Fiche du document numéro 30761

Num
30761
Date
Mai 2004
Amj
Fichier
Taille
775530
Pages
118
Titre
Rapport de Recherche sur la Gacaca – Rapport VI : Du camp à la colline, la réintégration des libérés
Mot-clé
Source
PRI
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
Rapport de Recherche sur la Gacaca
Rapport VI

Du camp à la colline,
la réintégration des libérés

Avec le soutien du Department for International Development
(DfID)

Mai 2004

Adresses PRI :
PRI Paris
40 rue du Château d’Eau
75010 Paris France
Tél.: +33 1 48 03 90 01
Fax: +33 1 48 03 90 20
PRI Rwanda
BP 370
Kigali Rwanda
Tél.: +250 51 15 93
Fax: +250 51 15 93
Adresse du site Web : http//www.penalreform.org
Toutes les impressions et réactions sur ce travail sont les bienvenues, n’hésitez pas à nous
contacter aux adresses mentionnées ci-dessus ou par courrier électronique :
pri-gacaca@penalreform.org

Tous nos remerciements à David Newbury pour sa relecture
précieuse.
Les informations présentées dans ce document ont été
recueillies par toute l’équipe de recherche PRI au Rwanda,
un grand merci à eux tous pour leur travail, sans lequel ce
rapport n’aurait pu être possible.

“L’histoire [du Rwanda] a fait l’objet d’interprétations polémiques,
d’approximations et de schématisation dont il n’existe que peu
d’exemples aussi caricaturaux dans l’histoire d’ex-colonies (…), la
vulgate ethnique est largement reprise sans aucune distance critique.”
Eugène Ntaganda1

“On a pris l’habitude de diviser l’histoire du Rwanda en trois
périodes successives, à savoir la période pré-coloniale, la période
coloniale et la période post-coloniale. Et on se complait à croire
que chacune de ces périodes, prise en bloc, a son identité propre,
sans tenir compte du caractère dynamique au sein de chacune d’elles.
Minaloc2

1 Ntaganda, Eugène, “Editorial”, in “Peuplement du Rwanda. Enjeux et Perspectives”, Cahiers du Centre de Gestion des
Conflits, n°5, 2002, p. 6

Ministère de l’Administration Locale, du Développement Communautaire et des Affaires Sociales (Minaloc),
Dénombrement des victimes du génocide. Rapport Final. Rwanda, Kigali, novembre 2002, p. 6
2

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

3

Table des matières
Note introductive....................................................................................................................2
Actualité du processus gacaca................................................................................................4
Sur la création du Service National des Juridictions Gacaca (SNJG) ............................................ 4
Sur l’adoption d’une nouvelle loi de répression des crimes ........................................................... 5
Sur la réforme de la loi organique portant création et fonctionnement des juridictions

gacaca ............................................................................................................................................. 6

Sur l’évaluation des deux premières étapes des juridictions gacaca dans les secteurs
pilotes ............................................................................................................................................12

Première Partie
L’ingando, une étape du processus gacaca.......................................................................... 16
A. L’ingando, transition vers la vie civile ......................................................................................17
B. L’histoire du Rwanda, enjeux de la transmission dans les ingando........................................ 23

La période pré-coloniale.................................................................................................................................................... 28
Un « colonialisme dual ».................................................................................................................................................... 29
Un discours largement transmis et intégré...................................................................................................................... 30
Le contexte régional........................................................................................................................................................... 32
La responsabilité individuelle............................................................................................................................................ 35

Deuxième partie
Le retour sur les collines .......................................................................................................42
A. Réapprendre la vie commune .................................................................................................. 42
B. Réflexes de protection.............................................................................................................. 56

Recommandations ................................................................................................................64
Glossaire................................................................................................................................67
Bibliographie ........................................................................................................................68
Annexes.................................................................................................................................72

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

1

Note introductive
Depuis ses débuts, la recherche PRI se présente comme une recherche-action avec pour
objectifs l’observation et l’analyse du processus gacaca en vue de fournir à ses acteurs, au
premier rang desquels les autorités gouvernementales, tous les éléments nécessaires à une
meilleure perception de sa mise en œuvre sur le terrain. L’objectif est principalement
d’aider à une optimisation du programme. Cette logique d’appui dans le cadre d’une
recherche-action se justifie par le caractère exceptionnel de ce système de justice
participative mis en place au Rwanda, compte tenu, non seulement des défis qu’il pose
pour sa réalisation, mais également des enjeux dont il est porteur pour l’ensemble de la
société rwandaise dans sa marche vers la réconciliation.
Les rapports qui ont été publiés à ce jour3 se sont intéressés à la préparation des gacaca au
niveau des cellules, c’est à dire à tout le travail préalable aux jugements : établir les listes des
victimes et des accusés, et répartir ceux-ci dans les différentes catégories. La procédure
d’aveux a été étudiée dans le détail (Rapport IV de janvier 2003), ainsi que les questions
liées à l’indemnisation des victimes, la mise en place du Travail d'intérêt général (TIG), au
monitoring de la gacaca par différents intervenants et à la participation de la population
(Rapport V de septembre 2003).
Après presque deux années d’observation, il s’est avéré nécessaire de ne plus nous en tenir
à une stricte analyse du déroulement du processus judiciaire en lui-même, mais d’enrichir
notre recherche par des études plus approfondies d’événements périphériques : le contexte
et les enjeux qui accompagnent la mise en place de ce processus sont éminemment
complexes.
En janvier 2003, un décret présidentiel ordonnait la libération provisoire de certaines
catégories de détenus. Environ 22 000 personnes sortirent alors de prison. Leur
réintégration se fit en deux temps : un passage par des camps de solidarité, puis le retour
sur les collines. Ce rapport, pour aider à préparer les nouvelles libérations annoncées pour
les mois qui viennent, examine les conditions dans lesquelles se sont déroulées ces deux
étapes.
Dans un premier temps, en forme de préambule, nous revenons sur l’actualité du
processus gacaca et les réformes qui sont actuellement envisagées.
Ensuite, ce rapport porte sur le passage des libérés dans les camps de solidarité, première
étape avant le retour dans les collines. Nous nous sommes particulièrement intéressés aux
cours d’histoire dispensés dans ce cadre, car leur influence sur la perception qu’ont les
détenus de leur société et la façon dont ils sont amenés à penser leur responsabilité dans le
génocide est décisive.
Poursuivant cette logique, nous avons fait le choix d’observer et d’analyser la réintégration
des libérés, retournés dans les collines en mai 2003. Ils vivent à nouveau avec le reste de la
population, et en particulier avec les rescapés.
Ces deux points ont, de toute évidence, des incidences directes sur le processus gacaca :
dans quel état d’esprit les ex-détenus, qui ne sont qu’en liberté provisoire, vont-ils se
3

Ces rapports sont tous disponibles sur le site internet de PRI, www.penalreform.org

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

2

présenter devant les juridictions gacaca ? Quel impact le retour des génocidaires, ou
présumés tels, peut-il avoir sur la participation des rescapés ? Cette nouvelle étape va-t-elle
favoriser l’action des juridictions gacaca ou bien, au contraire, en limiter les effets positifs
escomptés ?
Ce travail s’appuie sur les résultats d’une recherche qualitative couvrant la période de
février 2003 à janvier 2004. De fin février à fin avril 2003, l’équipe de recherche a visité
plus de dix camps de solidarité dont ceux de Gisozi (Kigali-Ville), Rwankuba (Umutara),
Gisovu (Kibuye), Misizi, Kabagari et Ntongwe (Gitarama), Muhura (Byumba), Gishamvu
(Butare), Gati (Kibungo), Mudende (Gisenyi) et Mushubi (Gikongoro). Les camps de
Ruhengeri, Cyangugu et Kigali Rural n’ont pas été visités dans le cadre de cette enquête par
manque de temps et de moyens.
L’ensemble des données recueillies à cette occasion a été vérifié et complété par des
observations menées lors des séances de juridictions gacaca et des interviews conduites
auprès de la population (rescapés, non-rescapés, familles de détenus, libérés, autorités
locales, juges intègres, etc.) par nos enquêteurs permanents, dans les 12 secteurs pilotes.
Les extraits présentés sont issus de cette recherche. Concernant plus spécifiquement les
extraits portant sur les cours d’histoire, ils proviennent de notes de certains prisonniers
libérés du camp de Gishamvu, corroborées par les observations menées par nos
enquêteurs lors de leur présence à certains cours. Nous avons également étudié
l’introduction, relative à l’histoire, d’un rapport du Minaloc de novembre 20024.

L’extrait présenté en annexe correspond à l’introduction d’un document produit par le Ministère de
l’Administration Locale, du Développement Communautaire et des Affaires Sociales, Dénombrement des
Victimes du génocide - Rapport Final - Rwanda, Kigali, Minaloc, Novembre 2002, pp. 6-14
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PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Actualité du processus gacaca
Sur la création du Service National des Juridictions
Gacaca (SNJG)
L’ancien Département des Juridictions Gacaca (DJG), qui constituait la Sixième chambre de
la Cour Suprême, a désormais cédé sa place à un nouveau Service National “chargé du suivi,
de la supervision et de la coordination des activités des juridictions gacaca (SNJG)5 ”.
On peut se féliciter de cette réforme. En effet, l’objectif principal ainsi recherché consiste à
rendre ce service autonome dans sa gestion administrative et financière. Ceci permet
d’espérer notamment une plus grande rapidité décisionnelle et une amélioration du suivi
d’exécution des tâches attribuées à ce SNJG, à savoir la supervision et la coordination des
juridictions gacaca, dans le respect de leur indépendance. Ce service fonctionne avec à sa
tête une Secrétaire Exécutive, actuellement Madame Domitille Mukantaganzwa.
On peut néanmoins regretter que les concepteurs de ce nouveau SNJG n’aient pas profité
de cette réforme pour renforcer le nécessaire partenariat devant exister entre tous les
ministères et institutions intervenant d’une manière ou d’une autre dans le cadre du
processus gacaca. En effet, sur cette question, l’article 11 du projet de loi prévoit
uniquement la transmission par le SNJG de rapports trimestriels et annuels sur ses activités
et le fonctionnement des juridictions gacaca, au pouvoir exécutif (Présidence et Premier
Ministre), législatif (Parlement) et judiciaire (Ministre de la Justice, Cour Suprême et
Procureur Général de la République). Rien n’est prévu en terme de communication à
d’autres partenaires dont l’action est pourtant essentielle à la bonne mise en œuvre du
processus :
- le Ministère de l’Administration Locale, du Développement Communautaire et des
Affaires Sociales (Minaloc), pour l’implication des autorités locales,
- le Ministère de la Sécurité Intérieure (Mininter), pour la sécurité,
- ou encore le Ministère de la Jeunesse, Sports et Culture (Mijespoc), chargé de la
documentation et de la recherche sur le génocide et la gacaca
Ne sont pas non plus mentionnés des services tels que :
- le Ministère de la Santé (Minisanté), en charge de l’assistance psychosociale,
- les Commissions Nationales des Droits de l’Homme (CNDH) et de l’Unité et de la
Réconciliation (CNUR),
- et surtout le Secrétariat Exécutif du Travail d’Intérêt Général (TIG).
A la date de rédaction du présent rapport, le nouveau Service National n’est pas encore
légalement en fonction, la loi portant sa création n’étant pas encore promulguée.
Cependant, il existe de fait et a commencé son action au début de cette année 2004.

Projet de loi “portant création, organisation, attributions et fonctionnement du Service National chargé du suivi, de la
supervision et de la coordination des activités des juridictions gacaca”, Kigali, en cours
5

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Sur l’adoption d’une nouvelle loi de répression des
crimes
La fin de l’année législative 2003 restera marquée par l’adoption par l’Assemblée nationale
d’une nouvelle loi6 sur la répression du crime de génocide (jenoside), des crimes contre
l’humanité (ibyaha byibasiye inyokomuntu) et des crimes de guerre (ibyaha by’intambara), entrée
en vigueur à compter du 1er novembre 2003.
C’est le premier texte de loi rwandais réprimant ces “crimes majeurs” en dehors des lois
organiques de 1996 et 2001 qui répriment les crimes de génocide, crimes de guerre et
crimes contre l’humanité commis sur le territoire rwandais “entre le 1er octobre 1990 et le 31
décembre 1994”. Conçue exclusivement pour l’avenir, cette nouvelle loi prévoit la répression
de ces crimes s’ils devaient être à nouveau commis.
Le premier grand intérêt de cette loi réside dans l’insertion dans la législation pénale
rwandaise d’une définition de ces crimes qui jusque là faisait défaut (sauf renvoi aux textes
internationaux de référence) et surtout des sanctions applicables. Sont ainsi intégrés dans le
dispositif pénal interne rwandais les crimes de génocide, contre l’humanité et de guerre,
ainsi que les “infractions contre les organisations humanitaires”comprises comme des “actes
d’hostilité envers les personnes appartenant aux organisations humanitaires dans l’exercice de leurs
fonctions” et les atteintes aux biens de ces organisations ou ayant été placés sous leur
protection.
La définition de chacun des trois “crimes majeurs” est conforme à celles retenues en droit
international. On relèvera à ce titre, et par comparaison avec les définitions antérieures
mentionnées dans les lois organiques de 1996 et 2001, que la définition du crime de
génocide ne reprend pas ici les infractions relatives aux biens.
Seront poursuivis les auteurs de crime de génocide, mais également ceux qui auront “nié”,
“minimisé grossièrement”, ou “cherché à justifier ou à approuver [le] fondement” du génocide. Les
groupements (associations ou partis politiques) qui auront agit ainsi seront dissous.
Sur le plan des sanctions, on doit souligner que la peine de mort est la seule peine prévue
pour tous les auteurs de crime de génocide. En revanche, en ce qui concerne la répression
des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre, la nouvelle loi distingue plusieurs
niveaux de responsabilité et par conséquent, l’échelle des peines est plus large, la peine de
mort n’étant pas la seule encourue.
Un certain nombre de dispositions communes à la répression de tous ces crimes sont
prévues quant à la “tentative”, “la participation criminelle” et l’ensemble des circonstances
qui ne peuvent en aucun cas exonérer la responsabilité de l’auteur du crime : la qualité
officielle de l’accusé, la commission du crime par un subordonné, l’ordre du
Gouvernement ou de l’autorité hiérarchiquement supérieure.
Enfin, les poursuites et les peines pour les crimes de génocide, crimes de guerre et crimes
contre l’humanité sont imprescriptibles (article 20).

Loi n° 33 bis, du 6 septembre 2003, “réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les
crimes de guerre”, Journal Officiel de la République du Rwanda, 1er novembre 2003, pp. 62-67
6

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Sur la réforme de la loi organique portant création et
fonctionnement des juridictions gacaca
Le nouveau Service National des Juridictions Gacaca a annoncé à plusieurs reprises, et
dernièrement par une intervention publique de sa Secrétaire Exécutive Mme Domitille
Mukantaganzwa, que la loi du 26 janvier 2001 créant les juridictions gacaca ferait l’objet
d’une réforme qui entrerait en vigueur avant le lancement de la phase nationale et de la
phase de jugement des gacaca.
Compte tenu du travail d’observation et de recherche toujours en cours, ainsi que des
recommandations faites régulièrement par notre équipe de recherche, mais également par
d’autres organisations, il nous semble important d’ores et déjà de contribuer à cette
réforme (comme nous l’avons déjà fait à plusieurs reprises en participant à des ateliers de
travail sur le sujet à la demande du département gacaca et du Minijust) en proposant
quelques réflexions sur la base des informations communiquées verbalement, mais
publiquement, par le nouveau SNJG. Il s’agit en particulier des informations données lors
de la réunion de coordination qui s’est tenue à l’Ambassade de Belgique le 5 mars 20047.
En effet, le projet de loi qui a été rendu public n’est pas complet, et le fait de travailler sur
des informations verbales permet de tenir compte aussi de l’interprétation qui est faite des
textes proposés.
Les précédents rapports de PRI détaillent la structure des juridictions gacaca, les critères
pour la catégorisation des accusés et l’échelle des peines prévues. Il est possible de s’y
référer pour mesurer les changements envisagés.
♦ Les principales modifications légales annoncées
Ces modifications concerneraient :

• L’organisation et les compétences des juridictions gacaca, avec en particulier :
-

7

la suppression des juridictions gacaca de provinces et de districts, avec toutes les
conséquences quant à leurs compétences “ratione materiae”8 respectives,
la mise en place de juridictions d’appel au niveau du secteur,
la suppression de l’assemblée générale, hormis pour la juridiction gacaca de
cellule,
la diminution en nombre des membres du siège pour toutes les juridictions (9
membres9 élus avec 5 suppléants et non plus 19).

Cf. Annexe 2 de ce rapport

On entend par compétence : l’aptitude d’une autorité publique ou d’une juridiction à accomplir un acte ou à
instruire et juger une affaire. Une juridiction est compétente selon la nature de l’affaire, compétence “ratione
materiae”, et selon son territoire, compétence “ratione loci”

8

Si cette réorganisation est adoptée, cela diminuera considérablement le nombre total des juges gacaca sur le
plan national. Si la juridiction d’appel est composée également de 9 juges et de 5 suppléants, comme cela
semble prévu pour les juridictions gacaca au niveau des cellules (9 201) et des secteurs (1 545), le nombre total
de juges sera d’environ 172 074 personnes. Cela représente environ 70 000 juges de moins que le nombre de
juges prévu actuellement. Cela peut faciliter la formation de ces juges, améliorer la sélection des candidats et
permettre l’attribution d’une indemnisation à tous ces juges.
9

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

6

• La catégorisation :
-

suppression de la troisième catégorie (les crimes inscrits auparavant dans cette
catégorie relèveraient de l’actuelle seconde catégorie, l’actuelle quatrième
catégorie devenant la troisième),
rajout dans la première catégorie du crime de torture y compris n’ayant pas
entraîné la mort et du crime d’ “actes de sarcasme et de moquerie commis sur le cadavre
d’une personne”.

• Les dommages et intérêts moraux :
-

l’exclusion de la compétence des juridictions de la fixation des dommages et
intérêts moraux qui relèveront d’un Fond d’indemnisation appelé à déterminer
le montant des indemnisations et leurs bénéficiaires, sur la base de listes
établies par les juridictions.

• Les peines :
-

la possibilité de prononcer une peine d’emprisonnement avec sursis, qui
pourrait être assortie de l’obligation d’exécuter un Travail d'intérêt général10
le maintien du Travail d’intérêt général dans le dispositif, comme mesure
d’aménagement de la peine lorsque le détenu a déjà purgé une partie de sa
peine en prison.

Par ailleurs, au-delà de ces modifications du dispositif légal, un certain nombre de mesures
d’application sont annoncées par la Secrétaire Exécutive dont la tenue de plusieurs séances
gacaca par semaine afin d’accélérer le processus. Selon la Secrétaire Exécutive, cela ne
devrait pas poser de difficulté pour la population : “Il n’y aura pas de problème si on leur dit que
cela ne durera qu’un temps”11.
♦ Commentaires sur les réformes prévues :
De toute évidence, ces modifications du dispositif légal des gacaca s’inscrivent dans une
volonté de tirer certaines conséquences des constats et analyses menés depuis des mois
dans le cadre du “monitoring” des juridictions gacaca.
L’objectif principal est d’améliorer le fonctionnement de ces juridictions, d’en alléger le
coût et d’essayer d’atteindre au mieux les buts recherchés et réaffirmés de ce processus :
- faire connaître la vérité sur ce qui s’est passé lors du génocide,
- accélérer les procès du génocide,
- éradiquer la culture d’impunité,
- réconcilier les Rwandais et renforcer leur unité,
- montrer que les Rwandais sont capables de résoudre eux-mêmes leurs
problèmes.
A l’heure actuelle, les informations dont nous disposons ne permettent pas de conclure si c’est le sursis
simple qui est envisagé, ou s’il sera toujours assorti de l’obligation d’effectuer un TIG.

10

Propos tenus par Mme Domitille Mukataganzwa à l’occasion d’une réunion de travail à l’Ambassade de
Belgique le 5 mars 2004, cf. compte-rendu de cette réunion en Annexe 2 de ce rapport
11

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

7

Pourtant, certaines des difficultés qui se sont révélées à l’occasion des audiences et
réunions des juridictions gacaca dans les secteurs pilotes ne semblent pas, en l’état et au vu
des informations qui ont été communiquées, entraîner les réformes adéquates. On pense
notamment aux réponses qu’il faudrait apporter à la question de la participation de la
population, tant sur le plan de l’absentéisme et du retard aux séances, que sur celui de sa
contribution à l’établissement de la vérité12.

• Sur l’objectif d’accélération du processus gacaca et la multiplication des
séances :
Le nouveau SNJG estime que l’une des priorités actuelles est de se donner les moyens
d’accélérer le processus gacaca. On peut cependant douter de l’opportunité et de la
faisabilité d’organiser deux à trois séances gacaca par semaine, comme cela est annoncé.
Même si “cela ne durera qu’un temps” et que “les autorités locales la pousseront [la population]” 13 à
adopter cette fréquence. S’il peut être à la limite envisagé de convaincre les juges intègres
de faire l’effort de siéger deux à trois jours par semaine (s’ils sont indemnisés ou
récompensés), cela ne sera probablement pas le cas pour les membres des assemblées
générales, alors même que leur participation est essentielle pour connaître la vérité et
contribuer à rendre des jugements équitables.
Sur ce point, on ajoutera que la conscience par la population d’une participation massive
au génocide risque de ne pas faciliter les choses. En effet, a partir des statistiques produites
par le gouvernement sur la base du travail déjà réalisé par les juridictions pilotes, qui
chiffrent à environ 50 000 le nombre de personnes déjà inscrites sur les listes des accusés,
on peut estimer qu’au niveau national, les juridictions pourraient avoir à traiter au moins
410 000 cas d’accusation de participation au génocide. On peut donc présumer qu’une
grande partie de la population aura à subir les conséquences des jugements rendus14, et un
regain des tensions au sein de la population et des différentes communautés rwandaises
pourrait s’en suivre. Du moins dans un premier temps, car par la suite, comme on a déjà
pu l’observer, une diminution de la peur et une certaine résignation apparaissent.
Néanmoins, cette situation serait préjudiciable à court terme sur le plan de la coexistence et
à plus long terme sur celui de la réconciliation.

Cette question de la participation de la population aux juridictions gacaca a déjà fait l’objet d’amples
développements dans les rapports précédents de PRI. Le nouveau projet de loi gacaca ne semblant pas
prendre véritablement en compte cette question, pourtant cruciale dans le cadre d’une justice participative
comme la gacaca, on s’en tiendra au rappel de quelques points fondamentaux. Cette non-participation est tout
d’abord la conséquence d’un sentiment d’insécurité que nourrit la peur de représailles (que les témoins
craignent d’autant plus que leurs témoignages engagent des membres de leur communauté la plus proche) et
que les formations et motivations insuffisantes des “juges intègres” peinent à palier. C’est d’autre part la
conséquence d’un manque d’implication des élites et des autorités locales qui vient nourrir un sentiment
d’abandon au sein de la population.
12

13 Nous avons en effet, maintes fois dans nos rapports, soulevé la question du manque de participation des
autorités locales. Cependant, il nous semble important de souligner qu’un rôle officiel et sanctionnant nous
paraît tout aussi préjudiciable au bon déroulement des sessions gacaca. Cela risque de remettre en cause leur
dimension populaire et participative.

Pour une discussion de ce chiffre et d’autres statistiques, cf. développement dans la suite de ce rapport, p.
15. Le nombre de personnes qui seront potentiellement condamnés représenteraient environ 4 à 5 personnes
par foyer, cela voudrait dire qu’environ 2 à 3 millions de personnes risquent d’être affectées par les
conséquences des jugements : prison, TIG, etc. Cela représente un quart de la population du pays.

14

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

8

• Sur les moyens de répondre à l’importance potentielle du nombre de
condamnés :
Au regard des projections faites sur le nombre d’accusés potentiels, la tâche du SNJG
s’avère ardue. Aussi semble-t-il difficilement envisageable d’emprisonner tous les
participants au crime de génocide, même si l’on se limite à ceux ayant commis des crimes
graves (catégories 1 et 2) et dont le nombre pourrait atteindre, selon certaines estimations,
400 à 500 000 personnes.
▪ Dans ces conditions, le recours à des peines de prisons avec sursis (accompagnées
éventuellement d’une peine de TIG), semble une solution envisageable. Il convient
cependant de bien prendre conscience du risque d’incompréhension, voire d’hostilité
face à cette nouvelle forme de sanction, notamment de la part des rescapés, du moins
si une réelle sensibilisation n’est pas menée pour expliquer qu’il s’agit bien d’une
peine, qu’elle est d’ailleurs précédée d’une déclaration de culpabilité (et qu’elle pourra
éventuellement être liée à une peine de TIG). A défaut de telles mesures
d’accompagnement, il est probable que cette solution sera perçue comme un déni de
l’objectif d’éradication de la culture d’impunité d'autant plus que les indemnisations
pour les dommages et intérêts moraux seront probablement moindres que ce qui
avait été souvent promis et donc espéré. Quant aux dommages et intérêts matériels,
une restitution des biens pillés est prévue. Au cas où l’auteur serait dans
l’impossibilité de restituer ou de compenser en argent, un remboursement en
journées de travail est envisagé. On soulignera ici le risque que ces journées de
travail, si elles ne sont pas bien réglementées et expliquées, soient perçues comme
une nouvelle forme d’exploitation de type “uburetwa”, corvée.
Face à tous ces défis qui se profilaient déjà depuis plusieurs mois, nous avions émis la
recommandation suivante15 : “ Il faut à présent réfléchir à ce problème des ‘nouveaux détenus
du génocide’ (…) et envisager des alternatives à l’emprisonnement qui soient proposées avant toute
incarcération : par exemple les travaux d’intérêt général qui représenteraient non pas la moitié mais
l’intégralité de la peine, ou des libérations conditionnelles, et/ou une version rwandaise de la
Commission de Vérité et de Réconciliation sud-africaine (…)”.
Depuis janvier 2002, certaines mesures attestant d’une prise de conscience de ce défi
quantitatif ont déjà été prises, comme les libérations provisoires et conditionnelles, et
maintenant la possibilité, après un jugement de condamnation, de prononcer des
peines de prisons avec sursis ( éventuellement assorties d’un TIG). Ce type de peine
nous semble une bonne alternative.
▪ Le recours au Travail d’Intérêt Général conçu, non plus comme une modalité
d’exécution de la seconde moitié d’une peine d’emprisonnement ferme, mais comme
une véritable peine principale, pourrait constituer une autre voie possible, avec ou
sans peine de sursis.
▪ Une autre voie serait de revoir la question de la complicité, qui n’est pas réglée de
façon très claire par la loi organique du 26 janvier 2001, dont les dispositions peuvent
prêter à confusion.

15

PRI, Rapport I, Kigali/Paris, Janvier 2002, p. 36

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

9

L'article 53 de la loi 26 janvier 2001, actuellement en vigueur, définit le complice
comme “celui qui aura, par n’importe quel moyen, prêté une aide à commettre l’infraction aux
personnes dont il est question à l’article 5116 de la présente loi organique”. Cet article de portée
générale semble donc concerner toute forme de complicité apportée à l’occasion de
la réalisation de toute infraction mentionnée à l’article 51 et permet donc de
poursuivre les complices des auteurs des quatre catégories.
Pourtant, dans l’article 51, la complicité n’est expressément mentionnée que pour les
“homicides volontaires ou atteintes graves contre les personnes ayant entraîné la mort”, classés
dans la catégorie 2.
En application du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, on peut en
déduire que les complices des actes autres que l’homicide volontaire et les violences
ayant entraîné la mort ne peuvent pas être poursuivis. Toutefois, cette interprétation
est contraire à l’article 53 mentionné ci-dessus. Il serait donc opportun que le
nouveau SNJG profite de la refonte du dispositif légal pour éclaircir cette question,
par exemple en revenant à la définition de la complicité retenue dans la loi organique
de 1996, où seule “l’aide indispensable”17 était punissable. Un retour à la définition de
1996 devrait avoir pour conséquence directe de réduire considérablement le nombre
de personnes accusées pour de tels actes.
L’incidence sur le nombre d’accusés et donc au final de condamnés, d’une option qui
privilégierait la première interprétation (conception large) ou au contraire la seconde
(conception stricte), est directe. Retenir le principe des poursuites de tous les
complices de toutes les infractions pour les trois catégories risque de conduire à une
très forte augmentation du nombre des accusés.
En tout état de cause, la question de la complicité, toujours délicate à appréhender
pour un juge, mériterait d’être très largement clarifiée puis développée dans le cadre
de la formation des juges intègres.

• La poursuite des « crimes barbares » :
Les “actes de sarcasme et de moquerie sur les morts” sont appelés à faire partie de la première
catégorie. Il est incontestable que ces crimes peuvent être l’expression d’une extrême
barbarie choquante et révoltante. Il convient toutefois de ne pas éluder le fait que, pour
échapper à l’ordre d’exécuter des Tutsis, certains ont pu accepter de mutiler des cadavres.
D’où une question : une telle personne mérite-t-elle d’être classifiée en première catégorie ?

• Le calendrier de la gacaca : quantitatif versus qualitatif
Le calendrier qui impose aux juridictions pilotes d’avoir terminé la catégorisation pour fin
avril 2004 nous paraît difficile à tenir. Les différentes stratégies mises en place au niveau
local pour atteindre ces objectifs calendaires nous semblent préjudiciables quant à la qualité
des fiches individuelles et de la catégorisation.
Parmi ces stratégies, on peut citer à titre d’exemple : la division des 19 juges en trois
groupes afin de traiter simultanément trois dossiers, ou encore la remise d’un dossier à
16 L’article 51 définit les différentes catégories dans lesquelles sont classés les accusés, en fonction de leurs
actes

Cf. Chap. II, article 3, de la Loi organique n°08/96 du 30 août 1996 sur “l’organisation des poursuites des
infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l’humanité”, commises à partir du 1er
octobre 1990, Journal Officiel de la République du Rwanda, 1er septembre 1999
17

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

10

chaque juge sachant lire et écrire. Ces pratiques mettent particulièrement à mal l’une des
garanties essentielles du travail des juges, celle de la collégialité décisionnelle.

• La phase de jugement
Il est annoncé que les jugements commenceront probablement deux mois après le début
de la phase nationale. Les juridictions gacaca des 118 secteurs pilotes ayant déjà dressé les
fiches individuelles des accusés et les ayant catégorisés (7ème séance), commenceront alors
la dernière étape du jugement des prévenus.
Cette annonce constitue un revirement par rapport à l’opinion de nombreux agents de
l’ancien Département des Juridictions Gacaca qui estimaient qu’avant que ne démarre la
troisième et dernière étape du processus gacaca (celle des jugements), tous les secteurs du
pays devaient être au même stade procédural et avoir achevé l’étape de la catégorisation.
En effet, beaucoup d’accusés ont commis des délits dans différents endroits, et il importait
que l’ensemble de ces faits ait pu être examiné par les juridictions locales concernées avant
la phase de jugement, de manière à ce que l’accusé soit jugé par la juridiction de cellule où
il aurait commis les faits les plus graves. On pensait donc que les deux premières phases de
la gacaca devaient être réalisées par tous les secteurs du pays, avant que les jugements
puissent commencer à un niveau national. Compte tenu de l’option retenue actuellement
par le SNJG, on peut s’attendre à observer les premiers jugements au cours du second
semestre 2004 (août-septembre 2004), si le calendrier annoncé est tenu.
On notera sur ce point que les autorités nationales se trouvent là face à un dilemme : quelle
que soit l’option retenue, elle sera insatisfaisante.
Si, comme prévu, le choix est fait de commencer rapidement les jugements dans les
juridictions pilotes, alors, pour les auteurs ayant commis des crimes dans d’autres
juridictions, il faudra rouvrir d’autres jugements. Ce qui sous prétexte de gagner du temps
maintenant, risque d’en faire perdre beaucoup par la suite.
Mais parallèlement, on voit mal comment la population, qui vient de participer pendant
deux ans aux juridictions pilotes, pourrait attendre encore deux autres années que les
jugements soient prononcés. Qui plus est, sur le plan carcéral, la situation deviendrait
difficilement gérable.
Le SNJG estime préférable, dans la logique de réconciliation et d’établissement de la vérité,
que les victimes assistent au jugement des accusés dans tous les lieux où des faits ont été
commis.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

11

Sur l’évaluation des deux premières étapes des
juridictions gacaca dans les secteurs pilotes
Dans les précédents rapports de PRI, nous avons essayé d’évaluer le processus gacaca en
relation avec ses objectifs, ce qui nous a conduit à émettre un certain nombre de
recommandations concernant notamment la sensibilisation des populations, le soutien au
travail des inyangamugayo, juges intègres, le manque de participation de la population locale,
mais aussi la lenteur du processus gacaca, etc.
Certaines de ces recommandations ont été prises en compte par l’ancien Département des
Juridictions Gacaca et son actuel successeur le SNJG. Néanmoins, une contradiction nous
paraît subsister, du moins en apparence : comment expliquer le nombre très élevé de
personnes inscrites sur les listes d’accusés alors que parallèlement, on enregistre un déficit
chronique de participation de la population aux juridictions gacaca ? Ce paradoxe pourrait
indiquer, comme nous allons le voir, des méthodes un peu expéditives.
♦ Les projections statistiques et leurs implications
Avant de tenter d’apporter des éléments de réponses à cette question, nous nous
proposons d’analyser les statistiques récentes. Il s’agit des chiffres remis en janvier 2004
par le Département des juridictions gacaca, puis par son successeur le SNJG18 concernant
les listes d’accusés.
A partir de ces statistiques, on peut tenter de faire quelques prévisions sur la poursuite du
processus gacaca, d’autant plus que ces dernières sont présentées comme devant “aider les
juridictions classiques et celles de gacaca à se préparer pour la tâche qui les attend”.
Au vu des chiffres actuels, cette tâche s’annonce colossale.
Les données publiées par le SNJG19 ont été collectées dans les 118 secteurs pilotes des
juridictions gacaca, soit 12 secteurs pilotes depuis juin 2002 et 106 secteurs (1 secteur par
district) depuis novembre 2002. Dans ces 118 secteurs, 758 juridictions gacaca (JG) sont
opérationnelles, ce qui correspond à 8,2 % du total des juridictions de cellules du pays.
Par conséquent au moins 90% des juridictions au niveau des cellules doivent encore
commencer, auxquelles viendront s’ajouter toutes les juridictions de gacaca et d’appel au
niveau des secteurs.
Les 758 JG ont établi des listes comptabilisant 49 983 accusés. Ce dernier chiffre peut
encore augmenter puisque ces données ont été récoltées alors que certaines juridictions en
Soit les statistiques produites par le DJG, Rapport Trimestriel, Juillet-août-septembre 2003, Kigali et par son
successeur le SNJG, Document sur l’état d’avancement des activités des Juridictions gacaca des cellules opérationnelles et
programmes d’activités à venir, Kigali, 21 janvier 2004, cf. Annexe 3 de ce rapport. On se base ici essentiellement
sur le second rapport qui présente des donnés plus récentes que celui du DJG.
18

Données de base :
758 JG sont opérationnelles dans 118 secteurs, 105 ont terminé la 7ème réunion
• Ces JG ont établi des listes des accusés comptant 49 983 accusés (ce chiffre représente un minimum puisque
le travail de ces JG n’est pas encore terminé). Le nombre d’accusés aux dossiers déjà complets s’élève à 7
013, soit 14%. Par conséquent il reste encore 86% des dossiers à traiter.
• Sur ces 7 013 dossiers, 3 791 ont été transmis au SNJG, qui a procédé à leur catégorisation, telle que
présentée dans le tableau, cf. Annexe 3 de ce rapport
• Le Rwanda comptant au total 9 201 cellules, le pourcentage de cellules couvertes à ce jour par la phase
pilote s’élève donc à 8,2%. Si ces chiffres sont représentatifs, on peut s’attendre au niveau national à quelques
607 000 accusés de génocide.
19


PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

12

cours n’ont toujours pas terminé la 7ème séance (séance de catégorisation effectuée par les
juges).
Si l’on pose comme hypothèse que ces chiffres sont plus ou moins représentatifs à l’échelle
du pays, on peut avancer quelques estimations et projections.
Sachant que les juridictions gacaca de cellules ont fini leurs listes, ou sont en train de les
finir, et que 50 000 accusés figurent déjà sur ces listes, on peut avancer qu’au niveau
national au moins 607 000 personnes pourraient alors être accusées de participation au
génocide20. Ce chiffre inclut les 24 000 libérés provisoires ou conditionnels, les 80 000
personnes toujours en détention, ceux qui sont en exil ou morts, et certainement des
accusés cités plusieurs fois.
Emettre des projections à partir des données sur la catégorisation des accusés est un peu
plus risqué vu le faible nombre de dossiers transmis au SNJG. Toutefois, si l’on pose
comme hypothèse que ces données sont plus ou moins représentatives à l’échelle du pays,
alors, on peut s’attendre au niveau national à environ 55 000 accusés en catégorie 1 et à
382 000 en catégorie 2. En outre, si l’on applique les dispositions du projet de loi
organique qui fusionnerait la deuxième et la troisième catégorie, alors le nombre d’accusés
de seconde catégorie serait encore plus élevé, atteignant les 455 000 personnes.
Le tableau ci-dessous reprend les projections du nombre d’accusés sur base des statistiques
fournies par le SNJG21 :
Accusés par
catégorie, des
secteurs pilotes,
dont les dossiers
ont été remis
Catégories

1
2
3 (devient 2)
4 (devient 3)
Total

Nb.
d’accusés

336
2 392
470
593
3 791

%

Projection du
nombre
d’accusés par
catégorie à la fin
de la phase
nationale
Nb. d’accusés

9
63 382 000
12 73 000
16
100

55 000
455 000
au total
97 000
607 000

Estimation de nombre de personnes
accusées de génocide par catégorie à la
fin de la phase nationale, après
corrections
Correction
1 : (-10%
compte
double)

Correction 2 : (- 25%
décès & exile) = Nb.
estimé des présumés
génocidaires vivants au
Rwanda22
49 500
37 125
409 500
307 125
87 300
546 300

65 475
409 725

Ceci concorde plus au moins avec les données provenant d’une autre source (le Parquet) qui montrent que
les 32 000 personnes ayant fait leurs aveux ont à leur tour accusé 250 000 autres personnes, toujours en
liberté. Toutes ces données, de sources différentes, indiquent également que la participation de la population
dans le génocide semble plus importante que ce qui avait été estimé jusqu’à présent.

20

21

Cf. Annexe 3 de ce rapport

22 Ce chiffre de 25% est pour nous un minimum. Par exemple, à Kibuye, il s’est avéré que 31% des
personnes figurant sur les listes des accusés à la fin 2003, soit 8 292 noms, étaient décédés ou en exil.
(Données globales, Province Kibuye, Décembre 2003)

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

13

Ces estimations permettent de conclure :
- que les juridictions classiques et les juridictions gacaca vont devoir faire face à un
nombre considérablement plus important de dossiers à traiter (et donc de personnes à
juger) que ce qui avait été estimé au début du processus,
- que cela aura évidemment un fort impact sur la durée globale du processus gacaca avec
toutes les conséquences qui en découleront,
- qu’environ 37 000 accusés de 1ère catégorie devront être jugés devant les tribunaux de
1ère instance : cela représente 12 années au minimum de travail pour la préparation des
dossiers au niveau des parquets en se basant sur un rythme optimal de cinq dossiers
par mois pour 50 procureurs à plein temps sur les dossiers de génocide, soit la moitié
des procureurs du pays,
- qu’il est donc nécessaire d’envisager d’ores et déjà de recourir à d’autres mécanismes
pour établir la vérité, juger et sanctionner, notamment les 344 000 (ou davantage)
futurs accusés de première et deuxième catégorie (incluant l’ancienne catégorie 3). Ceci
est essentiel pour des raisons qui tiennent à l’objectif de réconciliation, à l’économie et
au financement, ou encore à l’incapacité des juges gacaca et des juges des tribunaux
classiques de répondre à l’ampleur de la tâche.
Le SNJG, qui a fourni ces statistiques brutes, semble bien conscient de tous ces points et
l’on peut considérer que la nouvelle loi organique constitue un premier pas pour faire face
à ces problèmes.

