours à la nation, le président Paul Kagame49 a appelé les Rwandais à élire sans
discrimination des gens honnêtes, ayant des principes et travailleurs, et demanda spécifiquement aux
Rwandaises de prendre pleinement part aux juridictions Gacaca.
Ces tribunaux allaient établir la vérité sur ce qui s’est passé, traiter l’arriéré du génocide,
éradiquer la culture de l’impunité et consolider l’union du peuple. Il a aussi appelé la population à se
garder de tout ce qui pourrait conduire au désaccord ou à la division du fait des élections.
Ces directives et encouragements étaient en effet très importants.

48 Ceci pourrait signifier que – comme dans le cas de ces élections de district, (voir ICG: “Africa Report N°34”, 9 oct.
2001) – le contrôle politique de la procédure d’élection des juges Gacaca a aussi été efficace.
49 “The New Times” 8-10/10/2001 p.3

40

Jusqu’à quel point les élections ont-elles contribué à leur réalisation ? Il est trop tôt pour y
répondre entièrement, mais on a pu avoir quelques impressions :
En termes de participation, les élections furent un succès : d’après la
Commission électorale nationale, 87 % de l’électorat rwandais y a pris part50.
Malgré un haut degré de participation des femmes (elles avaient presque
toujours la majorité aux Assemblées générales de cellule), les statistiques de la commission
montrent que relativement peu de femmes furent nommées juges, allant d’un tiers au niveau
des cellules à un cinquième au niveau des provinces (cf. tableau ci-dessous). Cette
prépondérance des juges masculins reflète incidemment la différence de taux
d’alphabétisation entre hommes et femmes (particulièrement chez les plus de 30 ans51) et le
fait que nombre de Rwandaises semblent encore considérer la charge de juge Gacaca plutôt
un travail d’homme.
Femmes élues juges (en %), et niveau d’éducation (hommes et femmes) par niveau
administratif.
Niveau administratif

Juges femmes (%)

Juges n’ayant pas terminé
l’école primaire, ou moins
(%)

Cellule

35

44

Secteur

23

35

District

26

5

Province

19

0

L’éducation formelle fut un facteur de sélection important à tous les niveaux. Mais même au
niveaux administratifs les plus bas, cellules et secteurs, la majorité des juges avait au moins terminé
l’école primaire. Aux niveaux des districts et provinces, un pourcentage important de juges avait
terminé au moins le cursus secondaire, respectivement 46 et 60 %.
Pour ce qui est de la profession des juges élus, dans les cellules et secteurs la majorité étaient
des paysans (respectivement 91 et 80%). Dans les districts et provinces la plupart étaient enseignants
ou autres fonctionnaires de l’état (respectivement 48 et 68 %).
En regardant la combinaison de l’éducation et de la profession comme une indication de
classe sociale on pourrait considérer les juges de cellule et secteur comme appartenant à la classe
paysanne, la plus basse, et ceux des districts et provinces à une classe moyenne inférieure.
Il est clair que les deux sexes et toutes les classes sociales ont participé à l’élection des juges
Gacaca.

50 Voir leurs statistiques distribuées durant un meeting GTZ le 31/10/01.
51 Département des Statistiques : Rwanda Development Indicators N°3; Kigali: Ministère des finances et de la
planification économique, Kigali, juillet 2000 p. 267

41

Vu le modèle de « démocratie consensuelle » de ce gouvernement, il est important de voir si
les divers groupes de population sont présentés, et ont le sentiment d’être effectivement représentés
d’une manière équitable, surtout en raison des craintes exprimées lors de nos recherches, quant à
l’impartialité des juges choisis, les « vrais objectifs » de Gacaca, etc. C’est difficile, du fait de l’absence
de données à ce sujet à l’échelle nationale. Mais sur la base de nos études de cas limitées à Kigali,
Mutara et Gitarama, nous pouvons observer que l’aspect ethnique a également joué un rôle
important.
Cas 1 : District Kamonyi (Gitarama)
La Cellule N comptait 407 personnes inscrites sur les listes électorales dont 332 (82%) ont
participé (en majorité des femmes). Les 8 nyumbakumi de cette cellule ont présenté 108 candidats,
dont 7 ont refusé et 13 ont été éliminés.
Un des chefs de cellule, également représentant d’Ibuka, était apparemment passé voir les
rescapés avant les élections pour leur dire de ne pas voter pour des Hutu, parce qu’ils ne seraient pas
des juges impartiaux, ayant tant de membres de leur famille en prison.
Malgré des erreurs de procédure et des retards, dans l’ensemble tout s’est bien passé.
Le Maire est passée voir les gens pendant les trois jours des élections de cellule, secteur et district,
essayant de donner un surcroît d’informations sur les élections, et des conseils si nécessaire. Elle est
intervenue tout de suite quand elle a observé un petit groupe, aux élections Gacaca de Taba,
commencer à dire aux autres de ne pas voter pour des rescapés, un genre de campagne qui n’était
pas autorisé mais fut tenté partout (surtout aux niveaux supérieurs où les gens ne se connaissaient
pas bien).
Juges élus par sexe, origine (rescapé/ex-refugié) et niveau administratif
Juges choisis par
niveau administratif et
par tâche

Femmes
juges

Dont rescapés
/ex refugiés

Hommes juges

Dont rescapés
/ex refugiés

Cellule N (Assemblée générale : environ 400)
Envoyés au secteur (8)

2

?

6

?

Siège (19)

5

1

14

2

1

0

4

0

Comité
Coordination (5)

de

Secteur R (Assemblée générale : environ 56)
Envoyés au district (3)

1

0

2

1

Siège (19)

5

1

14

2

2

0

3

1

Comité
Coordination (5)

de

District K (Assemblée générale : environ 56)

42

Envoyés à la Province
(5)

1

0

4

1

Siège (19)

2

1

17

4

0

0

5

2

Comité
Coordination (5)

de

Province Gitarama : pas de données
Malgré quelques mécontents, beaucoup de Rwandais qui ont pris part aux élections se sont
déclarés satisfaits des résultats puisque tous les secteurs étaient présentés, les Hutu gardaient la
majorité, et les rescapés et ex-réfugiés avaient 5 juges sur 19 au niveau du district, plus qu’ils ne
l’espéraient initialement. L’appartenance ethnique et les expériences vécues lors du génocide ont joué
un rôle, mais n’ont pas semblé donner lieu à plus de querelles ou de division. Au contraire certaines
des personnes interrogées, dans les deux groupes, nourrissaient plus d’espoirs qu’auparavant.
Mais tout ne s’est pas passé aussi bien partout, comme le montre le cas suivant.
Cas 2 : District de Murambi (Umutara).
Le district de Murambi semble avoir été l’un des plus marqués par le génocide dans cette
région. Les massacres y furent très importants, et les prisons de Byumba détiennent un grand
nombre des personnes accusées d’y avoir pris part.
Comme ailleurs, la campagne de sensibilisation a commencé tard et s’est montrée
insuffisante, d’après nos recherches.
A Murambi la tension au sein de la population et les sentiments d’insécurité étaient élevés.
Peu de Hutu étaient disposer à se porter candidats au poste de juge Gacaca pour les raisons citées
plus haut. Des cas de manipulation et de lobbying furent mentionnés, dans une problématique
ethnique, mais aussi en fonction de la provenance et/ou des options politiques (rapatriés d’Ouganda
et de Tanzanie de 1959, souvent anglophones et partisans du FPR, en majorité Tutsis ; Hutus à
l’égard de rescapés ou du reste de la population, en majorité Hutu et francophone), ou d’autres
critères52. Malgré tout, les élections elle-mêmes se sont bien déroulées, dans le calme et la discipline.
Parmi les candidats présentés par les nyumbakumi à l’Assemblée générale de cellule (A) 39
juges furent choisis (27 hommes et 12 femmes), représentant les différentes composantes de la
société. Les débats furent animés, et des gens rejetés des deux côtés : certains pour avoir participé au
génocide de 1994 et d’autres (rescapés du génocide et de rapatriés de 1959) pour s’être mêlés à des
actions de vengeance plus tard.
De nombreux Hutu se plaignirent de partialité : après un débat de ce genre, un homme fut
rejeté par des rescapés parce que son frère avait pris part au génocide, alors que deux hommes Tutsi
accusés d’avoir commis des actes de revanche en 1996 se virent acceptés comme juges en dépit des
protestations.
L’origine des personnes ne coïncide pas forcément avec l’appartenance ethnique. Par exemple, parmi les rapatriés se
trouvent aussi des Hutus, souvent issus de familles monarchistes.
52

43

Au Siège d’un des 13 secteurs de Murambi (Gakenke) 12 membres sur 19 étaient des
hommes. Le Comité de Coordination (5) de ce secteur était constitué entièrement d’ex-refugiés qui
avaient fui en 1959 ou plus tard, pour rentrer après le génocide. Sur 65 membres du District, on
comptait 53 hommes, en majorité des ‘rescapés’ selon des sources locales.
Sur sept personnes envoyées du niveau du district à la juridiction Gacaca de la Province, il y
avait 6 hommes (dont un Hutu).
Les personnes interrogées ont souvent exprimé le sentiment que, malgré la majorité Hutu
dans l’ensemble du district, les juges étaient majoritairement Tutsi à presque tous les niveaux et
surtout au sommet, ce qui a renforcé la méfiance entre les deux groupes.
Cela se voit aussi sur un pamphlet anonyme distribué juste après les élections (dans le district
de Rukara), disant que les Hutu étaient opposés aux élections et s’apprêtaient une fois encore à
exterminer les Tutsi. Cela a accru l’insécurité dans la région et conduit certains Hutu, en particulier
d’anciens détenus relâchés, à fuir en Ouganda ou en Tanzanie.
Récemment (le 21/12/01) le président de la commission électorale de Rukara est décédé.
Cette mort est l’objet de rumeurs: certains disent qu’il a été victime d’un accident de voiture, d’autres,
(surtout les Hutu) sont sûrs qu’il a été assassiné, par jalousie (il avait une moto et un bon salaire), en
raison de son implication dans le génocide, ou en raison du soutien qu’il était censé avoir apporté à
des détenus. On dit aussi qu’il avait reçu des menaces de mort. A ce jour la cause de sa mort n’a pas
été établie.
On peut conclure qu’à Murambi, l’appartenance ethnique s’est montrée un important facteur
de division.
Cas 3 : La ville de Kigali
Comme ailleurs, d’après les statistiques, la participation a été massive à Kigali, plus forte
même que dans le reste du pays (plus de 90%). La campagne de sensibilisation là aussi a commencé
trop tard et fut inadéquate. Mais l’ambiance était bonne et tout s’est bien passé.
Parce qu’en ville les gens ont tendance à moins se connaître qu’à la campagne, il est plus
difficile d’y évaluer le rôle de l’appartenance ethnique, qui semble d’ailleurs y être moins vivace.
Cela dit, notre chercheur a observé dans les trois districts de Kanombe, Kacyiru et Gikondo
que les candidats étaient dans leur majorité d’anciens réfugiés Tutsi.
Un élu de Gikondo déclara : « Durant la présentation des candidats intègres, on voyait bien que les trois
tribus (Hutu, Tutsi, Twa) étaient présentées, mais que le nombre de Hutu semblait très faible. » La même chose a
été observée à Kacyiru (un autre juge) : “Les gens qui ont fui le pays avant 1994 se sont avancés en grand
nombre »” et un homme de s’interrogeait : “on dirait que les ex réfugiés de 1959 ont reçu une formation spéciale
de sensibilisation…”
Le résultats des élections a permis aux rescapés de dire avec une certaine satisfaction
abacu gusa », ce qui signifie dans ce contexte : “nous sommes les seuls gagnants”.

