Fiche du document numéro 30842

Num
30842
Date
Samedi 9 octobre 1993
Amj
Fichier
Taille
209715
Pages
3
Titre
Lettre ouverte à Son Excellence le Général-Major J. Habyarimana, Président de la République Rwandaise
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Mot-clé
Source
CRF
Fonds d'archives
CRF
Type
Lettre
Langue
FR
Citation
C.R.F.
Paris le 9 Octobre 1993
Association Loi 1901
La Communauté Rwandaise de France
56 rue du Louvre, 75002 PARIS.
TEL. (1) 40 39 91 12 / FAX: (1) 40 26 37 58.

Lettre Ouverte

Son Excellence le Général-Major J. HABYARIMANA
Président de la République Rwandaise
Ambassade du RWANDA
12, Rue JADIN
75017 PARIS

Monsieur le Président,

Par lettre du 6 Octobre 1993, son Excellence Monsieur l'Ambassadeur du Rwanda en
France a bien voulu nous transmettre le souhait que vous avez exprimé de rencontrer les rwandais
résidents en France. Il nous a informé, par cette occasion, que la présence des membres de la
Communauté Rwandaise de France à cette rencontre était vivement souhaitée. La
Communauté Rwandaise de France exprime ses remerciements pour cette courtoise invitation.

Monsieur le Président, la Communauté Rwandaise de France s'est toujours
montrée ouverte à tous ceux qui, de façon sincère, veulent contribuer à la construction d’un Rwanda
démocratique, libre et fraternel. C’est dans cet esprit de promouvoir le dialogue et la réconciliation du
peuple rwandais qu’elle a répondu positivement à l'invitation que lui a adressée Monsieur
l'Ambassadeur du Rwanda en France, à l’occasion du passage, à Paris, de l’ancien Premier Ministre, le
Dr Dismas NSENGIYAREMYE. Notre réponse positive avait été alors motivée par la fait que, dans
son programme de gouvernement, il considérait comme prioritaire la relance de la dynamique de paix.
Nous tenons à rappeler cependant que, dans le message que nous lui avons remis, nous nous
interrogions sur les contradictions que nous avions constatées entre ses déclarations et les actes de son
gouvernement. La suite de l’histoire nous a donné raison. Si, aujourd’hui, nous déclinons l'invitation
de participer à la rencontre dont vous avez exprimé le souhait, c’est pour un certain nombre de raisons
que nous allons expliciter très brièvement.

Est-il besoin de rappeler les accusations contenues dans le rapport de la Commission
d’Enquête Internationale sur les Violations des Droits de l'Homme au Rwanda, publié le 8
Mars dernier, qui implique directement les plus hautes autorités de l'Etat rwandais dans
l’organisation, la planification et l’exécution des massacres qui ont endeuillé notre pays ces
dernières années? Nous citons la Commission qui affirme que "dans l'entourage du président
HABYARIMANA, il existe un cercle d'une vingtaine de personnes qui organisent ces massacres..." La
dénonciation de cette barbarie par une Commission Internationale n’a pas empêché le "réseau zéro" et
"les escadrons de la mort" de continuer à faire couler le sang des innocents dans notre pays. Nous nous
référons également aux accusations portées contre vous, qui sont développées dans "la note au
Président de la République Rwandaise relative aux problèmes de sécurité", que les
Comités directeurs des partis politiques M.D.R., P.L. et P.S.D. vous ont adressé le 24 Mai dernier, soit
à peine deux mois après la publication du rapport de la Commission Internationale.

Monsieur le Président, vous avez pu mesurer le soulagement avec lequel la très grande
majorité du peuple rwandais et les amis du Rwanda ont salué la signature des Accords d’Arusha le 4
Août 1993. La Communauté Rwandaise de France avait alors espéré que cet événement de la
plus haute importance pour l’histoire de notre peuple allait marquer la fin du cauchemar qui lui a été
infligé par votre dictature. Malheureusement, les assassinats orchestrés dans notre pays à peine
quelques jours après la signature de l'Accord de Paix et qui, selon l'Organisation américaine de défense
des droits de l'homme - Africa Watch -, "visent particulièrement les personnes susceptibles de
fournir les preuves contre les autorités responsables des massacres perpétrés au Rwanda ces
dernières années" (communiqué de presse du 2 Septembre), ainsi que la reprise des actes de violence
aveugle dans la capitale (KIGALI)... montrent que la signature de l'Accord de Paix n’a pas changé la
nature barbare et sanguinaire de certains hommes politiques rwandais.