♦ Manque de participation et nombre élevé d’accusés, une contradiction ?
Bien que la participation soit un élément indispensable au bon fonctionnement de la gacaca,
un grand nombre d’observateurs ont relevé le fait qu’elle était souvent insuffisante.
L’abstention est particulièrement significative concernant les membres Hutus et non
rescapés de la population, et ce pour différentes raisons23, alors même que numériquement
ils sont les plus nombreux. Ils ne s’engagent généralement pas dans le processus, et se
montrent réticents à avouer ou à témoigner. Ils ne semblent en effet réagir que s’ils sont
accusés.
Certes il n’est jamais facile de témoigner, en dehors même de toute pression ou menace,
qui plus est dans un contentieux de génocide. Les enjeux d’un procès sont importants et
multiples et personne n’y est vraiment préparé. Aussi, il peut y avoir des réticences, des
plus légitimes dans certaines circonstances, à vouloir témoigner.
Dans ces circonstances, on comprend qu’il puisse être difficile pour la justice de trouver les
témoins dont elle a besoin et de les amener à témoigner. En l’occurrence, que pourrait
devenir la justice du génocide, et en particulier la gacaca, en l’absence de témoins ou en
présence de témoins apeurés, inquiets, pour eux ou leur proches, ou qui ne veulent rien
dire ou diront peu… voire ne diront pas la vérité ? Si cela se passe ainsi, pourra-t-on dire
que le processus fonctionne bien et atteint ses objectifs de recherche de la vérité, de justice
et de réconciliation ?
On s’étonne donc que durant la sixième séance des juridictions gacaca (au cours de laquelle
est établie la liste des accusés), beaucoup de personnes soient inscrites sur ces listes. Il
apparaît en fait que toute accusation portée entraîne quasi automatiquement l’inscription
sur les listes d’accusés, sans réelle vérification. Ni les témoignages, ni les accusations ne
23

Cf. PRI, Rapports III et V de recherche sur la gacaca, respectivement de janvier 2002 et septembre 2003

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

14

font l’objet d’un examen attentif. Cette situation est problématique, d’autant plus que
certains rescapés témoignent sans savoir réellement ce qui s’est passé, et que les aveux des
détenus et témoignages des libérés sont plus qu’incomplets. En effet, la plupart des
détenus commencent par des aveux partiels, s’ils savent que la preuve de leur culpabilité
existe déjà, ou s’attribuent des délits mineurs.
Quant aux témoignages des libérés, les omissions, demies vérités, voire mensonges et faux
témoignages y sont plus que fréquents. A cela s’ajoute l’utilisation détournée de la gacaca
aux fins de régler des litiges privés anciens ou nouveaux, voire, pour certains, sans aucun
lien avec le génocide.
Tout ceci s’avère préjudiciable alors même que la recherche de la vérité sur le déroulement
du génocide dépend principalement des témoignages de ces auteurs. Dans de telles
conditions, on saisit combien la vérification des témoignages et aveux revêt une
importance toute particulière. Il convient cependant d’admettre qu’elle n’est pas chose
aisée, dix ans après le déroulement des faits.
Soulignons enfin que le nombre élevé d’accusés est souvent mis en avant pour attester de
la bonne marche du processus gacaca. Toutefois, il ne nous semble pas un bon critère
d’évaluation. Sur l’ensemble des 607 000 personnes qui devraient figurer sur les listes
d’accusés, il est à prévoir que certaines seront innocentées. De faux témoignages à charge
et à décharge, ainsi que des erreurs de catégorisation sont à prévoir pour la phase nationale
puisqu’ils existent déjà dans la phase pilote. Le SNJG lui-même reconnaît qu’un certain
nombre d’obstacles, tels que ceux mentionnés ci-dessus, ont empêché un bon
fonctionnement des juridictions gacaca. Quoi qu’il en soit, c’est à ces juridictions que
revient la tâche de démêler le faux du vrai et d’établir la vérité.
Aussi nous paraît-il beaucoup plus pertinent d’évaluer le succès ou l’échec des juridictions
gacaca à l’aune de l’équité des jugements rendus plutôt qu’au nombre de personnes
accusées, libérées ou condamnées. Toutefois, il est encore trop tôt pour se prononcer sur
ce point, les jugements n’ayant pas encore commencé.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

15

Première Partie
L’ingando, une étape du processus gacaca

L

e 1er janvier 2003 était publié un communiqué émanant de la Présidence de la
République concernant la libération provisoire de différentes catégories de détenus.

Il nous a paru important de l’étudier dans un de nos rapports précédents (rapport IV),
dans la mesure où il a eu un grand impact sur le fonctionnement de la gacaca et du TIG, sur
le système pénitentiaire et sur la justice au Rwanda en général.
Dans ce communiqué (annexe 2), le Président de la République demande « qu’endéans un
mois, les instances judiciaires habilitées examinent conformément à la loi, les dossiers des détenus en aveux,
et qu’au cas où ces aveux sont conformes à la loi organique sur les juridictions gacaca, que si la personne en
aveux risque de passer dans la prison un délai qui est au-delà de ce que prévoit la loi organique, que cette
personne soit immédiatement libérée d’une façon provisoire en attendant son jugement. » Ce communiqué
demande que « la même mesure soit appliquée pour les mineurs entre 14 et 18 ans au moment de la
commission des crimes pour lesquels ils sont poursuivis ». Le Président de la République rappelle en
outre les « instructions relatives à la libération des personnes âgées et des personnes gravement malades »
et demande qu’elles « continuent à être appliquées. »
Il demande également aux instances habilitées, « concernant les personnes qui ont avoué et qui ont
été jugées avant la promulgation de la loi sur gacaca (…) d’examiner la situation et de prendre les mesures
qui leur permettent de bénéficier des mêmes avantages que les personnes en aveux selon la loi gacaca. » 24
« Toutes ces personnes, à l’exception des personnes âgées et de personnes gravement malades seront libérées
et passeront dans les camps de solidarité25, et ensuite seront intégrées dans la société. Toutefois, les personnes
en aveux accusées de génocide respecteront les dispositions légales telles que l’exécution des travaux d’intérêt
général. »
Pendant le mois de janvier 2003, très peu de temps après le communiqué émanant de la
Présidence, les premiers groupes de personnes âgées et/ou malades furent libérés et
retournèrent dans leurs communautés26. A compter de la fin de ce même mois, une
vingtaine de sites ont été mis en place à travers le pays afin de pouvoir recevoir les autres
détenus nouvellement libérés : environ 22 000 personnes.
Ces sites, camps de solidarité ou “ingando”, correspondent à la poursuite d’un certain
nombre d’objectifs par le gouvernement et répondent à un réel besoin des ex-détenus (A).
Ils semblent avoir globalement rempli leur mission.
Le Président de la République a ajouté que ‘ceci concerne également les détenus de droit commun qui risquent de passer
dans la prison des délais allant au-delà de la peine prévue par la loi (…) ‘ainsi que pour les détenus poursuivis pour les actes
d’infiltration.’ Nous nous intéressons ici surtout aux accusés de crimes de génocide commis entre le
1/10/1990 et le 31/12/1994. Le nombre de détenus de droit commun est estimé à 3 857, les infiltrés à 505
personnes.
24

Ces “camps de solidarité” sont destinés à accueillir les sortants de prison pendant une période de deux
mois afin de faciliter leur réintégration dans la communauté et de recueillir le maximum d’informations sur le
déroulement du génocide. Y sont notamment dispensées des « causeries morales ».
25

PRI, Rapport de Recherche gacaca. Rapport IV : La procédure d’aveu, pierre angulaire de la justice rwandaise, PRI,
Kigali/Paris, Janvier 2003

26

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

16

Toutefois, des témoignages ont attiré notre attention sur les cours d’histoire qui y étaient
dispensés. L’histoire n’est pas une matière parmi d’autres : la façon dont elle est enseignée
peut s’avérer lourde de conséquences dans ce qui constitue un enjeu de taille à long terme
pour le Rwanda, celui de la réconciliation nationale (B).

A - L’ingando, transition vers la vie civile
Une des fonctions premières des ingando est de faciliter la réintégration sociale des exprisonniers. Elle correspond à la fois à une volonté politique et à des préoccupations des
personnes concernées. La durée du séjour dans les ingando a été de trois mois, durant
lesquels les ex-prisonniers ont suivi des cours et ont participé à divers travaux. Selon
certains observateurs (dont le World Food Program), tout semblait être bien organisé et
fonctionner sans problème.
L’organisation de ces camps a été confiée à la Commission de l’Unité Nationale et de la
Réconciliation (CNUR)27. Cette institution bénéficie d’une longue expérience en la matière
puisque c’est elle qui assure, dans toutes les provinces, la mise en place de camps créés
pour permettre de discuter les problèmes nationaux affectant l’unité et la réconciliation des
Rwandais, à tous les niveaux de la société. En fonction des situations, les participants
peuvent être des leaders locaux, des femmes, des jeunes, etc28.

Un programme exhaustif visant à la rééducation des libérés
L’objectif affiché du gouvernement était de rééduquer les libérés. Une fois la construction
des camps réalisée, la CNUR a eu en charge tout un volet formation des ex-prisonniers.
Le contenu des cours dispensés portait sur les thèmes suivants :
- les causes du “mal rwandais” et sa nature,
- l’histoire du Rwanda et du génocide rwandais,
- le traumatisme et ses conséquences sociales,
- la réintégration après la prison.
A cette occasion des thèmes très divers ont été abordés, comme :
- l’unité et la réconciliation,
- la culture de la paix,
- les juridictions participatives gacaca,
- les principes de démocratie et de bonne gouvernance,
- l’éducation civique sur les élections,
- les pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire,
- la justice et les droits humains,
- les stratégies de développement du Rwanda,
- le rôle de la population dans le maintien de la sécurité,
- la lutte contre la pédophilie,
- le SIDA et la malaria.
27 Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation, NURC/CNUR, Nation-wide grassroots consultations
report. Unity and Reconciliation initiatives in Rwanda, Kigali, date indéterminée

Cf. Annexe 9 : Présentation du colonel F. Rusagara sur le concept de camps de solidarité, conférence
internationale sur le génocide, Kigali, avril 2004
28

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

17

Les autorités espèrent également que ces camps de solidarité leur permettront d’obtenir
davantage d’informations sur ce qui s’est réellement passé pendant le génocide. Ainsi, les
ex-détenus ont été invités à expliquer le déroulement du génocide dans leur localité afin de
contribuer à la révélation de la vérité. Des rencontres regroupant d’anciens prisonniers et
des membres de leur cellule d’origine (rescapés et autres) ont également été organisées,
l’objectif des autorités étant de favoriser l’émergence de nouveaux témoignages afin de
déceler les faux témoignages et aveux incomplets.
Le cas de SH29 résume les différents aspects de la vie dans l’ingando :
Les quelques 1200 personnes présentes, contentes de ne plus revêtir l’uniforme rose des
prisonniers rwandais, effectuèrent leur travail avec détermination. La première semaine fut
consacrée aux élections des dirigeants du camp, ainsi qu’à la construction d’une grande
salle de classe. SH travaillait comme journaliste, en charge de la page nationale [du journal
du camp].
Peu de temps après, les cours commencèrent, dispensés par certaines hautes autorités, ce
qui selon lui, rendit un grand espoir aux participants. Le règlement interne du camp fut
fixé d’un commun accord, sachant que toute personne qui l’outrepasserait serait
strictement punie : la punition en cas de mauvaise conduite (comme fumer du chanvre par
exemple) étant le retour en prison.
SH considérait l’ingando comme un passage tout à fait nécessaire en vue d’améliorer sa
compréhension de la politique actuelle, tant sur l’unité et la réconciliation, que sur
l’administration étatique en général. Les cours, conçus dans cette optique, étaient
complétés par des conférences et débats abondants dans ce sens. Les participants
appréciaient certains cours plus que d’autres, dans la mesure où ils y découvraient le
contraire de ce qu’ils pensaient savoir, comme par exemple, pour les cours sur l’histoire du
Rwanda ou la bonne gouvernance.
Des rencontres avec la population locale ont été organisées afin d’essayer d’engager une
réintégration sociale. Ainsi, ils ont joué au football, au volley-ball, ont construit des
maisons pour les rescapés, l’umuganda, [travail communautaire] a été réalisé conjointement,
et pour finir cette convivialité a donné lieu à une fête au cours de laquelle on a dansé et
partagé de la bière locale de sorgho. Bref, son impression semblait être positive.

Pour les libérés, une transition bienvenue mais parfois difficile
Si le communiqué émanant de la Présidence de janvier 2003 a dans un premier temps
suscité un fort engouement, le mécontentement a néanmoins suivi, la population carcérale
ayant pris conscience que le nombre de libérés serait bien en dessous des attentes.
Cependant, pour ceux qui figuraient sur les listes, ce départ pour l’ingando a été vécu
comme une véritable chance leur permettant à la fois de quitter les prisons et leurs
conditions de vie, mais aussi d’accomplir un premier pas vers l’extérieur, qui après toutes
ces années d’enfermement, s’avérait pour eux chargé d’un grand nombre de peurs et
d’angoisses.
L’ingando semble donc avoir été vécu par les détenus comme un passage nécessaire, les
cours y étant particulièrement appréciés. Ainsi en témoigne un détenu libéré :
Les camps de solidarité dans lesquels nous avons transité avant d’arriver chez nous ont été
d’une très grande importance. On nous a longuement expliqué ce que sont les juridictions
gacaca. On nous a expliqué d’où est venue l’idée de créer ces juridictions, et les objectifs

29

Basée sur sa propre narration, “Le parcours de SH”, décembre 2003

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

18

visés par celles-ci. Nous avons bien évidemment essayé de comprendre leur philosophie.
On nous a également enseigné la manière dont nous allons nous comporter face aux
rescapés du génocide, dans nos familles et dans nos villages.
Les responsables des camps de solidarité et les différentes autorités de base nous ont
également parlé des travaux d’intérêt général (TIG). Certains prévenus vont exécuter une
partie de leur peine tout en étant en liberté. En bref, nous attendons impatiemment le
début de ces travaux, même si nous ne savons pas quel genre de travaux nous allons faire.
On nous a tout simplement dit que nous allions faire ces travaux dans l’intérêt de la
collectivité. On nous a aussi dit que nous aurions à faire des travaux qui contribuent au
développement de notre communauté, tels que la construction des écoles.
- Gitesi, ville de Ruhango, juin 2003 -

Un tel engouement pour ces camps a de quoi surprendre chez des personnes qui ont déjà
passé plusieurs années en prison et qui ne rêvent que de rentrer chez elles sur les collines.
On pourrait donc être amené à douter de la sincérité des témoignages recueillis, d’autant
qu’il est vrai que dans la culture rwandaise, on ne confie pas spontanément ses problèmes à
un étranger, qui plus est, s’il s’agit d’un chercheur ou d’un enquêteur.
Néanmoins, ces témoignages très positifs sur les camps nous paraissent refléter la réalité
du vécu des libérés et cela pour deux raisons. En premier lieu parce que l’ingando, tout
comme la gacaca, semble revêtir pour ces ex-détenus une dimension quasi mystique, étant
vécu comme une sorte de purgatoire par lequel tous doivent passer. La chanson suivante
composée par des libérés et reprise en cœur par ces derniers lors des activités en est
l’exemple :
Un filtre pour les Rwandais
Un filtre pour les Rwandais,
C’est bien les juridictions gacaca venez et amenez les,
Venez, passez par ce filtre, venez, passez-y, prenez-y accès,
Eh, eh, le filtre.
Refrain :
Ce filtre est une justice qui réconcilie,
Passons dans ce filtre, le filtre, le filtre pour les Rwandais,
C’est bien les juridictions gacaca.
Vous tous qui êtes ici, passez dans ce filtre,
Le filtre eh, eh, le filtre.
Vous qui êtes en formation dans ce camp de solidarité, passez par ce filtre.
Refrain :
Ce filtre est une justice qui réconcilie,
Passons dans ce filtre, le filtre, le filtre pour les Rwandais,
C’est bien les juridictions gacaca.
Nos dirigeants, passez par ce filtre.
Vous tous dirigés, passez par ce filtre,
C’est bien les juridictions gacaca
Passez dans ce filtre.
C’est notre espoir, passez par ce filtre,
Refrain :
C’est une justice qui réconcilie,
Passons dans ce filtre, le filtre, le filtre pour les Rwandais,
C’est bien les juridictions gacaca.
- Traduction d’une chanson composée par les ex-détenus en formation du camp de solidarité de
Gisovu, mars 2003 -

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

19

En second lieu, même lorsque les témoignages sont aussi positifs sur le contenu des cours
et le fonctionnement des camps en général, ces mêmes témoins n’hésitent pas à émettre de
sévères critiques sur la dureté de la discipline et sur d’autres problèmes.
Le récit suivant en fournit une illustration30, T commence par une présentation
enthousiaste du camp :
Il est souhaitable que tout prisonnier suive à sa sortie de prison des cours pareils. Ceci parce
que la vision qu’on a en prison n’est pas celle que l’on a lorsque l’on est à l’extérieur de la
prison.
Ils vont sortir fortifiés de cette formation, et cela va les aider à gérer les différents problèmes
qu’ils vont rencontrer dans leurs familles.
Parmi ces problèmes, on peut citer ceux qui sont liés à la vie conjugale. Il y a des femmes
dont le mari est emprisonné, et qui pendant son absence, ont mis au monde avec d’autres
hommes, plus d’un enfant.
Les femmes emprisonnées, elles aussi, pendant leur absence, leurs maris ont pris d’autres
femmes.
Tout le monde était libre de poser ses questions, de demander des éclaircissements, de
demander des conseils pour connaître les comportements à adopter une fois à l’extérieur.
Des équipes d’enseignants sont venues nous parler de tous ces problèmes.
Je souhaite que toute personne qui se trouve en prison suive des cours pareils. C’est
bénéfique. C’est constructif. C’est constructif parce ça enseigne à savoir supporter, et à voir
la part que vous avez eue dans ce qui vous est arrivé. Notamment sur le fait que par suite de
notre mise en prison, notre famille est disloquée, nos biens ont disparu. Mais aussi savoir
pardonner et demander pardon. On discute très profondément dans ces camps de solidarité.
Voir la part de tout le monde dans ce qui est arrivé. Même si vous êtes innocent. On parlait
donc en profondeur du génocide qui a eu lieu au Rwanda dont les conséquences touchent
tout le monde.
- Kigali, juin 2003 -

Puis continue avec un certain nombre de critiques :
Sur la dureté des conditions de vie

[Mais] on avait une vie très dure là. Les conditions de vie dans l’ingando étaient moins bonnes
par rapport à celles de la prison. C’était délibéré. C’est la même chose pour tous les camps.
Tous étaient soumis aux mêmes conditions, sans exception, et prêts à répondre positivement
à tout ce qui serait demandé. C’est-à-dire, nous devions rester là, être ponctuels, faire ce qui
était prévu, dans le groupe qui nous avait été assigné. Il fallait être prêt à répondre à tout
appel. S’il fallait danser, alors on dansait tous. S’il fallait construire une classe, on y allait tous.
S’il fallait faire la cuisine, de même. S’il fallait puiser de l’eau, idem. Tu dois également
manger ce qui a été préparé par tous, sans attendre ce que ta famille t’amène.

Sur la durée de l’ingando

Cela nous a tué, parce qu’on changeait et repoussait chaque jour les dates de libération. Tous
ces retards nous poussaient à nous dire que nous risquions d’être ramenés en prison. Il y
avait des rumeurs qui disaient ça.
Au début de la formation, il y avait aussi des rumeurs affirmant que l’on allait nous tuer. Et,
quand la date de libération a eu été dépassée plus d’une fois, nous avons commencé à avoir
peur.

Ce témoignage de T, Kigali - juin 2003, fait ressortir une vision à la fois positive et critique des camps. La
plupart des témoignages recueillis sur ce thème avaient cette double dimension. Nous avons retenu le
témoignage de T car son contenu synthétique reflète la quasi totalité des autres impressions recueillies.
30

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

20

Concernant cette peur, un grand nombre d’autres témoignages viennent corroborer ce
vécu, comme celui de SH, particulièrement explicite :
L’ingando devait durer deux mois, mais en raison de la commémoration du génocide prévue
pour avril 2003, un mois supplémentaire fût ajouté, ce qui déçut beaucoup de participants.
C’est durant ce mois additionnel d’avril que l’on fit retourner en prison certains participants,
en expliquant que l’on s’était trompé sur leur cas.
Ce fût alors la panique générale ! En voyant la voiture du Parquet, certains allaient se cacher.
C’est dans cet état de tension que les participants vécurent jusqu’à la clôture de l’ingando en
mai 2003. A la sortie certains reçurent leurs pièces d’identité et d’autres, non. Ces derniers
furent reconduits en prison après une nuit supplémentaire passée dans le camp.

T reprend :
Sur la réincarcération de certains détenus

Il y a des gens qui sont comme nous, qui ont pu faire le camp comme nous, mais qui ne
quittent pas comme nous. C’était douloureux. Ces gens n’ont pas été informés du pourquoi
de leur retour en prison. Je me suis informé après, et on m’a dit qu’il y a des listes qui sont
venues d’Ibuka [l’association des rescapés du génocide].

Sur des questions restées sans réponse

Quelqu’un a demandé pourquoi il y avait le deuil national pour les uns (les Tutsis) et non
pour les autres (les Hutus), alors que tous sont morts, bien que les uns soient morts du
génocide et les autres par vengeance. La réponse de celui qui donnait ce cours (et c’est un
militaire qui le donnait) fût amère. D’autres ont posé la question de savoir pourquoi on
considère la tuerie par génocide, et déconsidère la tuerie faite par émotion [vengeance et
représailles], en usant des termes de Kinyarwanda, et demandant si un parent peut être
touché par la mort d’un de ses enfants et n’être pas touché par la mort d’un autre enfant.
Pourquoi le Tutsi meurt et on pleure, et quand le Hutu meurt, on ne pleure pas, alors qu’ils
sont tous enfants du Rwanda ? Et cette question ne trouve pas de réponse correcte31. Qu’on
soit mort du génocide, qu’on soit mort par la tuerie due à l’émotion, les paysans les
considèrent de la même façon. Donc, il faut utiliser une autre formule pour faire comprendre
aux paysans la différence entre la mort par le génocide, et la mort par la tuerie due à
l’émotion.

Sur le contenu des cours d’histoire et de culture

La culture rwandaise est classée dans l’histoire, et dans ce cours on explique comment les
colonisateurs ont transformé notre culture. On y parlait aussi de la façon dont les
colonisateurs ont amené les histoires d’ethnisme.
Mais, nous, nous ne sommes pas d’accord avec ça (…).
L’un d’entre nous a demandé si cela était vrai. Mais on lui a jeté un coup d’œil
désapprobateur.
A mon avis, les séparations [entres les groupes ethniques] existaient bel et bien. Je ne peux
pas dire qu'elles n'existaient pas, et je ne dirais pas que ce sont les bazungu [les blancs/les
étrangers], les colons, qui ont amené ça. C'est ce qu'on dit aujourd'hui, c'est ce qu'on apprend
aux enfants aujourd'hui, c'est ce qu'on nous apprend dans les camps de réconciliation, etc.
Je ne serais jamais d'accord sur le fait que la situation a été seulement quand l'homme blanc
est arrivé. La situation était la même avant. Seulement elle a été aggravée par la politique que
le Blanc a imposée. Pour pouvoir gouverner, il a utilisé un groupe [les Tutsis] au détriment
de l'autre [les Hutus]. Il a pris seulement un groupe. Ceux qui avaient à être condamnés sont

Concernant la réponse officielle à propos de la mort des Hutus, se reporter au Report on the evaluation of
national unity and reconciliation, du 23 Novembre 2001 (Kigali, NURC, Juin 2002), dans lequel il est mentionné
en page 14: “(…) certaines personnes ne font aucune différence entre le génocide et les autres crimes
commis pendant la guerre, où les civils furent enrôlés de force et tués. La mort est la même, mais la cause de
la mort est très différente”. Concernant le deuil national, la réponse suivante est apportée : “Le
gouvernement d’Unité nationale est déterminé à se souvenir et à inhumer dans la dignité les victimes de la
cruauté des gouvernements précédents. Cela ne signifie pas pour autant que celui ou celle qui a perdu un
parent pendant la guerre ne peut pas l’inhumer dans la dignité, et que les crimes de guerre commis resteront
impunis. ”

31

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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les colonisateurs et l’ancien régime. Mais, le premier c’est le colonisateur. Parce que c’est bien
lui qui voyait, c’est lui qui tirait les ficelles (…).
Si nous disons que nous sommes tous des Rwandais, nous disons vrai, nous le sommes, et je
suis tout à fait d’accord là-dessus. Mais dire qu’il n’y a pas de Hutu ou de Tutsi dans le pays,
que nous sommes seulement rwandais, là je ne suis pas d’accord. Les Hutus, les Tutsis et les
Twas existent, il faut l’admettre, et il faut se reconnaître comme tel. Il faut essayer d’être
francs envers nous-mêmes et envers notre prochain. Dire qu’il n’y a pas d’ethnie au Rwanda,
qu’il faut construire sur la famille rwandaise, je veux bien, mais la base doit être bien solide
pour que tout cela puisse tenir debout. Il ne faut pas nier ce qui existe. Ça n’a pas de sens.
Avant l’arrivée des blancs, le Tutsi était connu, et le Hutu était connu. Socialement, ils étaient
distincts.
Par exemple, le servage était là avant même que le Blanc soit là. Le Tutsi et le Hutu faisaient
tous le servage, mais dans un cadre bien distinct. Il y avait donc des catégories : si j’étais
Tutsi et que j’étais pauvre, j’allais servir, mais chez qui ? Et comment ? Ce n’était pas comme
le Hutu pauvre qui allait servir chez le Tutsi. Le travail pour ces deux personnes qui allaient
faire le servage n’était pas le même.
Certains disent que le bon voisinage était vraiment vivant entre les rwandais, mais cela doit
être nuancé. Parce que quelqu’un pouvait être en bon voisinage avec le chef et le sous-chef,
mais pas avec les pauvres à côté de lui, pour lesquels ce bon voisinage ne se faisait pas sentir.
Je pense aussi à une phrase célèbre au Rwanda : ‘Ninde wadusangije?’. C’est à dire : ‘Qui nous a
servi sur une même table, toi et moi ?’. Ça c’est un mot que le Tutsi dira à un Hutu :
‘Ntawadusangije’, personne ne m’a jamais reçu sur une même table avec toi. Il faut que les
Rwandais admettent, sans mentir, qu’il y a eu et qu’il y a une discrimination entre Hutu et
Tutsi.
- Kigali, juin 2003 -

Parmi l’ensemble des critiques énoncées par les participants sur les ingando, ce dernier
passage du témoignage a particulièrement attiré notre attention car il met l’accent sur un
élément qui pose question : le contenu des cours et plus particulièrement ceux d’histoire.
Il nous est apparu important d’analyser dans le détail le contenu de ces cours dans la
mesure où ils représentent la majeure partie des enseignements et donnent lieu à un grand
nombre de discussions dans les camps. Les organisateurs des ingando semblent avoir fait
leur la constatation de l’Institut de Recherche et de Dialogue pour la Paix (IRDP)32 selon
laquelle l’histoire du Rwanda telle qu’elle est écrite porte de lourdes responsabilités dans
les conflits successifs. S’il est vrai que l’on ne peut appréhender l’avenir qu’en s’appuyant
sur le passé, alors on peut penser que la lecture de l’histoire est aussi appelée à jouer un
rôle majeur dans la réconciliation, et a fortiori dans sa première étape qu’est la gacaca.

Institut de Recherche et de Dialogue pour la Paix (IRDP), Reconstruire une paix durable au Rwanda : la parole au
peuple, Rapport (draft) 2003, p. 13
32

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

22

B - L’histoire du Rwanda, enjeux de la transmission
dans les ingando
“Ceux qui ignorent leur histoire sont condamnés à la répéter”33 : si l’on admet qu’aussi
douloureuse qu’elle ait pu être, l’histoire est porteuse de leçons pour l’avenir, alors
l’économie d’une réflexion approfondie sur son contenu ne peut être faite. Il est essentiel,
pour ce travail de mémoire, qu’émerge une version de l’histoire acceptée par tous, au
risque, si ce n’est pas le cas, de répéter les erreurs du passé34.
Ainsi, il nous a semblé particulièrement important de revenir sur le contenu des cours
dispensés dans les camps, et ceci à plusieurs égards. D’une part, parce qu’il s’agit de la
première tentative de ‘ré-écriture’ de l’histoire rwandaise depuis le génocide, qu’aucun
enseignement de l’histoire n’est dispensé ailleurs35 et que cette vision semble être relayée à
la fois par le processus de mémorisation orale traditionnelle et dans le discours des
autorités nationales et locales. C’est donc vraisemblablement cette version qui va être
amenée à se répandre le plus au sein de la population. D’autre part, parce que ces cours
vont avoir un impact direct sur les convictions, les attitudes et les comportements des
personnes qui les écoutent et à ce titre, influer sur les conditions du retour des ex-détenus
dans les collines et sur la réconciliation nationale.
La présente analyse s’appuie sur les notes de cours prises par des prisonniers dans le camp
de solidarité de Gishamvu durant la période de février - avril 2003, corroborées par les
extraits d’un rapport du Minaloc sur ‘les origines du génocide de 1994 au Rwanda’36. Cette
approche permet à la fois de dessiner les contours de l’histoire du Rwanda telle qu’elle est
actuellement transmise par les autorités du pays, mais aussi de mieux appréhender
comment elle est perçue par les futurs libérés. Mise en parallèle avec les résultats des
recherches menées par des historiens nationaux et internationaux reconnus, elle fait
ressortir des convergences, mais aussi des interprétations controversées37.
La question ethnique, qui recouvre au Rwanda une réalité et une histoire complexes, est
naturellement au centre des débats. En principe, la langue, la culture ou encore la religion,
33 (Traduction de PRI) Bloomfiel, David, Barnes Theresa, Huyse, Luc, Reconciliation after violent conflict. A
handbook, Handbook series, International IDEA, Stockholm, 2003, p. 168 : “(…) those who ignore their
history are condemned to repeat it”.

Sur ce point cf. Pottier, Johan, Re-Imagining Rwanda Conflict. Survival and Disinformation in the Late Twentieth
Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 128
34

35 Voir Obura, Anna, Never Again. Educational Reconstruction in Rwanda, UNESCO, International Institute for
Educational Planning, Paris, 2003, p. 99: “L’histoire du Rwanda n’est toujours pas enseignée au Rwanda (…).
Le sujet a été trop difficile à traiter en cours depuis le génocide, malgré l’existence de nouveaux syllabus
publiés en 1997. L’essentiel est qu’il n’y a eu aucun manuel d’histoire écrit ou publié depuis 1994, et il s’avère
difficile de s’attaquer au problème de l’écriture de ces manuels (…)”. (Traduction de PRI)

Introduction au Dénombrement des Victimes du génocide - Rapport Final - Rwanda, Kigali, Ministère de
l’Administration Locale, du Développement Communautaire et des Affaires Sociales (Minaloc), Novembre
2002, pp. 6-14

36

Nous voudrions de nouveau rappeler que, bien entendu, il n’existe pas “une histoire”, mais que cette
dernière varie en fonction des travaux menés par les chercheurs. Néanmoins, pour commenter un récit
historique, il est possible de s’appuyer sur les travaux déjà réalisés par de nombreux historiens et qui mis,
bout à bout, constituent une sorte de consensus sur ce qui est perçu à un moment donné par la
communauté des chercheurs comme constituant l’histoire d’un pays.

37

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

23

sont des indicateurs ethniques acceptés par la communauté scientifique. Or, au regard de
ces indicateurs, les trois catégories sociales Hutu, Tutsi et Twa, historiquement, ne se
différenciaient pas, ou très peu. Quant aux caractéristiques physiques, elles ne permettaient
pas plus de les distinguer. Pourtant, dans les collines, tout le monde savait qui, au sein de la
communauté, était hutu ou tutsi.
Les historiens aident à comprendre la genèse de ce sentiment d’appartenance. Ils ont pu
établir que l’on trouve des origines historiques aux préjugés sur les Bahutu, les Batutsi et
les Batwa, non seulement dans les récits traditionnels et coloniaux, mais également dans
certaines pratiques sociales et politiques qui surgirent surtout après 1850, donc bien avant
la colonisation. C’est toutefois la politique coloniale belge qui joua un rôle important dans
la fixation rigide des groupes ethniques, donnant aux Tutsis le monopole du pouvoir, au
détriment des Hutus, et plantant par là le décor d’un futur conflit au Rwanda.
La version relayée dans les ingando pêche sur un certain nombre d’aspects, que ce soit par
ses interprétations, ou par ses silences. En fait, c’est sur le rôle des Rwandais eux-mêmes
dans leur histoire que les cours des ingando nous semblent le plus contestables. Pourtant, il
paraît aujourd’hui essentiel que le travail de mémoire et de réconciliation passe par une
triple reconnaissance :
- la reconnaissance de la responsabilité rwandaise dans le génocide, souvent occultée
par le rôle du colon blanc ;
- la reconnaissance de la responsabilité individuelle des génocidaires, qui ne peut être
entièrement diluée dans celle d’une monstrueuse machination ;
- la reconnaissance de la persistance de clivages ethniques dans le Rwanda
d’aujourd’hui.

1. Des fondements partagés
Si l’on y regarde de près, les historiens sont d’accord sur les points essentiels concernant
les grandes étapes de la formation de la société rwandaise. La présentation qui en est faite
dans les ingando est certes schématique, parfois caricaturale, mais ne contient pas de contrevérités flagrantes.

Le peuplement du Rwanda
Comme l’a mentionné Eugène Ntaganda38, le discours sur le peuplement du Rwanda se
situe au cœur des stratégies de mobilisation en vue de l’exacerbation des haines,
considérées comme ataviques et irréversibles. En effet, selon une théorie
traditionnellement énoncée, le peuplement rwandais correspondrait à trois vagues
migratoires successives : tout d’abord celle des Batwa, les premiers habitants, puis celle des
Bahutu, vers le début de notre ère, et enfin celle des Batutsi arrivés au Rwanda vers le
13ème ou 14ème siècle. Cette théorie n’est scientifiquement pas crédible.
Il est donc important, et tout le monde est maintenant d’accord sur ce point, de souligner
l’ancienneté du peuplement de la région inter-lacustre, et le caractère ancestral de ses

Ntaganda, Eugène, “Editorial”, in “Peuplement du Rwanda. Enjeux et Perspectives”, Cahiers du Centre de
Gestion des Conflits, Butare, UNR, n°5, 2002, p. 6
38

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

24

habitants. Selon le directeur du Musée National du Rwanda, le Dr Kanimba39, les
recherches historiques, archéologiques et linguistiques prouvent la grande antiquité de la
présence humaine au Rwanda. Selon le Dr Kanimba (2003) : « on peut avancer qu’il y avait
un groupe de négroïdes sur lequel sont venus s’ajouter d’autres groupes soudanais,
couchitiques et bantus. Le processus a commencé vraisemblablement avant le premier
millénaire avant JC. La longue coexistence de ces groupes (autochtones et immigrants) a
abouti à la fusion d’éléments culturels et linguistiques, ainsi que des gènes. Il existe donc
une unité ancienne des peuples de cette région, tant culturelle, linguistique
qu’anthropologique ». Les différences ethniques ne se sont donc pas constituées lors de
vagues d’immigration, mais se sont construites progressivement, avec la structuration de la
société.

La structure sociale à la base du clivage entre Tutsi et Hutu
La société rwandaise était à l’origine organisée en clans multiethniques, autour de 18
grandes familles ou ‘lignages’ et n’était donc pas basée sur des divisions ethniques. Pendant
longtemps, les termes de Tutsi et Hutu ont désigné une situation de classe sociale (en
termes de richesse en bétail et de pouvoir).
[Les] classes sociales se définissaient suivant la richesse des individus, en fonction de leur nombre
de vaches ou de l’étendue de leurs terres. Ces deux éléments jouaient un rôle primordial dans la
classification. Ainsi ce que nous appelons aujourd’hui “ethnie” n’était autre que le degré de
richesse d’hier. De telle sorte que celui qui était pauvre, donc Hutu, pouvait devenir Tutsi avec
l’accroissement de ses terres ou de son bétail. C’était là la procédure de “kwihutura”.
Notes de cours

Cette présentation des classes sociales reprise des notes de cours d’ex-prisonniers est pour
le moins schématique, mais elle correspond malgré tout, même sommairement, à la réalité
historique. Cependant, il convient de nuancer la mobilité sociale entre Hutus et Tutsis,
amplement exagérée dans cet extrait. Bien que la mobilité sociale entre ‘ethnies’ ait été
assez courante avant 1860, par la suite ceci fût nettement mois le cas. L’anthropologue
Maquet (qui donna une description idéalisée des relations patron-client au Rwanda) écrivit
que ce type de mobilité sociale restait très rare. Il est vrai qu’il existe quelques exemples
célèbres de Batwa devenus Tutsis. Mais en général, la consigne demeurait de ne pas boire,
partager le chalumeau ou manger avec eux. Le fait que le roi ait anobli un ou deux Twas ne
change rien au manque de mobilité sociale qui caractérisait leur groupe.

Le rôle des colons dans l’exacerbation des dissensions et des haines
Cette organisation sociale allait être mal interprétée des colons, qui y superposèrent leurs
préjugés racistes, la figeant et exacerbant les rivalités. Que ce soit dans les ingando, dans les
documents officiels ou dans les publications des chercheurs rwandais ou occidentaux, cette
période historique est bien analysée et tous sont d’accord, sur l’essentiel. Le régime colonial
39 Voir Kanimba, Misago, “Peuplement ancien du Rwanda: à la lumière de récentes recherches ”, in
“Peuplement du Rwanda. Enjeux et Perspectives”, Cahiers du Centre de Gestion des Conflits, Butare, UNR, n°5,
2003, pp. 8-44, également Rutembesa, Faustin, Josias Semujanga et Anastase Shyaka, “Rwanda. Identité et
citoyenneté ”, in Cahiers du Centre de Gestion des Conflits, Butare, UNR, n°7, 2003, pp. 47-81

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

25

belge, en même temps qu’il utilisait les Tutsis, les privilégiait au détriment des Hutus et des
Twas.

Racisme colonial et préjugés ethniques
Selon le mythe colonial, il existerait une opposition irréductible entre des races distinctes et
inégales (Hutu, Tutsi, Twa), provenant d’origines différentes et arrivées à des époques
diverses sur ce qui allait devenir le territoire du Rwanda40.
Les Européens croyaient les Tutsis supérieurs aux Hutus, et ces derniers supérieurs aux
Twas, tandis qu’eux-mêmes étaient supérieurs aux trois autres groupes. Cette supériorité
attribuée aux Tutsis se fondait sur leur ressemblance physique avec le profil des
Européens, censée les rapprocher d’eux dans l’échelle de l’évolution.
Cette version erronée du passé considérait les Tutsis comme un peuple descendu du Nord
(hypothèse hamitique), politiquement et militairement supérieur, ayant vaincu les Hutus
beaucoup plus nombreux, mais moins intelligents. En témoigne la lettre devenue célèbre
écrite par Monseigneur Classe au Résident Mortéhan, le 21 septembre 1927 et citée dans le
rapport du Minaloc :
Il y est dit notamment : « Chefs nés, ceux-ci, (les Tutsi) ont le sens du commandement… c’est le secret de leur
installation dans le pays et de leur mainmise sur lui ».

En déduction de ce genre de considérations racistes, il apparaissait logique que les
Européens dominent les Africains, et que les Tutsis à leur tour dominent les Hutus et les
Twas.

L’administration coloniale et ses pratiques
Pour gouverner le pays sans heurt, les Belges comme les Allemands ont préféré garder les
structures administratives en place et utiliser les autorités locales comme intermédiaires. Celles-ci
jouaient le rôle de trait d’union entre le peuple et les colons. Elles recevaient les directives et
veillaient à l’exécution des travaux.
En 1936, une loi était promulguée selon laquelle seul un Tutsi était apte à exercer le pouvoir au
Rwanda. Cette loi écartait donc automatiquement les chefs coutumiers Hutus (cf. Abahinza
surtout dans le Nord du pays). Celui qui ne voulait pas céder était combattu par le roi et les
colons, ces derniers cherchant à démontrer au roi leur soutien, mais surtout à n’avoir au niveau du
pays qu’un seul interlocuteur.
Notes de cours

De fait, les Belges décrétèrent que seuls les Tutsis pourraient désormais être notables. Ils
renvoyèrent systématiquement les Hutus de tous les postes d’autorité et les écartèrent de
l’enseignement supérieur, ce qui revenait de fait à les exclure des formations pour devenir
cadres de l’administration. Ces mesures eurent pour conséquence d’établir un monopole
Tutsi de la vie publique, non seulement dans les années 1920 et 1930, mais également pour
les générations suivantes. En assurant aux Tutsis le monopole du pouvoir, les Belges
plantaient le décor d’un futur conflit au Rwanda.
La difficulté pour les Belges était de déterminer avec exactitude qui était Tutsi, car les
caractéristiques physiques ne permettaient pas de les identifier. Les Belges décidèrent dans
40

Cf. “Présentation”, in Rutembesa, Faustin, Josias Semujanga et Anastase Shyaka, 2003, p. 7

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

26

les années 30 d’enregistrer tout le monde par catégorie ethnique, en se basant sur
l’indication de chaque personne même, et en l’inscrivant sur les cartes d’identité (ibuku) des
adultes. Désormais, tous les Rwandais étaient enregistrés à la naissance comme Hutu, Tutsi
ou Twa. Ceci eût pour conséquence que l’appartenance ethnique, qui était assez flexible
auparavant, est devenue beaucoup plus rigide et permanente, rendant tout changement de
groupe beaucoup plus difficile.
Comme dans beaucoup de colonies du monde, les Belges appliquèrent jusque dans les
années 50 la stratégie du “diviser pour mieux régner” qui repose sur une catégorisation
raciste (blancs/noirs), et ethniciste (Tutsi/Hutu-Twa), soutenant les Tutsis et excluant les
Hutus du pouvoir. Entre 1926 et 1931, explique le rapport du Minaloc, les Belges
entreprirent une vaste réforme administrative.
Réforme qui (…) visait une administration rationnelle où seuls des Tutsis pouvaient recevoir le
commandement. Cette réforme eut pour effet notamment de chasser du pouvoir certains chefs du
fait qu’ils étaient seulement Hutu.

C’est seulement vers la fin du régime colonial que les administrateurs coloniaux
commencèrent à accorder aux Hutus une participation plus large à la vie publique.

L’histoire post-coloniale
Après la victoire électorale du parti Parmehutu, l’abolition de la monarchie et la
proclamation de la République en 1961, le nouveau gouvernement continua à classer tous
les Rwandais en Hutu, Tutsi et Twa. Les cartes d’identité, qui avaient autrefois assis les
privilèges des Tutsis, devinrent désormais un outil de discrimination à leur encontre dans
les domaines de l’emploi et de l’éducation. En conservant le système d’enregistrement de la
population, les nouveaux dirigeants perpétuèrent les concepts erronés sur lesquels
s’appuyaient ces pratiques discriminatoires. Dès lors, les Hutus justifièrent la violence de la
“Révolution hutue” et les nouvelles mesures discriminatoires par ces mêmes idées,
autrefois prisées par les Tutsis, sur leur différence, leurs origines étrangères ou encore la
justification de leur contrôle total sur les Hutus, etc.
Par conséquent, les deux gouvernements Hutus d’après l’indépendance n’ont pas inventé
une nouvelle politique de discrimination ethnique, ils n’ont fait que reprendre l’ancienne
politique coloniale discriminatoire, mais en la retournant cette fois-ci contre les Tutsis, qui
auparavant en étaient les bénéficiaires.