« ni

Nous avons déjà évoqué certaines des raisons pour lesquelles si peu de Hutu ont voulu se
porter candidats. Le fait que beaucoup des ex-réfugiés étaient au chômage (surtout les plus de 40
ans), peut expliquer leur motivation à devenir juges, surtout s’ils croyaient gagner un peu d’argent.

44

Néanmoins, si au niveau des cellules la représentativité des groupes de la population semble
satisfaisante, les anciens réfugiés sont souvent sur-représentés aux niveaux supérieurs.
Même si immédiatement après les élections les journaux ont affirmé que tout s’était bien
déroulé, quelques critiques se sont fait entendre un peu après :
L’association de rescapés Ibuka n’était pas très satisfaite du résultat des élections et son
président a demandé au gouvernement de les recommencer, parce que selon lui, à Byumba par
exemple, même des gens accusés de crimes de génocide avaient été élus juges.
Des détenus de Kibuye qui se plaignaient que certains de leurs anciens complices avaient
aussi été élus, ont confirmé ce phénomène, tandis que d’autres se plaignaient de ce que des rescapés
élus avaient également pris part à des actes de revanche.
Toutefois, le manque de sensibilisation fut sûrement en partie responsable du manque
d’enthousiasme d’une partie importante de la population (essentiellement les Hutus) à présenter des
candidats, et les résultats dans certaines zones ne sont pas de nature à aider ces groupes à vaincre
leurs sentiments d’insécurité et de méfiance envers le gouvernement.
Le fait qu’il ne s’est plus rien passé après les élections d’octobre 2001 (ni sensibilisation, ni
formation), et que calendrier relatif à la préparation du scrutin et au scrutin était vague et trop
élastique, a semblé décourager de nombreux juges potentiels. On peut raisonnablement penser que le
manque d’avantages financiers importants va probablement les décourager encore plus. Cet aspect
pourrait également augmenter les risques de corruption.
L’une des principales inquiétudes des deux groupes est le fait que les juges de cellule (peu
éduqués) sont chargés de tâches aussi cruciales que l’établissement de listes de faits sur les
événements, de conduire de enquêtes, d’évaluer les « fiches » transmises par le bureau de Procureur,
et de classifier les prévenus. Plusieurs intellectuels craignent que même avec une formation, ce ne soit
trop demander aux juges improvisés des cellules.
Sur la base de ces informations, on peut quand même conclure que le processus électoral en
général a en effet été acceptable.

45

3.

Recommandations

Remarque : nous espérons que les éléments parfois critiques que nous présentons ici
serviront à améliorer le processus Gacaca pour en faire un instrument de justice et de réconciliation.
Nous persistons à le considérer comme un système porteur d’espoir, plus que tout autre qui
appartienne au système juridique classique ou s’apparente à la « Commission de Vérité et de
Réconciliation » mise en place en Afrique du Sud.

3.1. Principales observations et recommandations
1. Le volet “justice” du programme Gacaca est en bonne voie. Le second objectif des
juridictions Gacaca, la réconciliation, ne l’est pas. Même si mettre fin à l’impunité est une condition
nécessaire à la réconciliation, cela ne suffira pas. Des actions de réconciliation plus approfondies
sont une nécessité.
2. Le rôle de la Commission de Réconciliation au sein du programme Gacaca est reconnu
comme crucial. Cependant ses activités sont soit inconnues du public, soit déconsidérées car perçues
comme partisanes, en particulier par la population Hutu. Il est urgent de la restructurer et de lui
donner plus de moyens.
3. Si la réconciliation et le dévoilement de la vérité restent les objectifs des sessions de
tribunaux Gacaca, ceux-ci devraient aussi permettre des débats sur des cas de violations des droits de
l’homme, qui ne rentrent pas dans la définition de génocide au sens légal. Si cela n’est pas permis, la
justice sera affaiblie et les espoirs de réconciliation future en souffriront.
Il est nécessaire pour le succès de l’ensemble du programme Gacaca que tous les lois et
décrets qui y sont relatifs, comme le décret sur les travaux d’intérêt général et la loi d’indemnisation,
soient signés avant que les tribunaux Gacaca ne commencent à siéger. Il faut aussi que
l’infrastructure nécessaire soit en place, et que la population ait pris conscience de ce que signifient
ces travaux d’intérêt général ainsi que la notion de réparation, faute de quoi le programme Gacaca
dans son ensemble pourrait être un échec.
Nous recommandons une réévaluation de la relation entre les travaux d’intérêt général et le
développement en général, au niveau local, en particulier pour voir comment ces travaux peuvent
aider les rescapés et d’autres groupes vulnérables.
Les travaux d’intérêt général pourraient être conçus et organisés de manière à être utilisés et
perçus par les rescapés du génocide comme une forme de réparation à leur égard. Ce d’autant plus
que les indemnités auxquelles peuvent s’attendre ces rescapés seront probablement en réalité
extrêmement modestes et sans doute très décevantes pour eux.
Les campagnes de sensibilisation sur Gacaca n’atteignent pas leurs objectifs. Ni en ville (par
manque d’intérêt), ni dans les campagnes (par manque d’information) le degré de connaissances à

46

propos des juridictions Gacaca n’est suffisant. Ceci est particulièrement vrai pour l’exécution des lois
Gacaca en général, le rôle des travaux d’intérêt général comme alternative à la détention,
l’indemnisation des rescapés (ce groupe nourrit parfois des espoirs bien peu réalistes), le rôle des
juges Gacaca, et la sécurité dans les collines et dans les prisons. De plus, la sensibilisation des détenus
eux-mêmes reste largement insuffisante, et souvent fondée sur de fausses informations.
Pour améliorer l’information de la population sur Gacaca, toutes les institutions concernées :
Minijust, 6ème Chambre, Minaloc, Mininter, la Commission d’Unité Nationale et de Réconciliation, et
diverses ONG locales et internationales devraient faire preuve de plus de coopération, pour lancer
une campagne de sensibilisation mieux concertée.
Parce que les procédures d’aveux peuvent être considérées comme le pilier des cours Gacaca
il est fortement recommandé d’améliorer le sort de ceux qui avouent :
En séparant physiquement, quand c’est nécessaire, les détenus qui ont avoué de leurs
co-détenus (la communauté internationale devrait financer ceci, au moins en partie).


En motivant les détenus qui avouent, par exemple en leur donnant la priorité pour
participer à des travaux, ou un peu plus de temps avec leur famille lors des visites, en tant que
compensation et aussi pour permettre aux détenus d’expliquer à leurs proches le pourquoi et le
comment de leurs aveux, de les sensibiliser et de contrebalancer la pression exercée sur les
familles par leurs communautés, etc.


Par ailleurs, l’accélération de l’enregistrement des aveux par le gouvernement ne pourrait que
faire évoluer positivement les choses.
On peut imaginer que pendant la durée du programme Gacaca et après lui, des tensions
montent, par exemple entre des détenus exécutant une peine de travail d’intérêt général et des
rescapés. Dans un contexte où l’héritage du génocide est encore vivace (sentiments d’insécurité, de
dépendance, et désir de représailles), mais où, après Gacaca, les membres d’une même communauté
devront à nouveau coopérer, il pourrait être utile de disposer de modèles de résolution de conflit au
niveau de la communauté, parallèlement au recours à l’intervention policière et aux processus légaux
classiques.
Les cours Gacaca traditionnelles pourraient continuer, et remplir cette mission.
Il est probable que lorsque le travail des juridictions Gacaca sera achevé, les prisons
abriteront encore beaucoup de détenus. Le secteur pénitentiaire restera surchargé, et les conditions
de vie risquent de s’y détériorer encore plus avec le temps. Cela entraînera d’autres problèmes lors de
futures tentatives de réconciliation. Le soutien au secteur pénitentiaire devrait donc attirer plus
d’attention et d’aide matérielle, maintenant et à long terme. Il faut également rechercher des
alternatives à la détention.
Les réunions au plus haut niveau entre les représentants du gouvernement rwandais et des
pays donateurs ne suffiront pas, par elles-mêmes, à faire progresser de façon concrète le programme
Gacaca. D’autres moyens devront être utilisés si un suivi réel du programme doit être mis en place, et
si l’on souhaite lui apporter les modifications adaptées.
47

Les moyens d’améliorer les situations présentées plus haut devraient être envisagés, et une
action lancée dès maintenant.

3.2. Des questions sensibles qui demandent à être étudiées
avec soin
Comme nous l’avons indiqué au début de ce rapport, un grand nombre de réactions
recueillies pendant la dernière période de l’enquête soulignent l’existence d’autres problèmes qui
devraient être étudiés avec soin lors de la mise en place de Gacaca. Il s’agit du problème des viols en
tant que crime de catégorie 1, du fonctionnement des cours Gacaca et des violences présumées des
soldats RPF en 1994, ainsi que le débat autour de l’identité ethnique.

3.2.1 Le viol comme crime de catégorie 1
Comme l’a montré African Rights53 parmi les premiers, le viol systématique des femmes
Tutsi survivantes était l’un des instruments du génocide, et les femmes considérées comme la
récompense du génocide. Beaucoup d’entre elles ont été à la fois violée et torturées. Certaines ont été
ensuite tuées et d’autres retenues comme esclaves sexuelles. Nombre d’entre elles devinrent enceintes
et portèrent les enfants de leurs violeurs, beaucoup contractèrent le SIDA.
Des études menées54 par la suite ont estimé que près de 250.000 femmes ont été violées
entre 1990 et 1994 et que 30.000 grossesses ont résulté de ces viols. On pense que 67% des femmes
survivantes sont séropositives.
La même publication de African Rights considère que le viol en tant qu’acte de guerre détruit
le sentiment de sécurité et l’identité de la victime et l’isole de sa famille et de sa communauté.
Beaucoup ont été stigmatisées et souvent frappées d’ostracisme. Elles sont partagées entre la honte et
le poids du chagrin et de la souffrance, et trouvent généralement peu de sympathie et de solidarité au
sein de leur communauté.
Lors de notre enquête, nous avons découvert que la situation avait très peu évolué, malgré
l’amélioration des services sociaux d’assistance fournis par des organisations comme AVEGA
(Association des Veuves du Génocide d’Avril) et ARTC (Association Rwandaise des Conseillers en
Traumatisme). Nous avons même eu l’impression que les sentiments d’insécurité et de désespoir
avait augmenté chez ces femmes récemment, du fait du lancement prochain des juridictions Gacaca,
car des souvenirs anciens sont ravivés par l’anticipation des audiences publiques et des aveux.
Beaucoup ont demandé à bénéficier d’un traitement médical et psychologique (tests du SIDA, etc.).
Témoignages – Femmes Rescapées
(…) Nous sentions une certaine angoisse si ce n’est qu’accuser ceux qui ont tué ; ça devenait une
grande discrétion et nous nous sentions humiliées.