Par ailleurs, Monsieur le Président, depuis la fin du mois d’Août, dans plusieurs Conseils
du Gouvernement - Conseil dont vous assurez régulièrement la présidence -, le Gouvernement actuel à
pris des décisions et des mesures, en violation flagrante des Accords de Paix d'Arusha, au lieu de s’en
tenir à son rôle qui est, tel que défini par ces mêmes Accords, d’expédier les affaires courantes. Nous
citons à titre d'exemples les deux instructions publiées par le Ministère de l'Intérieur: "L'Instruction
Ministérielle n° 424/04/09-01/14", relative à l'octroi des documents de voyage aux réfugiés
rwandais, ainsi que "L'Instruction Ministérielle relative à la présélection des Préfets", qui fait
suite à la décision du Conseil du Gouvernement du 17 septembre 1993. Ces décisions et mesures ont
été largement dénoncées par la presse et par les principaux partis participant à l’actuelle coalition
gouvernementale (voir notamment les lettres du 6 Octobre adressées au Premier Ministre et au
Ministre de l'Intérieur respectivement par le P.S.D. et le M.D.R.). De même, le Front Patriotique
Rwandais (F.P_R.), par la lettre que son Président vous a adressée le 30 septembre dernier, s'est
désolidarisé de ces décisions et mesures, qu'il qualifie "de manipulations, et de manœuvre allant à
l'encontre de la lettre et de l'esprit de l'Accord de Paix". Enfin, la Cour Constitutionnelle rwandaise
elle-même s’est exprimée à ce sujet, dans la lettre que son Président vient d'adresser au Premier
Ministre, qualifiant ces mesures et décisions d’anticonstitutionnelles. Votre silence devant des
violations aussi flagrantes des Accords que vous venez à peine de signer - violations qui ont fait
pourtant l'objet de tant de dénonciations -, nous amène à nous demander si votre attitude face à cet
Accord de Paix a réellement changé. En effet, le monde entier sait combien vous, personnellement, et
votre parti, avez combattu ces négociations de paix d'ARUSHA dont vous n’avez pas hésité à traiter -
publiquement - les protocoles, de "chiffons de papier".

Monsieur le Président, aujourd’hui que l'Accord de Paix est signé, vous entreprenez une
tournée à travers le monde dans le but inavoué de vous en approprier la paternité. Cette tournée
constitue non seulement une usurpation, mais également une violation de l'esprit et de la lettre des
Accords de Paix d’Arusha, En effet, elle aurait dû se situer après la mise en place du Gouvernement
de transition à Base Elargi (G.T.B.E.), seul représentant légal du peuple rwandais réconcilié avec
lui-même. Et pour refléter l'esprit de réconciliation symbolisé par la signature de l'Accord de Paix, elle
aurait dû se faire d’abord à l’intérieur du pays, pour montrer au peuple rwandais que, dans l'intérêt
supérieur de la Nation, les ennemis d’hier s'étaient enfin réconciliés. Elle aurait dû se poursuivre ensuite
dans les pays de la région, dont certains avaient été présentés comme les agresseurs du Rwanda ou
comme les complices du Front Patriotique Rwandais. Enfin, cette tournée aurait eu une autre
dimension dans le reste du monde, si l'on avait pu montrer côte à côte, dans la même délégation, les
ennemis d'hier, aujourd’hui réconciliés.

Pour l'ensemble des raisons que nous évoquons ci-dessus, La Communauté Rwandaise de France ne peut pas cautionner, par sa présence, cette violation de l’esprit et de la lettre des Accords de Paix d’Arusha, et ne peut donc pas répondre à votre invitation. Elle ne sera donc pas présente à la rencontre prévue le dimanche 10 Octobre, à 14h30.

En vous assurant que le message contenu dans cette "lettre ouverte" est dicté par le seul
souci de voir enfin une véritable paix s’instaurer au Rwanda, La Communauté Rwandaise de
France vous prie de croire en ses sentiments patriotiques.

LA COMMUNAUTE RWANDAISE DE FRANCE
56 Bis, Rue du LOUVRE
75002 PARIS

TEL.: (1) 40 39 91 12 */* FAX : (1) 40 26 37 59
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024