2. Des éléments controversés
Soulignons ce qui nous paraît important, et problématique, dans la lecture transmise dans
les ingando. Contrairement à ce qui ressort des notes consultées, l’histoire pré-coloniale du
Rwanda est complexe, parfois caractérisée par des luttes de pouvoir, et laisse déjà
transparaître les dissensions ethniques, qui ne seront qu’aggravées par la puissance
coloniale. Plus grave, la responsabilité individuelle et collective des rwandais eux-mêmes
dans le génocide nous paraît occultée. S’il n’est pas question de nier l’impact de la période
coloniale, le rôle de certains pays occidentaux et les conséquences dramatiques des
atermoiements de la communauté internationale, il est également nécessaire de créer les

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

27

conditions qui favoriseront la réflexion sur la responsabilité rwandaise dans le génocide et
la prise de conscience par les auteurs du génocide de l’horreur des actes qu’ils ont commis.
Enfin, les cours, en mettant en avant la ‘nation rwandaise’ risquent de négliger la
persistance de clivages ethniques et par là de nier les conditions de la réconciliation du
peuple rwandais.

Le rôle des colons dans la polarisation ethnique
La période pré-coloniale
La conclusion des notes de cours résume : « Le colon a instauré les ethnies et catégorisé les
Rwandais au regard de ces dernières (…) » et dans la partie sur le génocide « une analyse simple de
l’histoire du Rwanda nous montre que le colon est à la base des dissensions ethniques ».
S’il est vrai que les autorités coloniales belges ont rigidifié les identités ethniques, cette
présentation est erronée. Sous Rwabugari, une polarisation entre Tutsis et Hutus avait déjà
vu le jour. La nature et l’extension du pouvoir central font partie des facteurs influant sur
le sentiment d’appartenance ethnique, comme le prouve par exemple la consolidation de la
conscience ethnique qui a accompagné l’expansion pré-coloniale et l’intensification du
pouvoir Nyiginya. Si dans quelques cas, les cultes (comme celui de Ryangombe41), les
pactes de sang ou encore les relations clientélistes transcendaient les divisions ethniques,
plus souvent ces pratiques venaient renforcer les divisions via des alliances au sein de
groupes ethniquement identifiés.
Par ailleurs, selon Catharine Newbury et Vansina (2001, p.172)42, l’apparition vers 1870 de
l’institution précoloniale de corvée, l’uburetwa, a aggravé et envenimé le clivage entre les
deux catégories sociales hiérarchisées. Cette forme de contrôle de la main-d‘œuvre fût
surtout imposée aux agriculteurs Hutus et non aux Tutsis. L’accomplissement de cette
corvée deux jours sur cinq était obligatoire et dans l’intérêt exclusif du chef. Selon
l’historien rwandais Mbonimana43, il convient d’éviter toute généralisation, cette institution
n’ayant pas évolué de manière uniforme, que ce soit dans le temps ou dans l’espace. Ainsi,
dans certains endroits, des Tutsis ont été obligés de s’y soumettre, et en général l’uburetwa
était exigé de certains groupes lignagers seulement (généralement les plus pauvres et/ou les
plus faibles). Il n’en demeure pas moins pour Mbonimana, que de toutes les formes
d’exploitation de la population dans le Rwanda du 19ème siècle, l’institution d’uburetwa fut
certainement la plus injuste et la plus détestée.
41 Cf. Vansina, 2001, p. 55 : “Ce culte était territorial (…) il célébrait explicitement la supériorité de la
communauté territoriale sur l’assemblée lignagère en prenant le pas sur le culte lignager des ancêtres”

Newbury, Catharine, The Cohesion of Oppression. Clientship and Ethnicity in Rwanda, 1860-1960, New York,
Columbia University Press, 1988, p. 52 : “Sous Rwabugari, Tutsis et Hutus devinrent des étiquettes
politiques ; ‘l’ethnicité’ était considérée de telle sorte, qu’elle en vint à prendre une importance politique,
déterminant les opportunités sociales d’une personne, ainsi que ses relations avec les autorités”.
En admettant de grandes différences de degrés dans l’exploitation au nom de l’uburetwa (corvée), Vansina (p.
172) stipule que “l’imposition de cet uburetwa aux agriculteurs, et non aux pasteurs, fut la dernière goutte qui
fit déborder le vase. Elle précipita très rapidement un clivage social qui allait déchirer la société de haut en
bas en deux catégories sociales hiérarchisées et opposées, appelées désormais Tutsi et Hutu”.
42

43 Mbonimana, Gamaliel, “L’intégration politique face aux institutions ‘igikingi’ et ‘uburetwa’ (division du
domaine attribuée à quelqu’un pour qu’il y travaille la terre et corvée) sous le règne de Rwabugari (18671895)”, in Rutembesa, Faustin, Josias Semujanga et Anastase Shyaka, “Rwanda. Identité et citoyenneté”, in
Cahiers du Centre de Gestion des Conflits, Butare, UNR, n°7, 2003, pp. 39-43

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Les récits populaires de la tradition rwandaise véhiculent également cette conviction de la
supériorité Tutsie, ainsi que celle de l’inégalité sociale et morale des trois groupes. Dans le
mythe fondateur de la communauté Rwanda, Gihanga, le fondateur du pays et de sa
population aurait légué des rôles inégalitaires à ses trois fils, après leur avoir fait passer
quelques épreuves :
- à Gatutsi (ancêtre des Tutsis), il aurait attribué la prééminence, surtout politique,
- à Gahutu (ancêtre des Hutus), le travail éprouvant,
- et à Gatwa (ancêtre des Twas), le statut inférieur de protégé des deux autres44.
Ce mythe (différent du mythe colonial), constitue le mythe fondateur de tous les hommes
du Rwanda (Hutu, Tutsi et Twa), tous descendants de ce même ancêtre mythique.
Par conséquent, selon cet auteur rwandais, on trouve tout autant dans les récits
traditionnels que dans les écrits coloniaux, des origines historiques aux préjugés actuels sur
les Bahutu, les Batutsi et les Batwa.
On peut donc estimer que la rigidité ethnique du régime colonial ne s’est pas imposée à
partir de rien, mais a été élaborée à partir d’une interprétation raciste d’une réalité
rwandaise tangible, celle d’une structuration du pouvoir selon des lignes ethniques. En
revanche, le pouvoir colonial belge a joué un rôle majeur dans l’extension de ce système,
auparavant circonscrit à la région centrale, à l’ensemble des autres régions. Cependant, ceci
n’aurait pas pu avoir lieu sans la connivence du pouvoir central, c’est à dire la Cour.
D’ailleurs, les Tutsis accueillirent favorablement ce postulat qui établissait leur supériorité,
et justifiait leur position privilégiée. Cela coïncidait avec quelques unes de leurs propres
convictions45.

Un « colonialisme dual »
Le roi et ses chefs ont gardé le pouvoir en apparence, l’autorité suprême revenant aux colons.
Dans les faits, ce sont ces derniers qui détenaient le pouvoir et l’exerçaient en passant par les
nationaux.
On notera que le simple citoyen considérait toujours le roi et ses chefs comme ses seuls maîtres.
C’est ainsi que le fouet (ikiboko), introduit par le colon, a été imputé aux Tutsis. En général, les
méfaits du colonialisme sont faussement imputés aux Tutsis qui gouvernaient pour les colons. Les
travaux forcés (uburetwa) et le fouet (ikiboko) ont fait naître chez les Hutus un sentiment de haine
contre les Tutsis qui, en apparence, avaient le pouvoir entre leurs mains.
Notes de cours

Cette présentation occulte une partie de la réalité, en la simplifiant à l’excès. S’il est vrai que
les Belges détenaient le pouvoir suprême, il leur était impossible de l’exercer dans toutes les
régions et dans tous les domaines. Par conséquent, les chefs s’approprièrent une part
importante de la puissance coloniale, l’utilisant pour leurs propres intérêts, allant même
souvent jusqu’à dépasser les exigences de leurs maîtres coloniaux. La population était tout
à fait consciente de cet état de fait. Le pouvoir Tutsi, loin de n’être qu’“en apparence”, était
bel et bien réel. D’où le recours, par Catharine Newbury, à l’expression de “colonialisme
44 Kagabo, José, “Vers une nouvelle identité rwandaise”, in Vers une nouvelle identité rwandaise ?, Documents de
travail, Editions Charles Léopold Mayer, n°118, p. 31, ainsi que Josias Semujanga, “Formes et usages des
préjugés dans le discours social du Rwanda”, in Rutembesa, Faustin, Josias Semujanga et Anastase Shyaka,
2003, pp. 22-23
45

Alison Des Forges, 1999, pp. 49-54

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

29

dual”, qui explicite cette interaction entre ces deux systèmes de pouvoir46. Plusieurs des
obligations exigées des paysans ne profitaient qu’aux chefs, sans même que les agents
coloniaux en aient connaissance.
Cette interprétation reflétée dans les notes de cours pose problème dans la mesure où les
Tutsis au pouvoir apparaissent comme dédouanés de toute responsabilité, simples victimes
passives du colonialisme. Il s’agissait pourtant d’une alliance entre la Cour royale et les
autorités coloniales belges, où chacun utilisait l’autre. C’est ainsi que le pouvoir royal utilisa
les colons afin de soumettre le Nord-Ouest et incorporer des royaumes Hutus au Rwanda.
Les membres de la Cour royale ne furent pas de simples victimes passives, mais des acteurs
politiques actifs.
Enfin, l’absence de remarque sur le fait que le Rwanda ait été gouverné par une minorité
Tutsie pendant plusieurs centaines d’années, dont 60 ans en alliance avec les régimes
coloniaux allemands et belges, même si ces relations coloniales étaient inégalitaires, s’avère
problématique. Le rôle de cette élite politique a été plus important que ce qui est suggéré
dans le discours officiel. C’est notamment ce que démontre l’historienne Catharine
Newbury (1988, p. 207) : “Le renforcement du pouvoir royal dans le Rwanda du 19ème
siècle passa par un accroissement du contrôle de la terre, du bétail et de la population,
concentré entre les mains des Tutsis qui détenaient ce pouvoir de leur coopération avec
l’appareil étatique. Au 20ème siècle ce processus s’intensifia avec le recours par les Tutsis aux
nouveaux moyens, matériels et coercitifs, introduits par les Européens. En collaboration
avec les dirigeants européens, mais pas toujours à leur connaissance, des agents politiques
Tutsis recoururent à ces moyens pour satisfaire des intérêts privés. Ils visèrent à resserrer
leur emprise sur la terre, le bétail et le labour, et firent en sorte d’exclure la plupart des
Hutus de l’accès à l’éducation, à un statut professionnel plus élevé, ainsi qu’à des postes à
plus hautes responsabilités au sein des structures gouvernementales. La construction de
l’Etat colonial au Rwanda généra le développement et l’intensification d’un système
d’oppression politique et d’exploitation économique, dominé par un groupe qui se
définissait lui-même, et les autres, à partir de critères ethniques”.

Un discours largement transmis et intégré
On retrouve aujourd’hui cette perception simplifiée du rôle des colons dans le discours de
certaines autorités locales actuelles. L’exemple suivant s’avère particulièrement révélateur47.
Dans un des districts de Gikongoro, le maire (un rescapé, ancien étudiant en histoire) a
expliqué à la population que dans le passé, Hutus, Tutsis et Twas vivaient
harmonieusement ensemble, et que c’étaient les blancs (les bazungu) qui étaient à l’origine
de tous les conflits, et du génocide : “ La séparation entre Hutus, Tutsis et Twas est
artificielle, créée par les régimes antérieurs. Auparavant les gens s’aimaient les uns les
autres, et c’était à peine s’il y avait des différences. La seule différence résidait dans le fait
que si vous possédiez plusieurs vaches, vous étiez un Tutsi, alors que si vous travailliez la
terre, vous étiez considéré comme un Hutu. C’était une façon d’exprimer la richesse, et
rien de plus. Qui plus est, si une personne riche tombait malade et perdait son bétail, elle
devenait Hutue, tout comme une personne pauvre qui faisait fortune devenait Tutsie.”
46

Newbury, 1988, pp. 53-70

Molenaar, Arthur, gacaca: grassroots justice after genocide. The key to reconciliation in Rwanda?, Amsterdam,
Graduation Thesis, University of Amsterdam, janvier 2004, pp. 41-42
47

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

30

Arthur Molenaar, un étudiant qui assistait à cette séance, ajoute d’ailleurs sur ce point :
“durant les séances de sensibilisation, les autorités sont particulièrement enclines à
souligner avec insistance le rôle négatif des colonisateurs dans l’histoire rwandaise. Lors
d’une des rencontres ceci donna lieu à un incident. Les autorités argumentaient sans cesse
dans ce sens, répétant que si les blancs n’étaient pas venus au Rwanda, les habitants
auraient continué à vivre en paix tous ensemble, et le Rwanda n’aurait jamais été témoin
d’un génocide. A un certain moment, un prêtre se leva et dit qu’il ne pouvait accepter que
tous les problèmes soient imputés aux blancs. Il craignait que si les leaders continuaient
ainsi leur raisonnement, une guerre n’éclate entre blancs et noirs. Alors que le prêtre
exposait son point de vue, le maire tonna après le prêtre : ‘Ceux qui divisèrent les
Rwandais sont les blancs ! Et je suis en colère après ça. Je n’ai aucun problème à dire cela
en la présence d’un ‘muzungu’ [le maire dit cela en pointant l’étudiant du doigt]. Ce sont les
‘bazungu’ qui ont apporté les armes au Rwanda, ce sont donc eux qui ont causé le
génocide’.”

La part rwandaise - étatique et individuelle - dans la genèse et
l’exécution du génocide
Quelques thèmes de réflexion
1. Comment en sommes-nous arrivés au génocide ?
2. Comment le génocide a-t-il été préparé, et comment a-t-il été mis en application ?
3. Quelles sont les conséquences du génocide sur la vie des rwandais et celle des gens qui habitent
la région des Grands Lacs ?
4. Quelle stratégie faut-il adopter pour éradiquer le génocide et l’idéologie du génocide ?

Eléments de réponse
1. La politique du colonisateur, basée sur la discrimination ethnique, a créé des dissensions, des
jalousies et des haines au sein de la société rwandaise.
Pourtant, le colon belge qui a dirigé le Rwanda de 1916 à 1962, c’est-à-dire pendant 46 ans, n’a
presque rien fait pour améliorer les conditions de vie du pauvre paysan. Ce n’est donc pas
étonnant qu’il l’ait utilisé pour semer la zizanie en disant que le Tutsi vivait au détriment du Hutu
et qu’il l’a exploité de tout temps. Il est toujours plus facile de détruire que de bâtir.
2. Le génocide a été préparé par le colon en affirmant que le Tutsi est différent du Hutu à tous les
niveaux, surtout au point de vue intellectuel. Lorsqu’en 1959, les Hutus, aidés par les colons, ont
chassé les Tutsis et ont pris le pouvoir, ils ont instauré une politique d’exclusion au lieu de penser
à la réconciliation. Cette politique d’exclusion n’a fait qu’accentuer la déchirure entre les deux
ethnies. Il n’est pas facile d’effacer de la tête des gens une idéologie assimilée pendant plus de 40
ans. Le Gouvernement d’Unité et de Réconciliation a la volonté d’éradiquer cette idéologie et de
bannir à jamais le génocide. Il n’y a plus de Gouvernement ethnique, il y a un Gouvernement
rwandais.
3. La guerre, et surtout le génocide, nous ont apporté la misère, la pauvreté et des maladies de
toutes sortes, surtout le SIDA. L’économie du pays a été complètement détruite. Le pays a été
saccagé et nous avons déploré beaucoup de blessés, de morts, de réfugiés, d’orphelins, de veuves
et de veufs.
La réputation du Rwanda et du Rwandais est mauvaise dans le monde entier. Juste après le
génocide, les relations diplomatiques avec les autres pays étaient catastrophiques. Les habitants de
la région des Grands Lacs ont souffert à cause du génocide et de la guerre au Rwanda. Les
réfugiés ont envahi en masse les pays limitrophes et même la guerre s’est déplacée jusqu’aux fins
fonds du Congo48.

Il serait possible d’en dire un peu plus sur ces guerres du Congo qui n’ont pas simplement commencé pour
des raisons de sécurité. Or, aucune description ou analyse des deux guerres successives que le Rwanda a
48

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

31

4. Nous sommes tous appelés à retrousser les manches et à travailler assidûment pour combattre
la pauvreté et dire au revoir à la mendicité.
Le Rwanda est, et sera, ce que nous voulons qu’il soit. Améliorer la compréhension des gens,
bannir les idéologies séparatistes, enseigner l’amour, l’unité et la réconciliation, tout ceci nous
aidera à surmonter les problèmes que connaît notre pays.
Notes de cours

Les notes de cours que nous étudions présentent une version simpliste et univoque de la
genèse et du déclenchement du génocide. Elles occultent totalement la responsabilité des
gouvernements rwandais d’après l’indépendance et la responsabilité individuelle de chacun
de ceux qui ont pris part aux tueries. A cet égard, le document du Minaloc cité en annexe
est plus équilibré.

Le contexte régional
Deux facteurs, liés aux guerres et aux violences dans la région des Grands Lacs, sont
insuffisamment traités dans ce cours sur le génocide, alors même qu’ils ont facilité la
préparation du génocide au Rwanda.
Comme le souligne le Rapport du Minaloc, les attaques menées de l’extérieur par des
Tutsis en exil servirent de prétexte au gouvernement pour perpétrer des massacres. En
particulier, l’invasion depuis l’Ouganda des forces du FPR en octobre 1990 a permis au
président Habyarimana de renforcer la base de son pouvoir chancelant, en appelant les
Rwandais à faire bloc contre l’ennemi.
D’autre part, l’assassinat en 1993 de Ndadaye (premier président hutu du Burundi, élu
démocratiquement), a joué un rôle important en confortant “les craintes de nombreux
Rwandais Hutus sur le refus des Tutsis à partager le pouvoir”49. Considérablement exploité
par la radio RTLM, cet assassinat les amena à venir “grossir les rangs des partisans du
Hutu Power”50.
Dans le cas du Rwanda, l’Etat (et plus particulièrement des officiers hauts gradés des
Forces Armées Rwandaises/FAR51) n’hésitait pas à définir comme “ennemi” du pays,
longtemps avant 1994, non seulement les membres du Front Patriotique Rwandais (FPR)
avec lesquels ils étaient en guerre, mais également tous les habitants Tutsis qui étaient
considérés comme “ibyitso”, autrement dit complices ou infiltrés, et même les Hutus qui
s’opposaient à l’idéologie du Mouvement Révolutionnaire National pour le
Développement (MNRD).
Ces éléments ne sont pas à négliger puisque dans un contexte de guerre, les attaques
menées à l’encontre du pays viennent renforcer la vulnérabilité des groupes ciblés comme
menées au Congo n’est présentée dans ce cours, la première en 1996 afin d’appuyer Laurent Kabila dans une
révolte anti-Mobutu, et la seconde en 1998 contre ce même Laurent Kabila pour garantir des objectifs
sécuritaires, ainsi que d’autres intérêts comme la solidarité ethnique avec les Tutsis congolais, ou encore des
intérêts économiques, in Clark, John F., The African Stakes of the Congo War, Kampala, Fountain Publishers,
2003, pp. 129-144
49

Alison Des Forges, 1999, p. 10

50

Idem
Alison Des Forges, Conférence à Butare, 2003

51

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

32

“boucs émissaires”, et rendent donc le génocide à leur égard plus probable. Selon
Longman52, dans l’idéologie génocidaire, le groupe dominant se présente en général
comme étant vulnérable. Par conséquent, dans les esprits des auteurs des crimes, le
génocide est alors légitimé puisque constituant une action d’autodéfense.
Il est étonnant que l’inaction et même le retrait des Nations Unies ou l’implication de la
France soient des facteurs très peu abordés dans les cours.

La manipulation politique de l’ethnie
Les autorités de la première République n’ont pas cherché à analyser et à résoudre les problèmes
ethniques. Au contraire elles continuèrent à soutenir les rivalités ethniques par toutes sortes de
discours et de manœuvres. Le régionalisme est venu aggraver la situation (Abakiga du Nord et
Abanyenduga du Centre et du Sud). Ces autorités n’ont jamais pensé à une politique de
réunification, de réconciliation et d’unité nationale. Face aux pratiques de favoritisme, de
népotisme et aux pots de vin qui continuaient à miner la société et à favoriser les inégalités, le
besoin de justice se fit de plus en plus sentir.
A l’avènement de la 2ème République, en 1973, avec le président Habyarimana, le slogan fût “La
paix et l’unité”. Ces beaux mots en sont restés au stade du slogan, jamais suivis d’actions
concrètes. En effet, la politique d’équilibre régional et ethnique ne pouvait apporter au peuple
rwandais ni la paix, ni l’unité.
Au début des années 80, le problème des réfugiés fût à la page et le président Habyarimana
n’accepta pas les négociations. Il avança l’argument selon lequel le Rwanda était plein à craquer,
et que les réfugiés devaient être acceptés comme citoyens par les pays qui les ont accueillis. Pour
mieux se faire comprendre, il utilisa l’image d’un verre rempli d’eau auquel l’ajout d’une goutte
d’eau ne pourrait que le faire déborder. Ceci était clairement dit pour que les réfugiés se sentent
exclus pour de bon.
Les négociations furent impossibles dans la mesure où Habyarimana fit le choix de la guerre. Elle
éclata le 1er octobre 1990 et dura 4 ans. Entre-temps, les négociations d’Arusha pour arriver à la
cohabitation et au partage du pouvoir furent freinées, ou sabotées, par le Gouvernement, le
MRND et le CDR. Le président Habyarimana a lui-même dit une fois à Ruhengeri que les accords
d’Arusha ne l’engageaient en aucun cas, car ce ne sont que des chiffons de papiers. Un officier
haut placé du régime, le Colonel Bagosora, claqua la porte à Arusha, disant qu’il allait préparer
l’apocalypse, c’est-à-dire le génocide. La mort d’Habyarimana n’a donc été qu’une mise à feu
d’une bombe déjà amorcée. C’est ce même soir du 06 avril 1994 que commença le génocide au
Rwanda.
Notes de cours

Ces analyses sont pertinentes. Toutefois, d’autres éléments éclairants peuvent être
examinés dans l’étude du déclenchement du génocide rwandais. Mamdani53 a analysé le
génocide comme un projet d’Etat, préparé par le régime d’Habyarimana et en particulier
pas ses officiers hauts gradés, et rendu possible par une volonté organisatrice et une
participation massive. Le génocide, selon lui, fut également un projet social incarnant des
aspirations venues d’en bas : celles d’un antidote aux privilèges dont jouissaient les Tutsis,
et d’une lutte pour défendre le pouvoir acquis durant la “Révolution de 1959”, qui écarta
les Tutsis du monde politique et en jeta beaucoup sur les chemins de l’exil. Les extrémistes
Hutus, qui prirent le pouvoir après la mort du président rwandais, décidèrent que le
génocide était la seule façon d’atteindre ces objectifs. De fait, le massacre des Tutsis n’a
donc pas eu l’identité ethnique pour seul motif. L’ethnicité a été instrumentalisée afin de
Longman, in Clark, 2003, Chapitre 8, p. 132
Mamdani, Mahmood, When Victims Become Killers: Colonialism, Nativism, and the Genocide in Rwanda, Princeton,
PUP, 2001 (Chapitre 7, “The Civil War and the Genocide”, p. 185-233). Voir aussi: PRI, Rapport III. Recherche
sur la gacaca, avril-juin 2002, PRI, Kigali/Paris, juillet 2002
52
53

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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mobiliser la population. Les intérêts matériels et politiques, ainsi que la lutte pour le
pouvoir y ont joué un rôle majeur.
De même, dans ses précédents rapports, PRI a mis l’accent sur le fait que l’ancien
gouvernement, dans le but de rester au pouvoir et de réorienter les insatisfactions
croissantes de la population vers un bouc émissaire, a manipulé avec une grande habileté la
dévaluation du groupe minoritaire en définissant tous les Tutsis comme des “out group”.
Considérés comme source de tous les malheurs et de tous les maux, ils servaient par
excellence d’objets de projection sur lesquels tous les sentiments négatifs étaient transférés.
De ce fait, parallèlement, le sentiment de supériorité et de leur propre valeur des Hutus
augmentait.
Le régime post-colonial prit l’initiative d’alimenter une image négative et destructive des
Tutsis. Par là, il favorisa l’inégalité et l’exclusion, qui progressivement menèrent à
l’expansion de la haine, légitimant et glorifiant la violence, l’impunité et finalement le
génocide. Une culture de terreur se développa. Elle s’incarna et atteignit son paroxysme
avec la mutilation, le démembrement, le viol et la mort. Les Tutsis sont devenus pour les
Hutus extrémistes, des “intrus d’Ethiopie”, des “cafards”, des “mangeurs de leur sueur”,
autrement dit un lourd “fardeau sur leurs épaules” qui “menaçait la pureté de l’ordre
social” rwandais, et de “sales ennemis” qui devaient être détruits pour purifier la nation54.
Dans une situation de guerre, l’ancien régime a réussi à faire accepter à la population une
image négative des Tutsis, relayée par les médias. Au moyen d’interactions sociales dans les
communautés locales, mobilisés par les autorités ou leaders locaux, beaucoup de membres
de la majorité Hutue (le “in group”) ont commencé à admettre qu’il était raisonnable
d’exclure tous les Tutsis, d’user de la violence contre eux, et finalement de les exterminer.
Une culture d’obéissance à l’autorité, conjuguée à une série de sanctions négatives55, et
d’incitations positives (portions de terre, vaches, etc.), ont fait le reste. La population
Hutue fut effectivement incitée à tuer les Tutsis et souvent menacée en cas de refus ou
d’échec. Beaucoup de Hutus se sont donc ralliés à cette norme socialement approuvée56 de
tuer tous les Tutsis, dans la mesure où ceci constituait le choix le plus facile et sans
conséquence directe.
Toutefois, les tueries ont souvent commencé plus tard, ou plus lentement, là où les
autorités ou l’élite locale n’ont pas adhéré immédiatement à l’idéologie génocidaire. Bien
sûr, il y aurait toujours eu des Rwandais pour participer au génocide. Mais certains ont
décidé de ne pas le faire et ont agit différemment.

54

Taylor, Christopher C., Sacrifice as Terror. The Rwandan Genocide of 1994, Oxford/NY, Berg., 1999, p. 139-140

Sur ce point on se reportera aux témoignages recueillis par Jean Hatzfeld, dans Une saison de machettes, (Paris,
Seuil, 2003, pp. 85-89) qui montrent que la chasse aux Tutsis était obligatoire, mais ne donnait lieu, au moins
à Nyamata, qu’à des sanctions assez légères en cas de refus, les autorités ne menaçant les récalcitrants que de
payer une amende. Les tueurs : “On avait plus peur de la colère des autorités que du sang qu’on faisait couler. (…) (Mais)
quand tu as été sensibilisé comme il faut par les radios et les conseils, tu obéis plus facilement même si l’ordre est de tuer tes
avoisinants.(…) Tu obéis librement.(…) Je ne connais personne qui a été frappé parce qu’il refusait de tuer. (…) Tu pouvais
aussi remplacer la tuerie par d’autres utilités, (…)”. On peut également déduire de ces témoignages que l’esprit de
groupe des membres des bandes de tueurs (igitero) (qui étaient tous et restent aujourd’hui encore des amis) est
probablement devenu plus important dans la participation au génocide que la menace d’amendes.
56 Cf. Philip Verwimp qui utilise et explique ce concept de “socially approved norm”, in Verwimp, Philip,
Development and Genocide in Rwanda. A Political Economy Analysis of Peasants and Power under the Habyarimana
Regime, Leuven, KUL, 2003, p. 296
55

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

34

La responsabilité individuelle
Il est étonnant qu’aucune mention ne soit faite dans ce cours du refus de nombreux Hutus
de participer au génocide57. Ceci est d’autant plus surprenant que la mise en avant de ce
facteur permettrait de ne plus considérer tous les Hutus comme collectivement
responsables du génocide, et pourrait donc constituer un nouveau fond historique pour la
construction d’une société rwandaise sans discrimination, ni tension ethnique.
Sous-entendre une responsabilité collective des Hutus risque de créer un esprit de distance,
de méfiance des uns envers les autres, voire de renforcer ces préjugés ethniques que le
gouvernement cherche à éliminer. Ceci pourrait donc, à terme, devenir un obstacle à l’unité
et à la réconciliation souhaitées.
Un rapatrié de 1959

“Je suis toujours inquiet de ce que le gouvernement dit sur les tueries. Il dit chaque jour que
les Tutsis ont été tués et que les Hutus ont tué, en oubliant de mentionner aussi la générosité
et la compassion de certains Hutus qui ont accepté de cacher des Tutsis. A un tel point, que
certains de ces Hutus compatissants ont perdu la vie suite à ces actes de compassion qu’ils
ont eu en faveur de Tutsis.”

Par ailleurs, la reconnaissante implicite d’une responsabilité collective participe de la
déresponsabilisation des auteurs de crimes en ne reconnaissant pas la part individuelle.
Pourtant, les participants à un séminaire sur le génocide, à Butare en novembre 2003, ont
rappelé que l’existence d’un génocide tel que celui du Rwanda implique forcément la
participation de l’Etat, mais aussi une dimension individuelle incompressible. A l’occasion
de ce séminaire, la participation au génocide, à un niveau local, a été analysée selon trois
axes principaux :
1. Les chercheurs ont tout d’abord souligné que le choix individuel a eu toute sa place
dans l’exécution du génocide. Les meurtres ont commencé beaucoup plus tard et se
sont déroulés beaucoup plus lentement lorsque les dirigeants locaux n’adhéraient pas à
l’idéologie génocidaire. Toutefois, même lorsque le bourgmestre s’y est opposé, le
génocide a eu lieu. Cela tend à démontrer l’ampleur du rôle joué tant par les médias,
que par l’Etat. A l’inverse, dans certains cas, le génocide a commencé, avant même que
les dirigeants politiques locaux et nationaux aient expressément appelé la population à
attaquer les Tutsis.
On peut donc en conclure que s’il y a bien eu une machine hiérarchique qui a pesé de
tout son poids dans la réalisation du génocide, la part du choix individuel ne peut pas
être écartée et a eu son importance.
2. La compétition politique au niveau local a ensuite été présentée comme un autre
facteur ayant joué un rôle dans la réalisation du génocide. Si certains se sont engagés
dans les tueries de masse en vue de participer à la destruction planifiée des Tutsis, et
l’ont fait à ce seul titre, d’autres ont instrumentalisé l’idéologie génocidaire afin de
satisfaire des visées exclusivement politiques de conquête du pouvoir. Cela s’est fait
par peur de perdre leurs privilèges existants, ou encore dans l’espoir d’en acquérir de
nouveaux. Bien entendu, ces deux états d’esprits peuvent avoir cohabité.

Voir PRI, Rapport III (Le cas du Forgeron) et Rapport V (Le cas d’Augustin), ainsi que l’étude d’African
Rights, Tribute to Courage, Londres, 2002

57

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

35

3. L’accent a enfin été mis sur les différents mécanismes de mobilisation de la
population développés à cette époque. Trois facteurs sont entrés en jeu au niveau local.
En fonction de leur présence ou absence, ils ont influencé le lancement et le
déroulement du génocide :
- En premier lieu, le leadership de l’Etat, ou encore la relation entre l’Etat central et
la population, a été souligné. Sur ce point, les chaînes de responsabilités étatiques
sont de plus en plus connues et jugées. Certains chercheurs continuent à en étudier
les rouages. On peut d’ores et déjà noter que les modèles de mobilisation de la
population se recoupent avec les institutions formelles en place.
- En second lieu, le rôle important de l’armée fût également mis en avant. En effet,
après avoir identifié tous les Tutsis comme ennemis ou comme complices de ces
derniers, les militaires ont utilisé leur autorité pour entraîner les membres de la
population dans des campagnes d’extermination, souvent sous prétexte de
“Campagne d’autodéfense civile”. Ainsi l’“igitero”, groupe d’attaque, à l’origine
conçu comme une institution de coopération collective dans la défense de la
communauté locale, a été activé pendant le génocide pour mobiliser la population
en vue de la réalisation des massacres.
Le fait que les responsables civils aient été menacés s’ils refusaient de participer
démontre qu’au lieu de jouer son rôle de prévention de la violence, l’Etat a au
contraire généré cette violence.
- En troisième lieu, la crise économique et la pauvreté furent présentées comme
ayant constitué une toile de fond favorisant le génocide. La rancœur populaire
générée par cette situation précaire a été dirigée contre les Tutsis, qui en sont
devenus les boucs émissaires.
La notion de responsabilité individuelle ne transparaît pas dans les notes de cours, qui au
contraire transmettent une forte déresponsabilisation du rôle joué par les Rwandais euxmêmes, notamment dans les périodes sombres de leur histoire.
Ceci s’avère d’autant plus problématique que l’objectif affiché du gouvernement est de
rééduquer la population sur l’histoire politique du pays en vue de la réconciliation. Or, un
refus d’assumer sa responsabilité individuelle risque à long terme de devenir
particulièrement préjudiciable à cet objectif de réconciliation. Comment une personne qui
n’assume pas sa responsabilité dans ce qui s’est passé pourrait-elle par la suite s’investir de
façon responsable et individuelle dans la réconciliation ? Cela alors même que c’est avant
tout à un niveau individuel que les auteurs vont être jugés, et à un niveau interindividuel
que se joue toute la réconciliation.
En outre, nous avons pu constater, dans les camps de solidarité, que les ex-détenus n’ont
nullement assimilé cette notion de responsabilité individuelle pour les souffrances qu’ils
ont infligées. Les cours d’histoire, ainsi rédigés, ne semblent pas contribuer au
développement de ce sentiment de responsabilité. En ce sens, leur attitude après l’ingando
diffère peu de celle que beaucoup d’entre eux avaient en prison. Ainsi Jean Hatzfeld, qui a
interviewé une bande de tueurs lorsqu’ils étaient encore en prison à Rilima (Nyamata), note
que tous ces génocidaires (qui pour la plupart avaient plaidé coupable de meurtres ou de
complicité de meurtres) “minimisent leur participation et rejettent les responsabilités sur
les autres, l’administration, les interahamwe, à demi-mot les muzungu et les Tutsis”58.
58

Hatzfeld, Jean, Une saison de machettes, Paris, Seuil, 2003, p. 292

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

36

En liberté, la plupart des ex-détenus tiennent le même discours, continuant à rejeter la
responsabilité sur des tiers, expliquant le génocide comme la conséquence d’un leadership
néfaste et d’un mauvais enseignement ou récit de l’histoire :
Libéré A

“Si mon enfant me demandait la raison pour laquelle j’ai été un milicien interahamwe, point de
départ de ce qui s’est passé, je lui expliquerais le déroulement de l’histoire, et je lui dirais que
l’histoire est à la base de tout ça. C’est à dire que ce pays a eu une très mauvaise histoire et
que les autorités ont induit la population en erreur. Les autorités ont répandu de la mauvaise
semence au sein de la population. Et cela a eu des répercussions y compris jusqu’à moi. En
bref, c’est cela que je peux lui dire.”

Libéré B

“Si mon enfant me posait cette même question, je lui expliquerais qu’il doit éviter que les
autorités l’induisent en erreur et ne le poussent à haïr son prochain et son voisin, puisque la
conséquence de ceci a été le génocide.”

Libéré C

“Si mon enfant me demande pourquoi j’ai été un milicien interahamwe, et si je l’ai été
réellement, je lui dirais la vérité. Je ne lui mentirais pas. Je lui dirais que c’était nécessaire.”

Libéré D

“S’il me demandait pour quelle raison j’ai été un milicien interahamwe, je lui dirais que je ne
suis pas né milicien. Je lui dirais que je suis né comme les autres, mais qu’étant donné
l’histoire mouvementée de notre pays, cela a pu arriver à cause des colons qui ont semé la
division au sein de la population. Ils nous ont enseigné que notre prochain est mauvais et
qu’il faut le haïr. Cette haine a germé et s’est répandue.”

Libéré E

“Je montrerais à mon enfant que cela m’a sérieusement causé du tort et que c’est à cause des
colons que tout cela est arrivé. Je lui dirais que cela a commencé en 1959, lorsque le roi
Rudahigwa a commencé à bannir les divisions afin que chacun puisse travailler pour luimême. Mais les colons ne l’ont pas laissé faire et l’ont tué. Lorsque Kayibanda a accédé au
pouvoir, il a aussi semé la division.”

Libéré F

“Si j’arrive à la maison et que mon enfant me pose cette question, je lui parlerais d’abord de
notre histoire ancienne. Je lui dirais également qu’il ne doit pas s’accrocher à une autorité
déterminée parce que le temps viendra où cette autorité quittera le pouvoir. Si les gens ne
s’étaient pas accrochés à Habyarimana qu’ils considéraient comme leur père, sa mort n’aurait
pas occasionné un génocide.”
Question : “Est-ce que vous n’allez pas considérer le président Kagame comme votre père ?”
Réponse : “Nous allons le faire, mais en nous disant que le temps arrivera où il devra quitter
le pouvoir pacifiquement, (…) nous n’allons pas nous accrocher à lui.”
- Camps de solidarité de Muhura, Byumba, 13 mars 2003 -

Un libéré dans un cabaret
“Ce qui s’est passé dans notre pays dépasse l’entendement. Malgré cela je dirai que la
population ordinaire est innocente, car le planificateur de ce génocide est l’Etat, le
gouvernement, qui était en place à l’époque. Ceux qui ont tué l’ont fait par ordre de cet Etat
qui était en place à l’époque, et personne n’avait la force de s’y opposer. L’Etat a la force, le
pouvoir, il est au dessus de tout le monde.”
- Ntongwe, février 2004 -

Bien entendu, ils savent que ces arguments ne reflètent pas toute la vérité. Toutefois,
même conscients des crimes qu’ils ont commis, c’est là un tel poids à assumer qu’ils
préfèrent s’accrocher aux échappatoires qui leurs sont proposés officiellement.
Il nous semble qu’encore aujourd’hui le respect de l’autorité, et notamment de l’Etat, est
tel, que certains d’entre eux pourraient de nouveau participer à des tueries, s’ils recevaient

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

37

de tels ordres ou incitations. Selon les Rwandais eux-mêmes, la tendance culturelle est à un
profond respect de l’autorité. En effet, à partir d’un ensemble de témoignages, de rescapés
comme de détenus, il apparaît que l’idée suivante est solidement partagée culturellement,
avec quelques différences régionales toutefois : lorsque l’on est rwandais on exécute
systématiquement ce qui est demandé par l’autorité. La conséquence de cela est que les
gens subissent, patiemment, en demeurant impassibles, jusqu’au jour où l’occasion se
présente et ils éclatent. Ils perçoivent cela comme une stratégie de défense dans une société
très hiérarchisée où la confiance fait fortement défaut. Un détenu libéré innocenté
soupirait : “Nous les Rwandais nous n’avons jamais eu, et je ne sais pas si les Rwandais auront un jour,
le courage de dire non et à temps. Ceci parce que l’on réagit toujours trop tard ! Il faudrait avoir le courage
de dire non dès le début !”. Toutefois, une personne objecte qu’il y a des gens qui ont eu ce
courage de dire non, mais que malheureusement ils n’existent plus, et elle cite quelques
noms.
La question de cette déresponsabilisation se pose avec d’autant plus d’acuité que par le
procédé de la mémorisation orale, le contenu de ces cours a vocation à être véhiculé, y
compris au sein de toute la population. La tradition de transmission orale de la culture
rwandaise, sous la forme d’une poésie dynastique en apparence crédible mais qui
sélectionne et élimine certains faits historiques, semble se perpétuer avec les narrations
historiques contemporaines de certains rwandais désirant arranger l’histoire à leur façon.
Le fait de ne pas discuter la nécessité pour “les génocidaires” d’assumer leur responsabilité
à un niveau individuel est problématique. Et, globalement, ne pas encourager chaque
Rwandais à penser son rôle dans l’histoire passée et à venir du Rwanda en termes de
responsabilité individuelle, rend difficile la recherche de solutions d’amélioration des
relations sociales entre Hutus et Tutsis, encore assez antagonistes dans certains domaines.
La mise en place de programmes d’éducation civique semble cruciale pour instaurer un
dialogue réel et prévenir de nouveaux conflits. Toutefois de tels programmes supposent
que la critique soit considérée comme acceptable, y compris par les instances politiques et
gouvernementales, ce qui reste le propre des sociétés démocratiques59.

Persistance du sentiment d’appartenance ethnique
Les notes prises dans les ingando se terminent par l’exclamation “ Nous sommes tous
rwandais !” Cette affirmation indiscutable ne doit toutefois pas conduire à la négation du
sentiment d’appartenance ethnique. Ce sentiment, ayant été présent et graduellement
renforcé au Rwanda depuis au moins le début du régime colonial, semble avoir été
internalisé par tous les Rwandais, la guerre et le génocide ayant contribué à son
renforcement. Plus grave, sa dimension raciste et discriminatoire ne semble pas exclue.
Les extraits suivants suggèrent en effet que beaucoup de Rwandais cherchent encore à
savoir quelle est l’ethnie des personnes qu’ils rencontrent ou les entourent :

59 Cf. le rapport de plusieurs organisations néerlandaises, titré “Dites à notre gouvernement que c’est OK d’être
critiqué”, il s’agit là d’une paraphrase de l’un de leurs homologues rwandais référant au fait qu’historiquement
la société politique rwandaise a beaucoup de difficultés à accepter les critiques. CORDAID, ICCO,
KERKINACTIE, NOVIB, “Tell our government it is OK to be criticised. Rwanda Monitoring Project”, Rapport 2003,
La Haye, février 2003

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Un ex-détenu

“Ma fille a une apparence tout à fait Tutsie (…), et elle est fiancée à un garçon Hutu (…).
Une fois, le garçon est allé montrer sa fiancée à sa mère qui est Hutue. Son mari a été tué par
les inkotanyi60. Et la mère du garçon lui a demandé par après, comment il avait pu choisir une
fille Tutsie. Le garçon s’est mis à expliquer comment cette fille est Hutue en lui disant que
son père vient de passer huit ans en prison.”