53 African Rights: “Rwanda: Death, Despair and Defiance”; Londres: African Rights, août 1995 (nouvelle édition),
Chapitre 10: “ Viol et enlèvement des femmes et fillettes”.
54 Cité dans une proposition de recherches récente de IRC-Rwanda sur la violence sexuelle.

48

Pour les femmes, nous sommes assez méprisées et toujours sous-estimées pendant que l’homme qui a
eu le même malheur que nous, ne rencontre aucune humiliation de la part des membres de familles ou
des auteurs même des crimes de génocide. Tant qu’on on n’a pas d’abris, on est humiliées et c’est la
cause des agressions faites aux femmes.
Dire : moi j’ai été violé ou ça s’est passé comme ceci ou comme cela ? Jamais.
Le viol: dans le temps ; nous n’avons pas osé le dire mais actuellement ce n’est plus le cas, nous
voudrions bien le signaler, et quand nous le faisons, ils nous disent que ce sont des mensonges car il
fallait le signaler avant.
Pour moi je pense que les gens (qui ont commis le viol) doivent être punis,…
Pouvoir en parler n’est pas facile, la plupart (des femmes) n’auront pas le courage alors qu’elles ont été
violées, c’est très dur.
Ce n’est pas nécessaire que ma mère le sache parce que j’ai été violée en son absence, je préférerais
que cela lui reste inconnu ;
Ce que je souhaite c’est qu’au moment de Gacaca on ne nous mette pas devant toute l’assemblée pour
relater ces faits ; sans cela je ne ferais que pleurer..
Le viol n’était pas fait nécessairement en public, comment acceptera-a-t-on le témoignage de la victime
sans qu’il ait quelqu’un qui ait vu ? Comment fera-t-on quand le coupable plaidera non coupable ?
Comment pourra-t-on connaître les criminels qui ont fait le viol dans d’autres secteurs et qui seront jugés
chez eux, ne seront-ils pas reconnus innocents ?
Alors de Gacaca nous serons troublées, ça ne manquera pas. Même actuellement quand nous allons
accuser quelqu’un, les gens disent : ces gens sont des fous. Est ce qu’elles nous accusent pour
ressusciter les gens de leurs familles qui ont été tués. Ou bien, elles ne mangent plus, elles ne travaillent
plus, leurs préoccupations c’est d’accuser les gens. Elles veulent nous faire tuer seulement, est-ce
qu’elles ne peuvent pas nous laisser tranquille ?
Pour la plupart des dossiers déjà constitués nous n’avons pas mentionné le viol et nous pensons faire des
ajouts au moment de Gacaca. (…) parmi les auteurs du viol il y en qui ont été libérés lors des
présentations des détenus à la population alors qu’ils avaient été chargés au moment de leurs
arrestations. Nous nous demandons si l’Etat va les poursuivre et les punir sévèrement.
Dès les premières accusations nous devrions avoir dénoncé ce crime (de viol) mais l’Officier de Police
Judiciaire (OPJ) qui était là ne voulait pas entendre parler d’autre chose si ce n’est qu’accuser ceux qui
ont tué. L’OPJ m’a finalement obligée à abandonner le dossier.
Pour ce qui est des tribunaux ordinaires je pense que je n’aurai aucune satisfaction au moins dans le
Gacaca je l’ai vu et j’ai témoigné moi-même de ce qu’il a fait.
Eu égard à la coutume ou à la façon de faire des rwandais, nous constatons que les hommes attachent
peu d’importance aux problèmes des femmes. Les hommes banalisent toujours les idées des dames…
Comme punition (pour viol) que nous proposons et qui pourrait nous satisfaire, il faudrait les tuer. Je ne
trouve pas d’autres peines que de les tuer !

Il est clair que bien que les femmes réclament de lourdes peines pour les viols (souvent
associés au meurtre de leur mari et de tous ou de certains de leurs enfants), elles semblent avoir plus
confiance dans les cours Gacaca que dans les cours criminelles. Cependant, ce qui semble très
significatif pour ces femmes – et c’est presque universel – c’est que la sévérité de la peine semble
moins importante pour elles que le fait d’entendre le verdict selon lequel le violeur est une personne
coupable et punissable. L’actuelle classification du viol en catégorie 1 fait que peu de femmes violées
ont des chances d’entendre une telle déclaration, dans la mesure ou elle entraînerait une
condamnation à mort du coupable, ou à tout le moins une condamnation très lourde.
49

D’après la loi actuelle, toute forme de viol ou de torture sexuelle (du « simple viol » au viol en
groupe et aux mutilations sexuelles) est classée comme crime de génocide de catégorie 1. Cela semble
dû au fait qu’au Rwanda, le viol des femmes Tutsi était la règle et son absence l’exception55. Même si
le viol constitue un abus spécifiquement sexuel, il a servi une fonction politique pendant la période
du génocide, servant à humilier la population victime dans sa totalité. Selon la logique des
génocidaires, les enfants nés de ces viols seraient – dans la culture rwandaise – considérés comme
Hutu et participeraient donc à l’élimination finale de l’ensemble de la population Tutsi, assurant ainsi
la domination totale des Hutu.
Si l’on admet ce raisonnement, on peut douter que faire du viol un crime de catégorie 1
puisse servir l’objectif de justice et de réconciliation nationale. En effet, cela signifie que peu de
femmes viendront témoigner parce qu’elles subiront des pressions énormes, et que virtuellement
aucun détenu ne viendra avouer qu’il a commis un viol, du fait de la peine lourde qui s’ensuivrait
automatiquement. D’après les données de nos recherches, la pression exercée sur ces femmes par
leur communauté pour les empêcher de témoigner est énorme, et la procédure très longue : lors de
réunions au niveau des cellules, elles doivent d’abord dire (en public ou à huis-clos) aux juges de leur
communauté (principalement des hommes) qu’elles ont été violées, par qui et dans quelles
circonstances. Sur la base de ces informations ces juges devront alors décider dans quelle catégorie
placer l’accusé. S’il s’agit effectivement d’une accusation de viol (et il n’y a pas de définition du viol,
ni des tortures sexuelles) alors l’accusé sera inclus dans la catégorie 1 et son dossier transmis à la cour
pénale, sauf s’il a admis la faute.
A la suite de quoi, la femme devra affronter la procédure des cours pénales et même si elles
décidait de le faire, comme l’a montré Martien Schotsmans56, la condamnation pour crimes sexuels
demeure extrêmement rare57, pour les raisons qu’elle a données dans son étude.
Bien que les autorités aient exprimé leur réticence à changer cette catégorisation, pour notre
part, et à l’unisson des sentiments fortement exprimés par certains représentants d’organisations
féminines au Rwanda, nous espérons qu’il sera possible de rouvrir le débat sur ce sujet. D’après ses
recherches, l’équipe de PRI a l’impression que la catégorisation actuelle est sérieusement
préjudiciable aux intérêts d’un groupe de femmes déjà très vulnérable58.

3.2.2 Faut-il ouvrir le débat au passé proche ?
L’un des objectifs principaux des juridictions Gacaca sera de parvenir à la réconciliation et à
la justice au Rwanda. Pour y parvenir et éradiquer définitivement la culture de l’impunité, la
population est appelée à témoigner, à dévoiler la vérité et à participer à la poursuite et au procès des

55

E/CN.4/1996/68, rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Rwanda.

56 Schotsmans Martien: « Le droit à la réparation des victimes de violences sexuelles pendant le génocide : analyse de l’état
actuel - obstacles - suggestions de solutions » Kigali, ASF, mars 2000.
57 En effet, si les peines encourues sont très lourdes, de telles condamnations ont rarement été prononcées, notamment
en raison de la difficulté à produire des preuves.

Cf. annexe 3: « Résumé de la réunion de 29/08/01 au Bureau de PRI sur les poursuites pour le viol ou les actes de
tortures sexuelles. »
58

50

coupables présumés des crimes de génocide ou des crimes contre l’humanité perpétrés entre le 1er
octobre 1990 et le 31 décembre 1994.
Nous avons constaté, pendant notre enquête au deuxième semestre 2001, que les attentes à
propos d’une éventuelle réconciliation entre les deux groupes ne sont pas très élevées. Ni chez les
victimes à cause du récent traumatisme du génocide pendant lequel environ un million des leurs a été
tué, et de l’appauvrissement qui en est la conséquence. Ni chez les Hutu parce qu’ils pensent que la
réconciliation ne dépend pas d’eux au départ mais des Tutsi et de l’Etat Rwandais. Ils pensent
qu’aucun des deux ne s’y intéresse vraiment, les laissant eux-mêmes dans la confusion quant au rôle
qu’ils pourraient être amenés à jouer dans un éventuel processus de réconciliation.
Témoignages 1 – Rescapés et réfugiés rentrés d’exil
Réconcilier ? Les Hutu ont tué les nôtres, pillé nos biens, mangé nos vaches et cela n’a pas empêché
qu’on cohabite, partage les vivres et les boissons ; quelle réconciliation vous voulez encore ?
Je ne vois pas pourquoi on n'a pas continué à exécuter ceux qui ont déjà été condamné à une peine
capitale.
Pourquoi ne pas demander d’abord au FPR et au MRND de se réconcilier ou bien les autorités de l’ancien
régime et celle du régime actuel, demander par exemple à Twagiramungu et Sebarenzi de revenir pour
cette réconciliation.
La guerre n’est pas terminée, je ne peux pas avoir confiance en aucun Hutu. Ils sont dangereux.
La personne dite Tutsi a été menacée depuis toujours.
Après les jugements qui ont été prononcés, aucune indemnisation n’a été donnée à un rescapé ; on se
demande ce que fait l’Etat.
Le rescapé n’est pas aidé, qu’il soit veuf ou orphelin.
Pourquoi il n’y a pas des projets pour aider les rescapés ?
Femme rescapée (assez traumatisée) : si j’avais d’autres préoccupations je n’hésiterai pas de leur
pardonner.
(Jeune femme) : (…) la population non rescapée nous insulte... Personne ne peut te dire bonjour et quand
le soleil commence à brûler, tu ne peux demander à personne de l’eau pour apaiser la soif alors qu’ils
étaient les voisins.
Chez nous je ne pense pas que nous jouirons de cette réconciliation.