Un ex-détenu

“On distingue un Tutsi d’un Hutu surtout par sa physionomie. Quand on a des doutes sur
l’individu et que tu dois travailler avec lui alors tu t’arranges pour t’informer sur lui. A ce
niveau là, le Rwandais s’arrange pour savoir exactement à qui il parle. (…) Quand je parle
avec quelqu’un, je dois aussi savoir s’il est du Nord, du Centre ou du Sud du pays. Et cela
vaut pour tous les Rwandais, ils savent distinguer.”

Un rapatrié

“Tout le monde parle d’uwacu ? [Un des nôtres?]”
- Kigali, mai 2003 -

Une jeune femme rescapée61

“(…) lorsqu’on a vu sa maman être coupée si méchamment, et souffrir si lentement, on perd
a jamais une partie de sa confiance envers les autres, et pas seulement envers les interahamwe.
Je veux dire que la personne qui a regardé si longtemps une terrible souffrance ne pourra
jamais vivre parmi les gens comme auparavant, parce qu’elle se tiendra sur ses gardes. Elle se
méfiera d’eux, même s’ils n’ont rien fait.”

- Nyamata -

Dans le premier rapport de PRI (Rapport Gacaca I, 2001, p. 57) il était mentionné qu’“Il faut
se demander si la question de l’appartenance ethnique devrait être ignorée (…). On peut
penser que le développement d’une politique axée sur la “déconstruction” d’un discours
ethnique négatif, montrant comment les gouvernements précédents ont manipulé la
perception du public, puis sur la ‘construction’ et la promotion d’autres formes d’identité
(nationale, religieuse, professionnelle ou autre : ‘nous les femmes…’) pourrait soutenir une
perception positive des identités sociales, et l’acceptation de la diversité, y compris
ethnique. Même s’il est vrai qu’en ‘temps normal’, l’ethnicité n’avait pas beaucoup
d’importance dans la vie quotidienne, aujourd’hui ce n’est plus le cas”.
Depuis 2001, beaucoup d’autres institutions et personnes ont mené une réflexion similaire.
Ainsi Newbury et Baldwin62 mentionnent qu’“une conséquence importante de la guerre et
du génocide est que l’ethnicité est devenue plus importante au Rwanda, malgré les
intentions annoncées du gouvernement d’abolir les distinctions ethniques. Peu de rwandais
parlent ouvertement de l’ethnicité (…). Dans le contexte politique rwandais actuel, le passé
(présumé) ethnique est important, le lieu où la personne a vécu au Rwanda, et d’où cette
personne venait ; si il ou elle était en exil et est revenue au pays après le génocide”.
Les observations faites par les auteurs rwandais du rapport de l’Institut de Recherche et de
Dialogue pour la Paix vont dans le même sens : “ L’ethnie constitue au Rwanda une
60 “inkotanyi” : nom que se donnaient les membres du FPR en référence à une armée du dix-neuvième siècle,
il signifie “combattants infatigables”
61

Hatzfeld, Jean, Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais, Paris, Seuil, 2000, p. 32-33

62

Newbury, Catharine et Baldwin, Hannah: “Confronting the Aftermath of Conflict: Women’s
Organisations in Postgenocide Rwanda” in Kumar, Krishna, Women & Civil War, Lynne Rienner Publishers,
Boulder/London, 2001, pp. 97-128

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

39

donnée incontournable dans la gestion politique compte tenu du rôle qu’elle a joué dans
l’histoire du pays”63.
Le Professeur Ervin Staub, quant à lui, spécialiste mondialement reconnu en psychologie
du génocide, a énoncé récemment ceci64 : “Les facteurs qui ont contribué à l’émergence du
génocide n’ont pas disparu. Travailler sur les changements psychologiques constitue un
besoin urgent, au moment où la notion problématique d’unité nie l’existence de Hutus et
de Tutsis. Mon hypothèse est que cela n’aide pas. […] Le problème avec cette notion du
“Tous Rwandais”, c’est qu’elle étouffe l’expression”.

63 Institut de Recherche et de Dialogue pour la Paix (IRDP), Reconstruire une paix durable au Rwanda: la parole au
peuple, Rapport (draft) 2003 (citation du chapitre 4.3.1 : “Le partage du pouvoir et l’ethnicité ”), p. 51

The New Times,“ ‘The Rwandan genocide was not only about bad leadership, it is also about bad
followership’, says a visiting University Professor of Psychology, Erwin Staub.”, 15-18 janvier 2004, p. 5
64

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

40

Conclusion
Les Rwandais, quelle que soit leur histoire personnelle, doivent réapprendre à vivre
ensemble. Ils le savent, et beaucoup sont prêts à faire des efforts pour cela, à consentir à
certains sacrifices. Ils attendent d’être épaulés dans leur démarche, par le gouvernement,
par leur entourage ou les associations locales.
Ceux qui sont accusés d’avoir participé au génocide, dont certains ont passé de longues
années en prison, sont anxieux des conditions de leur retour à la vie civile. Heureux de
recouvrer la liberté, ils ne sont pas toujours certains de savoir faire face aux changements
intervenus, dans leur famille ou dans la société. Ils ne savent pas toujours comment se
comporter en revoyant leurs victimes ou les familles de celles-ci. En ce sens, les ingando
sont une étape de transition décisive, qu’ils accueillent le plus souvent avec soulagement.
Les juridictions gacaca, quels que soient leurs manquements, essayent de répondre au
besoin de justice qui devra être assouvi pour que de part et d’autre, la vie reprenne son
cours plus sereinement. Les ingando s’inscrivent dans cette démarche. Mais ces deux
dispositifs ne pourront porter les fruits espérés qu’en affrontant ouvertement les défis qui
sont posés.
L’histoire du Rwanda est riche et complexe. En simplifiant à outrance certains épisodes, en
occultant certaines pages de l’histoire, c’est la société d’aujourd’hui et de demain qui est
mise en péril. Chaque rwandais, au plus profond de lui, s’identifie à un groupe. Le défi à
relever aujourd’hui est de construire ensemble une société unie où les valeurs de paix et de
confiance retrouvent toute leur place, et où les groupes ne se percevront plus comme
antagonistes.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Deuxième partie
Le retour sur les collines

L

’objectif affiché des camps de solidarité était de faciliter la réintégration des
libérés. Il est donc important d’examiner les conditions de ce retour dans les
collines, pour toutes les parties, et d’évaluer les conséquences sur la gacaca.
La peur et la méfiance caractérisent, dans l’ensemble, les sentiments des prisonniers libérés
comme des rescapés. Chacun, pour affronter des dangers réels ou supposés, se construit
des systèmes de protection qui peuvent porter atteinte au bon déroulement des juridictions
gacaca, et plus largement, à la marche vers la réconciliation : la peur incite les uns et les
autres à tenter de manipuler la justice à son avantage, et donc contribue à l’affaiblir. Les
pressions des autorités qui exigent l’aveu et le pardon conduisent à s’interroger sur la
nature et la profondeur des sentiments de ceux qui sont ainsi sommés de se réconcilier.

A - Réapprendre la vie commune
1. Le difficile retour des libérés
De façon générale, les ex-détenus se montrent plutôt ravis de pouvoir rentrer chez eux et
les familles de pouvoir à nouveau les compter parmi elles au sein du foyer. Il est d’ailleurs
fréquent que les familles viennent les chercher à la porte du camp. Et même s’ils restent
prudents, les témoignages des parents et amis des libérés sont dans l’ensemble très positifs.
Un libéré
“A la clôture de l’ingando, ma sœur est venue me chercher. Je suis resté quelques jours avec
elle, avant d’aller saluer ma vieille maman sur la colline. Ma mère m’a très bien accueilli et
s’est écriée : “Je croyais que c’était du mensonge, Dieu merci. Il a sans doute écouté mes
prières. Maintenant, si je meurs je n’aurais pas de chagrin parce que je viens de te revoir!”.
Ensuite, ce sont les voisins qui sont venus nombreux pour me saluer. Tout le monde voulait
m’acheter de la bière, mais je ne bois plus d’alcool. Certains pensent à tort que j’ai changé de
religion.”
- Butare-Ville, décembre 2003 -

Un homme récemment libéré
“Je n’ai pas envie de me présenter. Je pense que nous pouvons discuter sans cela. Tout
d’abord, je voudrais remercier le Gouvernement d’Unité parce qu’il a fait une chose
magnifique. Nous venions de passer beaucoup de temps en prison, où nous avons beaucoup
souffert, alors que nous n’avions rien fait. Evidemment, certains ont commis des faits
répréhensibles. Mais nous avons très bien reçu la décision de nous libérer. En rentrant, j’ai
été très bien accueilli au village. Je dois te dire qu’il n’y a aucun problème, et que nous nous
entendons avec les autres comme à l’ordinaire. Au cours des réunions, personne ne se méfie
de personne. A moins que cette situation ne change par la suite.”
L’épouse d’un autre libéré
“Seul Dieu sait combien je suis contente. Il faut reconnaître que transporter chaque semaine
un seau plein de nourriture n’est pas une chose facile. En plus, ce n’est pas facile de vivre
seule à la maison pour quelqu’un qui avait l’habitude d’être avec quelqu’un d’autre. Pendant
toutes ces années où il est resté en prison, notre ménage n’a fait que régresser. Donc, nous
nous sommes mis à cultiver. Tu comprends que cette libération nous a fait très plaisir.
Mon mari est bien accueilli, je trouve qu’il n’y a aucun problème. Les gens sont contents de
son retour. Depuis le matin, il est allé saluer les gens qui lui ont demandé de les visiter. Les
gens ne se méfient pas de lui parce qu’il a reconnu ses faits et présenté ses excuses.”

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Un autre habitant de Gitesi
“Cette libération des détenus nous a fait plaisir, sauf que certaines de ces personnes libérées
ont commis des tueries. Néanmoins, la plupart sont innocentes. Ensuite, nous en avons
assez de les approvisionner en prison. Personnellement, j’ai été content car un membre de
ma famille a été libéré. Nous vivons ensemble depuis sa libération, et il n’y a aucun problème
jusqu’à présent. Au lieu de continuer à les garder en prison, mieux vaut qu’ils viennent vivre
avec nous, surtout que l’unité et la réconciliation sont devenues réalités dans nos vies. Après
leur libération, nous les avons salués. Pour certains parmi eux, cela faisait très longtemps que
l’on ne s’était pas vu. C’était vraiment très beau. Nous avions de la bière de banane. Nous
l’avons partagée avec eux dans un climat de gaieté. On avait du mal à imaginer qu’ils
sortaient de prison, mais il ne faut pas oublier qu’ils ont été formés en ce qui concerne la
façon de se comporter. La sécurité est totale, et il n’y a aucun problème entre nous.”
- Témoignages du secteur de Gitisi, Ruhango, mai 2003 -

Pourtant, quitter la prison, ou même un camp de solidarité, n’est pas toujours facile après
tant d’années d’emprisonnement. A tel point, que pour un certain nombre d’entre eux, le
retour est très loin d’aller de soi et peut donner lieu à bon nombre de stratégies
d’évitement.
Un rapatrié de 195965
“A Umutara, un camp de solidarité se clôturait, et j’avais pris l’initiative d’escorter les gens
qui en sortaient. Les personnes marchaient lentement en petits groupes de trois ou quatre le
long de la route. J’ai alors demandé à certains d’entre eux où ils se rendaient. Ils m’ont
répondu qu’ils allaient à Kahi, tout près de la frontière. Je leur ai demandé s‘ils attendaient un
moyen de déplacement, ce à quoi ils m’ont répondu qu’ils allaient marcher à pied. J’ai donc
continué mon chemin, toutefois lorsque je regardais en arrière j’en voyais certains s’asseoir.
Je me suis donc de nouveau arrêté, et j’ai demandé à ceux qui s’asseyaient s’ils voulaient
qu’on les prennent, mais ils m’ont répondu: “non merci”. Et cela m’a montré qu’ils avaient
peur d’arriver sur leurs collines ! Je me demande d’ailleurs s’ils sont finalement arrivés à la
maison.”
- Umutara, mai 2003 -

La crainte est parfois si grande que certains, compte tenu de leurs crimes ou de leurs aveux,
renoncent à retourner sur leur colline et prennent la fuite. Par exemple, à Gikondo, un
libéré avait fait des aveux complets. Sachant que bon nombre de gens étaient mécontents
qu’il soit libéré, il a choisi de fuir. A ce jour, personne ne sait où il se trouve ni même s’il
est encore vivant.
D’ailleurs, dans les camps, on les avait prévenus que certaines personnes risquaient d’être
mécontentes de leur retour. Selon un ex-détenu “cela [leur] semblait clair, dans la mesure où celui
qui a fait emprisonner une personne ne peut pas être content de la libération de celle-ci”. Libérés en
général provisoirement, ils se sentent particulièrement vulnérables, d’où ces propos tenus
par un libéré : “Je peux retourner en prison aujourd’hui même, car c’est d’une libération provisoire dont
nous jouissons”. Tous craignent d’éventuelles nouvelles accusations, fausses ou vraies, de la
part des rescapés.
Or ces craintes peuvent être considérées comme fondées dans la mesure où notamment à
Kibuye et dans l’Umutara, des familles de détenus ont trouvé la mort dans des conditions
suspectes et à ce jour, encore non éclaircies.

Les rapatriés de 59 sont ceux qui avaient fuit le pays pour échapper aux massacres qui ont eu lieu cette
année là et sont revenus après 1994.
65

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

43

Le cas de M
Mi-juin 2003, M, un détenu libéré, a été attaqué par certaines personnes inconnues qui l’ont
blessé au bras avec une arme à feu, avec l’intention de le tuer. Selon ses voisins, les auteurs
devaient être des rescapés parce qu’il avait déjà reçu des menaces d’eux. Même les autres
libérés s’y attendaient puisque M avait participé très activement au génocide. On ne sait pas
où il se trouve, puisqu’il a quitté l’hôpital de Kiziguro où il était hospitalisé et depuis lors on
ne connaît pas son sort.
- Secteur Kawangire, Umutara, juillet 2003 -

A Gisunzu
Fin 2003, au district de Gisunzu, toute la famille d’un prisonnier qui venait d’avouer et de
plaider coupable lors de son procès au parquet fut exterminée.
Selon les habitants de sa communauté, cela devait être un acte de vengeance66 de la part de
parents des victimes du génocide pour la mort desquelles le détenu avait reconnu sa
responsabilité.
- Gisunzu, Kibuye, fin 2003 -

Mais les rescapés ne constituent pas leur seul risque. Les libérés nourrissent également une
certaine peur à l’égard de ceux qu’ils ont dénoncés comme leurs complices, et qui se
trouvent également en liberté. Il est courant qu’une fois qu’ils ont fait des aveux, leurs
familles rencontrent des problèmes. Il est même arrivé à certains d’entre eux de demander
aux policiers qui dispensaient les cours sur la sécurité dans les camps de solidarité, s’il y
avait une possibilité pour qu’une certaine protection soit mise en place pour eux et leurs
familles.

Un ex-détenu innocenté
“Il y avait une vingtaine de personnes dans notre camp qui avaient reçu des messages de
leurs femmes, ou de leurs enfants, leur disant que ça n’allait pas à l’extérieur à leur sujet.”
- Gishamvu, juin 2003 -

Selon un autre témoignage, la peur était telle qu’un homme a voulu se suicider lorsque des
rumeurs ont commencé à circuler sur le fait que l’on allait conduire les prisonniers dans
leurs villages pour la gacaca, afin que les innocents soient libérés et les prisons
désengorgées. Craignant de se rendre dans son village, cet homme a essayé de se donner la
mort par pendaison.
Outre les peurs générées par leurs relations avec les autres membres de la communauté, les
libérés ont souvent du mal à se réintégrer à la société, tant la réalité qu’ils redécouvrent
après plusieurs années d’emprisonnement est en décalage avec celle qu’ils avaient laissée. Il
est par conséquent parfois difficile de se réadapter, comme en témoigne SH après cinq ans
d’emprisonnement :
“- Mes compagnons d’âge ont tous fondé des foyers. D’autres ont terminé leurs études et
occupent d’importants postes dans l’administration du pays.

Traditionnellement, la famille a l’obligation religieuse de venger l’un de ses membres qui serait victime d’un
crime commis par une personne étrangère à la famille. La vengeance peut s’exercer sur tous les membres
mâles du groupe parental du délinquant.
66

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

44

- Le système de communication s’est considérablement développé avec les téléphones
mobiles, et les prix des transports ont été fortement majorés.
- Le travail est devenu très rare. L’offre est de loin inférieure à la demande, d’où un grand
nombre de chômeurs.
- La mode concernant l’habillement a beaucoup changé, surtout du côté féminin.
- Sur le plan de la justice, la population est consciente de l’importance des juridictions
participatives gacaca, mais il y a une partie de la population qui a peur d’être dénoncée par
ceux qui ont fait des aveux. On ne dépose plus une plainte n’importe comment comme
c’était le cas dans le temps mais on respecte les étapes. Les habitants semblent avoir un
respect mutuel et s’occupent de leurs affaires personnelles.
Certains membres de ma famille m’aident tant bien que mal, mais l’avenir reste incertain. Je
voudrais avoir du travail, continuer mes études et fonder une famille. J’ai rencontré une fille
qui avait aidé une veuve rescapée à charger contre moi dans le cadre du génocide. Nous nous
sommes salués et avons mené une conversation toute à fait fraternelle. J’ai également revu
mon ancienne fiancée qui a trouvé un autre mari. Partout où je dépose mon dossier, il m’est
difficile de justifier d’un temps mort de cinq ans. De plus, je réalise que mon accusation de
participation au génocide reste une étiquette négative qui serait à la base du rejet de mon
dossier dans bon nombre de cas. C’est grave… Toutefois, pendant les élections
présidentielles et législatives, j’ai réussi à trouver un travail temporaire d’interprète pour les
observateurs électoraux de l’Union Européenne. Ce qui me permet de survivre.”

2. Le difficile accueil des rescapés
L’annonce de la première vague de libération a dans un premier temps suscité une grande
peur chez les rescapés, qui se demandaient comment allaient se comporter les libérés,
craignant qu’ils ne poursuivent leurs cruautés du passé. A cette époque, la présidente d’une
juridiction gacaca de cellule commentait ainsi la situation :
“Les rescapés du génocide se demandaient si ces libérés, qui ont ‘machetté’ leurs semblables
et mangé les vaches des autres, ne vont pas poursuivre leur méchanceté. Ils avaient cette
inquiétude.”
- Gitesi, Ruhango, juin 2003 -

Et même si les rescapés, du moins dans un premier temps, ont pu constater avec
soulagement que ce n’était pas le cas, l’inquiétude demeure pour bon nombre d’entre eux.
Un rescapé
“Nous estimons qu’à l’avenir notre sécurité sera problématique. Vous comprenez que
quelqu’un qui a tué nos proches, et qui est aujourd’hui remis en liberté, ne nous aime pas du
tout. Je pense qu’il nous sera difficile de nous réjouir de leur libération. Je pense aussi que les
travaux des juridictions gacaca vont se compliquer davantage. Nous pensions que nous allions
nous réconcilier après qu’ils aient purgé leur peine. Ça m’aurait été facile si on me demandait
de me réconcilier avec lui après qu’il ait accompli sa peine. Comme ça nous aurions pu avoir
une base sur laquelle nous aurions pu faire notre réconciliation. Comment allons-nous nous
réconcilier avec quelqu’un qui ne sait même pas ce qu’il a fait [dont les agissements n’ont pas
été formellement établis par un jugement, ndlr]. C’est vraiment un sérieux problème. Mais je
dois dire que jusqu’à présent, les libérés ne nous ont encore rien fait de mal. Nous pensons
qu’ils ont été suffisamment formés ou qu’ils ont peut-être peur. On ne sait pas dans quel
sens la situation va évoluer. Mais, jusqu’ici ils n’ont attaqué personne.”
- Gitesi, Ruhango, juin 2003 -

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Cependant, encore plus que la peur, ce qui reste frappant dans leur ressenti de la situation
c’est l’expression d’un grand mécontentement et d’une incompréhension auxquels ils
doivent se résigner. L’idée qu’ils aient à cohabiter, et plus ou moins à commencer à se
“réconcilier” avec des personnes qui n’ont toujours pas été condamnées pour les actes
qu’elles ont commis, leur est particulièrement difficile. Beaucoup estiment en effet que
parmi ces ex-détenus libérés, un grand nombre ne mérite pas de retourner sur les collines.
Ibuka, en se basant sur les témoignages de rescapés, a pu empêcher la libération d’environ
800 détenus qui étaient prêts à quitter les camps de solidarité.
Témoignage d’un rescapé
“En vérité, je dois dire que la libération des détenus nous a beaucoup surpris. Selon nous, la
loi n’a pas été respectée. Nous pensions que les gens avaient été mis en prison à cause des
faits qu’ils ont commis. Ces faits sont pourtant très évidents car nous avons perdu beaucoup
de gens dans ce secteur. Et tout d’un coup, nous avons appris que le communiqué de la
Présidence avait libéré les détenus. Cela nous a plongé dans une totale incompréhension. Et
nous ne pouvions demander des explications nulle part étant donné que c’est le pouvoir qui
avait libéré ces personnes. Pourtant, le pouvoir aurait dû prendre en considération nos
intérêts, en ne les libérant qu’après les avoir jugées.
Ainsi, des innocents qui se trouvent parmi eux devraient effectivement être libérés par ce
communiqué. Mais les coupables doivent être jugés et condamnés. En tout état de cause, il
ne faudrait pas les libérer sans raison valable. Il y en a même parmi eux qui ne savent pas
pourquoi ils ont été libérés. Les libérer sans avoir préalablement préparé les esprits c’est
remuer le couteau dans nos plaies. On ne peut pas dire que toutes les personnes qui ont été
libérées sont innocentes tout comme on ne peut pas dire qu’elles sont toutes coupables.
C’est la justice qui devrait établir leur culpabilité ou leur innocence.
Je suis d’accord que certains de ces détenus soient libérés pour être jugés par les juridictions
gacaca. Evidemment, étant donné que tout le monde n’a pas commis les mêmes faits, je pense
qu’il serait bon de maintenir en prison ceux qui ont commis des crimes graves.”
- Gitesi, Ruhango, juin 2003 -

Quant à l’idée même de l’innocence de certains détenus, elle est loin d’être acceptée par
toutes les victimes. D’où la réaction alarmiste des rescapés sitôt qu’un libéré innocenté ose
dire qu’il pense avoir le droit d’être indemnisé au regard des années perdues en prison :
Un rescapé
“Récemment, l'une de ces personnes qui ont été libérées a dit que le Gouvernement devrait
leur accorder des dommages et intérêts pour les avoir détenus sans motif. En vérité, une telle
personne ne sait pas pourquoi elle a été libérée !”
“Il y a dans ce pays deux catégories de personnes. Il y a nous, les rescapés du génocide, et
ceux-là qui ont perpétré ce génocide. Normalement, toutes les personnes qui ont commis
des infractions devraient être punies.”
- Gitesi, Ruhango, juin 2003 -

Par conséquent, des initiatives individuelles de rapprochement comme celle de Pascal,
rescapé, restent l’exception :
Récits des ‘partages’ chez Pascal auxquels l’équipe PRI a assisté à plusieurs reprises

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

46

Un partage67 organisé par Pascal et sa femme en août 2003 à l’occasion de leur dixième
anniversaire de mariage et de la première communion de leur fille aînée.
Pascal est un homme relativement jeune, au visage clair et paisible, accueillant, souriant et
toujours gai. Sa femme, apparemment plus jeune, aux yeux scintillants d’allégresse, d’une
énergie naturelle, sourit avec enthousiasme à tous ceux qui s’approchent d’eux, les
embrassent à la rwandaise et leur soufflent à l’oreille : “Félicitations, félicitations”. Beaucoup
de ceux qui les regardent murmurent : “ Voilà un mariage réussi. Quelle chance ! Je les
envie ! ”. A quelques mètres de la villa de Pascal, à travers la clairière d’une bananeraie dense
et bien entretenue, on aperçoit un grand hangar public aménagé à cet effet, où sont assises
des centaines de personnes venues de près et de loin, de Byumba et de Kigali, attendant
impatiemment l’arrivée de leurs “hôtes de marque” pour leur manifester leur sympathie.
Plusieurs groupes folkloriques en uniformes variés, représentant tous les âges, s’entraînent
déjà à faire du sensationnel. On entend des sons de tambours, des sons de clochettes
attachées aux pieds des danseurs. “Hmm, ça va chauffer” s’exclame un jeune homme ! Des
signes d’impatience commencent déjà à se manifester surtout chez les enfants, qui courent
dans tous les sens.
Finalement, tout le monde est prêt à avancer vers la place d’honneur. Dans une procession,
une foule de personnes est dirigée par Pascal et sa femme, suivis des membres de leurs
familles respectives, des amis proches et lointains, et des collègues de service.
Un poème guerrier clamé par le chef des danseurs intore68 souhaite la bienvenue à Pascal et à
sa suite, comme à un guerrier courageux qui rentre du champ de bataille victorieux et décoré
de médaille d’or ! La véritable ambiance de fête commence.
Bien que la messe ait constitué la première activité de la journée, des prières
complémentaires ont été formulées à l’intention de Pascal et tous ses invités, afin que Dieu
protège tout un chacun et les préserve du mal.
Dans tous les discours prononcés par les différents orateurs, les mots qui reviennent sont : la
guerre, le génocide, l’après-guerre, la peur, la méfiance, la cohabitation, la vache, le pacte de
sang69, la réconciliation.

On entend par “partage” (ubusabane), ce moment où tous rassemblés, il y a mise en commun non
seulement des divertissements, mais aussi des idées et des boissons. Aux échanges traditionnels de breuvages
à base de sorgho, de bananes et de miel, chargés d’une forte symbolique dans la culture rwandaise, des
variétés plus modernes ont été intégrées telles que les bières Primus et Mutzig. Assorties d’aliments et autres,
ces échanges sont chargés de multiples signes qui constituent un discours culturellement partagé, et donc
signifiant du point de vue de la cohabitation et de la réconciliation. En effet, cela se faisait traditionnellement
après un mariage ou après la récolte, au mois d’août, durant le rituel saisonnier des prémices (umuganura), et le
culte annuel des esprits des ancêtres du lignage. Le partage renforçait les liens entre les familles voisines, cf.
De Lame, Danielle, “Une colline entre mille ou la calme avant la tempête. Transformations et blocages du
Rwanda Rural”, Tervuren, Musée royal de l’Afrique Centrale, Annales Sciences Humaines, 1996, Chapitre 5, pp.
197-218
67

Le terme d’intore signifie initialement: vertueux, talentueux, dont la considération repose sur le mérite
reconnu à un groupe de combattants, et/ou de danseurs intore, ces derniers secondant les premiers par des
rythmes différents leur indiquant chaque phase de la bataille jusqu’à la victoire

68

Le pacte de sang (kunywana) était très répandu au Rwanda, conclu entre des hommes de lignages différents et
non limité aux membres d’un même groupe ethnique. Au Rwanda central, beaucoup de Tutsis avaient des
frères de sang Hutus. Les cérémonies, qui consistaient en l’échange d’un peu de sang de l’un et l’autre, étaient
célébrées devant témoins. On pratiquait pour cela une petite incision sur l’abdomen. Le pacte obligeait de
manière irrévocable les ‘frères’ à une entraide inconditionnée. De terribles sanctions immanentes (telles que la
lèpre ou la mort sans postérité) menaçaient celui qui le trahissait. Avoir de nombreux frères de sang procurait
un sentiment de sécurité dans des conditions de vie matérielle et sociale incertaines. Cf. Hertefelt, Marcel d’,
“Le Rwanda”, in M. d’Hertefelt, A.A. Trouwborst, J.H. Scherer et J.Vansina, Les anciens royaumes de la zone
interlacustre méridionale: Rwanda, Burundi, Buha, Tervuren, Monographies ethnographiques, n° 6, Musée Royal de
l’Afrique Centrale, pp. 59-60.
Selon des sources rwandaises, un pacte de sang pouvait aussi être établi pour d’autres raisons, comme ne pas
dévoiler un secret ou garantir le silence sur un crime. Le pacte de sang demeurait toutefois moins important
que le mariage, qui liait deux groupes de parenté. Bien que ce pacte ne se pratique plus, des familles dont les
parents ou grands-parents avaient conclu un tel pacte continuaient à entretenir des relations spéciales.
Pourtant, pendant le génocide, ni les pactes de sang, ni les relations par mariage entre groupes de parenté, ne
semblent avoir eu beaucoup d’influence sur la protection exigée traditionnellement.

69

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

47

Les discours racontent les événements suivants :
Pascal a eu l’initiative d’organiser ce genre de fête après la guerre et le génocide, quand il s’est
retrouvé presque seul survivant de sa famille et qu’il a appris que des amis, des voisins hutus,
unis à ses parents par un pacte de sang, avaient, soit été impuissants devant la mort de ses
parents, soit participé activement à leur massacre. Les uns et les autres avaient peur de
Pascal. Ils s’attendaient à une vengeance certaine de sa part, alors que lui était dépassé par la
situation dans laquelle il avait retrouvé la maison de son père : tout le monde tué, la maison
presque totalement détruite, sans porte ni fenêtre, toutes les vaches volées ou abattues.
D’autre part, sa femme hutue, originaire de Kibuye avait perdu aussi pas mal de membres de
sa famille.
Pascal, en tant que membre d’une famille d’éleveurs, imaginait mal une vie sans vache, sans
lait, sans berger et sans étable. Une violence intérieure s’installa en lui, ne sachant dissimuler
ses sentiments, la tristesse se lisait sur son visage. Tout le monde craignait qu’un jour il se
venge.
« Pourtant, raconte Pascal, je n’avais pas le courage de le faire, ni celui d’accepter ma nouvelle situation. Je
priais très fort pour qu’un jour les bons moments reviennent. Tout le monde se méfiait de tout le monde, toutes
les ethnies confondues.
J’appris même que certains Tutsis avaient contribué à la dénonciation de leurs frères, cousins ou autres
membres de la famille. On n’imaginait pas qu’une cohabitation pacifique allait être possible. La
réconciliation, elle, était un terme banni des expressions usuelles. Mais voilà que, petit à petit, tout se brisa et
la lumière revint.
Le premier à me redonner espoir de vivre fut un homme très pauvre, qui m’offrit tout ce qu’il possédait, soit la
parcelle où j’ai construit cette belle villa que vous voyez là. Cet homme, il est ici, applaudissez-le. Beaucoup de
gens pensent que le don de vaches70 est une affaire de riches. Pour moi, une parcelle octroyée par un pauvre
vaut plus qu’une vache. Et en guise de gratitude, normalement caractérisée par le don d’un veau issu de cette
vache, je l’ai aidé à construire une maison en tôles. Et je suis fier de vous annoncer que cet homme fut le
premier à m’offrir une vache, et je lui ai rendu la pareille en lui octroyant une autre vache. Vingt autres
personnes m’ont également donné des vaches et j’en ai offert à vingt-deux autres personnes.
Pour certains c’était en signe de gratitude pour leur don à mon égard, pour d’autres c’était une reconnaissance
pour des vaches offertes à mon père ou à mon frère, enfin pour certains c’était à sens unique. Du temps de nos
grands-pères et de nos pères, le don de vaches réciproque se prolongeait par une alliance de sang, extrait d’une
incision faite sur la partie inférieure de l’abdomen. Ce sang était bu par chaque chef de famille. Cette coutume
n’existe plus ou bien son sens a été dévalorisé durant le génocide. Cela est très dommage pour la société
rwandaise.
L’idée d’organiser ce genre de journée m’est venue après mûre réflexion. J’étais convaincu qu’autour d’une
cruche de bière de sorgho ou de bananes, de bières importées comme la Primus et la Mutzig, les gens
pourraient arriver à dépasser leur peur et la méfiance des uns envers les autres. Le succès de cette première
journée m’a donné l’idée de répéter cette cérémonie régulièrement. Même si certaines personnes croient,
poursuit Pascal, que l’organisation de ce genre de fête est signe de richesse excessive et qu’on doit, coûte que
coûte, dépenser l’excès, je serai d’accord si on se référait à la richesse du cœur. Il faut surtout avoir pu
pardonner pour aider les autres à le faire.
Si on analyse la longueur des nez, on verra bien que mon nez et celui de ma femme sont complètement
différents. Pourtant, qui s’aime mieux que nous ? Qui tolère mutuellement leur différence ethnique mieux que
nous ? Qui pardonne sincèrement aux frères et sœurs de nos ethnies respectives autant que nous ?
Regardez tous les invités ici présents, sont-ils tous d’une même ethnie ?
Ceux qui m’ont donné une vache ou à qui j’en ai donné une, sont de toutes les ethnies. Le fait que tous se
réunissent autour de moi est une occasion pour chacun d’étendre son champ de relations, d’apprendre des
expériences des autres, de s’accepter sans nécessairement se connaître, bref de partager tout ce qu’on a.
Voilà ce que moi j’appelle “fête de partage”. Tout le monde partage avec tout le monde : la boisson, la
nourriture, les histoires diverses, etc. »
A un moment de son discours, Pascal a demandé à chacun de regarder son voisin de gauche
et de lui demander comment il allait. Ce fut un moment d’échanges de sourires, des yeux
doux pour les amoureux, de nouvelles de familles, d’informations diverses. C’est un des
aspects du partage.

70 Le don de vaches réciproque (kugororerwa), est différent de la relation de servage (ubuhake) dans laquelle on
travaillait des années chez quelqu’un pour acquérir par exemple une vache. Ce don permettait d’approfondir
les amitiés et d’améliorer la coexistence entre des familles. Une telle relation donne aussi des obligations, telle
que celle de donner ultérieurement une vache de descendance de celle qu’on a reçu (kwitura), soit à la
personne même, soit à ses enfants.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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« Le partage n’est pas toujours organisé sous forme de fête ou de cérémonies chrétiennes. Le partage, nous le
faisons chaque jour, souvent inconsciemment. Dans la mesure du possible, on pourrait organiser cette fête et
partager sa joie ou sa peine, sa paix ou ses soucis avec des amis, partager une bière en mangeant une moisson
nouvelle, tout cela constitue le partage.
Au cours de ce partage alors, on se rapproche, on se connaît mieux, on se demande des services divers, et au
besoin, on ose se demander pardon, et enfin on se réconcilie. »
Voilà selon Pascal, l’objectif de cette fête de partage et les résultats escomptés à la fin de
cette cérémonie.
- Kisaro (Byumba), fin août 2003 -

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

49

3. Les cas de Gikongoro71
Trois meurtres commis à Kaduha, dans la région de Gikongoro, et le traitement
médiatique et judiciaire de ces affaires, illustrent bien le climat qui a accompagné la
libération de certains prisonniers et cette difficile cohabitation.
Alors que des cas similaires de violences sur des rescapés ou témoins se sont déroulés dans
d’autres provinces, les meurtres commis à Kaduha en 2003 ont particulièrement attiré
l’attention. Cela s’explique par diverses raisons, dont probablement l’extrême cruauté de
l’un de ces crimes, mais très certainement aussi en raison des facteurs politiques spécifiques
à cette province.
Ces affaires et leur traitement par les autorités locales et nationales et, bien sûr, par les
médias, a généré un sentiment commun d’insécurité, qui est bien entendu de nature
différente selon les groupes. Les rescapés se sentent physiquement menacés et craignent
d’être tués, et d’autres ont peur d’être injustement accusés de vouloir tuer. Quels que soient
les motifs de ces meurtres, la conséquence pour tous est la persistance, voire l’aggravation,
de tensions sociales.

Les faits connus
En 2003, trois assassinats de rescapés du génocide ont été commis dans la province de
Gikongoro, et plus précisément dans le district de Kaduha :
- le 20 avril 2003, Monsieur Karasira (alias Kabombo),
- le 4 octobre 2003, Monsieur Emile Ndahimana,
- le 26 novembre 2003, Monsieur Charles Rutinduka.
Pour de nombreuses personnes, rescapés, politiciens et journalistes notamment, il est
apparu immédiatement que ces meurtres avaient pour objet d’éliminer des témoins à
charge dans le cadre de la gacaca. Cela a été confirmé par la justice dans deux cas, le
troisième (Monsieur Karasira alias Kabombo) étant plus vraisemblablement une affaire de
droit commun.

Une réaction de panique
La population rescapée de Kaduha a tout de suite été persuadée que ces trois meurtres ont
été commis afin d’empêcher les victimes de témoigner devant les juridictions gacaca. Ce
mobile supposé a eu pour conséquence directe de générer un très fort sentiment de peur
chez ces rescapés qui se sentent en danger de mort, d’autant plus que l’un de ces crimes a
été commis dans des circonstances particulièrement atroces. De plus, un tract a été
découvert fin décembre 2003, par des veuves rescapées de l’umudugudu (village), près de la
Sources :
- Journaux (The New Times, Umuseso, Imvaho et La Nouvelle Relève, Jeune Afrique, etc.)
- Plusieurs interviews menées sur le terrain durant la période de janvier à mars 2004 avec des responsables
locaux, des rescapés, les familles des victimes et la population locale
- Rapports du 8 janvier 2004 sur ‘Les questions du Sénat et les réponses du Gouvernement’, du 3 mars 2004 de
l’AERG intitulé ‘Raporo y’urugendo rwakorewe i Kaduha tariki ya mutarama’
- Communiqués d’organisations de défense des droits de l’homme (CLADHO, PAPG et Ibuka)
71

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

50

maison de la veuve de Charles Rutinduka, assassiné le 26 novembre 2003. Le trac était
rédigé en ces termes72:
“Ces chiennes et imbéciles femmes dont M (…), elle a une survie d’une journée et n’ira pas
jusqu’au lendemain. Qu’elles se taisent puisqu’elles sont presque mortes, il ne sera que
question de les achever sans aucun obstacle. (…) Préparez-vous, je viendrai demain ou
après demain. Il paraît que vous avez les militaires! Y’en a-t-il en suffisance pour monter la
garde à chaque maison ? Que dire!”

Assez rapidement, les associations de rescapés – notamment l’Association des Etudiants et
Elèves Rescapés du Génocide (AERG) et Ibuka – et des parlementaires se sont rendus à
Kaduha pour exprimer leur indignation et leur soutien aux rescapés. Les responsables
d’Ibuka ont dénoncé avec virulence le “climat de harcèlement, de menaces, d’assassinats
sauvages…”73 et établi le lien avec le démarrage prochain des procès devant les juridictions
gacaca. Le sénateur Antoine Mugesera, ancien président d’Ibuka, a affirmé que l’“on a
toujours tué les témoins gênants”74. Le responsable d’Ibuka a souligné qu’un certain nombre de
rescapés du génocide avaient été tués, d’autres menacés ou forcés de fuir et ceci par des
“génocidaires déterminés à se débarrasser de tous les témoins à charge”75.
Les deux organisations rwandaises de défense des droits de l’homme, le PAPG et le
CLADHO ont dans deux communiqués publics des 10 et 12 janvier 200476, ainsi que dans
plusieurs communiqués de presse, déploré le “silence des autorités devant ces actes ignobles
qualifiés de ‘mission systématique d’élimination des témoins’ avant que les juridictions gacaca ne soient
étendues au niveau national”. Ils ont demandé l’organisation d’enquêtes “minutieuses et rapides”
pour identifier ces auteurs “sanguinaires décidés à éliminer les personnes détentrices de témoignages et
d’informations qui devaient être livrés dans les procès gacaca”.
Les membres de la Commission d’enquête parlementaire qui se sont rendus à Kaduha le 15
décembre 2003, appellent le gouvernement rwandais à prendre toutes les mesures urgentes
appropriées afin qu’il soit mis fin à de tels assassinats dans le pays, sans quoi la réussite du
processus gacaca serait hypothéquée.
Quant au Barreau, par la bouche de son Bâtonnier Jean Haguma, il s’est exprimé en ces
termes : “ces tueries sont une menace potentielle contre les juridictions gacaca”77.
Plusieurs de ceux qui se sont rendus à Kaduha pour exprimer aux rescapés leur solidarité
ont publiquement accusé une partie de la population pour son absence de soutien au
groupe des victimes. Ainsi, le coordinateur de l’AERG a-t-il déploré que la population
n’aie pas porté secours aux victimes et a demandé que des peines exemplaires soient
72

Selon les femmes concernées, Kaduha, 9 janvier 2004

73

Communiqué de l’association Ibuka en date du 15 décembre 2003

74

Dépêche AFP du 16 décembre 2003

PAPG, Rapport sur les cas d’assassinats commis contre certains rescapés de la province de Gikongoro, 10 janvier 2004, cf.
Annexe 5 de ce rapport
75

Le rapport produit par le PAPG le 10 janvier 2004 et la “Déclaration du Collectif des Ligues et
Associations de défense des Droits de l’Homme au Rwanda (CLADHO) sur la sécurité des témoins dans le
processus gacaca” du 12 janvier 2004, cf. Annexes 5 et 6 de ce rapport

76

77

Propos parus dans un article du New Times du 30 décembre 2003

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

51

prononcées à l’égard des auteurs de ces crimes, dont les procès devaient se tenir à Kaduha
même. Il s’est par ailleurs déclaré mécontent de l’accueil que leur avaient réservé les
autorités locales. Le maire de Kaduha, anglophone, considéré comme un étranger de
l’Umutara, alors même que ses parents sont originaires de la province de Gikongoro
(Kinyamakara), a été fortement critiqué pour ne pas avoir suffisamment assuré la sécurité
des rescapés. Le représentant d’Ibuka l’a pointé du doigt pour avoir traumatisé moralement
les rescapés du génocide et a mentionné l’existence de quelques rescapés qui auraient fui en
raison du climat d’insécurité qui règnerait à Gikongoro en général, et à Kaduha en
particulier.
Ces déclarations démontrent la conviction immédiate que ces trois meurtres visaient
expressément des témoins du génocide, potentiels accusateurs devant les juridictions gacaca.
Toute la communauté environnante est immédiatement suspecte. Pour les rescapés, ces
actes s’inscrivent dans la perpétuation de l’“idéologie génocidaire”, et la menace qui pèse
sur l’ensemble de leur communauté est bien réelle. Une telle réaction est bien
compréhensible de la part de rescapés qui vivent en minorité sur les collines et ont vu
revenir leurs persécuteurs. Mais s’il est du rôle des organisations et des autorités politiques
de défendre les intérêts de ceux qu’ils représentent, il leur revient également de ne pas jeter
de l’huile sur le feu par des déclarations catégoriques qui contribuent à alimenter le climat
de peur et d’insécurité, avant même que les enquêtes judiciaires et les procès aient eu lieu.
Le fait de jeter l’opprobre indistinctement sur toute une partie de la population n’est pas
non plus de nature à restaurer des liens de confiance entre les différents groupes.
Malgré les critiques, l’attitude du maire de Kaduha semble constructive en aidant à
dédramatiser le phénomène tout en le prenant au sérieux. Suite à ces crimes, il a organisé
pour la population, en collaboration avec la police et l’armée, un grand nombre de
réunions afin que “chacun se sente concerné par la sécurité”. Il a également organisé diverses
actions de sensibilisation sur le secours aux personnes en danger, le “soulagement” des
rescapés, l’organisation de rondes de sécurité surtout dans les secteurs de Jenda, Joma et
Musange, mais également sur la gacaca. Il estime que “[les détenus] qui ont été libérés suite au
communiqué présidentiel ne nous causent aucun problème. Nos inquiétudes demeurent quant à ceux qui
ont été libérés antérieurement, au motif de leur innocence, alors qu’eux mêmes savent pertinemment qu’ils
ont trempé dans le génocide”.

Le rôle des médias
Les médias, notamment la radio, ont également contribué à amplifier le climat d’insécurité
régnant. Selon le maire de Kaduha, le contenu de leurs diffusions ne feraient qu’accroître le
sentiment de peur déjà très fort chez ces rescapés, leur rappelant ainsi le temps du
génocide. D’après lui, les événements locaux sont systématiquement interprétés dans un
sens qui accrédite la thèse de persécutions contre les rescapés. Il a cité, à titre d’exemple, le
cas de rescapés qui avaient quitté la commune pour des motifs personnels ou de droit
commun, que les médias ont relaté comme ayant fui des persécutions de sa part78.

78 On notera qu’il n’est pas le seul à partager ce point de vue puisque le Préfet de Gikongoro comme le
ministre de la Sécurité nationale ont tenu des propos similaires (respectivement dans La Nouvelle Relève du 1529 Février 2004 (p. 8) et The New Times du 5-8 février 2004 (p. 2)). Ce dernier a en effet souligné que “Nobody
is fleeing. Some people have left to other areas either due to marriages or for business purposes, but not persecution” [Personne
ne s’enfuit. Quelques personnes sont parties pour d’autres régions en raison de mariages ou pour affaires,
mais non à cause de persécutions].

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

52

Il a été établi par les enquêtes judiciaires que l’un de ces trois meurtres était une affaire de
droit commun. En effet, lors du procès lui-même, début février 2004, personne (ni le
Tribunal, ni le Parquet, ni les parties civiles et leurs avocats), à aucun moment, n’a relié ce
meurtre à un mobile lié à la qualité de rescapé du génocide qu’avait la victime. Cette
information n’a pas été relayée et certains médias, en communiquant la nature de la
sanction infligée aux deux accusés, ont même continué à laisser entendre l’inverse de ce
que le Tribunal avait jugé79.
Les médias ont fait preuve d’unanimité dans leur traitement de ces affaires. La seule
nuance constatée entre les différents émetteurs concerne l’ampleur du phénomène. Pour
les uns il est surtout conjoncturel et local (position des membres du Gouvernement), pour
d’autres il est national (Ibuka, certains sénateurs…).
Il est clair que leur impact sur les comportements de la population est très important, et
sera décisif en termes de participation de la population aux juridictions gacaca.

Le traitement judiciaire de ces meurtres
Les trois procès ont eu lieu successivement à Kaduha dans le courant du mois de février
2004, soit très peu de temps après les faits dans deux dossiers.
Certains accusés ont été acquittés, mais globalement, les peines attribuées aux condamnés
peuvent être considérées comme “exemplaires”, compte tenu de leur sévérité : sur vingt
prévenus, quatorze personnes ont été condamnées à mort, trois à des peines de perpétuité,
et un mineur à cinq ans d’emprisonnement. Deux autres personnes ont été acquittées et
libérées immédiatement. Tous ces condamnés le sont également sur le plan des dommages
et intérêts.
L’ensemble des observateurs a relevé une forte présence de la population dans l’assistance,
beaucoup de représentants d’organisations de défense des droits humains et
ponctuellement de quelques représentants du Gouvernement et du Parlement, ainsi que du
Parquet Général. Tout ceci confirme l’importance donnée à ces procès. Les autorités,
montrant qu’elles étaient présentes, ont voulu dédramatiser les conséquences de ces
meurtres en montrant une volonté claire d’y répondre, rapidement et avec fermeté.
Cependant, s’il apparaît légitime que l’institution judiciaire réponde au plus près aux
demandes des victimes, mais aussi dans une certaine mesure à des exigences sociales dans
un contexte d’insécurité (tout au moins ressenti), en tendant à réagir au plus vite, ceci ne
doit pas se faire au détriment des principes essentiels à tout procès équitable. Dans les cas
présents, la rapidité avec laquelle ont été organisés ces procès, au moins dans deux cas, n’a
pas permis de respecter l’ensemble de ces principes. La conduite des enquêtes et des
débats laisse place à des questionnements préjudiciables à l’établissement de la vérité.
En effet, le Parquet a exigé du Tribunal une rapidité qui ne permettait pas de garantir une
bonne administration de la justice. Ainsi, les procès concernant les meurtres de Emile
Ndahimana (tué le 4 octobre 2003) et Charles Rutinduka (tué le 26 novembre 2003) se
sont tenus en février 2004. Au moment des procès, la plupart des accusés présents
79

Cf. New Times 9-11 février 2004

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

53

plaidaient “non coupables” et tous les éventuels participants connus, au dire même du
Parquet, n’étaient pas présents aux débats (un en fuite, les autres juste arrêtés). Les avocats
commis d’office se sont vus refuser les nombreuses demandes de report qu’ils avaient
formulées. Certains avocats ont disposé de moins d’une heure pour préparer leur défense,
d’autres d’à peine une journée (pour découvrir un dossier, l’étudier et s’entretenir avec
leurs clients). Le Tribunal a même accepté de juger l’une de ces affaires (l’affaire Charles
Rutindika) alors que plusieurs avocats avaient disparu au cours des débats et véritablement
abandonné leurs clients.
Plusieurs autres demandes, d’audition de témoins cités à décharge ou d’informations par
exemple, ont été faites par des avocats mais refusées par le Tribunal (notamment au sujet
des résultats d’une descente sur le terrain dont le Tribunal a fait état dans l’affaire du
meurtre d’Emile Ndahimana et dont la défense a tout ignoré jusqu’au bout, le Tribunal
refusant de répondre et de communiquer contradictoirement les procès verbaux).
Ces circonstances ne permettent pas d’assurer une défense pénale respectueuse des règles,
surtout dans un dossier où la peine capitale peut être prononcée. Beaucoup des difficultés
rencontrées par la défense des accusés constituent de véritables irrégularités de droit et ne
permettent pas de conclure à l’équité de ces procès. Ces trois procès ont donné
l’impression d’une justice expéditive et politisée, dans le sens où la pression sociale et
politique s’est fortement exercée sur les magistrats pour que “la justice passe, et vite !”, peu
importe les conditions.
Or, s’il est plus que nécessaire d’enquêter sur ce type de crimes, de retrouver les coupables
et d’établir la vérité, il n’en demeure pas moins qu’il convient que toutes les garanties soient
prises pour éviter, dans l’intérêt de tous et notamment des victimes, les erreurs judiciaires
et les violations de droit.

Conclusion
Ces affaires montrent plusieurs choses. D’abord qu’il existe effectivement des cas où des
témoins gênants sont éliminés. La question de l’ampleur de ces cas reste posée. Ensuite,
que les rescapés vivent dans un réel sentiment d’insécurité – pour partie fondé, pour partie
exagéré – mais qui doit être reconnu et respecté. Cet état d’insécurité déclenche forcément,
au sein de la population, des réactions de panique qui, si elles ne sont pas contrôlées
peuvent conduire à des abus. Il est donc extrêmement important que société civile,
politiques, médias et justice jouent chacun leur rôle pour dédramatiser ces événement en
rétablissant la vérité. Dans les exemples que nous avons examinés, le constat est que les
associations de rescapés et les représentants des autorités n’ont pas joué un rôle
pondérateur. Au contraire, leur attitude a contribué à exacerber les sentiments de crainte
partagés, pour des motifs divers, par toute la population. Les médias ont également
propagé et accentué ces sentiments.
La volonté de voir la justice rendue dans des délais raisonnables et les auteurs punis est
louable. Elle ne doit toutefois pas conduire à négliger ou bafouer les principes d’une bonne
administration de la justice. Un procès expéditif, s’il peut procurer à certains un sentiment
de soulagement, ne permet pas de restaurer véritablement la sécurité au sein d’une
communauté : les véritables coupables ne sont pas punis, la crainte de l’arbitraire s’instaure
et la confiance est détruite.
Dans ces conditions, la participation des uns et des autres au processus gacaca est mise en
cause. Comment faire naître la confiance là ou la méfiance est de mise ? Comment inviter

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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les uns et les autres à la sincérité ? On peut s’interroger sur la fiabilité des témoignages et
des aveux produits devant les juridictions gacaca, et donc à terme sur la légitimité de leurs
décisions.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

55

B - Réflexes de protection
Dans cette situation délicate, chacun tente de répondre à ses craintes ou à ses incertitudes,
de préserver ses conditions de vie. Négociations, intimidations, tentatives de déstabilisation
ou mensonges entrent en jeu. Autant d’écueils pour les juridictions gacaca.

1. Négocier pour éviter les accusations
Les prisonniers libérés ne le sont que provisoirement. Ils doivent encore passer devant la
gacaca, qui a pour tâche de vérifier les aveux, classifier les crimes commis, catégoriser et
juger certains coupables, et enfin prévoir les peines, Travail d'intérêt général ou prison.
Ceux qui ont échappé jusqu’à présent aux accusations craignent également d’avoir à
répondre de leurs actes devant la justice. Tous risquent la prison. Face à un tel enjeu, leur
attitude peut considérablement varier, dépendant en grande partie de la position de force
ou de faiblesse qu’ils occupent sur leurs collines.
On notera que rares sont ceux qui font spontanément la démarche d’aller rencontrer les
familles de leurs victimes. Certains ne semblent pas en ressentir le besoin, mais d’autres
craignent les réactions des rescapés, ou ce qu’ils projettent qu’elles vont être. Ainsi, un exdétenu récemment libéré explique qu’il ne s’approche même pas de la maison, imaginant
que ses occupants vont croire qu’il vient pour les tuer.
Ceux qui se trouvent en position de faiblesse vont avoir tendance à tenter d’éviter un
nouvel emprisonnement, en cherchant des arrangements avec les autorités ou les familles
de victimes. Il est donc fréquent que les auteurs de crimes et leurs familles se mettent
d’accord avec les rescapés afin d’échanger leur silence contre un paiement en argent, en
vaches ou autres biens. Ces arrangements ne présentent bien sûr aucune garantie pour eux,
comme en témoigne le cas de cet accusé qui a tenté de s’entendre avec une autorité locale :

JM, présumé génocidaire, mais non encore traduit en justice, est devenu très peureux et
inquiet du fait de cette situation. Il est à un tel point freiné au quotidien par sa peur, qu’il a de
plus en plus de mal à entreprendre le minimum pour assurer la survie de sa famille. Il se
décrit lui même comme évoluant dans un climat d’insécurité totale, vivant cette situation
comme une torture l’amenant à la mort ; répétant à plusieurs reprises qu’il préférerait être
arrêté, plutôt que de subir cette torture déguisée.
JM est accusé par CL (une autorité de base80) de tueries. Or, JM prétend n’avoir vu que les
tueurs s’en aller. CL a perdu ce jour là quatre personnes (dont sa mère, son petit frère, sa
femme et leur enfant) que JM a enterré le lendemain, aidé par trois autres voisins.
JM semble être recherché depuis 1994. Mais lorsqu’il est retourné à Kicukiru, en 2002, suite à
des pressions exercées à l’encontre de sa femme, il n’a nullement été interrogé sur la mort de
ces personnes, qu’il reconnaît lui-même avoir enterrées. Il ne fait que citer les noms de tueurs
connus, qui vivaient dans cette cellule, leur retournant toute la responsabilité du génocide.
Or, ces personnes sont toutes retournées chez elles, à Ruhengeri et Byumba. Il explique que
ceux qui avaient des maisons, les ont presque toutes vendues par l’intermédiaire des autorités
à des prix très bas. Il ajoute qu’ils ont été contraints de le faire, plus ou moins comme lui, qui

80

Terme rwandais pour désigner les autorités locales

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

56

a donné 100 000 FRW de la vente de sa propre maison, à CL, dans l’espoir de le convaincre
de ne pas le dénoncer, mais il n’est pas sûr que cela fonctionne.
- Kicukiru, Kigali-Ville, janvier 2004 -

En revanche, s’ils se trouvent en position de force, certains vont chercher à éviter leur
arrestation ou ré-arrestation en recourant à des moyens tels que l’intimidation ou même le
meurtre afin de faire disparaître les preuves. D’ailleurs, dès le début des juridictions gacaca,
il y eut des rumeurs, mais aussi quelques cas concrets, d’intimidations ou de violences
commises à l’encontre de rescapés ou d’autres membres de la population qui accusaient
certaines personnes d’avoir trempé dans le génocide. Les meurtres commis dans le district
de Kaduha étudiés ci-dessus en sont l’illustration.

2. Les préoccupations des rescapés
Face à cette cohabitation forcée, les comportements varient et dépendent du degré
d’isolement des rescapés. Si la personne est relativement isolée et qu’elle a dû, pour
survivre après le génocide, s’arranger par exemple avec les familles mêmes des auteurs, elle
aura alors tendance à contourner la justice en n’allant pas témoigner à charge contre les
membres emprisonnés de ces familles. Il s’agit avant tout pour ces rescapés de s’éviter un
témoignage qui générerait une rupture des liens sociaux qu’ils ont déjà retissés, et qui leur
permettent de vivre dans une paix relative, ou de survivre plus décemment.
Le fait que beaucoup de rescapés aient perdu tout espoir d’être indemnisés, que ce soit de
la part des auteurs des crimes (qui le plus souvent sont très pauvres), ou de celle de l’Etat
qui n’a pas encore fait passer de loi sur l’indemnisation, les pousse à rechercher d’autres
solutions parfois discutables81.
Beaucoup d’entre eux estiment que les libérés n’ont pas droit au retour, surtout sans avoir
été jugés, et les sentiments de peur, d’impuissance, de traumatisme ou de colère sont
parfois tels que des rescapés essaient de tout mettre en œuvre pour faire ré-arrêter ceux
qu’ils considèrent comme une menace. Ils cherchent alors à renvoyer en prison certains
libérés, le plus souvent en portant de faux témoignages.
Une responsable locale de Murama avait constaté qu’une femme rescapée présentait
d’importants problèmes psychiques. Or, les autres rescapés ont essayé de convaincre cette
femme de se faire passer pour plus gravement traumatisée qu’elle ne l’était en réalité,
l’objectif étant de dramatiser ses réactions quant au retour des ex-prisonniers, afin d’essayer
de faire retourner certains libérés en prisons.
- Murama, Kayove, juillet 2003 -

Ainsi à Kibungo, des rescapés se sont rassemblés afin de faire emprisonner un homme, en
mandatant l’une d’entre eux d’accuser ce dernier de viol82. Ce qu’elle fit.
Toutefois, elle fût confondue et reconnut que cette accusation avait été montée de toutes
pièces par ses deux frères. Suite à cette révélation, elle entra directement en conflit avec eux,
mais aussi avec certains policiers présents, cette fausse accusation ayant été mise au point
avec leur aide.

81

Comme nous l’avons décrit dans le cas de Kicukiru, Kigali-Ville, cf. ci-dessus

Avec une accusation pour viol, un crime de génocide de la première catégorie, l’accusé encourt une peine
d’au moins 25 ans, voire la peine de mort

82

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

57

Elle craignait donc pour sa sécurité, ce qui la poussa à demander protection lors d’une
session gacaca, arguant qu’elle était désormais haïe par ses frères, et ne pouvait même pas faire
confiance à la police qui était censée assurer sa protection. C’est à ce moment là que des
membres de sa famille ont annoncé qu’elle avait reçu 60 000 FRW pour révéler le secret !
L’homme accusé de viol a pu quitter la prison.
- Birenga, Kibungo, juin 2003 -

On peut par ailleurs trouver une explication à la multiplication de ces faux témoignages
dans le fait que beaucoup de rescapés ont relativement peu confiance en l’intégrité des
juges gacaca :
“Les inyangamugayo sont des juges des juridictions gacaca qui doivent inculquer des valeurs
positives aux participants. Mais, on peut constater que parmi eux il y en a qui se font passer
pour des inyangamugayo mais qui ne le sont pas vraiment. Ce qui nous est difficile c’est de
trouver un véritable inyangamugayo. Mais d’une manière générale, nous estimons que ces juges
vont rendre de bons jugements.”
- Gitisi, Ruhango, juin 2003 -

On notera qu’une critique assez forte, telle que celle présentée ci-dessus est en général
immédiatement suivie d’une phrase qui vient contredire ce qui est énoncé, mais considérée
comme politiquement plus correcte, cf. la dernière phrase de l’extrait.
Cette vision est partiellement étayée par les statistiques83 du Service National chargé des
Juridictions Gacaca qui montrent que sur 14 402 juges gacaca, 9% (soit 1 319) ont été
remplacés, dont la moitié pour participation au génocide.
De plus, certains témoignages des tueurs peuvent être d’une telle violence et accompagnés
d’une telle insensibilité qu’il est difficilement soutenable de les écouter. Comme par
exemple le rapporte ce détenu : “Un jour, un ministre est venu à la prison de Butare lorsque les
prisonniers faisaient aveux. Or, parmi eux se trouvait un de ceux qui avaient tué sa sœur, mariée à un
commerçant. Au lieu de dire qu’il avait violé cette femme pour après la tuer, ce prisonnier est entré dans les
plus petits détails du viol, racontant qu’ils avaient utilisé une lame de rasoir pour couper son sexe, etc. Pour
finir, ce prisonnier a demandé au ministre de bien vouloir lui accorder une faveur en le nommant cuisinier
de la prison, afin qu’il puisse manger. Le ministre ne lui a pas répondu, demandant simplement qu’on lui
apporte de l’eau pour se laver le visage afin d’enlever la sueur qui ruisselait suite à ces témoignages. La
réunion s‘est ainsi terminée. A la fin, nous [les autres détenus] avons demandé à ce prisonnier pourquoi il
était entré dans tous ces détails, au lieu de se limiter à dire qu’ils l’avaient tuée et enterrée, après l’avoir
violée. Pour se justifier, il a répondu qu’il était demandé de dire la vérité, et que c’est pourquoi il en était
arrivé à ce niveau là de détails!”84.
On imagine aisément ce que de tels propos peuvent réveiller comme traumatismes, et
susciter comme réflexes de survie ou de colère chez des rescapés.

83

Service National chargé des Juridictions Gacaca/SNJG, Document sur l’état d’avancement des activités des
juridictions gacaca des cellules opérationnelles et programmes d’activités à venir, Kigali, 21 Janvier 2004

84

Propos d’un ex-détenu de la prison de Butare, mai 2003

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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3. Le pardon demandé et accordé, à quel prix?
La sincérité d’un pardon, demandé ou accordé, ne peut être connue que dans le for
intérieur de la personne concernée. Les pressions exercées à différents niveaux autour de
cette question mettent cependant en cause, à tout le moins, la spontanéité de ces pardons.
Il est donc intéressant de se pencher sur les circonstances qui entourent ces échanges de
pardon, sur l’importance qui leur est donnée, sur les malentendus qui peuvent parfois
exister entre certaines victimes qui attendent une demande de pardon qui leur semble due,
et celles n’ont pas cette exigence et qui voudraient simplement que justice soit faite.

La demande de pardon des libérés
“J’ai déjà demandé pardon pour les faits que j’ai commis. On nous a beaucoup expliqué qu’il
faut demander pardon, et on a beaucoup insisté sur cet élément. Je viens déjà d’assister à
deux réunions de notre juridiction gacaca. Dans nos témoignages, nous disons les choses
telles qu’elles se sont passées, et nous demandons pardon aux personnes présentes à la
réunion. En général, nous ne voyons aucun problème, car tu expliques ce que tu as fait et tu
présentes tes excuses. Si tu as commis un meurtre et qu’un proche de cette victime est
présent, tu peux l’approcher et lui demander pardon. Mais en général, nous le faisons au
cours de ces réunions. Chaque témoignage est forcément accompagné d’une présentation
d’excuses.”
- Gitisi, Ruhango, juin 2003 -

Ce témoignage résume assez bien à lui tout seul ce qui pose problème quant aux demandes
de pardon des libérés : la pression des autorités, le pardon comme un dû, et le caractère
dans la majorité des cas quasi exclusivement public de la demande de pardon.
Une pression assez forte est exercée sur les détenus pour qu’ils plaident coupables, fassent
leurs aveux et demandent pardon. Or, dans un précédent rapport, nous avions déjà
constaté que fréquemment, les aveux étaient énoncés sans véritable regret. Il semble que
souvent les détenus ne font preuve d’aucune réelle reconnaissance de leur propre
culpabilité85. Cela s’inscrit dans le fil de cette déresponsabilisation à laquelle nous faisions
allusion en première partie. Ces pardons prennent souvent la forme d’excuses verbales
publiques, plus ou moins arrachées sous pression, dans l’espoir de sortir de prison, ce qui
n’aide pas à leur conférer une forte crédibilité. Personne n’y croyant vraiment, comment
les rescapés pourraient-ils y croire ?
Qui plus est, ce doute est corroboré par le fait que rarement un libéré ose contacter
directement la famille de ses victimes, les ex-détenus se contentant de témoigner
publiquement et de présenter leurs excuses durant les réunions gacaca. Il existe toutefois
des exceptions, comme dans le cas de Steph :

On notera d’ailleurs que le nombre d’aveux n’est pas très élevé comme le mentionne un document du
SNJG qui montre que le nombre des aveux devant les juridictions gacaca est négligeable, en moyenne 2,3
personnes par JG de cellule. Il informe également que ces personnes, qui ont plaidé coupable et ont fait leurs
aveux, représentent au maximum 3,5% des personnes inscrites sur les listes des accusés élaborées par les
juridictions gacaca. Cela signifie que la grande majorité des accusés se retrouve sur cette liste après avoir été
accusés par les rescapés, les détenus ou ex-détenus. Chaque JG a accusé, en moyenne, 66 personnes. Cf.
Service National chargé des Juridictions Gacaca/SNJG, Document sur l’état d’avancement des activités des Juridictions
gacaca des Cellules opérationnelles et programmes d’activités à venir, Kigali, 21 Janvier 2004, p. 2
85

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

59

Le pardon de Steph
“Je suis sorti de prison et je suis libre maintenant. Le problème qui me préoccupe c’est que je
n’ai pas où loger. Quand je suis revenu je n’ai pas pu réclamer ma parcelle car je l’ai trouvée
en possession de quelqu’un d’autre. J’habite chez mon frère. Je n’ai pas encore approché les
autorités. Mais, j’ai demandé pardon et on me l’a l’accordé.
Pendant le génocide j’ai tué deux jeunes filles qui avaient été violées et torturées
sexuellement. Je les ai trouvées déjà dans un très mauvais état, elles ne pouvaient plus
marcher qu’à quatre pattes. Leur état de santé était très grave, car elles avaient été durement
maltraitées. Quand elles m’ont vu, elles m’ont demandé s’il y avait beaucoup de personnes à
l’extérieur pour les violer et elles m’ont supplié de les achever, ce que j’ai fait. Pour les
achever j’ai pris un gros morceau de bois, je les ai battues d’un coup chacune. Puisqu’elles
étaient très faibles, cela n’a pas pris de temps pour qu’elles ne puissent presque plus respirer
et voilà c’est tout. Je l’ai fait de ma propre force car je me pressais. Moi et mes collègues les
avons enterrées.
Quand je suis rentré d’exil, je me suis présenté directement à la commune, j’ai contacté les
autorités pour leur avouer ma culpabilité durant le génocide. Et l’on m’a mis au cachot, sans
autre forme d’investigation. Peu de temps après on nous a emmené à Byumba, le parquet a
rempli mon dossier et j’ai été introduit au Tribunal où j’ai été condamné une peine de dix
ans.
La sœur des deux jeunes filles que j’avais tuées, Jeanne, est venue me voir dans l’ingando de R,
alors que je suivais un cours. Un ‘local défense’ est venu m’avertir que quelqu’une désirait me
voir. Je suis sorti et je l’ai trouvée où les visiteurs attendent les libérés… Quand j’ai reconnu
Jeanne, j’ai été un peu secoué par peur, mais j’ai essayé de garder mon sang froid. Après un
petit moment, j’ai repris courage. Quand elle m’a eu salué, je fus vraiment soulagé… Elle a
pris un bon moment pour me consoler, puis elle s’est exprimée en ces termes : ‘Je suis venue
vous voir pour vous dire que je vous souhaite la bienvenue’, et elle m’a donné de l’argent
(400 FRW) pour acheter un kilo de sucre. Mes amis m’ont demandé ce que Jeanne était
venue faire. Je le leur ai raconté, mais ils m’ont répondu que ce n’était pas possible, qu’il
devait y avoir quelque chose de caché derrière cette visite.
Après avoir quitté le camp de solidarité je me suis dirigé chez Jeanne que j’avais offensée.
Elle a été surprise de me voir venir chez-elle, mais elle m’a bien accueilli et nous nous
sommes entretenus longuement. Elle m’a dit qu’elle était vraiment contente de me voir et
qu’elle était heureuse que ce soit moi qui aie pris l’initiative de lui rendre visite. Elle a ajouté
que les portes de sa maison m’étaient ouvertes à n’importe quel moment. J’ai été vraiment
soulagé. Je lui ai dit que je venais chez elle lui demander pardon et elle m’a répondu: ‘Le
Gouvernement vous a pardonné et moi je ne peux pas vous le refuser. N’ayez pas peur de
venir ici, il y a de quoi manger, il y a de quoi boire, ne soyez pas isolé. Venez ici, il y a la
sécurité’. Elle m’a donc fait la preuve de son soutien total.”
- Gakenke, Umutara, 21 mars 2003 -

Au-delà de la sincérité douteuse de certains pardons, ce qui semble de plus en plus choquer
les rescapés, c’est cette attitude de nombreux ex-détenus qui, estimant que l’Etat leur a
pardonné (certains étendant même ce pardon à Dieu), exigent des rescapés qu’ils fassent de
même, comme si ce pardon leur était dû. Certains d’entre eux vont même jusqu’à se
comporter, durant les présentations ou lors des réunions gacaca, comme des “agents
[autoproclamés] de l’Etat”, “chargés de dire la vérité sur le génocide”86.
Un certain parallélisme d’attitude peut être souligné à cet égard entre la période actuelle et
celle du génocide. En effet, ce comportement, qui consiste à se considérer comme une
sorte “d’agent [autoproclamé] de l’Etat ”, est malheureusement une attitude que l’on
retrouve chez beaucoup de tueurs en 1994. Bon nombre d’entre eux se comportaient
pendant le génocide comme des “agents d’Etat” “chargés de tuer tous les Tutsis, sans exception”.
Sur ce point nos observations récentes viennent corroborer les analyses présentées dans le Rapport III, PRI,
Kigali, p. 17
86

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

60

Le témoignage de L (un de ces jeunes devenus chefs) illustre cela: “J’étais jeune responsable des
tueries pour la cellule de M [Nyamata], c’était bien sûr nouveau pour moi. Je me levais donc plus tôt que
les avoisinants pour détailler les préparatifs. Je sifflais l’appel, je hâtais le ralliement, je semonçais les
dormants, je comptais les manquants, je vérifiais les causes d’absence, je distribuais des recommandations.
Si un sermon ou une déclaration se présentait, suite à une réunion des encadreurs, je les faisais sans détour.
Je donnais le signal du départ ”87.
Malgré ces attitudes, certains détenus font tout de même des aveux sincères et sont en cela
porteurs d’un espoir pour la réconciliation. Toutefois la réintégration se joue à deux, et
dans ce processus les rescapés ont aussi toute leur place.

Le pardon des rescapés
De nombreux prisonniers, libérés ou non, avancent l’argument selon lequel le
gouvernement les ayant pardonné, les rescapés doivent faire de même. Et de fait, bien des
rescapés se sentent dans l’obligation de pardonner :
“Le gouvernement vous a pardonné et moi je ne peux pas te le refuser.” (cf. femme
rescapée, le cas de Steph).
Ou encore : “Nous ne pouvions demander des explications nulle part étant donné que c’est
le pouvoir qui avait libéré ces personnes. Pourtant, le pouvoir aurait dû prendre en
considération nos intérêts en ne les libérant qu’après les avoir jugées.”

La décision de libération émanant des autorités, les rescapés ont tendance, spontanément,
à intérioriser une obligation de pardon, sans que personne n’ait à intervenir.
Toutefois, il existe également des cas concrets de pressions exercées sur les victimes,
parfois avec les meilleures intentions. Ainsi, dans bien des cas, les rescapés accordent leur
pardon car c’est le “pouvoir”, “l’Etat” ou “l’Eglise”, qui le leur demande. Généralement, ils
n’osent pas refuser, surtout dans une réunion publique. Cela alors même que, souvent, ils
préfèreraient “demander justice, point ” au lieu de “pardonner un génocidaire”, surtout si ce
dernier risque de redevenir leur voisin sur la colline.
Le cas de Murama constitue un bon exemple de cette obéissance aux autorités dans l’octroi
du pardon :
Une responsable locale de Murama avait constaté qu’une femme rescapée présentait
d’importants problèmes psychiques. Or, les autres rescapés ont essayé de convaincre cette
femme de se faire passer pour plus gravement traumatisée qu’elle ne l’était en réalité,
l’objectif étant de dramatiser ses réactions quant au retour des ex-prisonniers, afin d’essayer
de faire retourner certains libérés en prisons.
La responsable locale a fait comprendre à cette femme rescapée qu’elle ne devait pas se
prêter à une telle manipulation, malgré ses différents problèmes. La rescapée a tout de suite
accepté. Par la suite, la responsable a contacté un agent de l’Unité et Réconciliation afin de
trouver des solutions au cas où des tentatives similaires se répéteraient. Elle a invité quelques
rescapés, particulièrement touchés par les événements de 1994 mais prêts à pardonner, et des
libérés pour leur parler de la réconciliation, tout en leur demandant de se demander pardon
et de se pardonner. Ainsi, chaque libéré se mettait debout face au rescapé, afin d’expliquer
comment il avait accompli ses crimes et finissait en demandant pardon. Suite à quoi, le

87

Jean Hatzfeld, 2003, p. 19

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

61

rescapé se mettait à son tour debout et accordait le pardon qui venait de lui être sollicité.
Ainsi de suite jusqu’à la dernière personne.
La responsable raconte : “Alors, quand est venu le tour du libéré qui avait commis des
crimes contre cette femme particulièrement traumatisée, elle a fondu en larmes suite au récit
de ses actes. Mais elle a toutefois fini par se calmer, suite aux regards que nous nous
échangions qui lui rappelaient les conseils que je lui avais donnés. Lorsque son tour est venu
d’accorder son pardon, j’étais exaltée de joie d’entendre cette femme octroyer son pardon
par ces mots : “Si tu as été réellement franc dans ce que tu as dit, je te donne le pardon que
tu viens de me demander”. Suite à ce pardon, deux autres personnes qui avaient commis des
crimes la concernant lui ont à leur tour demandé pardon. Et heureusement, la femme a bien
accepté de leur donner aussi ce pardon !”
Heureuse des effets de cette rencontre, la responsable a acheté sur son propre argent de la
boisson et en a distribué aux rescapés et libérés, leur expliquant que le partage de cette
boisson serait le symbole de leur réconciliation. Suite à quoi, elle reprend en expliquant que :
“Néanmoins, cette femme a hésité à partager avec son libéré. Directement, je l’ai regardée et
elle s’est mise debout avec courage et s’est dirigée à côté de ce libéré là. Sans hésitation, elle
s’est mise à partager avec ce libéré. C’était peut-être le début d’un processus de la
réconciliation entre ce libéré et cette femme. ”
- Murama, Kayove, juillet 2003 -

On notera sur ce point que les pressions exercées sur les deux parties, même avec de
bonnes intentions, pour que le pardon soit demandé et accordé, ne nous paraissent pas la
meilleure façon, sur le long terme, de garantir la réconciliation puisqu’elles conduisent à
douter de la sincérité de chacun.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

62

Conclusion
Les vécus et les comportements des uns et des autres soulèvent la question de la portée
réelle de ce qui peut se jouer dans la gacaca, dans une perspective à long terme de
réconciliation. Un des éléments novateur et porteur d’espoir du processus gacaca est
d’appeler à la participation de tous afin de tenter de rouvrir un espace de parole comme
première étape vers un rapprochement des membres de la communauté.
Or, il nous semble que les perceptions et projections des uns et des autres sont
divergentes. Tous disent, même s’ils n’y croient pas vraiment, que la gacaca est importante
et qu’elle va contribuer à la réconciliation. C’est presque le seul point sur lequel ils se
retrouvent.
Ces témoignages recueillis fin mai 2003 (à Gitesi/Ruhango) nous paraissent
caractéristiques des prises de positions entendues de part et d’autres lors de nos
recherches :

Points de vue des rescapés

Points de vue des libérés et de leurs familles

“- Les juridictions gacaca sont nécessaires et toute personne
qui raisonne ne peut pas nier l’importance de ces
juridictions.
Tu comprends qu’il sera difficile de connaître la vérité, car :

- “Après les réunions gacaca auxquelles je viens d’assister,
j’ai le sentiment que les juridictions gacaca contribueront à la
réconciliation.

- Ceux qui avaient dit la vérité avant vont essayer de mentir.
Pour te dire la vérité, ce ne sont que les rescapés, qui sont
(…) très peu nombreux dans cette région, qui assistent aux
réunions de la juridiction gacaca.
- Au cours des deux dernières réunions de la JG, les
détenus récemment libérés ont témoigné sur les faits qu’ils
ont reconnus. Mais, nous avons l’impression que ces
détenus en aveux, soit essaient de se disculper en chargeant
d’autres personnes, soit, avouent très peu de choses par
rapport à ce qu’ils ont commis. Tu vois, la plupart d’entre
eux sont nos voisins. Il y a des choses que nous autres,
rescapés du génocide, connaissons en ce qui les concerne.
Et souvent on est surpris de voir qu’ils avouent très peu de
choses en disant qu’ils ont uniquement commis des actes de
pillage alors qu’ils ont tué des gens. Bref, nous avons
l’impression qu’ils ne disent pas la vérité de façon qu’on ne
puisse pas savoir si ce qu’ils nous disent ici est réellement ce
qu’ils ont avoué en prison. On ne sait pas pourquoi.
- Leurs aveux ne suffisent pas et ne correspondent pas avec
l’esprit de la gacaca. Par exemple, il y a quelqu’un qui, dans
ses aveux, a dit que les gens sont venus, qu’ils lui ont donné
l’ordre de se lever, qu’il a ensuite pris sa veste et les a suivis.
Quelqu’un d’autre te dira qu’il a pillé les vaches de tel.
L’autre te dira qu’on lui a dit d’emmener les enfants de tel
sans pour autant dire qu’il les a tués de sorte qu’on a
l’impression que tout le monde évite de dire qu’il a tué.
Jusqu’à présent, personne ne reconnaît avoir commis un
meurtre. Tout le monde fait tout pour esquiver ce point.”

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

- Nous sommes en train d’essayer de dire la vérité et de dire
ce que nous avons vu. ”
- Sauf que j’ai déjà observé un problème avec les
témoignages des rescapés du génocide. Les rescapés sont
des gens qui ne savent pas ce qui s’est passé parce qu’ils
s’étaient cachés (…).
- Nous ne sommes pas d’accord avec les témoignages qu’ils
donnent sur certains points. Il nous est arrivé de donner
nos témoignages avec la conviction que nous disions la
vérité. Pourtant, les rescapés disaient que nous mentions et
semblaient nous demander de dire une autre vérité, alors
que nous avions le sentiment d’avoir dit cette vérité. Tel est
le problème que j’observe actuellement.
- Moi je pense que la vérité existe. Les faits ont été commis
en plein jour, au milieu de nous tous. En ce qui nous
concerne, nous disons la vérité. Il faut plutôt que les
rescapés essaient de voir cette vérité. Il est vrai que les gens
sont morts. Certains, parmi ceux qui les ont tués sont en
prison. Certains parmi eux n’ont pas avoué leurs forfaits,
tandis que d’autres sont morts. Pour d’autres encore, nous
ne connaissons pas leurs adresses actuelles. Quant à moi,
par exemple, personne ne me charge de faits tangibles et
tout le monde le sait. Il est vrai que j’ai participé aux
expéditions meurtrières, mais je n’ai personnellement tué
aucune victime.
- Du reste, si la gacaca poursuit ses travaux aussi
normalement que nous l’observons aujourd’hui, et si nous
continuons à avouer les faits que nous avons commis, elle
peut nous faire parvenir à la réconciliation.”

63

Recommandations
Sur les lois, projets de lois et statistiques :
Sur la coopération interministérielle
La loi portant création du nouveau Service National des Juridictions Gacaca (SNJG) lui attribue
une fonction de coordination. Néanmoins, aucune coopération avec les autres ministères, en
dehors du Minijust, ne semble prévue. Ceci, alors même que ces autres ministères jouent
actuellement un rôle important de coordination dans le cadre du programme gacaca, appelé pour
certains à s’étendre, comme dans le cas du Minaloc.
En cela, le fait que le Plan sectoriel de la Police Nationale prévoit explicitement un programme
de protection des témoins pour les témoignages à huis clos, alors que le SNJG ignorait jusqu’à
l’existence de cette mesure, nous semble illustrer ce manque de coordination.

Nous recommandons la mise en place d’un système de coopération entre les ministères
impliqués dans le programme gacaca, permettant une meilleure circulation de
l’information et donc une efficacité accrue du processus et de son fonctionnement.
Sur la nécessaire prise en compte de la réalité judiciaire rwandaise

A partir des statistiques produites par le Gouvernement sur la base du travail déjà réalisé par les
juridictions pilotes, qui chiffrent à environ 50 000 le nombre de personnes déjà inscrites sur les
listes des accusés, on peut estimer qu’au niveau national, les juridictions auront à traiter d’au
moins 607 000 cas d’accusation de participation au génocide.

Par conséquent, nous recommandons aux autorités d’envisager les implications de
telles prévisions sur le processus gacaca.
Face à ce dilemme, combinant un nombre colossal de personnes à juger et la réalité des
moyens judiciaires rwandais, nous encourageons à la recherche de solutions de justice
appropriées.
Sur les leçons à tirer du fonctionnement des juridictions pilotes
♦ Les modifications que semblent apporter le nouveau projet de loi nous paraissent pouvoir à
certains égards contribuer à une amélioration du fonctionnement des juridictions gacaca, tout en
allégeant leur coût. Néanmoins, nous aimerions souligner certains points :
• Les problèmes mis en avant par le fonctionnement des juridictions pilotes, comme le
manque de participation de la population, de formation des juges, ou encore d’implication
des autorités locales88, ne nous paraissent toujours pas suffisamment pris en compte dans
les modifications proposées.

Nous recommandons que l’ensemble des problèmes posés lors de la phase pilote
soient étudiés en vue d’apporter les modifications nécessaires au bon déroulement
du processus dans sa phase nationale.

88

Cf. les recommandations des précédents rapports PRI

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

64

• La proposition d’organiser deux à trois séances par semaine afin d’accélérer le processus
ne nous semble pas réaliste. Même si, contre rémunération, on peut imaginer que les juges
intègres peuvent accepter ce rythme, il nous paraît impossible à suivre par la population, qui
constitue l’Assemblée Générale, et dont la participation est indispensable à l’établissement
de la vérité.

Nous recommandons la prise en compte des réalités constituant le quotidien en
grande partie agricole de la population des collines (qui représente la majorité de la
population rwandaise) et une adaptation du rythme des séances à ces dernières.
♦ Nous voudrions par ailleurs réitérer les recommandations formulées lors d’un précédent
rapport de janvier 2002 qui proposait “ de réfléchir à ce problème des ‘nouveaux détenus du
génocide’ [ou accusés] (…) et d’envisager des alternatives à l’emprisonnement qui soient
proposées avant toute incarcération : par exemple le travail d’intérêt général qui représenterait non pas
la moitié mais l’intégralité de la peine, ou des libérations conditionnelles, et/ou une version rwandaise de la
Commission Vérité et Réconciliation sud-africaine (…)”.
• Depuis janvier 2002, certaines mesures ont déjà été mises en œuvre telles que les
libérations provisoires et conditionnelles. Il est aujourd’hui envisagé des condamnations à
des peines “avec sursis” liées aux peines de TIG. Cette solution nous semble particulièrement
intéressante, surtout si elle est combinée avec l’idée d’une peine de Travail d’Intérêt Général
qui représenterait non pas la moitié, mais l’intégralité de la peine.
Cependant, si cela constitue une solution à la gestion de l’inflation du nombre de personnes
appelées à être emprisonnées après jugement, il convient de noter que ce mécanisme risque
de générer de l’incompréhension et de choquer profondément les rescapés en étant
interprété comme une forme d’amnistie.

Si une telle solution devait être retenue, nous recommandons la mise en place d’une
importante campagne de sensibilisation sur ce thème.