Témoignages 2 – Détenus
C’est un long chemin à parcourir. On peut se poser quatre questions : comment, pourquoi, quand et où la
réconciliation peut se faire ?
On doit partir de la réhabilitation de la culture rwandaise qui a été détruite.
Cela se ferait sur les collines à travers les mariages mixtes, le partage de la bière, etc.
Favoriser l’amour du prochain qui n’a pas de frontière et bannir la haine. Pourquoi au niveau des églises
le problème de division ethnique ne se pose pas ? Il n’y a pas d’église d’un Hutu ou d’un Tutsi.
Les gens doivent être francs et se dire la vérité, ainsi la réconciliation sera possible.
Il y a un problème majeur de l’ignorance des rwandais, il faut un long processus de sensibilisation et
d’enseignements.
Il faudrait implanter une vraie démocratie.

51

Bonne gouvernance : les gens au pouvoir doivent reconnaître qu’ils travaillent pour le peuple et mettre en
considération leurs idées.
Il faut que le pouvoir, représenté par les autorités, demande pardon à la population, ce sont les autorités
qui ont planifié le génocide. L’Etat Rwandais est responsable des tueries qui ont eu lieu, il faut qu’il
demande pardon, qu’il montre toutes les fautes commises, les problèmes créés et trouve des solutions.
L’Etat a reconnu sa responsabilité, il a mis sur pied le fond d’assistance aux rescapés du génocide, c’est
sa contribution.
Qu’est-ce que l’Etat prévoit pour les réfugiés qui sont encore à l’étranger, pour parvenir à une
réconciliation entière ?
Ce sont les autorités qui freinent le processus (la réconciliation).
Il y a des inquiétudes des deux côtés. Il faut une force de l’Etat qui permette de traiter les gens sur le
même pied d’égalité.
Le cas du rescapé qui a peur de cohabiter avec le détenu de la 2ème catégorie mis en liberté provisoire
pour exécuter le TIG, que fera l’Etat si les gens comme lui deviennent nombreux et s’ils persistent dans
cette vision ?
Il faudrait une justice libre et non penchée vers telle ou telle ethnie. Une justice qui ne soit pas extrémiste,
pas seulement pour les membres d’Ibuka mais une justice pour tous. Il faut des lois qui pourront
contribuer au respect des droits humains.
Après le génocide, les Hutu ont perdu pas mal des leurs, il faudrait penser d’appliquer aussi la justice en
ce sens, sinon la réconciliation serait entravée. Il faudrait une compréhension mutuelle : que chaque
partie reconnaisse ses torts et en demande pardon.
Des deux côtés il y a eu des morts, pourtant on ne parle que des gens d’une seule ethnie ; On veut
globaliser en appelant tout le monde [Hutu] criminel ou génocidaire alors que, d’un autre côté, on veut la
réconciliation.
Nous souhaitons la réconciliation, nous ça ne nous regarde pas, ça regarde les rescapés, il faut que nous
les rencontrions…on peut utiliser le téléphone comme moyen de communication… (Durant de telles
rencontres) éviter de se faire représenter par des extrémistes qui existent des 2 côtés (Hutu : il n’y a pas
eu de génocide ; Tutsi : tous les Hutu sont des tueurs).
Les rescapés devraient prendre le devant car ce sont eux qui ont les possibilités de donner ou refuser le
pardon.
Les rescapés ne veulent pas dire la vérité alors que nous, les détenus, nous avons commencé à nous
reconnaître coupables.
A travers le projet DIDE (Runda) nous avons tenté de nous réconcilier avec les rescapés de Runda en les
invitant à partager la production que nous avons réalisée mais ils ont refusé. Cela montre qu’ils ne veulent
pas la réconciliation.
Pour tirer plus de vérité il faudrait une descente sur la colline (cellule) et établir une liste de ceux qui ont
trempé dans le génocide.

Si la réconciliation est vraiment l’un des objectifs principaux du processus Gacaca, il pourrait
être utile que toutes les parties impliquées puissent au moins parler de leur souffrance lors des
sessions Gacaca : surtout les survivants du génocide ou “rescapés” (principalement Tutsi mais aussi
certains Hutu) qui devraient avoir toute possibilité de relater leur souffrances lors du génocide, mais
aussi d’autres qui ont souffert, comme les réfugiés Tutsi exilés et même des Hutu victimes d’actes de

52

revanche ou qui ont souffert dans des camps au Zaïre après le génocide, ou encore les BaTwa59, qui
sont le plus souvent oubliés.
Il y a aussi les questions que posent souvent les détenus libérés, restés en détention
préventive pendant des années sans aucune preuve de leur culpabilité et qui aimeraient savoir s’ils
auront droit à une forme de compensation.
La sensibilité des questions mentionnées ici ne devrait pas être ignorée, spécialement du fait
de l’absence d’un programme d’indemnisation significatif60.
Qu’il s’agisse de rescapés qui veulent savoir ce qui est arrivé à leur famille, où ils sont
enterrés, qui est responsable, qui a participé, qui s’en est abstenu, ou de Hutus qui, tout en
reconnaissant le génocide veulent également que la lumière soit faite sur les exactions commises par
la suite, nombreuses sont les personnes interrogées qui veulent que soit révélée la “vérité” sur cette
période. Cela est légitime, mais ne doit en aucune façon minimiser le génocide de 199461 et la thèse
du double génocide doit être absolument refusée. Pour réduire à la fois la peur, la colère, la tristesse
et la méfiance au sein des divers groupes ethniques, nombre de personnes interrogées ont affirmé
qu’un débat plus ouvert sur ce passé récent, un encouragement à coopérer et une bonne volonté de
toutes les parties concernés (rescapés, prisonniers, personnes de retour d’exil, et la communauté en
général) pour s’écouter mutuellement permettrait de faire un grand pas sur le chemin de la justice et
de la réconciliation62.
D’après de nombreux intervenants, cela pourrait peut-être constituer la base d’une
acceptation mutuelle, du développement d’une confiance mutuelle et finalement de la réconciliation,
sans laquelle le danger d’un retour de la violence sera toujours présent.

59 Les BaTwa sont dans une position très difficile. La plupart du temps ils semblent oubliés de tous, Rwandais comme
organisations étrangères. Ils sont très peu nombreux et ont toujours dans l’histoire été victimes de discrimination,
principalement du fait de leur identité ethnique. Ils ont adopté diverses stratégies pour survivre le mieux possible, par la
neutralité ou l’alliance avec le groupe au pouvoir, ce qui impliquait de changer d’alliance au rythme des changements de
régime. Nombre d’entre eux qui tentèrent de rester neutres ou s’opposèrent au génocide furent tués, beaucoup d’autres
prirent part au génocide furent tués ensuite, ou incarcérés (un grand nombre semble avoir disparu en prison). En tant que
groupe ils sont confrontés à toutes sortes de difficultés parce que, même placés tout en bas de l’échelle sociale en tant que
BaTwa, ils ne peuvent utiliser leur identité ethnique dans leur lutte pour l’émancipation socio-économique et leur
acceptation en tant que Rwandais, devenant les victimes du discours « nous sommes tous des Rwandais ». Ils ne sont pas
acceptés et ne le seront pas s’il ne leur est pas permis d’expliquer leur histoire spécifique, leur expérience et leurs projets
d’avenir en tant que BaTwa au sein de la société Rwandaise.
60 Etant donnée l’insécurité ressentie par les rescapés, la réconciliation ou le simple fait de vivre ensemble en paix ne se
feront pas sans un soutien concret et significatif aux victimes du génocide. Comme nous l’avons souligné plus haut, la loi
d’indemnisation n’est pas encore passée, alors que les cours Gacaca doivent démarrer bientôt.
61 Le Rwanda est un cas clair de génocide absolu, parce que la politique de l’état rwandais a consisté en l’annihilation de
tous les Tutsi rwandais, et que l’armée, les unités de police et les citoyens se virent donner l’ordre de les tuer jusqu’au
dernier. Selon nous, il n’y a eu au Rwanda qu’un génocide, celui décrit plus haut, et en aucune façon on ne peut parler de
“double génocide,” comme l’ont fait certains partisans des génocidaires.
62 D’après le psychologue Rwandais Simon Gasibirege (interview du 27/09/01), en raison de la crainte et de la colère
réciproques, qui sont des sentiments dangereux, les gens ont tendance à ne pas s’écouter. En ce moment chacun compare
ses souffrances à celles des autres, et chacun croit qu’il a souffert plus que les autres, ce que Gasibirege considère comme
un problème sérieux, car si un homme est incapable de ressentir de la compassion envers un autre, ils ne peuvent pas se
comprendre. Comme nous, il observe que Tutsi et Hutu semblent avoir du génocide une perception très différente, ce
qui rend les échanges à ce sujet difficiles. Gasibirege pense que les Rwandais n’ont plus de valeurs en commun, ce qui les
empêche de parvenir à une compréhension mutuelle du génocide et des stratégies à adopter pour faire progresser la paix.

53

Nous avons souvent entendu dire qu’un tel débat pourrait aussi aborder le thème des
violations des droits de l’homme (actes de revanche et représailles) commises par les soldats du FPR
en 199463, par exemple dans la commune de Runda où les soldats FPR ont tué des civils sans armes,
des femmes et des enfants pour la plupart. Même s’il ne s’agissait pas de crimes de génocide, ces
meurtres pourraient être considérés comme appartenant à la catégorie des « crimes de guerre et
crimes contre l’humanité » qui relèvent également de la loi Gacaca.
Ces violations ne seront probablement pas évoquées lors des sessions des cours Gacaca, car
les autorités ont affirmé qu’il fallait faire la distinction entre les crimes de génocide et les autres
crimes, et que les soldats qui ont tué pour se venger ont déjà été punis64.
Ces types de crime peuvent aussi relever de la loi pénale normale et être traités (comme ce fut
le cas à Runda) par les tribunaux militaires ou civils. Mais les victimes de tels crimes (souvent des
détenus et/ou leur famille) craignent qu’ils ne soient jamais évoqués si ce n’est par les juridictions
Gacaca. Ce groupe invoque ce thème au nom de la réconciliation – même si on a quelques raisons de
penser que ce n’est pas leur réelle motivation.
Le sentiment qu’il existe un préjugé contre les Hutu et en faveur des Tutsi est très répandu
parmi la population Hutu en général (comme nous l’avons observé pendant notre étude) : ils pensent
que le gouvernement utilise deux poids, deux mesures, et citent comme exemple la façon dont la
commémoration du génocide (ainsi que des massacres) est organisée, et la teneur du discours : on ne
parle plus de Tutsi/Hutu mais souvent de victimes/coupables (rescapés/génocidaires) 65.
Il serait utile que ce type de question puisse être posé pendant la campagne de sensibilisation.