• Une révision de la catégorisation des complices permettrait également de différencier ces derniers
des vrais auteurs de crimes de génocide, y compris de viols.
Nous constatons en effet, au fur et à mesure de la mise en place du processus, que la liste
des accusés est beaucoup plus importante que ce qui était envisagé au départ. Ne serait-ce
pas le moment de réfléchir à une solution permettant de catégoriser les accusés de manière
plus précise et d’adapter les peines en fonction, afin d’éviter un engorgement qui serait fatal
aux juridictions gacaca ? Tout comme en 1997, où le Rwanda a réalisé que les juridictions
classiques ne pourraient venir à bout du contentieux du génocide en moins d’un siècle, il
nous semble que le Rwanda est de nouveau face à un terrible dilemme de justice devant être
rendue, face à un nombre démesuré d’accusés et des moyens extrêmement limités.

Au regard des problèmes aujourd’hui rencontrés par le processus gacaca nous
recommandons au gouvernement de prendre en considération l’ensemble des
alternatives permettant un règlement plus rapide, tout en restant juste, du contentieux
du génocide.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

65

Sur les camps de solidarité et l’histoire enseignée :
♦ Il convient de noter, qu’en comparaison avec les discours historiques antérieurs, celui
enseigné dans les camps est plus proche de ce qui est admis par la communauté des historiens.
Cependant, certaines entorses à la réalité historique demeurent. Il en est ainsi de la vision
pacifiste et idéalisée des autorités et élites rwandaises, notamment pendant les périodes précoloniale et coloniale. Cela nous semble les dédouaner de leurs responsabilités, imputant
parallèlement toute la responsabilité de la préparation du génocide aux colons.

Nous recommandons le réajustement de ces enseignements à la réalité historique, dans
la mesure où ils nous semblent conduire à une dynamique générale de
déresponsabilisation. Celle-ci peut s’avérer très préjudiciable tant à court terme
concernant l’investissement des accusés dans le processus gacaca, qu’à long terme
pour la réconciliation.
En cela, la mise en place d’un groupe de travail rassemblant des historiens de tous
bords, voire quelques experts internationaux, en vue de la réalisation d’un livre
d’histoire du Rwanda, pourrait être une contribution utile, permettant notamment
l’instauration d’une distance critique.
Dans cette même optique, la mise en place de programmes d’éducation civique,
amenant les Rwandais à réfléchir sur les notions d’obéissance à l’autorité et de
responsabilité individuelle, nous paraît indispensable dans le cadre de la prévention de
nouveaux conflits violents.
Il nous semble également que ces enseignements cherchent à nier ce que fut et demeure la
place de l’ethnie dans la conscience collective rwandaise. Le fait de nier la notion d’identité
ethnique dans la tentative de construction d’une identité globale rwandaise à laquelle elle
s’opposerait, nous paraît fortement préjudiciable sur le long terme. Ceci ne correspond pas à la
réalité et tend à étouffer l’expression au sein de la société rwandaise.

S’il est en effet crucial de déconstruire le discours néfaste et conflictuel trop longtemps
lié à la question des ethnies au Rwanda, nous recommandons malgré tout la prise en
compte du concept d’identité ethnique, afin que celui-ci ne soit plus pensé sous l’angle
de l’antagonisme, mais sous celui de la construction identitaire différente et
complémentaire.

Sur la réconciliation :
♦ Il nous paraît indispensable que les comportements violents, conduisant aux meurtres de
rescapés ou libérés, et membres de leurs familles, fassent l’objet immédiat d’enquêtes puis de

procès rapides, justes et équitables. Nous invitons le Gouvernement à être
particulièrement vigilant sur cette question qui se pose inévitablement après la libération
des anciens détenus.

♦ Nous souhaitons également attirer l’attention du Gouvernement sur les entorses à la

vérité dont se rendent coupables les libérés pour ne pas retourner en prison, et les
rescapés pour les y envoyer à nouveau. Cela conduit à un affaiblissement du processus
judiciaire de règlement du contentieux du génocide, tant dans son fonctionnement, que
dans sa portée symbolique sur le long terme.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

66

Glossaire∗
Bazungu : les blancs, les européens, populations blanches (sing. Muzungu)
Gacaca : littéralement « gazon », réunion des gens pour régler un litige à l’amiable, ou pour tenter
de réconcilier des personnes ; par extension, nom donné au lieu où ces gens se réunissent et
aujourd’hui aux nouvelles juridictions chargées de juger, en partie, le contentieux du génocide
Ibuku : carnet ou carte d’identité
Ikiboko : fouet
Ingando : terme utilisé pour les “camps de solidarité”, littéralement signifie étape (lieu d’arrêt ou
de cantonnement) ; campement pour plusieurs personnes
Inkotanyi : littéralement « combattants infatigables », nom que se donnaient les membres du
FPR en référence à une armée du dix-neuvième siècle. Aujourd’hui, le sigle du FPR est toujours
doublé du terme Inkotanyi
Igitero : troupe de guerriers qui vont au combat, armée en marche
Interahamwe : milice du MRND, littéralement signifie ceux qui travaillent ensemble
Intore : vertueux, talentueux, dont la considération repose sur le mérite reconnu à un groupe de
combattants
Inyamugayo : personne intègre, juges gacaca
Kubandwa : initiation à la religion ancestrale
Kugororerwa : don réciproque de vaches
Kunywana : pacte de sang
Ubuhake : servage
Uburetwa : corvée, journées de travail gratuites que prestait le corvéable chez le patron ou chef

terrien.

Ubusabane : partage
Umudugudu : village, agglomération
Umuganda : travaux communautaires
Umukonde : propriétaire terrien



Source : Jacob, Irénée, Dictionnaire Rwandais-Français en trois volumes, Extrait du dictionnaire de l’Institut National de
Recherche scientifique, date indéterminée

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

67

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juridictions gacaca des Cellules opérationnelles et programmes d’activités à venir, Kigali, 21 janvier 2004

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

70

Lois et projets de lois cités
Loi organique “portant création des juridictions gacaca” du 26 janvier 2001, n°40/2000, Journal
Officiel de la République du Rwanda, 15 mars 2001
Loi “réprimant le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre”du 06
septembre 2003, n°33 bis/2003, Journal Officiel de la République du Rwanda, 1er novembre 2003
Ministère de la Sécurité intérieure, Police Nationale Rwandaise. Plan Stratégique 2004-2008, Kigali,
janvier 2004
Projet de loi “portant création, organisation, attributions et fonctionnement du Service National
chargé du suivi, de la supervision et de la coordination des activités des juridictions gacaca”, Kigali,
date indéterminée

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

71

Annexes
2

Annexe 1
Organigramme du SNJG _____________________________________________________ 73

Annexe 2
Compte-rendu de la réunion de coordination du processus gacaca s’étant tenue à l’Ambassade de
Belgique, le 5 mars 2003 ______________________________________________________ 74
Annexe 3
Document sur l’état d’avancement des activités des juridictions gacaca des Cellules opérationnelles
et programmes d’activités à venir, SNJG, 21 janvier 2004 _____________________________ 78
Annexe 4
“Les origines du génocide de 1994 au Rwanda” ____________________________________ 85
Annexe 5
Histoire du Rwanda selon des notes de cours prises dans l’ingando de Gishamvu ___________ 93
Annexe 6
PAPG, Rapport sur les cas d’assassinats commis contre certains rescapés de la province de
Gikongoro, 10 janvier 2004 __________________________________________________ 108
Annexe 7
CLADHO, Déclaration sur la sécurité des témoins dans le processus gacaca, 12 janvier 2004 113
Annexe 8
Présentation du colonel F. Rusagara sur le concept de camps de solidarité, conférence
internationale sur le Génocide, Kigali, avril 2004 __________________________________ 114

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

72

Annexe 1
Organigramme du SNJG

Comité exécutif
Secrétaire Exécutif

Secrétaire Exécutif Adjoint 1
(Répartition par zones)

Secrétaire Exécutif Adjoint 2
(Répartition par zones)

Secrétaire Général

Unité
des Relations
Publiques et Gestion
des Ressources
Internes
- Relations Publiques,
Information et
Communication
- Secrétariat Central
- Gestion et
développement des RH
- Finance et Comptabilité
- Logistique
- Charroi
- Secrétaires
- Chauffeurs

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

Unité
Planification,
Statistiques et
Documentation
- Planification et
Elaboration des
projets
- Statistiques et
informatique
- Documentation:
*Bibliothécaires
*Archivistes
*Production des
rapports

Unité
Formation,
Mobilisation et
Sensibilisation
- Développement des
programmes de
formation,
mobilisation et
sensibilisation
- Evaluation d’impact
des formations

Unité
Appui Juridique

- Conseillers
- Contentieux et
base des données

73

Annexe 2
Compte-rendu de la réunion de coordination du processus gacaca s’étant
tenue à l’Ambassade de Belgique le 5 mars 2003

Réunion de Coordination Processus Gacaca.
Ambassade de Belgique, 5 mars 2004 à 10h00.
Une liste des personnes présentes se trouve en annexe, ainsi que leurs adresses e-mail.
La réunion a été ouverte par l’Ambassadeur de Belgique.
La Secrétaire Exécutive du Service National des Juridictions Gacaca a reçu la parole et a parcouru
les différents points à l’ordre du jour.
1. Nouvelle loi
Contrairement à ce qui était annoncé lors de la réunion avec certains bailleurs, la nouvelle version
de la loi sur la gacaca n’est pas disponible parce que certains points sont encore en discussion au
sein du Gouvernement.
Les points sur lesquels il y a déjà un accord concernent les modifications suivantes :
- Il y aura des juridictions à deux niveaux : cellule et secteur. Au niveau du secteur,
une juridiction d’appel séparée sera établie. La raison invoquée est que la distance entre
les lieux des faits et des jugements éventuels au niveau des Districts et Provinces est trop
grande (recherche de proximité des jugements) et que les frais de déplacements seraient
trop élevés. + nombre de juridictions niveau district/province trop faible par rapport au
nombre de cas à traiter.
- Il n’y aura plus que 3 catégories, l’ancienne 3ème sera intégrée dans la deuxième. Le
raisonnement derrière ce changement est dû au problème que les juges rencontraient au
niveau de la catégorisation. L’ancienne catégorie 2 sera ainsi jugée au niveau du secteur au
lieu du district et l’ancienne 3ème qui était déjà prévue pour être jugée au niveau du secteur
y sera maintenue après passage à la catégorie 2. Par expérience, le nombre d’accusés dans
la catégorie 2 serait le plus élevé et donc leur jugement au niveau du secteur augmenterait
la proximité.
- Suite à l’absentéisme (quorum souvent non atteint), le nombre de juges est diminué de
19 à 9 juges. L’Assemblée Générale reste nécessaire pour la phase pré-juridictionelle
(réunion 1-6). La présence de 100 personnes reste obligatoire mais l’absentéisme sera
moindre vu la plus grande implication des autorités locales.
- Notion du sursis d’emprisonnement intégré dans la loi : Les présumés coupables qui
se trouvent actuellement encore en liberté sont évalués à 6 fois le nombre de prisonniers
incarcérés à ce jour. A noter que 70% des prévenus pourraient être rangés en catégorie 2.
Comme il est impossible d’envisager un emprisonnement d’autant de prévenus, le Service
National recherche actuellement comment mettre en place ce sursis d’emprisonnement.
Des consultations populaires seront encore organisées à ce sujet.
Des documents d’évaluation des premières phases seront envoyés aux participants. Les
problèmes rencontrés pendant ces phases sont solutionnés en changeant la loi organique et
en créant une structure séparée pour le service gacaca.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

74

2. Calendrier
La condition pour le lancement de la 3ème phase est la disponibilité de la loi révisée. La loi se
trouve au niveau du Gouvernement qui reconnaît l’urgence et envisage le mois de mai pour
la publication (ou début juin). A ce moment, il faudrait lancer les activités gacaca dans les
8253 cellules en phase pré-juridictionelle et le démarrage des procès dans les juridictions de la
1ère et 2ème phase qui ont terminé les 7 réunions. Néanmoins, il est indispensable que chaque
juridiction ait fini les 7 réunions avant la publication pour éviter des problèmes juridiques.
Actuellement, 80% (phases 1 et 2) seraient déjà à la fin. Les conseillers ont le rôle de pousser
le processus dans les juridictions restantes.
Les premiers jugements sont prévus 2 mois après le lancement de la 3ème phase et le
lancement des juridictions de secteur serait fait au même moment.

Questions – Réponses

Suite à ces informations, des questions ont été posées. La Secrétaire Exécutive a répondu à
chaque question. Ce rapport essaie de reprendre plutôt les informations nécessaires issues des
réponses.
-

Un plan d’action (2004-2006) et un plan opérationnel pour 2004 sont prêts et ouverts à la
consultation des bailleurs qui pourront s’inscrire dans ces plans. C’est le SNJG qui
coordonne l’aide et tout bailleur devra passer par ce service. Une réunion de diffusion de
ces plans est prévue pour le 4/04. Le SNJG est responsable de la facilitation du processus
et garde l’initiative. Les formations sont organisées directement par le SNJG au profit des
juges. Pour le moment, la position du SNJG est d’arrêter les formations et sensibilisations
en attendant la loi révisée sauf pour les sensibilisations générales.

-

Le SNJG organise des réunions de coordination avec les autres intervenants.

-

La durée totale du processus gacaca est inconnue. Le processus pourrait néanmoins être
accéléré si plus de moyens étaient disponibles. La possibilité d’organiser plus de jours de
travail (par semaine) dans les juridictions demande néanmoins plus de frais de
compensations pour des juges. Certains intervenants doutaient pourtant de cette
possibilité parce que ceci impliquerait encore plus de jours où les participants seraient
absents de leurs travaux et risque de diminuer leurs présences.

-

La partie des pénalités n’est pas encore finalisée dans la révision de la loi. La place des
TIG et indemnités est donc encore sous révision. TIG fait sûrement partie des peines
proposées. L’indemnisation pose problème parce que les capacités financières du Rwanda
ne permettent pas d’envisager des montants substantiels. Une indemnisation de type
social est plus envisageable. Il y aura des conséquences sociales et les revendications des
rescapés sont certes compréhensibles mais il s’agit d’un problème de la société rwandaise
dans son ensemble et cette société représentée par le Gouvernement doit y prendre ses
responsabilités et les accepter. gacaca est un moyen pour arriver à cette stabilisation de la
société. Il est estimé que 70% des accusés se trouvent dans la catégorie 2 donc punissable
jusque perpétuité. Il est inconcevable que ce nombre puisse être incarcéré.

-

Pour les accusés de la première catégorie, le même problème risque de se poser. Selon les
statistiques, il s’agirait de 10%, donc 50 à 60.000 personnes qui devraient être jugées dans
les 12 juridictions au niveau provincial. Il est probable qu’il faudrait revoir ceci et que
l’incarcération sera également adaptée. Leur nombre risque d’ailleurs de croître avec la
facilitation des témoignages liés aux viols (par l’intermédiaire d’une personne de confiance

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

75

ou par écrit) et l’inclusion des tortures des cadavres. (Avec la question de la qualification
de ces actes en catégorie 1 tandis qu’un raisonnement peut être développé pour la
personne qui préfèrerait torturer un cadavre plutôt que de tuer.) Mais ceci est encore sujet
à des consultations populaires.
-

La priorité sera donnée au lancement de la 3ème phase, à la collecte de l’information, à
l’opérationnalisation des 758 juridictions des phases 1 et 2 et aux jugements des libérés
par le Décret Présidentiel de janvier 2003. Les sans dossiers et les accusés de la 4ème
catégorie seront relâchés. Au 15 mars 04, 15.582 prisonniers de droit commun seront
libérés. Après la 10ème commémoration du génocide, d’autres prisonniers pourraient être
libérés par Décret Présidentiel. Ceci n’a aucun lien direct avec la commémoration du
génocide mais est dû à un problème de fermetures de prison. Il y aura nécessairement un
passage par des travaux communautaires.

-

Malgré cette libération, d’autres personnes sont arrêtées pour faux témoignages ou refus
de témoigner. Il est vrai qu’une adaptation de la peine s’impose et la loi révisée propose
des peines entre 7 jours et 3 mois. Il est néanmoins indispensable pour pouvoir atteindre
les objectifs de gacaca en matière de réconciliation et de connaissance de la vérité d’inciter
les gens à parler. Dans ce cadre, la proposition reprise dans le Plan Sectoriel de la Police
Nationale de protection des témoins par des témoignages à huis clos n’est pas approuvée
et inconnue par la SE.

-

La décentralisation est vue comme un avantage pour la mobilisation de la population et la
facilité de la gestion logistique et administrative. Les autorités administratives seront
responsables de la mobilisation mais ne pourront donner des injonctions aux juridictions.
SNJG garde les aspects coordination, recherche et assistance (matériel, logistique,
formation,…) au processus gacaca.

-

La couverture audiovisuelle des procès fait l’objet d’une réflexion et la partie rwandaise
s’orienterait vers un guichet unique89.

-

Si une personne est accusée dans plusieurs juridictions, elle devra apparaître dans chaque
juridiction. Le SNJG abandonne l’idée de rassembler toute l’information et de décider où
les accusés devront être jugés. Il est important, afin de connaître la vérité entière, que
chaque victime puisse se retrouver dans les jugements. La réconciliation ne sera possible
qu’à condition que chaque crime soit débattu et que des confrontations entre victimes et
accusés/coupables soient possibles pour tout acte commis.

La réunion s’est terminée par une demande de la coopération belge de bien vouloir
communiquer les activités de chaque intervenant afin de constituer une matrice reprenant
toutes les interventions en matière de gacaca.
La prochaine réunion est fixée pour le 20 avril 2004 à 10h00 à l’Ambassade de Belgique.
Dirk Brems
Attaché Coopération

Note de PRI : le guichet unique est un système qui rassemble plusieurs ministères de manière à coordonner et
faciliter la prise de décision
89

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

76

Liste des participants :
Christelle Jocquet
Etienne Squilbin
Jean-Claude
Desmarais
Pierre Dorbes
Verena C.
Münzenmeier
Michel Rwamirindi
Parsa Ahmad
Ellen Beijers
Pierre Charlier
Rachel Hayman
Jonet Jean Pol
Nkusi Augustin
Enrico Muratore
Maurits Van Der Ven
Hugo Jonbwe
Nyirindekwe JeanPaul
Paye Diaraf
Telesphore Kagaba
Kim Pease
Klaas De Jonge
Paras Jean-Charles
Francesca Pavarini
Didier Douziech
Nathalie Tulak
Lehmann Tine
Antranik Handoyan

CTB-BTC
btcctb.jocquet@rwanda1.com
SPF coopération belge etienne.squilbin@diplobel.fed.be
IRC
CICR

local@rwanda1.com
Kigali.kig@icrc.org

DDC/Coop. Suisse
DDC/Coop. Suisse
NPA
Amb. Pays Bas
Amb. Belgique
University of
Edinburgh

Kigali@sdc.net
Kigali@sdc.net
npajustice@rwanda1.com
ellen.beijers@minbuza.nl
pierre.charlier@diplobel.be

CTB/CS
SNJG
ASF-B
BAT SNJG
ASF-B
Cladho/Papg
OTP/ICTR
US Embassy
USAID
PRI
PRI
Commission
Européenne
DDC/Coop. Suisse
Coop. Française
UNDP
CDDH

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

r.c.hayman@sms.ed.ac.uk
jpol55@hotmail.com
coursupreme@rwanda1.com
nkusia@yahoo.fr
asfkig@rwanda1.com
mpvanderven@hotmail.com
asfkig@rwanda1.com
cladho@rwanda1.com
gacaca2@yahoo.fr
Paye@un.org
Kagabat@state.gov
kpease@usaid.gov
Klaaspri@rwanda1.com
Jcparas@penalreform.org
francesca.pavarini@eu.cec.eu.int
Kigali@sdc.net
tulaknathalie@yahoo.fr
tine.lehmann@undp.org
handoyan@hotmail.com

77

Annexe 3
Document sur l’état d’avancement des activités des juridictions gacaca des
Cellules opérationnelles et programmes d’activités à venir, SNJG, 21 janvier
2004

REPUBLIQUE DU RWANDA

SERVICE NATIONAL CHARGE
DES JURIDICTIONS-GACACA
B.P. 1874 KIGALI.

Document sur l’état d’avancement des activités des Juridictions gacaca des Cellules opérationnelles
et programmes d’activités à venir

I. Introduction
Les Juridictions gacaca ayant commencé leurs activités en première phase en Juin 2002 sont au
nombre de 80, qui sont opérationnelles dans 12 secteurs choisis sur base d’un secteur qui a le plus
adhéré à la procédure d’aveux dans chaque province et ville de Kigali. L’objectif était de suivre de
près leur fonctionnement en vue d’apporter des corrections à temps, mais également démarrer
toutes les Juridictions gacaca.
Ainsi en Novembre 2002, les autres Juridictions gacaca ont dû commencer dans un des secteurs de
chaque District et Ville. Depuis lors, 758 Juridictions gacaca sont déjà opérationnelles dans 118
secteurs.
II. Etat d’avancement des activités des Juridictions gacaca
Parmi ces Juridictions gacaca, 105 ont déjà terminé la 7ème réunion, c’est à dire la tâche de
confectionner les dossiers des accusés mis sur la liste, ainsi que leur catégorisation selon la gravité
des crimes retenus à leur charge. Il ne leur reste que le jugement proprement dit.
A l’exception de celles mentionnées ci haut, la quasi-totalité des autres Juridictions gacaca sont
dans leur 7ème réunion.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

78

Tableau récapitulatif des activités réalisées :
Provinces/Ville Aveux
Détentions Libérations
de Kigali
devant les provisoires par les
Juridictions
Juridictions
gacaca
gacaca
dans leur
compétence
Ville de Kigali 73
84
24
Kigali Ngari
198
9
52
Gitarama
225*
4
5
Butare
250
9
50
Gikongoro
32
10
7
Cyangugu
94
39
7
Kibuye
62
0
0
Gisenyi
129*
35
58
Ruhengeri
51
21
8
Byumba
91
2
5
Umutara
162
42
16
Kibungo
382
42
50
Total
1749
297
282

Listes
des
accusés
élaborées
par les
Parquets
5.085
9.505
12.969
4.422
2.239
3.888
3.904
1.053
670
1.497
2.330
9.201
56763

Listes des
accusés
élaborées
par les
Juridictions
gacaca
4.652
6.657
7.506*
5.298
2.812
3.071
3.796
4.151
1.992
1.764*
2.167
6.117
49.983

Les
accusés
dont les
dossiers
sont déjà
complets
298
349
230
773
134
643
236
1380
838
999
692*
441
7.013

*Dans ces provinces, les nouveaux chiffres n’étaient pas disponibles jusqu’à la rédaction du
présent rapport.
Synopsis des dossiers déjà transmis au Service National chargé des Juridictions gacaca et
leur catégorisation :
Provinces/Ville Nombre
de Kigali
total des
personnes
catégorisées
Kigali Ville
295
Kigali Ngari
209
Gitarama
1.662
Butare
119
Gikongoro
29
Cyangugu
188
Kibuye
175
Gisenyi
451
Ruhengeri
64
Byumba
102
Umutara
223
Kibungo
274
Total
3.791

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

1ére
catégorie

2ème
catégorie

3ème
catégorie

4ème
catégorie

62
8
136
6
2
9
15
35
11
4
32
16
336

170
161
1.211
54
8
53
109
345
24
61
94
102
2.392

43
2
120
36
14
53
44
18
2
2
43
93
470

20
38
195
23
5
73
7
53
27
35
54
63
593

79

Tableau récapitulatif des Juges remplacés :
Provinces/Ville de Kigali

Nombre total des Juges
remplacés

Ville de Kigali
Kigali Ngari
Gitarama
Butare
Gikongoro
Cyangugu
Kibuye
Gisenyi
Ruhengeri
Byumba
Umutara
Kibungo
Total

158
236
77
54
123
43
188
116
43
67
129
85
1319

Les Juges remplacés après
avoir été chargés pour
génocide
50
125
42
35
47
27
123
90
14
20
39
44
656

III. Programme urgent en vue
¾ La Formation :
Au moment où nous nous préparons à démarrer les Juridictions gacaca partout dans le pays, une
formation en deux phases est en cours de préparation :
-

La formation des formateurs des Juges ;
La formation proprement dite des Juges.

- La formation des formateurs des Juges :
Pour former 156.807 Juges recensés dans 8.252 cellules devant démarrer leurs activités dans la
troisième phase, il faut au moins 842 formateurs.
En plus de 342 agents du Service National chargé des Juridictions gacaca qui joueront un rôle dans
la formation, on a prévu 500 Consultants formateurs gacaca pour épauler le personnel existant
dans cette formation des Juges.
La formation des formateurs sera organisée au Bureau de chaque Province et Ville de Kigali,
après la sensibilisation dans sa première phase (où on organise de grands rassemblements de la
population). Ces dits agents peuvent jouer un rôle dans cette sensibilisation (il suffit de voir
comment le faire avec le MINIJUST).
- La formation des Juges :
Bien qu’ils aient reçu une formation dans le passé, il y a bientôt deux ans sans qu’ils aient mis en
pratique les acquis de la formation. Il s’avère important de les recycler.
Le recyclage sera organisé au niveau de chaque secteur, en rassemblant les Juges de deux ou trois
cellules pendant deux jours successifs. Cette action sera accomplie par ceux-là mêmes qui auront
été formés au niveau de la Province et la Ville de Kigali. Ces formations pourraient commencer
PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

80

après la sensibilisation intense de la population dans sa première phase parce qu’elle doit être
continue.
Tableau indiquant le nombre de Juges à former :
Provinces/Ville Nombre
de Kigali
total des
Juridictions
gacaca dans
tout le pays
Ville de Kigali 221
Kigali Ngari
1.179
Gitarama
1.070
Butare
678
Gikongoro
836
Cyangugu
688
Kibuye
609
Gisenyi
859
Ruhengeri
941
Byumba
782
Kibungo
733
Umutara
415
Total
9.011

Nombre de
Juridictions
gacaca à
démarrer

Nombre de
Juges
aujourd’hui
opérationnels

170
1.074
987
643
785
638
563
779
871
719
661
363
8.253

969
1.995
1.577
665
969
950
874
1.520
1.330
1.197
1.368
988
14.402

Nombre de
Juridictions
gacaca
aujourd’hui
opérationnelles
51
105
83
35
51
50
46
80
70
63
72
52
758

Nombre de
Juges à
former
3.230
20.406
18.753
12.217
14.915
12.122
10.697
14.801
16.549
13.661
12.559
6.897
156.807

¾ La Sensibilisation :
Avant, pendant et après la formation des Juges, nous voudrions que tous les rwandais, du plus
petit au plus grand, soient recyclés au sujet des Juridictions gacaca.
Les autorités à tous les échelons doivent les inclure dans leurs programmes selon le plan d’action
du Ministère de la Justice parce qu’il y a des gens qui n’ont pas encore atteint la même
compréhension quant aux bienfaits des Juridictions gacaca.
¾ Le démarrage des Juridictions gacaca restantes (3ème phase : 8252 Juridictions
gacaca) :
Nous voudrions qu’à la fin de la formation des Juges, ainsi que la sensibilisation des rwandais en
général, soient démarrées toutes les juridictions gacaca parce que presque toutes les conditions ont
été réunies. Nous souhaitons lancer cette action tout juste après la sensibilisation intense. La date
sera confirmée dans une séance du Conseil des Ministres.
¾ Le démarrage des procès proprement dits dans les Juridictions ayant parachevé la
collecte des informations :
La phase des procès pour les Juridictions gacaca ayant terminé ou presque terminé la 7ème réunion,
est nécessaire et beaucoup trop attendue.
Mais ceci pose comme préalable, la résolution du problème de compensation pour déterminer si
on va appliquer le système de barème ou de forfait.
Il est aussi impératif de commencer par la révision de la Loi Organique portant création des
Juridictions gacaca, surtout que dans les Juridictions déjà opérationnelles, on a remarqué des
PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

81

personnes ayant commis des crimes dans plusieurs cellules parmi lesquelles certaines n’ont pas
encore commencé leurs activités. La loi stipule que le Service National des Juridictions gacaca est
le seul à gérer les conflits en rapport avec la compétence de la Juridiction au cas où beaucoup
d’autres peuvent exercer la même compétence sur l’accusé. Dans l’état actuel des choses, nul
doute que le Service National chargé des Juridictions gacaca ne s’occuperait que des conflits de
compétence interminables car la plupart des accusés ont perpétré leurs forfaits dans différents
endroits. Après la levée de ces ambiguïtés, les Juges pourraient être formés au sujet des audiences
pour les procès proprement dits.
IV. Les obstacles rencontrés et les voies de solution :
Le rapport trimestriel brosse le tableau des obstacles rencontrés au cours du trimestre et les voies
de solution préconisées pour parer à ces obstacles. Les obstacles qui ressortent de tous les
rapports sont notamment les suivants :
‰

Certaines autorités de base n’ont pas fait du programme des Juridictions gacaca
leur cheval de bataille

Comme l’indiquent bon nombre de rapports, depuis le démarrage de la première et de la
deuxième phase des Juridictions gacaca, on a remarqué moins de problèmes là où les autorités,
surtout au niveau des Districts et Villes, se sont investies dans les juridictions gacaca en s’associant
avec la population dans leurs réunions de sensibilisation à la participation active aux Juridictions
gacaca, tout en dissipant la peur qui règne chez la population à propos de ces Juridictions.
Aussi longtemps que les autorités, surtout au niveau des Districts et Villes, ainsi que les autorités
à l’échelon inférieur, n’ont pas encore convaincu la population de l’importance de ce programme
comme ils l’ont fait lors des élections, la Constitution, la sécurité, pour ne citer que celles-là, les
Juridictions gacaca ne jouiront jamais de leur juste valeur au sein de la population.
‰

Certaines autorités de base accusées de génocide

Lorsque certaines autorités administratives de base sont mises sur la liste des accusés préparée par
les Juridictions gacaca de la cellule, elles font tout pour entraver la participation de la population
aux Juridictions gacaca.
En l’absence du suivi de la part des autorités supérieures (Districts et Villes), la Juridiction gacaca
n’avance pas à cause d’une seule personne mise sur la liste.
‰

Ingérence des autorités administratives de base dans les activités des juridictions
gacaca

A certains endroits, on retrouve des coordinateurs des Cellules et des Secteurs qui cherchent à
avoir la main mise sur les réunions des Juridictions gacaca, et ne semblent pas convaincus quand
on leur signifie que leur rôle se résume en la sensibilisation pour la participation de la population
aux Juridictions gacaca. Ceci dégénère en conflits entre les deux organes.
L’autorité du District/Ville doit ramener les choses dans l’ordre, autrement les réunions cessent
d’avoir lieu.
‰

Faible taux de participation à l’Assemblée Générale des Juridictions gacaca des
Cellules

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

82

L’Assemblée Générale des Juridictions gacaca des Cellules se réunit valablement à la présence d’au
moins 100 personnes adultes âgées de 18 ans au moins, résidant dans la Cellule. On a remarqué
que, dans la plupart des cas, les réunions sont remises faute du quorum n’atteignant pas les 100
personnes, non pas parce que le nombre des résidents est insuffisant, mais plutôt parce que les
uns viennent, d’autres ne viennent pas, et les absents ne répondent jamais de leur
insubordination, surtout que les organes de l’autorité administrative ne se manifestent pas.
Dans ce cas, la situation empire du jour au lendemain parce que ceux qui étaient venus la fois
passée, manquent au prochain rendez-vous, et le cycle vicieux paralyse la Juridiction. Les Juges en
sont aussi découragés, surtout qu’ils sont des citoyens comme les autres qui travaillent
bénévolement et certaines assemblées générales n’atteignent jamais le quorum exigé, autant pour
les membres du Siège (15 personnes au moins ).
A partir des leçons tirées des Juridictions gacaca, tant de la première que de la deuxième phase, la
population confirme la thèse que lorsque l’autorité administrative s’atèle à tel ou tel programme
en collaboration avec la population, sa réussite est assurée.
Le problème réside dans le fait que certaines autorités administratives délaissent les Juridictions
gacaca des Cellules et des Secteurs sans pouvoir de décision à l’encontre des personnes défaitistes.
Dans la Ville de Kigali, les autres villes, tout comme partout ailleurs, les intellectuels, les gens
civilisées, ainsi que les personnes aisées, semblent ne pas être concernés par les Juridictions gacaca.
‰

Empiètement des réunions ordinaires sur le programme des Juridictions gacaca

A l’exception des programmes urgents et spéciaux, aucun autre programme ne devrait faire
ajourner la réunion de la Juridiction gacaca, surtout que ce programme est connu dans la Cellule, le
Secteur, le District et la Ville, jusqu’à l’échelon supérieur. Les planificateurs du programme
devraient respecter les programmes préétablis car ils font tous appel à la population.
Quand les Juges et la population se rendent compte que leurs réunions sont reléguées au second
plan, ils s’interrogent sur la pertinence du programme des Juridictions gacaca, considéré comme
urgent par le Gouvernement. Les autorités des Districts et des Villes sont tenus de s’informer en
premier lieu sur de tels cas afin d’en redresser la situation. En l’absence du suivi, la participation
aux réunions est vouée au seul bas peuple.
‰

Sécurité des Témoins

Il va sans dire que la sécurité des personnes et des biens ne peut être l’obligation des seuls
organes chargés de la sécurité. Tout le monde doit leur prêter main forte. Mais on ne peut pas
ignorer le rôle de l’autorité chaque fois que la sécurité est menacée ou en voie de l’être.
Les enseignements dispensés à la population réconfortent les peureux et les poussent à cracher la
vérité.
Ce sont ces mêmes enseignements qui aident à décourager les fauteurs de troubles de peur
d’encourir des peines. A défaut de ces enseignements requérant une étroite collaboration entre les
autorités civiles, militaires et la Police nationale, la population se désintéresse, les intimidateurs en
profitent et ceux qui voulaient témoigner se rétractent.
‰

Locaux pour les Juridictions gacaca

La Loi Organique instituant les Juridictions gacaca, prévoit que les organes administratifs sont
chargés de la disponibilisation des locaux aux Juridictions de leur ressort.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

83

Mais tout le monde est au courant de l’insuffisance des infrastructures au niveau des Cellules où
les Juridictions gacaca ont démarré leurs activités, et le problème restera sans réponse dans bon
nombre de Cellules du pays. Cela n’empêche pas que les résidents se construisent des locaux de
fortune dans le cadre des travaux communautaires initiés par les organes administratifs,
progressivement Cellule par Cellule, de façon à pouvoir protéger les gens contre les intempéries,
sans devoir recourir aux moyens impossibles et coûteux, comme les tôles et les sheetings.
V. Conclusion
Il y a une part importante à jouer par les autorités des Districts et des Villes dans le processus
gacaca, et elles en sont capables. Si les Juridictions gacaca atteignent les objectifs qui leur sont
assignés, nul doute qu’on aura fait un pas géant dans le cadre de la bonne gouvernance, de la lutte
contre l’injustice et autres.
Le programme des Juridictions gacaca reste l’une des grandes priorités du Gouvernement d’Unité
Nationale qui exige l’abnégation pour l’accomplissement rapide et efficace de ses objectifs.
Kigali, le 21 Janvier 2004

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

84

Annexe 4
“Les origines du génocide de 1994 au Rwanda”
Dans la mesure où nous appuyons nos recherches sur les notes de cours de participants d’ingando, il nous a paru
intéressant de produire en annexe cet extrait émanant du Ministère de l’Administration Locale, de l’Information
et des Affaires Sociales, et qui corrobore en tous points la vision de l’histoire présentée dans les camps.
L’extrait ici présenté correspond à l’introduction d’un document produit par ce ministère : Dénombrement des
Victimes du génocide - Rapport Final - Rwanda, Kigali, Novembre 2002, pp. 6-14.
AUX ORIGINES DU GENOCIDE DE 1994 AU RWANDA
On a pris l’habitude de diviser l’histoire du Rwanda en trois périodes successives, à savoir la
période précoloniale, la période coloniale et la période post-coloniale. Et on se complait à croire
que chacune de ses périodes, prise en bloc, a son identité propre, sans tenir compte du caractère
dynamique de chacune d’elles.
C’est de cette manière que l’on croit que la société pré-coloniale était statique, alors qu’elle a
connu des hauts et des bas, comme toute société humaine. Il reste en outre incorrect de
considérer que les frontières actuelles du Rwanda sont anciennes. Tout comme il est hors de
question de poser que ce même Rwanda a été exclusivement sous l’emprise de la dynastie des
Banyiginya (Batutsi).
Cette mise au point est un préalable nécessaire à l’étude de la société envisagée.
Compte tenu de ce qui vient d’être évoqué, nous allons essayer de répondre à ces questions :
-

Est-ce que dans sa structure, et/ou dans son fonctionnement, la société Rwandaise était
dans son essence un terrain favorable à l’émergence des conflits ?
Si non, quels sont les éléments qui ont été à la base de l’exécution du génocide de 1994 ?

1. Le Rwanda pré-colonial
La base de la société rwandaise était le lignage, c'est-à-dire l’ensemble des familles se
reconnaissant un ancêtre commun. Ces lignages étaient au départ autonomes et dirigés par des
Chefs (Abatware).
Ces chefs de lignages pouvaient devenir des rois lorsqu’ils parvenaient à être reconnus par
d’autres familles et qu’ils parvenaient à léguer à leurs descendants leurs titres et leurs privilèges.
Pour mieux comprendre la situation, nous proposons des passages d’un texte d’une leçon de E.
Ntezimana90 : « Ces derniers (les lignages) constituèrent lentement et péniblement les lieux privilégiés et presque
exclusifs d’identification et d’intégration des familles et des personnes, de fécondation de la « mémoire collective », de
germination des communautés culturelles, de promotion de la langue « ikinyarwanda », elle-même comme élément
catalyseur, de génération de la conscience historique et de la conscience nationale »,
Et d’ajouter :
E. NTEZIMANA, « Histoire, Culture et Conscience Nationale : le cas du Rwanda des origines à 1900 », in Etudes
Rwandaises, vol. 1 n° 4, juillet-septembre 1987, pp. 462-497
90

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

85

« C’est du lignage à l’intérieur de celui-ci, de la famille restreinte, que de multiples réalités, contraires ou
complémentaires se vivaient et se définissaient, umuturanyi (le voisin); umwanzi (l’ennemi); umugenzi (le
voyageur) ».
« Sur le plan structuro-militaire, le rôle du lignage appelé « Abanyiginya » est certes de premier plan. Mais, sans
les concours volontaires ou les complicités inconscientes de plusieurs lignages, les initiatives n’auraient pas réussi ou
les résultats auraient été éphémères ».
Nous relevons cet aspect pour montrer le rôle joué par les Rwandais eux-mêmes, dans
l’ensemble, dans la construction du Rwanda, car la grandeur du royaume du Rwanda a été
l’expression des rapports entre les lignages. La conscience « ethnique » n’existait pas au départ,
elle était plutôt lignagère.
Concernant les conflits, des lignages pouvaient entrer en conflit tout comme ils pouvaient tisser
des solidarités selon les intérêts recherchés. Des luttes ont pu être observées partout dans le pays,
mais elles échappaient aux subdivisions Hutu, Tutsi, Twa.
Le début de la conscience d’appartenir au groupe Tutsi, Hutu ou Twa remonterait au 18ème siècle
avec la mise sur pied d’armées permanentes et cette conscience serait née au sein des armées. Les
chefs d’armées de l’époque s’identifiant comme Tutsis se sont superposés aux chefs de lignages,
et pour avoir accès à certains privilèges, certains lignages ont cherché à s’identifier à eux.
L’inauguration de cette conscience est aussi le fait d’une administration verticale des terres et des
pâturages qui date également du 18ème siècle (Abatware b’ubutaka, abatware b’umukenke)91.
Certains lignages ont su profiter avec fruit des alliances et des conflits lignagers, et avec
l’extension de la puissance politico-militaire de la dynastie nyiginya, il y a eu hiérarchisation et
différenciation des rôles.
La dynastie nyiginya et ses alliés passèrent pour ainsi dire à la domination de presque tout le
Rwanda actuel et les lignages soumis à cette domination comptaient toutes les catégories sociales.
On n’a jamais été solidaire entre « ethnies » contre d’autres. Certains éléments culturels suivants le
démontrent :
1) « Ubuse » dans le cadre des cérémonies que les clans Abagesera et Abazigaba devaient
faire sur des parcelles des maisons avant que le propriétaire ne construise sa maison. Cela
créait des relations amicales entre les deux familles indistinctement des subdivisions déjà
évoquées.
2) Le mariage : Il y a eu des mariages, depuis longtemps, entre les deux groupes. Cela est
attesté par des chercheurs allemands du début du 19ème siècle92.
3) Les cérémonies du Kubandwa : Des Hutu ont pu être parrains des Tutsis et vice-versa.
Et, ici, il s’agit d’une affaire très importante, car sacrée. Il va sans dire que cela créait des
rapports très étroits.
4) Le caractère multi-classe des clans : Il a été constaté que des Hutu, des Tutsi et des Twa
se retrouvaient dans un même clan. A l’heure actuelle, des historiens imbus déjà du
préjugé de leurs différences, essaient en vain de trouver une explication.