3.2.3 Ne pas faire le pari de la justice au détriment de la réconciliation
Comme nous l’avons mentionné plus haut, nombreux sont les Rwandais qui n’ont pas
confiance dans la justice en général et les juridictions Gacaca en particulier. Les campagnes
d’information qui ont lieu mettent beaucoup plus l’accent sur les aspects juridiques que sur le côté
socio-politique du programme Gacaca.
Et même si ce processus Gacaca doit être considéré – d’après nous – principalement comme
un processus socio-politique, sa mise en œuvre directe est entièrement entre les mains d’hommes de
loi qui ont tendance à insister seulement sur son aspect légal. « Nous ne faisons qu’appliquer la loi » :
c’est non seulement l’attitude officielle mais aussi celle d’ASF (Avocats sans Frontières) qui a aidé la
6ème Chambre à préparer un manuel technique à l’usage des juges Gacaca qui s’avère très utile mais

63 Human Rights Watch, « Leave None to Tell the Story, Genocide in Rwanda », New York, mars 1999, pages 702-735.
64 Traduction de GTZ (4/10/01) d’un message radio à la veille de l’élection: « Dans son discours le Président de la
République a souligné que l’on doit faire la distinction entre crimes de génocide et autres crimes. Il a indiqué que pendant
le génocide, les personnes civiles qui portaient des armes et qui se comportaient en militaires ont tué et ont été tuées dans
les combats, d’autres personnes ont été tuées par vengeance mais les militaires qui se sont vengés ont été punis. Les
personnes de mauvaise foi, qui sont contre l’unité et la réconciliation, qui cherchent à minimiser le génocide et poursuivre
les combats, accusent le FPR d’avoir commis le génocide des Hutu, cela n’est pas vrai. »
65 Voir aussi Nigel Eltringham & Saskia Van Hoyweghen: Power and Identity in Post-genocide Rwanda, dans Doom,
Ruddy & Jan Gorus (eds):”Politics of Identity and Economics of Conflict in the Great Lakes Region”, Bruxelles: VUB
University Press, 2000.

54

exclusivement technique. D’après nos observations, une vraie compréhension des aspects non légaux
et de réparation n’est pas pour tout de suite.
A l’exception de quelques introductions à des comparutions de détenus, et de certains
programmes de radio qui pour la plupart n’atteignent pas les populations des zones rurales, nous
avons trouvé que les craintes exprimées par la population (impartialité et indépendance des juges
Gacaca, difficultés à établir la « vérité » dans cette situation post-génocide) sont le plus souvent
ignorées et que la « réconciliation » demeure simplement un mot souvent cité et sans grande
substance. Les travaux d’intérêt général en tant que peine et outil possible de réconciliation sont mal
expliqués, et les intentions du gouvernement quant à l’indemnisation des survivants du génocide –
une pré-condition aux progrès de la paix – demeurent peu claires.
Au début des débats sur Gacaca (mi-1999) on espérait beaucoup que la « vérité » (les faits)
serait établie : tout le monde avait vu ce qui s’était passé et les gens parleraient, même évoquer les
viols ne semblait pas être un problème. D’ailleurs, disait-on, le parjure serait puni, avec des peines
allant jusqu’à 3 ans de prison…
En participant à plusieurs présentations de détenus sans dossiers à la population, nous avons
constaté que la réalité était souvent bien différente : la majorité des personnes présentes ne témoigne
pas (pour les raisons mentionnées plus haut), se garde de mettre en cause les détenus présentés, ou
seulement pour les disculper. Les participants font preuve d’une attitude attentiste, laissant aux «
rescapés » la charge d’incriminer les personnes présentées. Cette attitude rend les survivants du
génocide de plus en plus exaspérés par leurs concitoyens muets, et les pousse parfois, d’après nos
observations, à enjoliver leur propre témoignage. Avec le temps, tout cela pourrait engendrer
méfiance et frustration croissantes au sein des deux groupes.
Il est intéressant de noter que certains spécialistes rwandais des sciences sociales (par
exemple le psychologue Simon Gasibirege et le chercheur Charles Ntampaka) ont une opinion
relativement différente à propos de la définition du mot « vérité ». Pour Ntampaka66, la « vérité » est
un concept fort variable pour chaque personne, en fonction des intérêts en jeu, de la confiance dans
les autorités et du degré d’obéissance envers elles, ainsi que de la place de chacun dans la hiérarchie
sociale et au sein de la communauté.
Si l’on privilégie une approche classique de la justice, connaître la « vérité » absolue (les faits)
sera l’un des objectifs principaux des juridictions Gacaca et étant données les circonstances décrites
plus haut, cet objectif sera très difficile à atteindre. Si en revanche on privilégie l’aspect réconciliation,
les cours Gacaca pourraient peut-être contribuer à faire naître une conception mieux acceptable de
part et d’autre, plus négociable, du concept de « vérité » et de son interprétation dans la
détermination de la culpabilité, de l’innocence, et du juste châtiment des crimes.

3.2.4 La question de l’identité et le processus Gacaca
Dans le Rwanda contemporain actuel, parler de Tutsi, de Hutu ou de Twa est extrêmement
sensible politiquement. La raison en est bien sûr évidente et peut se comprendre, l’appartenance
66

« Vérité et opinion dans la société rwandaise traditionnelle », Dialogue n° 221, mars-avril 2001, pp 3-24.

55

ethnique ayant été manipulée par les précédents gouvernements dans un but de discrimination et
d’exclusion de la population Tutsi, entraînant un état de violence qui culmina par la suite dans le
génocide de 1994. De plus, de nos jours, le fait que des partis d’opposition agissant depuis l’étranger,
comme ARENA67 basé aux Etats-Unis et au Canada, insistent sur la présence de trois groupes
ethniques au Rwanda et exigent le partage du pouvoir sur cette base, ne simplifie pas ce problème du
débat autour de la question ethnique.
Pour cette raison, les discussions et débats sur le processus Gacaca deviennent parfois très
confus, voire totalement inintelligibles, car cette identité ethnique constitue toujours une réalité
sociale importante : pour la plupart des Rwandais adultes, l’image de soi s’est toujours construite en
premier lieu autour d’une de ces identités politico-ethniques, et souvent à un degré moindre sur leur
identité de citoyen Rwandais. Dans le passé, la haine entre ethnies était le produit de manipulations
idéologiques68 et politique délibérées, inspirées par le régime au pouvoir à l’époque. Mais le fort
sentiment d’appartenance ethnique69 et les sentiments réciproques de crainte et d’insécurité que
nous avons observés pendant nos recherches sont toujours d’actualité : on ne peut en nier l’existence
et dire « nous sommes tous des Rwandais maintenant » ou encore « l’appartenance ethnique, c’est du
passé».
Tout en reconnaissant que pour la plupart des Rwandais différents groupes ethniques existent
au sein de la population (quoique très étroitement liés par leur langue, culture, et religion communes,
et par de nombreux mariages inter-ethniques), la législation pourrait interdire toute forme de
discrimination ou de ségrégation basée sur des différences ethniques réelles ou de présumée, comme
le fait d’ailleurs la nouvelle loi anti-discrimination70. De même, on ne fait pas progresser la lutte
contre la discrimination raciale en refusant d’admettre qu’il peut exister certaines différences, par
exemple de couleur. Cela devient seulement un problème en soi quand de vraies ou de prétendues
différences sont utilisées pour dénigrer un groupe en particulier et en justifier l’exploitation et la
discrimination – comme par exemple en Afrique du Sud pendant l’Apartheid – ou procéder à
l’élimination d’un groupe déterminé (Arméniens, Juifs ou Tutsi).

Cf. la traduction GTZ d’un article de presse (Journal UKURI N° 138) du 27/11/01: “A Californie, Congrès du parti
politique d’opposition présidé par Sebarenzi Joseph Kabuye, ancien président de l’Assemblée Nationale, en exil ».

67

68 Pour rester au pouvoir et détourner vers eux l’insatisfaction croissante de la population, le gouvernement précédent a
su avec grande habileté dénigrer le groupe minoritaire du pays, faisant des Tutsi les outsiders, les boucs-émissaires par
excellence. Les Tutsi furent désignés comme boucs-émissaires et source de toute infortune et de tout mal. Le régime
précédent parvint à tirer les ficelles pour donner une image négative et destructrice des Tutsi, augmentant l’inégalité et
l’exclusion, avec pour conséquences une haine croissante, la légitimation de la violence, l’impunité, et finalement le
génocide. L’ancien régime réussit à faire accepter cette image négative à la population, qui fut diffusée via des interactions
sociales au sein des communautés locales de telle manière que beaucoup de membres de la majorité Hutu (le groupe en
faveur) se mirent à penser qu’il était acceptable d’exclure les Tutsi, de faire appel à la violence contre « eux », et
finalement de « les » exterminer. Une culture d’ « obéissance à l’autorité » et des séries de sanctions négatives et
d’incitations positives firent le reste.

69 L’un des premiers mots que j’ai appris en Kinyarwanda fut la question “est-il un des nôtres ?” (“ni uwacu” ou “ni
uwacu gusa?”) en référence à l’identité ethnique de l’orateur : Hutu, Tutsi ou Twa.
70 D’après la Constitution de 1991, maintenant objet de débats, “tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans
distinction de race, couleur, origine, origine ethnique, clan, genre, opinion, religion, position sociale ou autres raisons”
(article 16). Récemment (octobre 2001) le parlement Rwandais a approuvé un projet de loi anti-discrimination qui
définissait celle-ci comme “tout acte, propos ou écrits visant à priver une personne ou un groupe de personnes de leurs
droits pour des raisons de sexe, d’ethnie, d’âge, de race, de couleur, d’opinion, de religion, de nationalité ou d’origine ».

56

Ce qui semble alors nécessaire et urgent, ce n’est pas tant de refuser l’appartenance ethnique,
mais de désamorcer les sentiments hostiles et antagonistes liés à l’ethnie, et de développer d’autres
identités et engagements moralement positifs (national, religieux, professionnel et autres, comme «
nous les femmes », « nous les travailleurs », etc.). Cela semble essentiel et les juridictions Gacaca, si
elles sont prises comme modèle de justice réparatrice, pourraient être un moyen d’y contribuer. Pour
que cela puisse arriver, il faut créer suffisamment d’espace pour que chacun puisse s’exprimer.
Il faut alors se demander si la question de l’appartenance ethnique devrait être ignorée par les
procédures Gacaca. On peut penser que le développement d’une politique axée sur la
“déconstruction” d’un discours ethnique négatif, montrant comment les gouvernements précédents
ont manipulé la perception du public, puis sur la “construction” et la promotion d’autre formes
d’identité (nationale, religieuse, professionnelle ou autre : “nous les femmes…”) pourrait soutenir
une perception positive des identités sociales, et l’acceptation de la diversité, y compris ethnique.
La reconnaissance de la réalité socio-politique du Rwanda (telle qu’elle a été montrée par
exemple lors de l’élection des juges Gacaca) renforcerait la compréhension et la cohésion nationale,
pour le bien des générations futures.

57

4. Activités futures et thèmes de recherche prévus
jusqu’au démarrage des juridictions Gacaca
Sur la base des informations collectées, conduire une étude de fond plus quantitative
sur la perception des juridictions Gacaca.
Identifier le rôle des différences régionales dans la perception des juridictions Gacaca;
(la situation à Kibuye, Byumba, Gisenyi et Ruhengeri).
Approfondir la recherche sur la question du « viol en tant que crime de catégorie 1 »
dans une perspective légale.
Œuvrer à l’introduction des changements nécessaires des conditions de vie des
détenus qui ont avoué.
-

Aider à sensibiliser la population à Gacaca.

-

Continuer à observer et participer aux présentations de détenus à la population.

Continuer à observer la libération des prisonniers, leur réinsertion et la réaction de la
population.
Continuer les entretiens avec des rescapés (y compris des femmes violées), des
détenus (ayant avoué ou non) et leurs familles à propos de Gacaca et sa préparation
(présentations, élections, etc.)
-

Interviewer d’autres catégories de population et des représentants de divers groupes:
religieux (leaders Catholiques, Protestants et Musulmans), représentants syndicaux, etc.

58

ANNEXES

59

Annexe 1 : Catégorisation des personnes jugées et peines encourues
Catégories de Procédure d’aveux
crimes

Sentences

1:
planificateurs,
personnes en
position
d’autorité,
meurtriers
notoires,
violeurs … ;

Pas d’aveux ou aveux
insatisfaisants.

Condamnation à mort ou perpétuité Cour pénale

Aveux faits avant que le nom de
l’accusé ne paraissent sur la liste
des criminels présumés de
catégorie 1.

Perpétuité ou 25 ans de prison (cf.
2, ligne 1). Pas de TIG.

Juridictions
Gacaca de
District

Pas d’aveux ou aveux
insatisfaisants.

Perpétuité ou 25 ans de prison. Pas
de TIG.

Juridictions
Gacaca de
District

2: meurtriers
et complices

Tribunal
concerné

Aveux devant la juridiction Gacaca 15 à 12 ans de prison pour la
après avoir été mis sur la liste de première moitié de la sentence. 2e
catégorie 2 dressée par la
moitié : libération et TIG.
juridiction Gacaca de cellule
Aveux devant la juridiction Gacaca 12 à 7 ans de prison pour la
avant d’avoir été mis sur la liste de première moitié de la sentence. 2e
catégorie 2 dressée par la
moitié : libération et TIG.
juridiction Gacaca de cellule
3: agressions Pas d’aveux ou aveux
sans intention insatisfaisants.
de tuer

7 à 5 ans de prison pour la première Juridictions
moitié de la sentence. 2e moitié :
Gacaca de
libération et TIG.
Secteur

Aveux devant la juridiction Gacaca 5 à 3 ans de prison pour la première
après avoir été mis sur la liste de moitié de la sentence. 2e moitié :
catégorie 3 dressée par la
libération et TIG.
juridiction Gacaca de cellule
Aveux devant la juridiction Gacaca 3 à 1 an de prison pour la première
avant d’avoir été mis sur la liste de moitié de la sentence. 2e moitié :
catégorie 3dressée par la
libération et TIG.
juridiction Gacaca de cellule.
4: atteintes
aux biens

Pas de prison ni de TIG.
Juridictions
Indemnisation civile des dommages Gacaca de
causés aux biens, faute de règlement Cellule
à l’amiable.

60

Annexe 2 : “Sessions Pré-Gacaca” dans le district de Gitesi les 22 et 23 décembre
2000”.
Pendant ces deux jours, 64 prisonniers, hommes et femmes, en uniformes roses, furent
amenés dans un champ dans deux camions RNC. Dans le champ, quelques chaises sous une bâche
en plastique (à cause de la pluie) pour les invités de marque : Ministère de la Justice, administrateurs
locaux, représentants de la 6e Chambre, du service des travaux d’intérêt général, de la commission de
réconciliation, d’Ibuka (association de rescapés), quelques officiers de police et des représentants
d’ONG (dont RCN et PRI) etc. Quelques rescapés (moins d’une dizaine) des alentours étaient assis
sur des bancs à côté d’eux.
En face d’eux, la population, en demi-cercle, au moins 2000 hommes, femmes et enfants
attendant debout, parfois sous la pluie battante, cachés sous des parapluies multicolores, des feuilles
de bananier ou des morceaux de plastique.
Sur le côté, une table avec quelques clercs occupés à noter les noms des prisonniers qui
comparaissent, et des témoins “à charge” et “décharge”. Quelques policiers (pas beaucoup) sont là
également.
Le premier jour, tous les invités furent présentés à la population. Plusieurs officiels, surtout le
premier jour en présence du Ministre, firent de longues introductions sur le génocide, la nécessité
d’éradiquer la culture de l’impunité, d’établir la vérité au niveau de la base, et de contribuer à la
réconciliation. Le rôle des futures cours Gacaca fut expliqué : il serait différent de la rencontre de ce
jour-là, car il n’y avait pas encore de juges locaux élus qui prononceraient des sentences, mais c’était
une façon d’examiner quelques cas sans fiches ou pour lesquels on manquait de preuves, sous la
houlette d’avocats officiels…
La cérémonie fut dirigée par le procureur général de Ruhengeri (à l’époque) M. Jean Marie
MBARUSHIMANA, un homme de haute taille qui faisait grande impression et savait manifestement
comment capter l’attention de toute l’assistance. Toute la cérémonie se déroula en kinyerwanda.
Les prisonniers étaient appelés par groupes de 12, alignés, attendant d’être convoqués.
Certains de ces hommes et femmes en rose avaient des uniformes d’aspect neuf et bien repassés, des
chaussettes blanches et des chaussures bien cirées ou des nikes, les autres étaient vêtus pauvrement et
marchaient pieds nus.
Le procureur en appela un, lui prit le bras et le leva, demandant à la foule : « qui connaît cet
homme» ou cette femme ? A chaque fois des gens dans la foule levaient la main. Parfois beaucoup,
parfois très peu. Ils sortaient du groupe pour faire face au procureur et au détenu. Le procureur
demandait alors s’ils étaient apparentés au prisonnier, car dans ce cas ils ne pourraient témoigner en
sa faveur. On demandait alors aux témoins restants s’ils avaient quelque chose à dire, pour ou contre
la personne en question, sur son rôle lors du génocide. Les déclarations étaient parfois
contradictoires.
A chaque fois au moins un des rescapés venait aussi témoigner. Leur témoignage était crucial,
parce que si eux aussi disaient que selon eux l’accusé n’avait rien fait, il (ou elle) serait presque
certainement libéré. En cas de doute, de quiconque mais plus particulièrement d’un rescapé, la
personne restait en prion pour une enquête plus poussée.
61

Les clercs notaient les noms des prisonniers et des témoins qui venaient donner des preuves à
charge ou à décharge.
La population écoutait très attentivement, murmurant parfois en réaction à ce qui se disait,
montrant parfois son approbation, ou sa désapprobation. Parfois il régnait un silence de mort,
parfois on riait. Parfois les gens réagissaient à une question ou une déclaration du procureur, ou
applaudissaient l’annonce de la libération prochaine d’un prisonnier de leur communauté considéré
comme innocent.
En général les émotions étaient très contrôlées. Les hommes montraient un peu plus
d’agressivité en disant leur histoire, les femmes un peu plus de tristesse. Parfois ils faisaient
directement face au prisonnier, tout près de lui. L’interrogatoire était mené par le procureur. La
plupart des prisonniers sont demeurés muets, et ont montré très peu d’émotion, qu’ils soient déclarés
innocents ou coupables.
Par exemple une grande, vieille femme aux cheveux blancs, appuyée sur un bâton, fut
déclarée innocente : ni les témoins dans la foule, ni les rescapés n’avaient rien à dire contre elle
personnellement : oui, ses fils avaient tué, mais pas elle, elle avait même aidé des Tutsi à fuir. La
femme, écoutant tranquillement, paraissant à peine présente, n’a rien dit, n’a pas réagi, pas même en
entendant qu’elle serait libre après plus de cinq années de prison.
Beaucoup des victimes femmes qui vinrent témoigner étaient des Hutu de mariages mixtes,
mariées à l’époque à des Tutsi qui avaient été assassinés ainsi que leurs enfants, souvent par des
voisins ou même par des parents proches de ces femmes. Quand une telle déclaration était
corroborée par une déclaration venue des rescapés, l’issue était certaine : pas de libération, et une
enquête plus poussée pour établir un dossier plus complet.
Quand quelqu’un s’avérait innocent, il restait la question de savoir pourquoi il avait été
emprisonné au départ. C’était souvent un règlement de comptes personnel, dû à de la jalousie, des
dettes, ou d’autres intérêts. En principe, ce genre de faux témoignage serait l’objet d’une enquête plus
poussée.
Les prisonniers qui attendaient s’étaient assis dans l’herbe. Les enfants de la foule jouaient
autour d’eux et avec eux. Personne ne les éloigna, bien que nous ayons entendu les histoires les plus
horribles à propos de certain détenus : comment ils avaient massacré hommes, femmes et petits
enfants, sans distinction.
Un silence total, suivi de murmures, accueillit un prisonnier au dossier entièrement vide.
Personne ne sortit de la foule pour le défendre. Des témoins disaient avec colère : “comment est-ce
possible, nous avons déjà donné des preuves contre cet homme, il était le chef d’une barrière, il a
torturé et mutilé ses victimes (“…coupé les jambes de ma mère avec une hache…”) et tué au moins
cent personnes”, et donnaient un exemple après l’autre…
« Tout le monde avait peur de cet homme, quand il se promenait la Bible à la main en tuant
les Tutsi avec sa hache…Il prenait les femmes comme esclaves sexuelles. Qu’est-il arrivé à son
dossier, comment a-t-il pu disparaître ?” Ils insinuent plus ou moins qu’il y a pu y avoir corruption…
Parmi les détenus présentés ici et qui semblaient coupables, aucun n’avait jamais tenté
d’obtenir une remise de peine en avouant, espérant probablement s’en tirer sans avouer. Ceux qui
semblaient innocents n’avaient pas avoué non plus, ce qui se comprend.
62

Une femme rescapée qui a fourni des preuves contre un prisonnier qui avait tué des enfants a
dit : il n’était pas seul pour les tuer, je viens de voir un garçon qui est présent ici et qui a tué, lui
aussi… Elle désigna le jeune homme, et la police l’emmena. La foule murmura. Un moment après la
femme revint et dit “on vient de m’expliquer, et je le crois, que le garçon avait été forcé. Il a tué un
petit enfant, mais on lui avait dit de le faire, sans quoi il serait tué lui-même”…
Des histoires horribles furent contées, de culpabilité, et d’innocence. L’un après l’autre les
détenus s’avancèrent, et leur cas fut débattu. Il pleuvait souvent à verse, mais le public restait très
impliqué. Presque personne ne partit, et la foule semblait même augmenter. Sur les 64 détenus
présentés, 26 (ou 41 %) furent libérés.
Le premier jour, le ministre lui-même (et d’autres) intervinrent parfois, posant des questions.
Le deuxième jour, seul le procureur questionnait, et la population participa plus activement que la
veille. Cela montre que moins les autorités interviendront, plus le scrutin pourra être participatif.
Personnellement j’ai trouvé cette cérémonie impressionnante, et outre le fait de rendre
justice, elle pourrait jouer un rôle semblable à celui de la Commission de Vérité et de Réconciliation
Sud-Africaine où les gens (la population concernée, les victimes, les criminels et les officiels, tous
ensemble), peut-être pour la première fois, peuvent dire et entendre une partie de ce qui s‘est passé
durant cette période traumatisante, ce qui peut être un premier pas vers la réconciliation.
Certains des enfants de la commune présents entendaient peut-être ces récits pour la
première fois, ayant été trop jeunes à l’époque du génocide ou n’ayant entendu qu’un seul côté de la
« vérité ». Le « pourquoi » en revanche ne fut pas débattu. Des mensonges furent sûrement aussi
proférés, mais peut-être moins que dans les cours classiques.
Cette reconstruction des événements du génocide pourrait ranimer la terreur, et il serait bien
d’avoir des gens ou des services d’aide aux personnes traumatisées (surtout les rescapés) quand les
vraies cours Gagaca commenceront.
Même si les cours Gagaca prévues seront organisées différemment, l’expérience citée plus haut donne l’espoir
que ceci pourrait être une façon efficace de traiter le passé.