E. NTEZIMANA, art. cit.
A. KAGAME, Un abrégé de l’histoire du Rwanda de 1853 à 1972, Butare, 1975, p.159, n°511 & pp. 184-185
J. VANSINA, Le Rwanda ancien. Le royaume nyiginya, Karthala, 2001, pp. 173-174

91

CZEKANOWSKI, J., Forschungen im Nil-Congo-Zwischengebiet.Band I : Ethnographie, Leipzig, 1917, cité par
d’HERTFELT, M., Les clans du Rwanda ancien. Eléments d’Ethnosociologie et d’ethnohistoire, Tervuren, 1917, pp. 56-57
92

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

86

5) Le pacte de sang : ce pacte scellait l’amitié entre les contractants, sans référence aux
subdivisions dont il est ici question.
Sur le plan politique, l’accès au pouvoir était géré suivant un contexte différent de celui de
l’appartenance « ethnique », mais conforme à celui de l’appartenance à un lignage. Mais cette
considération n’était pas absolue car, on a souvent fait cas de nouveaux venus.
Les rapports entre la cour nyiginya et les autres royaumes ou principautés Hutu du nord, du
nord-ouest et du sud-ouest n’étaient pas nécessairement empreints d’hostilités93. Rien qu’à
considérer les bons rapports qui existaient entre la cour nyiginya et les rois Hutu du Bukunzi et
du Busozo94.
Il ne faut pas non plus oublier le cas de Rukara, fils de Bishingwe qui s’est révolté contre
Nyirayuhi V Kanjogera, alors qu’il était déjà membre d’ « Ingangura-rugo, propre armée de
Rwabugiri »95. De même qu’il ne faudrait pas perdre de vue le fait que ce Rukara, considéré
comme Hutu, s’est lié contre Musinga à Basebya, fils de Nyirantwari, considéré comme Twa et à
Ndungutse, considéré comme Tutsi96. Même les relations d’ubuhake, considérées à tort par
certains comme le pivot de la domination des Hutu par les Tutsi, ne couvraient pas tout le
territoire du Rwanda actuel et ne concernait pas tous les Rwandais97.
2. La période coloniale
En 1920, L. Frank, Ministre Belge des colonies a initié clairement une administration dont les
agents devaient être seulement Tutsi : « cette dernière devait être composée uniquement de Batutsi en accord
avec le Mwami »98.
Monseigneur Classe soutint les directives du Ministre Belge des Colonies dans une lettre devenue
célèbre écrite au Résident Mortéhan, le 21 septembre 1927. Il y est dit notamment : « Chefs nés,
ceux-ci (les Tutsi) ont le sens du commandement…C’est le secret de leur installation dans le pays et de leur
mainmise sur lui »99.
Cette affirmation de Monseigneur Classe n’était pas conforme à la vérité, car non seulement les
Tutsi n’avaient pas de mainmise sur le pays, encore moins, il n’y a personne qui soit chef-né.
C’était un fait nouveau qui allait légitimer l’exclusion « ethnique » dans le commandement
politique car, c’était la première fois que de déclarations pareilles de la part des personnes
influentes étaient émises.

93

J. VANSINA, Op.cit., pp. 156-157

E. NTEZIMANA, « Coutumes et traditions des royaumes du Bukunzi et du Busozo » in Etudes Rwandaises, avril 1980, pp.
15-39

94

95

A. KAGAME, Op. cit., p. 54

96

IDEM, Op.cit., pp. 160-168

Voir SAUCIER, J-F, The patron-client Relationship in Traditional and Contemporary Rwanda,
New York, Columbia University, Ph D Thesis, 1974

97

98

Cité par J. RUMIYA, De la royauté au Sultan Belge du Rwanda, Thèse de doctorat, Paris, 1983, p. 79

99

DE LACGER, Ruanda, p. 523

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

87

Durant la période précoloniale, Hutu et Tutsi s’étaient retrouvés dans le commandement dans les
zones contrôlées par le pouvoir central, mais aussi dans les zones périphériques de l’ouest, des
historiens ont fait cas de rois Hutu.
Les directives du Ministre des colonies, renforcées par des lettres de Monseigneur Classe, ont été
appliquées à travers la réforme administrative de Mortéhan entre 1926 et 1931. Cette réforme
visait une administration rationnelle où seuls des Tutsi pouvaient recevoir le commandement.
Cette réforme eut pour effet notamment de chasser du pouvoir certains chefs du fait qu’ils étaient
seulement Hutu. 100 En même temps, en percevant l’impôt, l’administration Belge considérait
comme Tutsi tout Rwandais possédant plus de 10 vaches.
Ainsi donc le Ministre Belge des Colonies et le représentant de l’Eglise Catholique ont posé, peutêtre sans s’en rendre compte, les germes d’un conflit « ethnique ».
L’introduction des travaux obligatoires imposés par les deux pouvoirs européens (l’administration
et le clergé) renforça ce clivage, car la population qui souffrait rejetait toute la responsabilité aux
autorités rwandaises qui devaient être exclusivement Tutsi. Bien plus, les portes du Groupe
Scolaire de Butare, furent ouvertes surtout aux Tutsi101, ce qui eut pour résultat la prédominance
des Tutsi sur le marché de l’emploi.
Cette situation allait produire des effets néfastes dans les années 1950, surtout à partir du 22
février 1957, année de la publication de la « Mise au Point » par le Conseil Supérieur du Pays,
suivie le 24 mars, par la publication de la « Note sur l’aspect social du problème racial indigène au
Rwanda » plus connu sous les termes de « Manifeste des Bahutu ».
La « Mise au Point » était adressée à la mission de visite de l’O.N.U. et exigeait une indépendance
rapide, tandis que la « Note sur l’aspect social du problème racial indigène au Rwanda », publiée
un mois plus tard réagissait contre les aspects du système « féodal » et de la suprématie Tutsi. Les
dés étaient jetés et le problème Hutu-Tutsi était mis en avant.
Il est curieux de constater que les signataires du document ne l’aient pas intitulé « Manifeste des
Bahutu » au départ, à son édition. On peut penser qu’ils n’étaient pas mal intentionnés, à ce
niveau, car le terme identitaire dans un titre, dans ce cas, évoque de mauvaises intentions.
De mauvaises intentions surgiront dans la suite lorsque Grégoire Kayibanda va créer à Kabgayi le
« Mouvement Social Muhutu » au mois de juin 1957, et plus tard le Parti Parmehutu (Parti de la
masse pour l’émancipation Hutu), le 9 octobre 1959.
En réaction au « Manifeste des Bahutu », des lettres furent signées à Nyanza, d’abord par « 12
bagaragu b’ibwami bakuru », le 17 mai 1958, ensuite par « 15 banyarwanda présents à Nyanza »
où ils déclaraient que Hutu et Tutsi ne peuvent être des frères. Ces « bagaragu b’ibwami bakuru »
s’identifiaient par un terme vague qui n’avait aucun statut politique ni dans le Rwanda ancien ni
dans le Rwanda colonial et ne représentaient qu’eux-mêmes dans leurs déclarations. Ils ne
représentaient ni le roi Rudahigwa ni le Parti UNAR qui n’était pas encore né, encore moins les
Tutsi en général, pas plus que les signataires du Manifeste des Bahutu ne représentaient tous les
Hutu qui ne les avaient nullement mandatés.

100

En guise d’exemple, voir J. RUMIYA, Le Rwanda sous le régime du mandat belge (1916-1931), pp. 162-163

De 1932 à 1943, 76% de Tutsi ont été admis contre 18,4% de Hutu, voir J.M.V. RUTERANA, Le Groupe scolaire
de Butare, Mémoire de Licence, Ruhengeri, 1987, pp. 131-134
12

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

88

En outre, ces dits « bagaragu b’ibwami bakuru » véhiculaient des idées étrangères à l’idéologie
traditionnelle de la cour.102
Les années 1958 et 1959 furent marquées essentiellement par les débats centrés sur la
reconnaissance ou non du problème Hutu-Tutsi, la mort de Mutara III Rudahigwa, l’avènement
de Kigeri V Ndahindurwa, la naissance des partis politiques et le début de ce que certains
qualifient de révolution et d’autres de génocide, ainsi que le remplacement de certaines autorités
Tutsi par des Hutu.
Les déclarations les plus importantes émanèrent du roi Mutara III Rudahigwa qui nia le problème
le 12 juin 1958 et celle de Jean-Paul Harroy au Conseil Général à Bujumbura le 3 décembre de la
même année, à travers laquelle il reconnaît l’essentiel du problème en ces termes103 : « Mais il y a
un problème indéniable, en ce pays d’inégalités des conditions, auquel il est nécessaire d’apporter des solutions. Il y a
un problème de paupérisme généralisé qui touche des masses numériquement beaucoup plus importantes de la
population, avec, chez ces masses économiquement très faibles, une convention, qui semble s’accentuer chaque année,
d’oppression politique, sociale et économique de la part d’un certain nombre de représentants de leurs autorités
locales… »
En plus, il identifia les Tutsi : « Mais trop de pudeur, mal employée, peut nuire, le fait reste incontestable
qu’aujourd’hui –j’insiste, aujourd’hui –des hommes qui se disent Tutsi, qui sont Tutsi, composent en énorme
majorité les groupes dirigeants du pays, possèdent en proportionnellement énorme majorité les richesses immobilières
et mobilières de ce territoire » 104.
Une année plus tard, Monseigneur Perraudin va répandre, en Kinyarwanda, dans les Missions le
contenu du discours de Harroy à Bujumbura. Il disait notamment ceci : « Dans notre Rwanda,
affirmait-il, les différences et les inégalités sociales sont pour une grande part liées aux différences de race, en ce sens
que les richesses, d’une part et le pouvoir politique et même juridique d’autre part, sont en réalité en proportion
considérable entre les mains d’une seule race »105.
C’est peut-être pour résoudre à sa façon ce « problème » que lors d’une réunion commune avec le
parti APROSOMA (Association pour la promotion sociale de la masse) tenue à Butare au mois
de septembre 1959, Grégoire Kayibanda donnait le contenu de son programme : «Notre mouvement
vise le groupe Hutu, outragé humilié et méprisé par l’envahisseur Tutsi. Si nous voulons lui rendre service, évitons
de l’embrouiller avec un jeu de mots… Nombreux sont ceux qui se demandent ce que APROSOMA veut dire.
On leur répond que ce sont « les ennemis du Mwami », que c’est « un monstre qui va dévorer les Batutsi » […]
Nous devons éclairer la masse, nous sommes là pour restituer le pays à ses propriétaires ; c’est le pays des Bahutu
(gusubiza igihugu bene cyo ; ni icy’Abahutu). Le petit Mututsi est venu avec le grand. La forêt a été déchirée par
qui ? Par Gahutu. Alors ! »106

102 Le mythe des origines de la dynastie nyiginya fait savoir que l’ancêtre « Kigwa » est tombé du ciel, qu’il a atterri au
Mubari et ayant trouvé le souverain Kabeja, du clan des zigaba, il lui demanda hospitalité en lui disant : « Nous
sommes hommes, nous sommes venus vous trouver notamment pour vous aider de nos bras, pour augmenter votre
famille. Si de votre côté, vous êtes accommodants, vous devez vivre en bons termes avec nous ». Voir L. De
HEUSH, Le Rwanda et la civilisation inter -lacustre, Université Libre de Bruxelles, 1966, p. 86
103

A. KAGAME, Op.cit., p. 241

104

IDEM, Op.cit., p. 243

105

IDEM, Op.cit., p. 247

S. MUSANGAMFURA, Le Parti MDR Parmehutu. Information et propagande, 1959-1969, Mémoire de Licence,
Ruhengeri, 1987, p.70, Cité par J-P Chrétien, Le défi de l’Ethnisme, p. 71
106

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

89

Il est communément accepté que la « révolution » a été déclenchée par huit jeunes gens tantôt
qualifiés de Tutsi, tantôt qualifiés de militants de l’UNAR qui ont nargué et maltraité Dominique
Mbonyumutwa, l’un des rares sous-chefs Hutu de l’époque. D’après ce cliché, Mbonyumutwa
venait de la messe de la Toussaint à Byimna. C’était le 1er novembre 1959. Le bruit s’empara de la
région comme quoi Mbonyumutwa venait d’être tué par des Tutsi. C’était comme le coup d’envoi
pour mettre en marche la violence contre les Tutsi. Ce scénario mis en marche également à
Ruhengeri où on faisait courir le bruit selon lequel Baltazar Bicamumpaka, un leader populaire
Hutu de la région, venait d’être tué par des Tutsi. Ce scénario sera repris le 6 avril 1994, lorsque
certains leaders clameront haut et fort que le Président Habyarimana a été tué par les Tutsi. Des
tutsi furent tués, des maisons furent incendiées, d’autres prirent le chemin de l’exil et des autorités
Tutsi furent chassées de leur commandement.
Ce dernier acte est l’œuvre du colonel G. Logiest. C’est lui qui prit l’initiative de remplacer ces
chefs et sous-chefs Tutsi par des Hutu, alors qu’il n’en avait pas la compétence107. C’était aller
contre les instructions du Ministre L. Franc, en 1920.
Les années 1960 à 1962 furent essentiellement marquées par les élections communales, les débats
de l’ONU, la création de la Garde Nationale, la proclamation de la République, les élections
législatives et le recouvrement de l’indépendance.
Les élections communales de juin-juillet 1960 ont été remportées par le Parmehutu suite à une loi
électorale qui lui était extraordinairement favorable. Cette loi avait été élaborée par
l’Administration Belge.
Cette victoire électorale allait être renforcée par la création de la Garde Nationale le 13 septembre
1960. C’était une garde du Parmehutu, produit pur du Colonel Logiest, car on recrutait des Hutu
« purs » et « costauds », lesquels constituaient, croyait-on, le monopole du nord du Rwanda108.
Plus tard, le 21 septembre 1992, 32 ans après, l’état-major de cette armée définira le Tutsi comme
ennemi du Pays109. Rien d’étonnant que plus tard, des officiers de cette armée soient impliqués
dans le génocide de 1994.
3. La période post-coloniale
La proclamation de la République improvisée, le 28 janvier 1961, a été une voie facile pour hisser
au pouvoir le Parti Parmehutu et le protéger au moment où il venait d’essuyer une défaite au
colloque d’Ostende qui s’est tenu du 7 au 12 janvier 1961110. Elle s’inscrivait dans le cadre
idéologique qui a présidé aux élections communales et à la création de la Garde Nationale. Or,
installer le Parmehutu au pouvoir, c’était prolonger l’ethnisation du pouvoir et perpétuer ainsi
l’idéologie coloniale.

107

Le décret du 14 juillet 1952 reconnaissant au Mwami seul le droit de nommer les chefs et les sous-chefs

F. REYNTJENS, Pouvoir et Droit au Rwanda. Droit public et Evolution politique 1916-1973, IRST, Butare &
Tervuren, p. 499

108

F.I.D.H., AFRICA WATCH, Rapport de la Commission Internationale d’Enquête sur les Violations des Droits
de l’Homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 (7-21 janvier 1993), Rapport final, mars 1993, p. 64
109

110 Pour plus de détails, lire A. KAGAME, Op.cit., pp. 302-306 ; F.REYNTJENS, Op.cit., p.288 ; J.M.V. HIGIRO,
La décolonisation du Rwanda et le rôle de l’ONU 1946-1962, Université de Montréal, Mémoire de Maîtrise, 1975,
pp. 170-181

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

90

Le Rwanda républicain et indépendant, depuis le 1 juillet 1962, allait évoluer dans une mouvance
idéologique du Parmehutu. Le discours politique louait le Hutu travailleur par rapport au Tutsi
fainéant, parasite, qui vit aux dépens du Hutu111.
Aussi, le Hutu devint par essence démocrate au moment où le Tutsi est un féodal né.
Or, rien ne permettait d’affirmer que la monarchie rejetée le 25 septembre 1961, l’a été
exclusivement par les Hutu. C’est comme si des monarques Hutu n’avaient jamais existé.
Le Hutu devint en outre synonyme de « peuple majoritaire », à l’opposé du Tutsi « minoritaire ».
Ainsi la majorité au lieu d’être démocrate devint ethnique. Et l’appartenance à « l’ethnie » Hutu
devint une qualité politique parfois en dehors de toute autre compétence.
Mais tout fainéant et parasite qu’il était caricaturé, le Tutsi était présenté comme majoritairement
présent dans les écoles et dans l’emploi. Aussi va t-on le chasser de l’école et de l’emploi en
1973112.
Le Tutsi qui s’était réfugié à l’étranger était présenté comme un terroriste, ennemi du Rwanda et
de l’Afrique. Gare aux Tutsi restés au Rwanda s’ils veulent rentrer par la force113. L’idée est du
Colonel Logiest. Le commissaire Godard de la sûreté a, une fois, fait la réflexion suivante au
Colonel Logiest : « il faut tenir compte du fait qu’une intervention extérieure pourrait aider le déclenchement
d’une action intérieure, en ce sens que des terroristes formés à l’extérieur pourraient s’introduire dans le pays pour y
semer le trouble et provoquer des mouvements séditieux chez certains groupes de la population à un moment
donné ».
Et Logiest de répondre : « Si un mouvement semblable devait prendre naissance dans les milieux Tutsi, ce
serait le signe de leur massacre par les Hutu. Je pense que les Tutsi s’en rendent compte dans l’ensemble »114.
Au mois de mars 1964, le Président Kayibanda le répétera : « A supposer par impossible que vous veniez
à prendre Kigali d’assaut, comment mesurez-vous le chaos dont vous seriez les premières victimes ? Je n’y insiste
pas : Vous le devinez sinon vous n’agiriez pas en séides et en désespérés ! Vous le dites entre vous : « ce serait la
fin totale et précipitée de la race Tutsi » Qui est génocide ? »115.
En 1976, le Président Habyarimana dira la même chose : « A propos de la question Hutu-Tutsi, elle
existe aussi dans les autres préfectures. En suivant l’Histoire du Rwanda, nous observons que les Tutsi disent être
les descendus (du ciel) […] ces Tutsi qui provoquent les Hutu oublient que si l’heure des massacres sonnait encore,
ce sont eux qui en paieraient les faits. Evidemment les Hutu sont majoritaires, le pouvoir est à eux »116.
On se souvient de la chanson « Umuhutu azi guhinga, Mututsi nawe hinga » c’est-à-dire « le Hutu sait cultiver, toi
aussi Tutsi mets-toi à cultiver »

111

Pour plus de détails, voir F. REYNTJENS, Op.cit., pp.501-504 ; J.SEMUJANGA, « le Rwanda : d’un génocide à
l’autre » in Wihogora Rwanda, n° 4 (vol.2, 2 décembre 1997- juin 1998), pp. 18-47

112

Grégoire KAYIBANDA, « Adresse du Président KAYIBANDA aux Rwandais émigrés ou réfugiés à l’étranger »
in Rwanda Carrefour d’Afrique, n° 31, mars 1964, pp. 1-4
113

114

F. REYNTJENS, Op.cit., p. 468

115

Grégoire KAYIBANDA, art.cit.

116 Yuvenali HABYARIMANA, Ikiganiro Prezida wa Repubulika, Presida-fondateri wa MRND yagiranye na ba
Militantes na ba Militants bo muri za Prefegitura z’u Rwanda, 16 mata- 6 gicurasi 1976, Kabgayi, 1976, p. 73.
L’original est en Kinyarwanda « Kuri icyo kibazo cy’abahutu n’abatutsi, biyita ibimanuka [….]. Abo batutsi
bashotora abahutu ntibazi ko imvururu zigarutsi aribo byakoraho. Nanone abahutu nibo beshi, ubutegetsi ni
ubwabo. »

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Il importe de savoir qu’en 1976, pas un Tutsi n’avait osé braver le régime de Habyarimana. Les
adversaires de son régime se comptaient plutôt chez les hommes politiques de Gitarama dont il
venait de massacrer les plus en vue. Un autre élément qu’il importe de relever est que
Habyarimana était conscient du caractère cyclique des massacres des Tutsi. Il s’en vante pour les
effrayer.
Parfois, le pouvoir en place souhaite une telle rentrée pour arracher une occasion de massacrer
des Tutsi. Une situation pareille a été observée en 1963 lors de l’attaque des Inyenzi117.
C’est dans cette ambiance idéologique que le FPR (Front Patriotique Rwandais) a lancé une
offensive conte le pouvoir de Kigali, le 1er octobre 1990. Il entendait lutter notamment pour
l’unité et la démocratie gravement compromises par l’idéologie de la haine. Le régime attaqué
rétorquait que cette attaque a pour objectif de restaurer la monarchie et les anciens privilèges des
Tutsi.
C’était une façon de sensibiliser une opinion déjà gagnée à la politique divisionniste et la préparer
psychologiquement à la violence118. Il s’en suivit des arrestations arbitraires et des massacres de
Tutsi surtout au nord-ouest du pays, à Kigali, et au Bugesera119.
Après la mort du Président Habyarimana, le 6 avril 1994, un gouvernement intérimaire a été
formé le 8 avril 1994. Ce gouvernement conduit par le Président Sindikubwabo Théodore n’a
prêché que les massacres des Tutsi. En effet, en date du 19 avril 1994, le Président Sindikubwabo
a prononcé un discours mémorable appelant la violence à des termes voilés mais
compréhensibles. Ainsi en terminant son discours il a dit ceci : « Chers frères, je voudrais terminer ici
mon discours. Mais je vous le répète : je veux que vous saisissiez bien notre message ; que vous compreniez le sens
de chaque mot utilisé, et pourquoi il a été utilisé. Sachez que nous traversons des moments difficiles. Cessez donc de
blaguer, de rêver, de vous balader, d’être dupe, maintenant c’est le moment de travailler. Après la victoire, quand le
calme sera revenu, vous reprendrez vos blagues. Mais maintenant, ce n’est pas le temps de blaguer. Que Dieu soit
avec vous » 120!
Ce déchaînement des massacres issu de l’ethnicisation du pouvoir culmina dans le génocide de
1994 dont une description est faite dans ce travail.

117

J-C WILLAME, Aux sources de l’hécatombe rwandaise, Institut Africain, CEDAF, 1995, p. 73

Pour la stratégie mise en œuvre pour mettre en marche la machine du génocide, lire A.DESFORGES, Aucun
témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Karthala, 1999, pp. 81-107
118

Pour plus de détails, voir Rapport de la Commission Internationale d’Enquêtes sur la Violation des Droits de
l’Homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 (7-12 janvier 1993) Rapport final, mars 1993
119

120

Voir l’original en Kinyarwanda, Radio Rwanda, le 21 avril 1994, 6h00’ (information en Kinyarwanda)

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Annexe 5
Histoire du Rwanda selon des notes de cours prises dans l’ingando de
Gishamvu
Document établi sur base des notes de plusieurs détenus du camp de Gishamvu
L’HISTOIRE DU RWANDA
Depuis 40.000 ans avant Jésus Christ, le Rwanda était occupé par l’homme. L’Afrique centrale est
connue comme étant le berceau de l’humanité. Le noyau du Rwanda se trouve à Gasabo (Rwanda
rwa Gasabo) (début XIVè siècle) dans l’ancienne commune de Rubungo, actuellement District de
Gasabo, dans la Province de Kigali rural (Kigali ngali). Le pays était alors divisé en quatre grandes
principautés à savoir:
1.
La principauté des Abongera
2.
La principauté des Abenengwe (cfr l’abrégé de l’histoire du Rwanda)
3.
La principauté des Ababanda
4.
La principauté des Abasinga.
On distingue au Rwanda dix huit grandes familles par ex.: Abega, Abasinga, Abanyiginya,
Abacyaba, Ababanda, Abongera, Abenengwe, et...
La royauté était exclusivement dans les mains d’une seule grande famille : Abanyiginya.
Pour administrer le pays, le roi se faisait aider par trois chefs dans chaque circonscription
administrative.
Chaque chef avait une tâche bien déterminée à assumer. C’est ainsi qu’on trouvait dans chaque
circonscription :
- un chef chargé de l’armée (umutware w’ingabo)
- un chef chargé de la gestion des terres (umutware w’ubutaka)
- un chef chargé de la gestion du bétail (vaches) (umutware w’umukenke).
Ces chefs gouvernaient au nom du roi et étaient ses représentants directs. Ils devaient collecter
des impôts en nature et les envoyer régulièrement à la cour du roi (des produits de la récolte, des
vaches, du lait, du beurre, des peaux de vaches ou des bêtes sauvages, des défenses d’éléphants,
etc.)
Les rites religieux par ex. kubandwa (initiation à la religion ancestrale), kunywana (échange de sang)
permettaient aux différentes familles de créer des liens solides d’amitié et d’entente entre elles et
des pactes au niveau social, politique et administratif.
Les rwandais d’alors utilisaient le troc comme système d’échange. Les classes sociales étaient
définies suivant la richesse des individus. Le nombre de vaches ou l’étendue des terres jouaient un
rôle primordial dans la classification. Celui qui possédait dix vaches et plus était automatiquement
classé Tutsi par le colon et c’était inscrit dans l’identité: ibuku (de l’Anglais book). Ainsi ce que
nous appelons ethnie aujourd’hui n’était autre que le degré de richesse hier de telle sorte que celui
qui était Hutu hier donc pauvre, pouvait devenir Tutsi demain (procédure appelée kwihutura)
suivant l’accroissement du nombre de vaches.
Les relations entre individus et familles étaient le plus souvent d’ordre latéral, c’est-à-dire au
même degré de richesse d’où le proverbe “Amaboko atareshya ntaramukanya”. Traduit littéralement
PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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cela veut dire que les bras longs ne peuvent pas saluer les bras courts. D’autres relations possibles
étaient d’ordre vertical, basées sur le servage (ubuhake); travailler des années chez quelqu’un pour
acquérir une vache ou ubugererwa ; travailler chez un propriétaire terrien : umukonde pour profiter
de ses terres ou de ses récoltes).
Le Rwanda a été déclaré officiellement colonie allemande en 1896, deux ans seulement après
l’arrivée de Von Goetzen dans le pays des mille collines.
Le roi qui d’abord avait l’intention de chasser les allemands a hésité. Avant d’engager la guerre il a
demandé conseil à son ami Rumanyika, roi du Karagwe qui l’en dissuada parce que disait-il, ces
blancs ont des bâtons qui crachent du feu (fusils). Il lui aurait dit même, qu’ils ont le pouvoir sur
le tonnerre et la foudre c’est-à-dire qu’ils possédent un pouvoir surnaturel.
En plus la guerre de Rucunshu pour renverser Rutarindwa et placer Musinga sur le tronc, avait
affaibli l’armée rwandaise. Le roi préféra se résigner et collaborer avec les allemands.
Les allemands se sont donc installés au Rwanda sans difficulté et ont commencé à asseoir leur
administration tout en gardant les structures trouvées sur place.
Ceci n’a pas duré longtemps parce que les allemands qui venaient de perdre la première guerre
mondiale de 1914 - 1918 ont du céder le Rwanda aux Belges.
A la fin de la première guerre mondiale, les Belges ont hérité le Rwanda et le Burundi (Urundi)
c’est ainsi qu’administrativement ils avaient placé un gouverneur du Rwanda-Urundi à Usumbura
(Bujumbura) et un Résident au niveau de chaque pays.
Le roi et ses chefs ont gardé le pouvoir en apparence mais l’autorité suprême revenait aux colons.
En réalité, ce sont eux qui détenaient le pouvoir et l’exerçaient en passant par les nationaux.
Ils devaient dorénavant exécuter, sans discuter, les ordres des colons. Il est à noter que le simple
citoyen considérait toujours le roi et ses chefs comme les seuls maîtres. C’est ainsi que le fouet
(ikiboko) introduit par le colon a été imputé aux tutsi. En général, les méfaits du colonialisme sont
faussement imputés aux tutsi qui gouvernaient pour le colon. Les travaux forcés (uburetwa) et le
fouet (ikiboko) ont fait naître chez les hutus un sentiment de haine contre les tutsi qui
apparemment avaient le pouvoir en main.
Au 19ème siècle en Europe était née une idéologie prônant la suprématie de certaines races sur
les autres. C’est ainsi qu’en Allemagne les ariens pensaient qu’ils devaient dominer toutes les
autres races. C’est ainsi que le nazisme est né.
Les Européens en général considéraient les Africains comme des animaux sans âmes. Ils se
posaient la question de savoir si réellement les nègres ont une âme! Ainsi leur mission principale
était d’éclairer le monde et surtout l’Afrique parce que ces nègres n’arriveraient à rien sans l’aide
des européens. Il fallait civiliser l’Afrique tout en profitant de ses matières premières pour les
industries d’Europe et en même temps créer un marché assuré pour les produits en provenance
de différentes métropoles.
Les affirmations gratuites qu’au Rwanda il y a trois ethnies distinctes ayant des origines
différentes sont des pures inventions des blancs cfr Felgman, Leblanc.
Leblanc va jusqu’à affirmer que le tutsi est un blanc négrifié ! D’autres disent qu’il vient
d’Abyssinie, que le Hutu viendrait du Tchad et que le Twa viendrait des forêts équatoriales du
centre et centre-ouest de l’Afrique. Ces affirmations sont toutes fausses puisque nous ne

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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retrouvons, dans notre langue ou notre coutume, aucune trace provenant de ces pays ou de ces
régions. En effet, ces peuplades étant venues en conquérant, elles auraient imposé leurs coutumes
et leurs langues aux vaincus.
Si les tutsi étaient réellement venus d’Abyssinie et qu’ils avaient ce pouvoir au Rwanda, ils
auraient imposé leur coutume et leur langue de telle sorte qu’aujourd’hui nous retrouverions dans
le kinyarwanda des mots apparentés aux langues parlées en Ethiopie par exemple. Pourtant les
hutus et les tutsi ont une même langue qui n’a pas d’autres traces au Tchad ou en Abyssinie.
Pour gouverner le pays sans heurt, les Belges comme les Allemands ont préféré garder les
structures administratives en place et utiliser les autorités locales comme intermédiaires. Celles-ci
jouaient le rôle de trait d’union entre le peuple et le colon. Ils recevaient les directives et veillaient
à l’exécution des travaux.
En 1936, une loi fut promulguée que seul un Tutsi était apte à exercer le pouvoir au Rwanda.
Cette loi écartait automatiquement les chefs coutumiers Hutus (cf. abahinza surtout dans le Nord
du pays). Celui qui ne voulait pas céder était combattu par le roi et les colons. Ce faisant, les
colons démontraient au roi leur soutien mais surtout voulaient avoir un seul interlocuteur au
niveau du pays.
Même les missionnaires étaient souvent impliqués dans ces combats. L’exemple le plus frappant
est celui de Rukara rwa Bishingwe, chef des Abarashi dans la région du Murera en Province de
Ruhengeri et de Rugigana : Père Lupias de la Paroisse de Rwaza.
Des écoles furent créées à l’intention des enfants des chefs à Nyanza puis à Astrida (Butare). Le
groupe scolaire (indatwa) qui formait les cadres de l’administration, les assistants-médicaux, les
assistants-agronomes; les assistants-vétérinaires et les enseignants.
Toutefois, il faut reconnaître que les colons ont participé efficacement au développement de
notre pays en construisant des hôpitaux, des écoles, des routes, des infrastructures de toutes
sortes en introduisant l’habillement moderne, etc.
Les travaux forcés obligatoires étaient justement liés à la construction des routes, des hôpitaux,
des écoles, des bâtiments administratifs, aux transports exigés par l’administration, à cultiver des
denrées alimentaires de sécurité comme le manioc et la patate douce et le gardiennage et
l’entretien des vaches.
Avec l’avènement de la deuxième guerre mondiale (1939 - 1945), les colons ont fait appel à leurs
colonnes pour augmenter l’effectif de leurs armées respectives ex. les Français et les Anglais. La
participation des soldats africains dans la 2ème guerre mondiale à côté de leurs collègues blancs, va
influencer sur la façon de penser de ces africains et effacer quelque peu les complexes existants
entre les deux. En effet, au niveau militaire, le blanc et le noir ont les mêmes droits. Ils ont
combattu pour l’intégrité nationale de la France ou de l’Angleterre. La question qui se pose alors
est de savoir pourquoi ils ne combattraient pas pour libérer leurs propre pays. Ils sont d’ores et
déjà politiquement sensibilisés. Ils apprennent des notions sur les droits de l’homme, ils
s’informent sur les mouvements d’indépendance dans d’autres pays (Vietnam, Indonésie, Inde,
Irak, Syrie, etc..). Même quelques pays africains commencent à réclamer l’indépendance Nasser
en Egypte, Kwame N'krumah au Ghana, Jomo Kenyatta au Kenya, Nyerere au Tanganyika.
A partir du moment où les colons voient que les élites africaines réclament l’indépendance, ils
vont changer leur politique dans les colonies. C’est ainsi qu’au Rwanda le Belge laisse tomber son

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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ancien allié Tutsi et se tourne vers le Hutu en lui faisant comprendre que le moment est venu de
prendre le dessus et de se venger contre l’oppresseur Tutsi. Il a utilisé la méthode connue depuis
bien longtemps. Diviser pour régner. Il a utilisé les rares Hutu qui avaient fréquenté les
séminaires (ils n’avaient pas d’autres choix) pour évincer du pouvoir les Tutsi. C’est ainsi que les
événements de 59 ont commencé qui ont conduit au changement du pouvoir en 61 et à
l’indépendance le 1er Juillet 1962. Ces événements étaient guidés de près ou de loin par le colon.
Après l’indépendance, la politique du pays a été orientée vers les intérêts ethniques, c’est-à-dire les
intérêts de l’ethnie Hutu au pouvoir au détriment des Tutsis vaincus. C’est ainsi qu’un grand
nombre de ces derniers s’est réfugié dans les pays voisins à savoir l’Ouganda, le Burundi, la
Tanzanie et le Congo. Le parti au pouvoir Parmehutu et le gouvernement de la première
république sous le Président Grégoire Kayibanda n’ont pas pu ou n’ont pas voulu résoudre le
problème des réfugiés rwandais. A l’intérieur du pays, les persécutions et les discriminations
ethniques étaient secondées par le régionalisme qui faisait rage. Cette politique séparatiste creusait
de jour en jour un gouffre profond entre hutus et Tutsis et entre les gens du centre au pouvoir et
ceux du nord qui étaient nombreux dans l’armée.
De 64 à 72 le parti au pouvoir avait progressivement écarté du pouvoir des hauts leaders du parti
originaires du nord. Les officiers de haut rang, tous du nord avaient été nommés directeurs
d’écoles, d’usines à thé, ou des institutions parastatales en vue de les écarter de l’armée. Ceci avait
créé un mécontentement presque généralisé dans le nord surtout en Préfecture de Ruhengeri et
Gisenyi. Le Président Kayibanda qui avait alors l’intention de briguer un autre mandat en 74
voulait pour y arriver changer la constitution en conséquence.
Les gens du nord qui voulaient renverser le régime ont profité de la situation. Aidés par les
directeurs militaires qui étaient disséminés dans les écoles, les usines à thé et les établissements
parastataux ils ont soulevé les Hutus contre les Tutsi et ces derniers ont été chassés ou tués. C’est
dans ce désordre qu’un coup d’Etat mené le 05 Juillet 1973 a placé le Général Major Juvénal
Habyarimana à la tête de l’Etat. Sous le régime Habyarimana (2ème République), l’élimination
physique des opposants politiques fut instaurée. C’est ainsi que le Président Kayibanda et ses
proches furent tués. Les deux Républiques se ressemblent quant à leur politique de discrimination
et de favoritisme basée sur l’ethnie et la région.
L’équilibre ethnique à tous les niveaux dans les écoles, les services publics et parastataux était une
invention malheureuse des autorités de la 2nde République. Le régionalisme s’est accentué jusqu’à
ce que les alliés du nord se séparent avec fracas. Ainsi on distinguait à Gisenyi les Bashirus et les
Bagoyi tandis qu’à Ruhengeri, les Barera se distinguaient des autres qu’ils appelaient
Abanyenduga.
Ces malentendus ont poussé quelques officiers haut placés au niveau du régime à se réfugier dans
les pays limitrophes, la Tanzanie et l’Ouganda en 1979 (Kanyarengwe / Ruhengeri et Biseruka /
Bugoyi). En 1980, l’homme fort du régime Lizinde (Bugoyi) fut emprisonné à Ruhengeri. C’est à
partir de ce moment que la maisonnette (akazu) fut créée: groupuscule de gens surtout membres
de sa famille qui s’accaparent des biens et avantages au niveau de tout le pays. Ils ont même des
tentacules à l’étranger. La corruption bat son plein et pour lancer une affaire il faut associer de
force quelqu’un de la maisonnette.
La guerre de 90-94 a mis fin à cet état de choses et depuis la prise du pouvoir en 94 par le FPR, le
gouvernement d’Unité et de Réconciliation Nationale gère le pays par une politique cohérente et
transparente où la population à son mot à dire. La gestion de la chose publique est suivie et
surveillée de près. La corruption, l’ethnisme et le régionalisme sont prohibés.

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CONCLUSION
Nous sommes tous d’accord qu’avant l’arrivée des blancs, les notions hutu, tutsi, twa ne
désignaient que le niveau social attribué à l’individu considération faite de son niveau de richesse
en l’occurrence le nombre de vaches en sa possession. Un hutu riche devenait tutsi et un tutsi
pauvre devenait un hutu. Un twa pouvait devenir tutsi citons à titre d’exemple Busyete, un twa
qui a été anobli par le roi en lui donnant sa fille en mariage en plus des vaches et des terres.
(Busyete avait été chargé par le roi de tuer la reine qui était faussement accusée d’être enceinte.
Au lieu de la tuer, il l’a caché dans la forêt jusqu’à ce que le fils monte sur le trône. Celui-ci en
revoyant sa mère récompensa Busyete en l’anoblissant).
Le colon a instauré les ethnies et a catégorisé les rwandais suivant ces différentes ethnies jusqu’à
les mentionner dans les identités appelées Ibuku (de l’anglais Book).
Aujourd’hui le gouvernement de l’Unité et la Réconciliation Nationale a supprimé cette mention
dans les cartes d’identité et a fait appel à tous les rwandais de se considérer d’abord comme étant
membre d’une même famille sans distinction aucune. Nous sommes tous appelés à œuvrer dans
ce sens pour la construction d’une nation solide où règne la paix, l’unité et la concorde.
Nous sommes tous rwandais!
LE GENOCIDE RWANDAIS.
Trois génocides sont connus aujourd’hui dans le monde à savoir :
- le génocide des Arméniens (1916) en Turquie ;
- le génocide des Juifs (1939 – 1945) en Allemagne
- le génocide des Tutsi (1994) au Rwanda.
Le génocide des Tutsi au Rwanda est tout à fait différent des deux autres. En effet, les Rwandais
se sont entretués tandis que dans les deux autres cas, il s’agissait de deux peuples différents.
Avant le génocide de 94, il y a eu d’autres massacres des Tutsi au Rwanda en 1959, 1963, 1973.
Pendant ces massacres, les autorités ont toujours joué le rôle de galvaniseur et incitateur de la
masse paysanne.
Par exemple lors des événements de 1959 le Commissaire PILATE alors chef de la Police à
Butare, a dû intervenir personnellement à NGERA, District de KIBUNGO pour que les paysans
Hutu commencent les tueries.
En 1973, les militaires étaient envoyés partout dans le pays pour organiser les massacres et
protéger les tueurs.
En 1994, comme rien ne bougeait à Butare, les autorités après avoir prononcé des discours
incendiaires, ont envoyé un contingent de la Garde Présidentielle pour lancer les tueries et
encadrer les milices.
Une analyse simple de l’histoire du Rwanda nous montre que le colon est à la base des
dissensions ethniques que connaît le Rwanda. En effet, une fois arrivé chez nous, le colon a
classifié les Rwandais dans trois ethnies suivant le nombre de vaches en sa possession. Celui qui
n’en avait pas ou avait moins de dix était classé hutu. Les Twa étaient facilement identifiés et
classés parce qu’ils avaient un métier spécifique de travailler l’argile. L’appartenance a telle ou telle
ethnie était en plus mentionnée dans le livret d’identité appelé communément IBUKU (de
l’anglais book). Il est à noter que même les missionnaires étaient impliqués dans cette politique…
C’est dans ce cadre que toutes les écoles étaient exclusivement réservées aux enfants de la classe
dirigeante tutsie. Cette politique d’exclusion a suscité les oppositions sociales et a crée un état
latent de ressentiment et de haine entre Hutu et tutsi.