63

Annexe 3 : Résumé de la réunion de 29/08/01 au Bureau de PRI sur les poursuites
pour viol ou tortures sexuelles.
Présents : 17 personnes des organisations suivantes : Parquet Général, CICR, EU, USAID,
ASF, RCN, ARCT-RUHUKA, Rwanda Women Network, HRW et PRI.
Invités, mais pas présents : Minijust, Migeprof, 6e Chambre, NURC, Procureur de Gitarama
(excusée), Centre de Gestion de Conflits, IBUKA, AVEGA-Agahozo, PRO-FEMMES et Haguruka.
Raison de la réunion : Des inquiétudes sur les conséquences de la classification du viol et des
actes de tortures sexuelles dans la première catégorie.
Introduction du groupe de recherche Gacaca de PRI:
La peine pour cette infraction est très haute : la peine de mort ou l’emprisonnement à
perpétuité. Et dans le cas où une personne fait ses aveux et qu’ils sont acceptés, elle peut être classée
dans la deuxième catégorie (prison à vie ou 25 ans).
Les conséquences de la dureté de cette peine sont :
Qu’il y a très peu d’aveux (sur 8000 détenus de la PC de Gitarama, un seul a avoué qu’il a
violé une femme).
Qu’il y a une pression énorme sur les femmes violées pour ne pas relater ce genre de faits
devant les juridictions Gacaca de la cellule : menaces de la part de la famille des prévenus, manque de
sécurité. Tout cela dans une situation déjà traumatisante dans laquelle ces femmes se trouvent.
Question : que faire pour qu’il y ait plus d’aveux concernant cet acte de guerre et plus de
témoignages de la part des femmes violées, sans augmenter leurs sentiments d’insécurité, de
culpabilité et d’humiliation ?
Discussion et recommandations:
Selon les juristes et la majorité des personnes présentes, il vaut mieux continuer de classer ce
crime de viol dans la première catégorie, mais stipuler ou (1) que le juge du tribunal de 1ière instance
peut tenir compte des circonstances atténuantes (représentant du Parquet Général), ou (2) de définir
la peine pour viol en conformité avec celle du code pénal : si le viol a causé la mort de la personne, le
coupable sera puni de mort, et dans les autres cas, le viol sera puni d’un emprisonnement de cinq à
vingt ans. Argument contre (point de vue d’une minorité) : ces propositions (dont le deuxième -2semble la meilleure) ne résolvent pas du tout les problèmes mentionnés ci dessus (conséquence de
cette peine haute -2a & b) : l’importance du viol comme un acte et crime de guerre ne sera pas
montrée ! Peut-être serait-il mieux de classer le viol et les tortures sexuelles dans la deuxième
catégorie ou de classifier certains actes de viol (comme cela est fait pour des meurtres) comme
catégorie I (viol avec l’intention de tuer) et autres actes de viol comme un crime de la deuxième
catégorie.
Il serait souhaitable de définir le viol et les actes de tortures sexuelles.
Il serait souhaitable de séparer les détenus qui ont fait leurs aveux des autres.

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Toutes les personnes présentes étaient d’accord sur le fait que la sensibilisation de la
population en général (aussi concernant le viol) est absolument nécessaire et qu’elle est jusqu’à
aujourd’hui insuffisante.
Tous sont de l’opinion que les +/- 250 OPJ- femmes ont besoin d’une formation concernant
le viol et les actes de tortures sexuelles.

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Annexe 4: Espoirs et craintes, à l’heure ou Kigali lance une justice participative.
Par Julia Crawford, Agence de presse Hirondelle (Lausanne), 11 octobre 2001.
Kigali/ Arusha, 11 octobre 2001 (FH) – L’élection au Rwanda de quelque 260.000 juges qui
siègeront dans 11.000 nouvelles cours chargées de juger les crimes du génocide est la première phase
d’un projet expérimental de « justice populaire » post-génocide qui suscite espoirs et craintes. Ayant
assisté au vote, Hirondelle se penche ici sur quelques unes des questions que se posent les Rwandais
et les observateurs internationaux : le processus électoral était-il acceptable ? Les juges seront-ils à la
hauteur ? Les gens diront-ils la vérité sur ce qui s’est passé en 1994 ou bien verra-t-on des vagues de
représailles, des problèmes de sécurité, de nouveaux traumatismes pour la population ? Les autorités
s’immisceront-elles dans le processus judiciaire, ou bien est-ce que ceci sera vraiment une justice du
peuple ?
Le processus électoral a-t-il été acceptable?
C’est certainement le cas aux yeux de la plupart des Rwandais à qui a parlé Hirondelle, même
si le président du comité organisateur des élections, Protais Musoni, admet quelques problèmes de
procédure. Il les attribue au manque d’éducation et de formation des organisateurs de la base, et dit
que les erreurs sont en train d’être corrigées.
La participation a été massive au premier tour jeudi dernier, plus de 90%. On a demandé aux
adultes des villes et villages à travers le pays de cautionner ou rejeter les candidats proposés par leur
représentants de "nyumba kumi" (unités de 10 foyers). Ceci fut fait lors de réunions publiques où les
citoyens eurent l’opportunité de s’avancer et de critiquer les candidats. Juste après le génocide, cet
exercice aurait pu être explosif, mais il semble s’être déroulé dans l’ensemble avec discipline et bonne
volonté.
Sans aucun doute, il y a eu de la part de la communauté et des autorités une certaine pression
pour que les gens assistent aux réunions,. A Kigali par exemple, je fus réveillée à 6h15 du matin le
jeudi par un camion hurlant ce message au mégaphone “Rwandais levez-vous, il est temps de remplir
votre devoir civique ! », ou une phrase dans ce genre. La veille j’avais demandé à l’institutrice d’un
village Rwandais si beaucoup de gens, comme elle-même, allaient faire le voyage jusqu’à leur lieu de
naissance pour voter."Tout le monde va voter," a-t-elle répondu. A la question de savoir s’ils
n’allaient pas plutôt profiter de ce jour férié pour boire de la bière, elle a hésité, souri, et répondu:
"Après." Elle avait raison sur les deux points.
"Pas de secret du vote? Des réunions publiques pour désigner les candidats et dénoncer les
gens ?" demanda, incrédule, un militant des droits de l’homme étranger en entendant comment se
tenaient les réunions. Je fis remarquer que nous étions dans un pays pauvre que la communauté
internationale avait laissé tomber, tant à l’époque du génocide qu’après, en ne faisant pas assez
d’efforts pour aider à mettre rapidement en place des procès. Il ne voulait pas en démordre : "Mais
c’est Stalinien! Ca ne serait pas accepté n’importe où ailleurs dans le monde!"
Les Rwandais à l’intérieur du pays ne semblent pas percevoir ainsi les élections.
Même s’ils ont peut-être été incités à venir aux réunions, ils n’étaient pas obligés d’y prendre
une part active, ou de se mettre en avant comme juges. Et pourtant beaucoup l’ont fait. Même si
certains ont des doutes à propos de Gacaca, la plupart des gens ont exprimé un fervent désir que ça

66

marche. Ils disent qu’ils en ont assez d’attendre que justice soit faite, et espèrent que Gacaca peut être
une façon de sortir des problèmes actuels de leur société.
En cinq ans de procès du génocide au Rwanda, les tribunaux existants n’ont jugé qu’environ
6.000 personnes, moins de 5% de la population carcérale actuelle. Le Tribunal Pénal International
pour le Rwanda de l’ONU n’a approuvé que neuf jugements en quatre ans de procès, en dépit d’un
budget annuel de quelque 80 millions de dollars US.
Les juges seront-ils à la hauteur de leur tâche ?
Même les officiels Rwandais au plus haut niveau ont exprimé leur préoccupation quant à la
qualité des juges Gacaca. Non seulement les “juges du peuple” manquent de formation légale, mais
nombre d’entre eux (au plus bas niveau) sont illettrés.
Le gouvernement a promis une formation pour ces juges, qui doit commencer au début 2002
et durer quelques mois. L’ONG Avocats sans Frontières (ASF) au Rwanda a dit à Hirondelle avoir
reçu le feu vert officiel pour un séminaire de deux semaines en décembre 2001, pour former ceux qui
formeraient à leur tour les juges. A ce jour, il s’agit de 125 personnes de la Cour Suprême rwandaise.
ASF, qui fournit une assistance technique à Gacaca, a aussi produit un manuel sur la loi
Gacaca, qui doit être publié en novembre. La loi organique rwandaise qui met en place Gacaca est
compliquée, et le chef d’ASF au Rwanda Ahlonko Dovi, un Togolais, a expliqué qu’ASF avait pensé
qu’il fallait produire un manuel qui soit utilisable par tous, y compris les juges. "Nous restons
préoccupés par Gacaca, mais nous voulons y contribuer de façon positive," a dit Dovi à Hirondelle.
Tout en disant bien qu’il s’agissait d’un point de vue personnel, et pas de la position officielle d’ASF,
Dovi a continué en avouant « en tant qu’avocat je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet »
Ses craintes, a-t-il dit, sont fondées sur le fait que les juges pourraient manquer de temps pour
leur préparation et leur formation, que les droits de la défense ne sont pas assurés, et que la
population n’a peut-être pas été assez préparée à Gacaca. "Non seulement les juges manquent des
connaissances légales nécessaires, mais souvent il leur manque aussi une éducation de base," a dit
Dovi à Hirondelle. "Il est absolument vital de se concentrer sur la formation de ces juges."
Les juges sont présumés avoir été choisis dans la société pour leur droiture et leur liberté par
rapport à tout esprit de discrimination raciale ou ethnique. On attendra d’eux qu’ils s’assurent que
les accusés comme les accusateurs aient un temps de parole juste, d’autant plus que les accusés
n’auront pas le droit d’avoir un avocat. Ainsi, les juges ne pourront inspirer confiance que s’ils se
montrent authentiquement impartiaux.
En vérité, si l’on veut que le peuple rwandais garde son soutien à Gacaca, il doit avoir
confiance en ses juges. Certains rescapés ont déjà fait part de leurs doutes quant à la « propreté » de
certains des juges. Le chef de la commission électorale Gacaca Protais Musoni, qui est aussi l’un des
architectes du projet Gacaca, dit que la loi a prévu un processus de « nettoyage » en continu, auquel
les plaignants peuvent avoir recours.
Les cours Gacaca des villages ont trois niveaux : une Assemblée Générale de la population
adulte, le Siège (19 juges), et son comité de coordination. D’après la loi, dit Musoni, les plaintes
peuvent être portées devant l’Assemblée Générale, qui est habilitée à révoquer les juges s’ils ne
remplissent pas leur office convenablement.
"Nous avons enseigné qu’il est mieux d’avoir recours à la vérité aussi tôt que possible, à partir
de maintenant. Certains ont pu manquer de franchise et entrer dans les cours alors qu’ils n’étaient pas
67

propres, mais comme je le dis, il s’agit d’un processus, “ a expliqué Musoni à Hirondelle. "Si vous
n’êtes pas propre, vous devrez partir et d’autres viendront. C’est donc un processus de nettoyage qui
aura lieu. »
Les gens diront-ils la vérité, ou bien verrons-nous une vague de représailles ?
Cette peur est très réelle, et sera un facteur décisif quand il s’agira de savoir si Rwandais sont
prêts ou non à dire la vérité sur ce qui s’est passé lors du génocide.
“Quelles seront les réactions à Gacaca, à ce qui en résultera, aux réparations qui seront
ordonnées ?" se demande Ahlonko Dovi d’ASF.
"Y aura-t-il des représailles envers ceux qui seront libérés ? Quelle sera la réaction des
victimes à la libération des bouchers de leurs familles ?" D’autres observateurs soulignent que la loi
Gacaca prévoit des remises de peine pour les suspects de crimes de génocide qui avouent, et que les
suspects traduits devant les cours Gacaca pourraient être prêts à en dénoncer d’autres, restés en
liberté.
Si ces accusés sont perçus come des “témoins gênants”, seront-ils supprimés? Y aura-t-il des
menaces contre leurs familles, contre les juges ? Sans parler des rescapés dans la communauté, qui
pourraient aussi être l’objet de menaces et connaître des problèmes de sécurité.
"Ce serait terrible si ça arrivait," dit Musoni. Mais il pense que les autorités rwandaises jouent
gros sur le succès de ce processus, et seront vigilantes.
"Je dirais que c’est un processus très nouveau," a-t-il déclaré à Hirondelle, "avec un bon
nombre de risques tout au long du chemin, et j’espère que la Haute Cour suivra de très près
comment les cas sont jugés, expliquant, guidant, et ainsi de suite, jusqu’à ce que nous finissions par
résoudre ce problème."
Pour ce qui est de savoir si les gens diront la vérité aux cours Gacaca, Eugène Cornelius,
journaliste indépendant et observateur des élections Gacaca, dit que ce sera un processus graduel.
"Les gens diront la vérité, mais on ne peut attendre d’eux qu’ils le fassent d’emblée," dit il. "Gacaca est
un processus. Au début ils se manifesteront timidement. Je pense que quand les premiers procès
commenceront, ils ne viendront pas tout de suite, d’autant plus que les Rwandais ne sont pas des
gens spontanés. C’est avec le temps, avec la recherche de la vérité, que la vérité finira par triompher.
»
Même si les gens disent effectivement la vérité, on peut rester préoccupé du haut degré de
traumatisme personnel que cela pourrait occasionner. Il ne sera pas facile pour eux, par exemple,
d’évoquer comment leurs voisins ont tué leur famille, ou comment ils ont été violés ou torturés en
public.
Les groupes de soutien aux femmes, en particulier, ont exprimé leur inquiétude à ce sujet.
L’expérience Sud-Africaine a montré que la vérité et la réconciliation peuvent cicatriser
certaines blessures, mais aussi en ouvrir de nouvelles, comme l’a dit récemment le journal "Business
Day" de ce pays. Les autorités rwandaise semblent peu préparées pour l’instant à faire face à cette
éventualité. Et la communauté internationale, une fois encore, semble peu préparée à les aider.
Les autorités s’immisceront-elles dans le processus judiciaire ?

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Certains observateurs prétendent que le processus Gacaca est politique, et sera soumis à des
interférences politiques. Certainement, le génocide de 1994 au cours duquel furent tués quelque
800.000 Tutsi et Hutu modérés, survint dans un contexte de tension ethnique et de guerre civile, qui
éclata quand la guérilla RPF pro-Tutsi envahit le pays depuis l’Ouganda en 1990.
Le RPF est actuellement le parti dominant au Rwanda, en dépit du fait que les Tutsi
représentent moins de 15% de la population.
Des membres déçus de la majorité Hutu soupçonnent les autorités de mauvaise foi. Certains
se hâtent de souligner que les cours Gacaca n’ont pas le pouvoir de juger les atteintes aux droits de
l’homme commises par le RPF avant, pendant et après le génocide. La réponse officielle est que les «
actes de vengeance » du RPF, non sanctionnés par le régime, ne peuvent être mis sur le même plan
qu’un génocide prémédité. Les autorités disent que les crimes supposés du RPF continueront à être
jugés par les tribunaux ordinaires.
Le mandat des cours Gacaca s’étend du 1er octobre 1990, quand le RPF a envahi le Rwanda,
jusqu’à la fin 1994 – ce qui est présenté par le régime actuel comme un geste de conciliation. Même si
les cours Gacaca ne peuvent juger les crimes présumés du RPF, le
contexte d’invasion et de guerre sera probablement invoqué lorsqu’on tâchera d’établir la
vérité sur le génocide.
Quelle que soit la version de l’histoire à laquelle parviendront les cours Gacaca, des intérêts
personnels et politiques seront probablement en jeu.
Hirondelle a vu peu de preuves d’interférence politique lors de l’élection des juges au niveau
des cellules (le plus bas niveau administratif, le plus proche du peuple). Les cours Gacaca de cellule
ne jugeront que des crimes relativement mineurs, mais seront responsables d’évaluer les catégories où
placer les suspects de crimes de génocide, et donc les peines qu’ils encourent.
Certains observateurs suggèrent que le risque d’interférences de toutes sortes pourrait être
plus grand aux niveaux administratifs les plus élevés. Les enjeux seront plus importants, par
exemple, dans les cours Gacaca de district, qui jugeront les suspects de crimes de génocide de
catégorie 2. Selon la loi, les suspects de cette catégorie risquent l’emprisonnement à vie.
Les cours Gacaca seront habilitées à jugés les suspects accusés de tous les crimes de génocide
– en dehors de la catégorie la plus élevée. Depuis 1996, la loi Rwandaise a divisé les suspects du
génocide en quatre catégories.
- La catégorie 1 comprend en gros les planificateurs présumés du génocide, les violeurs, et
ceux qui ont tué avec “zèle” ou «malignité excessive». Ces suspects seront jugés par les tribunaux
ordinaires.
- La catégorie 2 comprend en gros les auteurs présumés du génocide. Ils seront traduits
devant les cours Gacaca des Districts.

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- La catégorie 3 comprend "les personnes qui ont commis des agressions graves sans
intention de tuer, ainsi que leurs complices". Ces suspects seront traduits devant les cours Gacaca des
Secteurs.
- La catégorie 4 comprend “les personnes qui ont commis des délits envers les biens
d’autrui". Ces suspects seront traduits devant les cours Gacaca des Cellules.
Les cours Gacaca des Provinces serviront de cours d’appel. Les appels de chaque catégorie
sont référés au niveau administratif immédiatement supérieur.
En dépit de tous les risques cités plus haut, les citoyens Rwandais, les officiels et les
représentants d’ONG qui ont parlé à Hirondelle ont exprimé l’espoir que Gacaca marche.
Leur message d’ensemble semblait être "N’essayons pas de le démonter, nous n’avons pas
tellement d’alternatives. Restons vigilants, mais attendons de voir comment les choses se passent ».

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Annexe 5: Organisation des juridictions Gacaca

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Annexe 6: Données disponibles (mai-décembre 2001):
30/04 détenus (1) Runda
07/05 détenus (2) Runda
08/05 rescapés (1) Runda
11/05 femme rescapée Runda
11/05 femmes détenues Runda
15/05 femmes détenues Runda
18/05 rescapés (2) Runda
24/05 présentation (1) Ntongwe (Enregistrements de Anne Aghion)
01/06 présentation (2) Ntongwe
05/06 femme Hutu rescapée
11/06 détenus Taba
27/06 abbé Simalagde
03/07 aveux PC Gitarama 1
03/07 aveux PC Gitarama 2
03/07 aveux PC Gitarama 3
11/07 aveux PC Gitarama
12/07 Gacaca traditionnel à Kimironka (Kigali)
16/07 maire de Ntongwe & conseiller de Nyakabungu
17/07 fiches Taba
20/07 formation forcée Gacaca
23/07 fiches Ntongwe
26/07 fiches Bugoba
02/08 ‘fiche individuelle de l’accusé’ (Ntongwe)
02/08 ‘fiche appel ou opposition de jugement’ (PCK)
10/08 présentation de détenus à la population (Ntongwe)
10/08 idem
13/08 rescapées, Nyakabungo
13/08 femmes violées, quelques suggestions
14/08 présentation de détenus Ntongwe (suite)
16/08 Gacaca traditionnel Bugoba/Taba
17/08 présentation Nyakabungo etc
14 & 17/08 commentaires de présentations (Kinazi, Nyakabungo)

72

22/08 interview d’une femme violée (Nyakabungo)
24/08 présentation Ntongwe
24/08 détenus de Gitarama sur le viol
(plus lettres de détenus de Gitarama demandant pardon )
28/08 pièce de théâtre sur le génocide par une association de rescapées
28/08 conversation avec un ancien (Kinanzi)
29/08 réunion sur le viol et les tortures sexuelles (PRI)
--/09 interview de Simon Gasibirege
1-3/09 conversations Murambi
07/09 programme radio Gacaca (1)
10/09 documents sur Gacaca en prison- PCK (230 pages)
13/09 entretien avec des femmes violées
14/09 programme radio Gacaca (2)
17/09 meeting BaTwa (CAURWA)
23/09 présentation de détenus Runda
24/09 entretien avec le directeur de l’école de Runda
27/09 le Ministre Mucyo à Ntongwe
28/09 entretiens avec des membres d’organisations féminines (Runyinya)
30/09 présentation de détenus Runda (2 documents)
09/10 election 4-7/10/2001
11/10 présentation de détenus Runda
16/10 présentation de détenus Runda
22/10 entretien détenus Murama
23/10 entretien évêque de Ruhengeri
25/10 entretien détenus Gisovu (général)
31/10 entretien détenus Gisovu (ayant avoué)
03/11 entretien détenus Murama (ayant avoué)
16/11 entretien détenus Kibuye (général)
20/11 entretien rescapés Kigese
03/12 entretien détenus Kibuye (ayant avoué)
04/12 entretien détenus Kibuye (ayant avoué)
06/12 entretien détenues Relima
nd Entretiens PCK (Geny/Fiona)

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024