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Les contacts du Roi RUDAHIGWA avec d’autres dirigeants africains et ses visites en Europe lui
ouvrent les yeux sur les différents problèmes politiques d’actualité. C’est ainsi qu’il a aboli le
clientélisme « UBUHAKE » et qu’il commence à réclamer l’indépendance du pays. Sentant leurs
intérêts menacés, les Belges ont vite changé de politique en cherchant un nouvel allié. Ils ont
lâché le Tutsi et se sont tourné vers le Hutu et l’ont aidé à évincer le Roi et à prendre le pouvoir.
Le pays est devenu indépendant le 1er juillet 1962. Une République avec un Président : Grégoire
KAYIBANDA.
Les autorités de la première République n’ont pas cherché à analyser et à résoudre les problèmes
ethniques. Au contraire ils ont continué à soutenir les rivalités ethniques par toutes sortes de
discours et de manœuvres. Le régionalisme est venu aggraver la situation (Abakiga du Nord et
Abanyenduga du Centre et du Sud). Ces autorités n’ont jamais pensé à une politique de
réunification, de réconciliation et d’unité nationale. Le besoin de justice se faisait sentir de plus en
plus parce que les pratiques de favoritisme, de népotisme et de pots de vin continuaient à miner
la société et à favoriser les inégalités.
A l’avènement de la deuxième République en 1973 avec le Président HABYARIMANA à la tête,
le slogan était « la paix et l’unité ». Ces beaux mots sont restés au niveau de slogan et n’ont jamais
été suivis par des actions concrètes. En effet, la politique d’équilibre régional et ethnique ne
pouvait apporter au peuple rwandais ni la paix ni l’unité.
Au début des années 80, le problème des réfugiés était à la page et le Président
HABYARIMANA n’a pas accepté les négociations. Il disait que le Rwanda est plein à craquer et
que les réfugiés devaient être acceptés comme citoyens par les pays qui les ont accueillis.
Pour mieux se faire comprendre, il utilisait l’image d’un verre rempli d’eau et que si on y ajoutait
une goutte de plus il déborderait. Ceci était clairement dit pour que les réfugiés se sentent exclus
pour de bon. Les négociations étaient impossibles parce que HABYARIMANA choisissait la
guerre. Elle éclata le 01/10/1990 et a duré 4 ans. Entre-temps, les négociations d’ARUSHA pour
arriver à la cohabitation et au partage du pouvoir étaient freinées ou sabotées par le
Gouvernement, le M.R.N.D. et le C.D.R. Le Président HABYARIMANA a lui-même dit une fois
à RUHENGERI que les accords d’ARUSHA ne l’engageaient en aucun cas parce que ce ne sont
que des chiffons de papiers. Un officier haut placé du régime, Colonel BAGOSORA, claque la
porte à ARUSHA en disant qu’il va préparer l’apocalypse c’est-à-dire le génocide.
La mort de HABYARIMANA n’a été qu’une mise à feu d’une bombe déjà amorcée. C’est ce
même soir du 06/04/1994 que commence le génocide au Rwanda.
Quelques thèmes de réflexion.
1. comment sommes-nous arrivés au génocide ?
2. comme le génocide a-t-il été préparé et comment a-t-il été mis en application ?
3. Quelles sont les conséquences du génocide sur la vie des rwandais et celle des gens qui
habitent la région des Grands Lacs ?
4. Quelle stratégie faut-il adopter pour éradiquer le génocide et l’idéologie du génocide ?
Eléments de réponse.
1. La politique du colonisateur, basée sur la discrimination ethnique a créé les dissensions, les
jalousies et les haines au sein de la société rwandaise.
Pourtant le colon belge qui a dirigé le Rwanda de 1916 à 1962 c’est-à-dire 46 ans n’a presque
rien fait pour améliorer les conditions de vie du pauvre paysan. Ce n’est donc pas étonnant

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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qu’il l’ait utilisé pour semer la zizanie en disant que le Tutsi vit au détriment du Hutu et qu’il
l’a exploité de tout temps.
Il est toujours plus facile de détruire que de bâtir.
2. Le génocide a été préparé par le colon en affirmant que le Tutsi est différent du Hutu à tous
les niveaux surtout au point de vue intellectuel. Lorsqu’en 1959, les Hutu, aidés par les
colons, ont chassé les Tutsi et ont pris le pouvoir, ils ont instauré une politique d’exclusion au
lieu de penser à la réconciliation.
Cette politique d’exclusion n’a fait qu’accentuer la déchirure entre les deux ethnies. Il n’est
pas facile d’effacer dans la tête des gens une idéologie assimilée pendant plus de 40 ans. Le
Gouvernement d’unité et de réconciliation a la volonté d’éradiquer cette idéologie et de
bannir à jamais le génocide. Il n’y a plus de Gouvernement ethnique, il y a un Gouvernement
rwandais.
3. La guerre et surtout le génocide nous ont apporté la misère, la pauvreté et les maladies de
toutes catégories surtout le SIDA. L’économie du pays a été complètement détruite. Le pays a
été saccagé et nous avons déploré beaucoup de blessés, de morts, des réfugiés, d’orphelins, de
veufs et des veuves.
La réputation du Rwanda et du rwandais est mauvaise dans le monde entier. Juste après le
génocide, les relations diplomatiques avec les autres pays étaient catastrophiques.
Les habitants de la région des Grands Lacs ont souffert à cause du génocide et de la guerre au
Rwanda. Les réfugiés ont envahi en masse les pays limitrophes et même la guerre s’est
déplacée jusqu’au fin fond du Congo.
4. Le peuple rwandais doit connaître la vérité sur la politique et la gestion du pays. Il doit
participer activement à la construction du pays. Il doit être formé et informé. Tout rwandais
doit être partie prenante dans la gestion du pays et dans la lutte pour l’unité et la
réconciliation. Il doit veiller à ce que les enfants soient initiés dès le jeune âge à la culture
rwandaise, à l’histoire du Rwanda, à la bonne entente entre rwandais et à l’amour de la patrie.
Ainsi, nous sommes tous appelés à retrousser les manches et à travailler assidûment pour
combattre la pauvreté et dire au revoir à la mendicité.
Le Rwanda est et sera ce que nous voulons qu’il soit. Améliorer la compréhension des gens,
bannir les idées séparatistes, enseigner l’amour, l’unité et la réconciliation, tout ceci nous
aidera à surmonter les problèmes que connaît notre pays.

Collectif des Organisations Rwandaises de Promotion de la Femme de la Paix et du
Développement « Pro-Femmes Twese hamwe »
Ce collectif a commencé en 1992 avec seulement 13 organisations et aujourd’hui il en compte 41.
Le programme de ces organisations est principalement axé sur la promotion de la paix sans
distinction ethnique ou régionale.
Pour que notre pays se développe pleinement, elles enseignent la tolérance, le respect mutuel,
l’amour fraternel, la solidarité, l’entente et la collaboration dans la même lutte pour la justice et la
paix et la collaboration dans la même lutte pour la justice et la paix sans se soucier des différences
ethniques et régionales.
Après la réunion de Beijing en Chine (2000) où elles étaient toutes regroupées sous la tente de la
paix avec la dénomination KARISIMBI ; elles ont décidé de former le collectif Pro-Femmes afin

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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de mieux coordonner leurs activités. Voici quelques-uns unes de ces organisations : AVEGAAgahozo, DUTERIMBERE, BENURUGWIRO, BENIMPUHWE, RTC-RUHUKA et…
Quelques points importants dans la culture de la paix.
1. La culture de la paix dans la coutume traditionnelle ;
2. La tolérance conduit à la paix ;
3. Le bien fondé de la tolérance pour avoir la paix ;
4. Le rôle des rwandais et rwandaises dans la résolution des conflits.
1. La culture de la paix dans la coutume traditionnelle
De coutume les rwandais se saluent et se disent au revoir en se souhaitant la paix.
Malheureusement cette façon de se saluer tend à disparaître.
Il n’y a pas de sous-citoyen. Chacun a ses droits qu’il faut respecter et ses devoirs qu’il doit
remplir. Le respect des droits de tout un chacun est une des bases importantes pour arriver à une
bonne entente entre individus et une cohabitation en paix. Les différences de couleur, de religion,
de taille et d’ethnie devraient être une base de complémentarité au lieu d’être une source de
dissension. Nous sommes créés pour nous compléter, nous entraider et vivre ensemble. La
tolérance a toujours été enseignée dans la culture rwandaise. C’est ainsi que nous trouvons des
proverbes qui enseignent à supporter que l’autre ait les idées différentes des nôtres.
Ex :
1. Nta nkuba ebyiri zihindira mu gicu : deux tonnerres ne cohabitent pas dans le firmament
2. Ibihanga bibiri ntibitekwa mu nkono imwe : deux grosse têtes n’ont pas place dans une même
marmite.
Le respect des droits, de l’homme, la sécurité des biens et des personnes, le droit à l’éducation, le
droit aux soins de santé, le droit au minimum vital pour tout citoyen sont tous des indications de
la paix dans n’importe quel pays. La paix n’est donc pas seulement définie par l’absence de la
guerre, comme beaucoup de personnes ont tendance à l’affirmer
La pauvreté, l’ignorance, l’insécurité, l’injustice doivent être bannis de notre pays. Il faut tout
mettre en œuvre pour que la société rwandaise soit soudée et que plus jamais le génocide ne se
répète.
2. La tolérance conduit à la paix
La tolérance diminue les tensions entre les individus ou groupes de gens. Nous devons
admettre nos différences et les utiliser pour construire au lieu de les utiliser pour
détruire. Il faut donc s’accepter dans l’humilité et la tolérance faute de quoi il n’y aura
jamais de paix.
3. Le bien fondé de la tolérance pour avoir la paix
Commençons par la famille qui est la cellule de base de la nation. Si un membre de telle ou telle
famille se conduit mal, il est évident que les conséquences retombent sur toute la famille. Un
membre de la famille peut payer pour la faute d’un autre au cas où celui qui commis la faute n’est
pas retrouvé.
La famille doit avoir des amis. Elle doit les chercher parce que c’est une force supplémentaire qui
peut épauler la famille en cas des litiges. Inshuti ya hafi ikurutira umuvandmwe wa kure : Un bon
voisin vaut mieux qu’un frère qui est loin. C’est pourquoi il faut éviter les malhonnêtetés à
l’intérieur de sa famille et entre les familles voisines pour la bonne cohabitation.

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Les familles voisines doivent s’entraider dans les activités courantes à savoir : transporter les
malades à l’hôpital, cultiver les champs, traire les vaches, construire les maisons, marier les
enfants. Toutes ses activités menées ensemble dans la cordialité concourent à la bonne entente
entre les famille d’une colline.
Vous qui retournez sur vos collines après tant d’années de prison, devez savoir que vous n’aurez
la paix qu’à condition que votre voisin ait la paix.
4. Rôle des Rwandais et Rwandaises dans la solution des conflits.
Nous avons été conçu et nous sommes nés dans un processus conflictuel. La
fécondation de l’ovule par un seul spermatozoïde parmi des milliers est en lui-même
état conflictuel.
Il y a conflit à partir des différents entre 2 individus entre des groupes d’individus ou même entre
les pays. Ces différents peuvent être basés sur la couleur, la langue, l’ethnie, la richesse, la pensée
ou les idées politiques. Lorsqu’il y a conflit, il faut chercher au plus vite une solution et surtout ne
pas laisse perdurer cette situation. Pour résoudre un conflit, il faudra trouver un intermédiaire
compétent accepté par les deux parties. Celui-ci doit remplir les conditions suivantes : être intégré
et avoir de l’expérience dans ce domaine. Il doit être à même d’aider les antagonistes à s’asseoir
autour d’une même table et à discuter avec franchise sur les problèmes qui les opposent. Ils les
aidera à chercher les solutions possibles et à trouver eux-mêmes les voies et moyens de les mettre
à exécution.
En guise de conclusion, il serait opportun de nous poser la question de savoir ce que nous avons
fait pour éviter que le génocide ait lieu. Que faisons-nous pour que la paix revienne ? A qui
incombe le rôle de la reconstruction ? Nous pensons que chacun de vous est concerné et que tout
rwandais doit jouer son rôle dans la reconstruction du pays. Tout rwandais a été touché
directement ou indirectement par les conséquences du génocide.
Vous qui sortez de prison, vous serez confrontés à beaucoup de problèmes. Durant toutes ces
années l’état vous entretenait et maintenant vous devez vous nourrir vous-même et vos familles.
Ceci ne sera peut être pas aussi facile que vous le pensez. Vous serez confrontés aux rescapés qui
ont des ressentiments envers vous. Vous vous trouverez peut-être devant une famille disloquée
ou devant une femme enceinte par un autre homme. Les femmes trouveront leurs maris dans les
bras d’autres femmes etc. Il faudra donc avoir le courage de pardonner et de demander pardon.
Ceci demande des deux côtés beaucoup d’énergie, de courage et de bonne volonté.
La politique du Gouvernement est ciblée sur la reconstruction du pays par l’unité et la
réconciliation et tout est mis en œuvre pour y arriver.
Nous devons tous conjuguer nos forces pour la culture de la paix.
RETOUR DANS LA VIE ORDINAIRE APRES PLUSIEURS
ANNES DE PRISON
Qu’entendons-nous par la notion “Vie ordinaire”?
Que ferons-nous si une fois arrivé à l’extérieur nous trouvons que tout n’est plus comme avant?
Le retour dans la famille, le droit de circuler dans le pays, d’aller où on veut, de travailler ou
d’exercer un métier, redevenir papa, maman chef de famille tout ceci n’est pas facile après 8 à 9
ans de prison.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Vous allez vous retrouver devant une famille désagrégée ou enrichie par de nouvelles naissances
ou de nouveaux mariages.
Vous serez confrontés aux rescapés qui ne sont pas contents de votre retour pas tous peut être
mais quelques-uns uns sans doute. Vous trouverez que vos biens ont été vendus par les membres
de votre famille et que la pauvreté sévit.
Vous serez confrontés au courant de l’émancipation de la femme et de la nouvelle loi sur
l’héritage ou les enfants des deux sexes ont les mêmes droits.
Vous serez confrontés aux voisins qui vous haïssent pour les avoir signaler dans vos aveux.
Vous trouverez peut être sur votre colline beaucoup de gens qui vous sont étrangers.
Tout ceci concourt à créer les conflits, l’insécurité et la peur à tous les niveaux.
Comment allez-vous affronter ces problèmes?
Vous avez la chance d’être préparé à toutes ces éventualités par cette formation que vous recevez
ici dans les camps de solidarité. Une fois arrivés dans vos familles, vos cellules, vos secteurs et
districts, la tolérance et le pardon doivent vous guider dans votre vie quotidienne. Il faudra
essayer de résoudre les conflits par des discussions franches, le respect mutuel, la tolérance et le
pardon.
L’égalité et la complémentarité entre les sexes fait que le sexe féminin assume aujourd’hui des
fonctions qui étaient réservées aux hommes. Ne soyez donc pas étonnés plutôt préprarez-vous à
écouter et à respecter les avis de vos conjointes dans la complémentarité et acceptez surtout que
vous n’êtes plus les seuls décideurs.
Si jamais il y a des conflits que vous n’arrivez pas à résoudre, adressez-vous aux autorités
compétentes au lieu de vous battre ou de créer des tensions inutiles qui ne font qu’aggraver la
situation.
L’UNITE ET LA RECONCILIATION
Nous avons au niveau national une commission pour l’unité et réconciliation qui a des
ramifications au niveau provincial. Elle a été instaurée dans les accords d’Arusha et a été mise en
place à partir des concertations dirigées par le Président Pasteur Bizimungu au village Urugwiro.
L’unité des Rwandais implique que chaque citoyen ait la sécurité et la paix, participe sans
exclusion à la construction du pays et ait son mot à dire dans la politique et la gestion du pays.
Concernant la réconciliation:
On parle de la réconciliation lorsqu’il y a des différends qui ont causé une séparation.
La mauvaise politique de discrimination et d’exclusion basée sur l’ethnisme ou le régionalisme a
créé des dissensions entre les rwandais. C’est dans ce cadre qu’il faut prendre des mesures
appropriées pour que les rwandais puissent à nouveau mieux s’entendre et cohabiter en paix. La
réconciliation doit être l’œuvre de chaque rwandais sans distinction.
Chacun de nous doit se sentir directement concerné et chercher les voies et moyens pour arriver
à se réconcilier avec son voisin avec lequel il a un conflit. La réconciliation ne concerne donc pas
seulement ceux qui étaient au Rwanda pendant le génocide, parce que chacun de nous a besoin
de vivre dans un pays où règne la bonne entente, la sécurité, la paix et la prospérité.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Nous pensons que la réconciliation est possible puisque de tout temps, les rwandais hutus et tutsi,
ont vécu ensemble en paix. Ils partageaient tout, se mariaient entre eux, se donnaient des vaches,
faisaient des pactes de sang et pratiquaient le culte des ancêtres ensemble sans discrimination. Il
n’y a jamais eu des guerres entre hutus et tutsi. Les guerres étaient menées conjointement et
étaient dirigées contre un même ennemi extérieur surtout pour l’agrandissement du territoire.
Question de réflexions :
1.Y a t il une évolution vers une meilleure cohabitation et une bonne entente entre rwandais?
2.Quels sont les différents facteurs qui handicapent la bonne entente entre rwandais?
Quelles sont les actions concrètes à mener pour arriver à la bonne cohabitation entre rwandais?
Eléments de réponse :
1. Nous constatons qu’il y a une évolution palpable au niveau national dans la voie de la bonne
cohabitation et de la bonne entente. En effet, le gouvernement d’Unité a un programme de
formation et de sensibilisation de la population au niveau national. Les formations sont
dispensées dans les camps de solidarité à toutes les couches de la population en insistant sur la
réconciliation, la cohabitation, la bonne entente, le partage, le mariage, etc.
Les enfants sont admis dans les différentes écoles sans distinction ethnique. Le rapatriement des
réfugiés se poursuit. Une commission ad hoc a été mise sur pied et travaille d’arrache pied pour
résoudre ce problème un fois pour toutes.
Des fonds ont été disponibilisés pour aider les rescapés. Nous avons la sécurité à l’intérieur du
pays, base nécessaire à toute réconciliation.
La justice a été améliorée et rénovée. Les juridictions gacaca ont commencé à fonctionner et vont
aider à mettre la vérité sur le génocide à jour. Le problème des prisonniers trouvera une solution
à partir des juridictions gacaca.
La commission pour l’unité et la réconciliation fonctionne au niveau national et a des résultats
tangibles.
La suspicion et la peur disparaissent progressivement. Les aveux ont permis de mettre à jour la
vérité sur le génocide. Beaucoup de gens avouent les crimes commis et demandent pardon. La
majorité des rescapés arrivent à pardonner. Les biens d’autrui accaparés après le génocide ont été
rendus à leurs propriétaires. L’armée a intégré les ex-FAR et les rebelles. L’ethnie ne figure plus
dans les cartes d’identité.
La leçon donnée par les enfants de l’Ecole Secondaire de Nyange qui n’ont pas voulu se séparer
suivant les ethnies face à la mort est un exemple parlant qui montre que ce que nous prêchons est
possible.
2. Les facteurs qui freinent ou handicapent la bonne entente sont multiples. La pauvreté,
l’ignorance, la cupidité, la jalousie, les politiciens avides du pouvoir et des richesses qui sèment la
discorde au niveau de la population sont des facteurs qui concourrent à entraver la marche vers la
réconciliation.
Les gens qui de l’intérieur ou de l’extérieur essaient de minimiser ou de ne pas reconnaître le
génocide rwandais, créent des malentendus susceptibles de freiner l’évolution vers la
réconciliation.
Il y a un constat de méfiance entre les rwandais venant de l’extérieur (anciens réfugiés) et ceux qui
sont restés à l’intérieur.
En plus, il y méfiance et suspicion entre les rescapés et les familles de ceux qui ont été
appréhendés pour génocide.
L’histoire du Rwanda a été mal enseignée et mal interprétée. La vérité a toujours été cachée ou
camouflée par les autorités. La désinformation, l’injustice et la partialité ont créé des tensions de
haine et de suspicion entre les rwandais.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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3. Les actions concrètes à mener
Nous devons bannir pour de bon tout comportement, toute déclaration ainsi que toute politique
qui prônent et prêchent les dissensions et la haine entre rwandais.
Nous devons :
- apprendre à avouer les crimes commis et à demander pardon
- apprendre à pardonner
- respecter les droits fondamentaux
- aimer notre prochain comme nous-mêmes
- promouvoir la justice et combattre l’impunité
- veiller à la sécurité des personnes et des biens
- combattre l’ignorance et la pauvreté
- combattre toute sorte de ségrégation
- protéger et défendre si nécessaire l’intégrité nationale
- combattre les rumeurs.
LE TRAUMATISME
Qu’est ce que le traumatisme? Quelles sont les causes du traumatisme?
Quels sont les signes que montre le traumatisme? Comment l’aider?
Quelles sont les conséquences du traumatisme chez l’individu? Pour sa famille? Pour le Pays?
Le traumatisme s’annonce par un comportement inhabituel d’une personne face à un événement
brusque et inattendu qui lui cause du chagrin.
Le traumatisme peut être causé par:
a) ce qu’on a vu
ex-assister à une tuerie de gens
être le seul survivant dans un accident de voiture
avoir vu des atrocités pendant la guerre ou pendant le génocide
lors d’un tremblement de terre ou d’une éruption volcanique.
b) ce qu’on a vécu
ex-avoir été battu(e) maltraité(e), persécuté(e), violée,
emprisonné(e) pendant longtemps, avoir perdu tous ses
biens
c) les actes commis ex-avoir tué, battu, volé, ou fait d’autres actes insensés
Les séquelles seront d’autant plus graves que les actes auront une grande fréquence, une longue
durée et une certaine importance.
L’isolement est aussi un facteur pouvant favoriser le traumatisme.
Les signes du traumatisme :
- l’insomnie, les maux de tête et les maux de ventre
- le traumatisé revoit la scène toujours dans le présent
- il est triste, pleure souvent et a tendance à éviter les autres
- il a toujours peur et peut attenter à sa vie
- il peut s’adonner facilement à l’alcool, au tabac et aux stupéfiants
- il peut éviter ou refuser tout acte sexuel
- il peut perdre toute motivation et le goût au travail
- il peut être sensible à tout petit bruit et avoir tendance à se cacher
- il veut éviter toute chose qui lui rappelle les faits, par exemple tenue militaire, fusil,
machettes, prisonniers, etc..
- il peut devenir méchant, agressif et dangereux pour son entourage.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

104

Comment peut-on aider le traumatisé?
Il faut essayer de l’écouter, de le comprendre, de partager sa peine et de le consoler. Si nécessaire,
il faudra faire appel aux conseillers spécialisés qui sont présents dans les centres de santé. Ceux-ci
décident s’il faut l’envoyer ou pas à CARAES.
Conséquences :
- Mésentente et insécurité dans les foyers et familles et par extension dans les
cellules et les secteurs.
- La pauvreté dans la famille
- L’éducation des enfants qui n’est pas suivie
- L’isolement et la méfiance dans les familles
- La désintégration des familles
- Les filles traumatisées sont exposées au Sida à cause du libertinage sexuel
Comment éviter le traumatisme?
Premièrement il ne faut jamais s’isoler.
Deuxièmement, il faut avoir le courage de rencontrer et causer avec les autres sur ce qui nous est
arrivé, sur ce que nous avons vu et ce que nous avons fait.
Il faut savoir que le traumatisme peut guérir sans médicaments contrairement à la folie et que les
psychothérapies individuelles ou de groupes peuvent le plus souvent mener à de bons résultats.
LES JURIDICTIONS GACACA
Elles ont été instituées le 15 Mars 2001 pour juger les milliers de gens accusés de génocide qui
attendent le jugement depuis plus de huit ans maintenant.
En effet, après le génocide de 94 plus de 100.000 personnes sont incarcérées et les juridictions
gacaca doivent aider à faire justice pour punir les coupables et relâcher les innocents tout en visant
la réconciliation nationale. L’idée principale est de punir tout en cherchant la réconciliation. Les
juridictions gacaca ont existé de tout temps au Rwanda pour trouver des solutions aux conflits et
la réconciliation entre individus ou familles. Aujourd’hui, on a pensé à une justice participative ou
les habitants d’une même colline ou d’un même secteur ont un mot à dire dans le but de trouver
la vérité sur le génocide et de la mettre à jour.
Avantages prévus :
- les procès seront accélérés
- la vérité sera établie ce qui permettra de punir les vrais coupables et de libérer
les innocents
- les prisons seront dégagées et les dépenses de l’Etat vont diminuer en conséquence
- les aveux et les demandes de pardon favorisent la réconciliation.
Nous savons que la loi prévoit 4 catégories. Les juridictions gacaca vont juger les catégories 2, 3 et
4 tandis que la première catégorie sera jugée par les tribunaux ordinaires, tribunaux de première
instance. Les catégories deux et trois seules peuvent faire appel à l’échelon supérieur. Les
prévenus de la quatrième catégorie doivent restituer les biens volés ou détruits.
Ainsi au niveau des cellules seront jugés les gens classés dans la catégorie 4 (sans appel) +
recherche des faits et classement des prévenus.
- au niveau des secteurs seront jugés les gens de la 3ème catégorie,

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

105

- au niveau des districts seront poursuivis les cas de la deuxième catégorie et les appels de
la 3ème,
- au niveau des Provinces et de la ville de Kigali, les juridictions gacaca se chargeront des
appels de la 2ème catégorie.
A chaque niveau nous distinguons trois structures à savoir:
1.
L’assemblée générale au niveau de la cellule est composée de toutes les personnes âgées
de 18 ans et plus.
Pour les autres niveaux elle est composée d’au moins 50 personnes intègres et élues.
2.
Le siège des juges : 19 dans chaque juridiction
3.
Le comité de coordination : 5 personnes.
Nous avons au niveau national environ 11.000 juridictions gacaca.
Il est prévu que la moitié de la peine prononcée peut être remplacée par une peine des travaux
d’intérêt général c’est-à-dire qu’une moitié sera faite à la prison et l’autre à l’extérieur en exécutant
ses travaux 3 jours par semaine. Le temps passé en prison avant la condamnation sera déduit.
Questions de réflexion :
1. Quel sera votre apport pour aider les juridictions gacaca à trouver la vérité sur le génocide?
2. Quels sont les facteurs qui pourraient handicaper le bon fonctionnement des juridictions
gacaca?
3. Quels sont les voies et moyens et les stratégies à utiliser pour assurer le bon fonctionnement de
ces juridictions?
Quelques éléments de réponse :
1. Nous sommes prêts à mettre à jour la vérité sur ce que nous avons fait et ce que nous avons
vu. Nos aveux vont aider à trouver la vérité sur les faits du génocide; Nous pensons que ces
aveux vont aider les juridictions gacaca à travailler en toute transparence et ainsi aider les rwandais
à se réconcilier.
2. Des facteurs qui peuvent handicaper la bonne marché des juridictions nous pouvons citer à
titre d’exemple les faux aveux, les demi-vérités, les mensonges, les fausses dénonciations des
rescapés ou des prévenus.
3. Les stratégies à adopter pour assurer le bon fonctionnement des juridictions.
Il faut insister sur la formation et l’information de la population sur les juridictions gacaca. En plus
il faut dynamiser les gens et les motiver pour qu’ils participent activement et positivement à ces
juridictions en montrant l’intérêt de tout un chacun dans ce processus. Sensibiliser les prévenus
aux aveux et les rescapés à savoir pardonner. Se donner la peine de bien vérifier les nouvelles
accusations.
En conclusion, il est à noter que les juridictions gacaca visent la réconciliation tout en essayant
d’éradiquer la culture de l’impunité. Elles châtient et réconcilient en même temps. Les travaux
d’intérêt général ont été instaurés pour que les condamnés puissent faire la moitié de la peine à
l’extérieur c’est-à-dire étant dans leurs familles respectives. Ainsi ils travailleront 3 jours par
semaine pour les TIG et les 3 autres pour leurs familles.
Exemple des travaux programmés (TIG) :
- construction et réfection des écoles, des hôpitaux, des centres de santé et des logements
pour les rescapés
- construction et réparation des ponts
- aménagement des marais

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- construction des terrasses radicales
- creusement de fossés anti-érosion
- reboisement.

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Annexe 6
PAPG, Rapport sur les cas d’assassinats commis contre certains rescapés de
la province de Gikongoro, 10 janvier 2004

PROJET D’APPUI DE LA SOCIETE CIVILE
AU PROCESSUS GACACA AU RWANDA (P.A.P.G)
« Survivre Ensemble »
Projet conjoint : CLADHO, C.C.O.A.I.B, PRO-FEMMES TWESE HAMWE,
L.D.G.L, IBUKA.
BP 3658 Kigali

Email : gacaca2@yahoo.fr

TEL.502694 ;
08521694

RAPPORT SUR LES CAS D’ASSASSINATS COMMIS CONTRE CERTAINS RESCAPES
DE LA PROVINCE DE GIKONGORO.

Introduction
La province de Gikongoro devient de plus en plus un théâtre d’assassinats contre les rescapés du
génocide par les sanguinaires décidés à faire disparaître les témoignages et les informations qui
devaient être données dans les procès des juridictions gacaca.
Le présent rapport relate les assassinats commis contre Monsieur Ritinduka Charles en date du
26/11/2003, contre Ndahimana Emile en date du 04/10/2003, et contre Karasira Alias
Kabombo en date du 04/10/2003.
1. Assassinat de Monsieur Rutinduka Charles.
Il a été tué en date du 26/11/2003 entre 1h et 2h. Il habite la cellule Jenda du district de Kaduha.
C’était un rescapé du génocide marié et père de 4 enfants.
Témoignages de l’épouse de la victime.
Madame Mukaneza Jeanne, épouse de Charles depuis 1998, a raconté tout ce qu’elle a vécu au
moment du meurtre de son mari.
Elle a dit que la bande des malfaiteurs est arrivée chez Charles vers 02h00.
Elle a été réveillée par les chuchotements de certains de ces malfaiteurs qui circulaient aux
alentours de la maison, tandis que d’autres avaient déjà envahi l’intérieur.
Elle avait cru que c’était des vaches qui circulaient dans l’enclos mais, quand elle s’est levée, elle a
vu beaucoup de lumière (des lampes torches) à l’intérieur de la maison et a tout de suite réveillé
son mari. Quand ce dernier est arrivé à la porte séparant leur chambre du salon, il y a rencontré
un groupe de gens qui tout de suite lui ont déclaré à haute voix : « tu t’étais montré invincible mais
aujourd’hui tu ne vas pas nous échapper ».
Elle les a entendus échanger des coups pendant quelques minutes avant de découper son mari en
morceaux.
Au moment où les uns le découpaient, les autres sont entrés dans la chambre où était son épouse
et cette dernière leur a donné 50.000frs en leur suppliant de ne pas tuer son mari mais en vain.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Ils lui ont demandée de leur donner tout l’argent qu’elle avait et la femme leur a donné un sac à
main où ils mettaient de l’argent et les bourreaux y ont pris une somme dont elle ne connaît pas
exactement le montant. En même temps qu’elle donnait ce sac, elle criait au secours. Et les
malfaiteurs pour l’empêcher de crier, ils lui ont donné un coup de machette au bras (même au
moment du témoignage, les traces étaient encore visibles) et un autre au niveau de la poitrine.
Tout à coup, elle s’est évanouie et est tombée par terre.
Les malfaiteurs, avec les lumières des torches sur son visage, ont commencé à lui demander si elle
aurait reconnu leurs visages, et l’épouse a répondu qu’elle n’a reconnu personne.
D’autres se sont dirigés vers la chambre des enfants et ont demandé à ces derniers s’ils
connaissaient où leur père cachait l’argent. Les enfants ont répondu à la négative et les bourreaux
ont ouvert la porte de cette chambre et ont demandé aux enfants de regarder comment ils
découpaient leur père. Ils ont dit aux enfants et à l’épouse qu’ils ne vont pas leur faire du mal,
mais que leur père devait perdre sa vie et sa fortune dont il se ventait.
Après, ils sont entrés de nouveau dans la chambre de la victime et ont pris tous ses habits, les
draps, la couverture et ont découpé le matelas en morceaux avant de partir.
La femme est restée toute nue et même son mari a été laissé ainsi par ses bourreaux. Avant de
partir, ils ont déposé au dessus du cadavre les chaises et les jerrycans en s’exprimant en ces termes
: « Si tu es fort reviens ».
En plus de cela, l’épouse de la victime a dit que ce n’était pas la première fois que son mari était
attaqué. Elle a dit qu’il avait échappé à deux coups :
La première fois, ils avaient voulu jeter une grenade sur lui mais le coup a raté. Parmi les
personnes ciblées dans ces coups ratés, elle a cité un certain Vincent qui, d’après l’épouse de
Charles, aurait déclaré qu’il quitte le secteur de Jenda et qu’il y retournera quand Charles ne sera
plus vivant. Il se pourrait que Vincent ait déménagé vers Kibungo.
La deuxième fois, ils avaient voulu lui donner des coups de marteau cloués et Charles est parvenu
à échapper et à s’emparer de ce marteau. Ce dernier était encore chez Charles au moment de son
enterrement.
Témoignages de Monsieur Hakorimana John.
Domestique chez Charles depuis neuf mois, Monsieur Hakorimana est originaire du district de
Kaduha dans le secteur de Gasiza. Il a dit que dans la nuit du 26/11/2003, vers 1h30, une bande
de malfaiteurs s’est rendue chez Rutinduka Charles.
Il a dit que ce jour, Charles était rentré chez lui vers 21h00 et qu’il l’avait appelé pour partager la
bière de banane. Le domestique a dit qu’au cours de leur entretien, Rutinduka lui a dit que
Bosco (qui travaillait au moulin de Charles mais qui venait d’en être suspendu) était en train de
fomenter un attentat contre sa personne (Charles), ajoutant que cette situation le préoccupait
beaucoup.
John a ajouté qu’ils se sont séparés vers 21h30, et que chacun s’est dirigé dans sa chambre à
coucher, le lit du domestique se trouvant dans une annexe construite à côté de la maison
principale.
En plein sommeil, John a été réveillé par des cris qui laissaient entendre la voix de sa Patronne
(l’épouse de Charles) et des enfants. Il s’est levé tout de suite et s’est dirigé vers le salon où était
assis Charles entouré d’un groupe de gens qui criait, « Tuez-le, n’ayez pas peur, commencez à le couper
avec la machette, coupez, n’ayez pas peur», et ils ont commencé à le couper en morceaux.
Il a dit qu’il était parti en courant en passant par la petite porte de l’enclos. Arrivé à environ 200
m de chez Charles, il a commencé à crier jusqu’à ce qu’il arrive à côté du village « Umudugudu ».
PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Les habitants du village sont venus en courant et l’ont aidé à crier au secours. Cependant, les
voisins directs de Charles ne sont pas venus au secours car disait John, ils étaient au courant de
ce qui se passait.
Ceux qui sont venus au secours se sont précipités vers le domicile de Charles. Parmi eux il y
avait : Nzabarinda Siméon, Thomas, Gakwandi, Mukarwego.
Arrivé au grand portail de chez Charles, Nzabarinda Siméon a appelé trois fois tout haut la
famille de Charles pour voir s’il y aurait une réplique venue de l’intérieur de la maison.
Entendant cet appel, la bande est sortie en courant avec beaucoup d’insultes envers ceux qui
étaient venus au secours et ces derniers ont essayé de courir derrière la bande pour voir s’ils
pouvaient en attraper un mais en vain. Ceux qui sont venus au secours se sont rassemblés à
l’école primaire située à environ 1 km de chez Charles et ont décidé d’aller informer la Police
située à environ 8 km du lieu du meurtre, au bureau de l’ancienne commune de Musange. Ils sont
revenus au lieu du meurtre vers 3h00 et tueurs étaient déjà partis.
Arrivés à l’intérieur de la maison de Charles :
- Ils ont trouvé Charles déjà mort ;
- Découpé en plusieurs morceaux de la tête jusqu’aux orteils ;
- Il n’avait plus de langue, ni dents, ni organes sexuels.
- Au dessus du cadavre, les malfaiteurs avaient mis des chaises qui étaient dans la maison,
les jerrycans et autres matériels qu’ils ont trouvé à l’intérieur de la maison ;
- Avant de partir, ils ont pris tous les habits de la victime et de sa femme et les ont
emportés.
- Ils ont également découpé en morceau le matelas de la victime et son épouse était là
toute nue.
Les autres témoins interviewés ont déclaré que parmi les personnes soupçonnées d’avoir pris par
au meurtre, il y a un certain Bosco qui travaillait chez Charles (il travaillait au moulin de Charles)
et qui avait été renvoyé de son service seulement un jour avant la date du meurtre.
Le Conseiller du secteur Jenda, Monsieur Akimana Célestin est aussi pointé du doigt car, d’après
les témoignages, il n’est pas venu au secours de la famille éprouvée durant la nuit du meurtre et
même le matin, il est arrivé un peu tard sous prétexte qu’il était allé résoudre un conflit foncier
qui opposait deux des habitants de sa cellule.
La population voisine est également accusée de ne pas être venue au secours de la famille de la
victime et, au moment de l’enterrement, seuls les habitants du village « umudugudu » situé à
environs 200m de chez Charles étaient venus nombreux, les voisins proches restant occupés à
leurs activités quotidiennes.
Parmi les causes du meurtre contre Charles, plusieurs témoignages convergent sur le fait que
Charles aurait accusé beaucoup de personnes de son secteur pour avoir participé aux actes de
génocide contre sa famille en 1994, dont le conseiller Akimana.
2. Assassinat de Monsieur Ndahimana Emile.
Celui - ci a été tué en date du 04/10/2003, quand il revenait du mariage de son ami du nom de
Kibwana Dionis vers 17h30.
D’après le témoignage de son épouse, avant d’arriver chez lui, Monsieur Emile aurait passé dans
un cabaret chez MUBERA Vénuste où un certain Ntawuruhunga lui aurait offert une bouteille de
bière de banane et une forte pluie l’a trouvé encore au cabaret.
Sa femme a attendu toute la nuit le retour de son époux mais en vain. Après deux jours, elle s’est
mise à sa recherche en commençant par la famille où il était allé au mariage. Arrivé chez
PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

110

Kibwana, on lui a dit que son mari était parti avant même qu’il ne soit tard le jour même du
mariage. Elle est allée également chez Rukanika Stanislas qui lui a dit que son mari y était passé
vers 19h30 et lui avait laissé ses souliers de peur qu’ils ne soient abîmés par la boue suite à une
pluie abondante qui venait de tomber. Il lui a dit qu’il était pressé pour aller traire ses vaches.
C’est à partir de ce moment que son épouse a commencé à croire que son mari aurait été tué.
En date du 08/10/2003, ses habits ( sa chemise et sa culotte ) ont été retrouvés tout près de la
rivière du nom de Kigogo loin du chemin qui pourrait l’amener chez lui de retour du mariage de
son ami.
En date du 12/10/2003, son cadavre a été retrouvé tout nu dans la rivière au point de rencontre
des eaux des rivières Rukarara et Mwogo dans le secteur Nkore. Il était pendu sur deux tronçons
d’arbres attachés par des cordes et avait subi des coups de couteaux sur le visage, sur la tête et au
niveau du ventre.
Parmi les gens soupçonnés d’avoir pris part à la mort de Emile, on cite un certain Habiyambere
Fidèle qui, accusé d’actes de génocide par Emile et incarcéré dans la prison de Gikongoro, a fui
cette prison et habite le même secteur que le défunt Emile (Joma).
Fidèle aurait dit à la population de ce secteur et même à Emile qu’il finira par tuer ce dernier. On
cite également certains Nkundabagenzi André et Senturo Janvier qui habitent le secteur de Joma.
Tous ont été arrêtés et sont actuellement à la prison centrale de Gikongoro.
Signalons que Ndahimana était président de Ibuka dans le secteur Joma et beaucoup de témoins
affirment qu’il détenait beaucoup de témoignages sur ce qui s’est passé dans ce secteur pendant le
génocide et avait accusé pas mal de gens d’avoir pris part aux crimes commis dans ce secteur en
1994. Il disait aussi qu’il allait continuer à livrer ses témoignages dans les juridictions gacaca.
3. L’assassinat de Karasira alias Kabombo.
Monsieur Karasira a été tué en date du 20/04/2003. Il habitait le secteur Kavumu du district de
Kaduha. Il aurait été tué par un certain Mushimiye Damascène dans le but de l’empêcher de
donner les informations sur ce qui s’est passé dans ce secteur pendant le génocide.
A part ces trois cas susmentionnés, le parajuriste d'Ibuka a cité aussi les cas de :
1. Séraphine Mukashyaka (veuve du génocide du district de Karaba ), tuée le 27/12/00 ;
2. Jean Paul Twagiramungu (fils d’un hutu témoin à charge du génocide), tué le 4/10/03 ;
3. Munyankiko, tué le 20/08/03 (secteur Gasiza), district de Kaduha ;
4. François Mutambirwa, du secteur Cyabute, district de Kaduha, tué le 3/6/03 ;
5. Athanasie Uwimana, du secteur de Remera, en ville de Gikongoro, tuée le 28/8/03.
Il a souligné aussi que pas mal de rescapés du génocide avaient été tués, menacés ou forcés à fuir
par des « génocidaires » déterminés à se débarrasser de tous les témoins à charge. Il a également
pointé du doigt le maire du district de Kaduha, Désiré Ndimbati qui, selon lui, traumatise
moralement les rescapés du génocide dont :
1. Madame Jeanne Mujawamariya, ancienne secrétaire de la commune Musange et
présidente d’IBUKA dans la même commune ;
2. Aloys Mugwizambaraga, assistant aux affaires économiques et président d’IBUKA
(successeur de Jeanne Mujawamaliya) dans la même commune, qui a échappé à 3
attentats ;
3. Laurence Mukamuhozi, veuve et témoin du génocide ;
4. M. Dominique, conseiller du secteur Kigoma, en district de Kaduha ;
PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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5. Alexis Muberuka, conseiller du secteur de Cyabute, en district de Kaduha ;
6. Zéphilin Tuyisenge, conseiller du secteur de Joma, en district de Kaduha ;
7. Vérèna Mukaremera, rescapé de Kaduha ;
Il a affirmé que 6 de ces personnes ont dû fuir leur district à cause des menaces du même Maire.
Il n’a pas manqué de mentionner une indifférence notoire ou un silence complice des autorités
compétentes et de la police face à beaucoup des cas ci-haut évoqués.
Certains de ces cas avaient été signalés par les agents de monitoring du P.A.P.G non seulement
dans leurs rapports mensuels, mais surtout lors de la réunion avec tout le personnel de terrain du
P.A.P.G en date du 31/10/2003.
Le bureau de coordination avait signalé certains de ces cas lors de la réunion tenue avec le
département de la 6ème chambre en date du 07/11/2003, mais aucune réaction de la part des
autorités compétentes n’avaient encore eu lieu jusqu’au 15/12/2003 quand une délégation
parlementaire et de l’Association IBUKA avait effectué une descente sur les lieux pour se rendre
compte de ce qui s’est passé.
Il se laisse voir que ces gens sont tués par des sanguinaires qui se sont donnés pour mission de
faire disparaître les témoins avant le lancement des juridictions gacaca au niveau national.
Le P.A.P.G déplore le silence des autorités devant ces actes ignobles qualifiés de « mission
systématique d’élimination des témoins » avant que les juridictions gacaca ne soient étendues au niveau
national.
Signalons qu’en date du 31/12/2003, un tract a été ramassé à côté de la maison de la veuve de
Rutinduka. Ce tract montre que les bourreaux n’ont pas encore déposé les armes, jusqu’à ce qu’ils
déclarent qu’ils ne sont pas découragés par les mesures prises par la police dans le cadre de
renforcer la sécurité des rescapés du génocide, d’autant plus que, disent-ils, « la police ne peut pas
assurer la sécurité de chacun des rescapés du génocide et cela de manière perpétuelle ».
Face à ce problème, il est demandé à toutes les instances concernées par la sécurité et le bon
déroulement des juridictions gacaca de suivre de près ces cas et d’autres qui s’avèrent plus ou
moins similaires à travers le pays, et d’en punir sévèrement les auteurs afin de sécuriser les
témoins en général et les rescapés du génocide en particulier, dans le but de permettre aux
juridictions gacaca d’atteindre leur objectif.
Fait à Kigali, le 10/01/2004
Francine RUTAZANA
Coordinatrice du P.A.P.G.

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Annexe 7
CLADHO, Déclaration sur la sécurité des témoins dans le processus gacaca,
12 janvier 2004

DECLARATION DU COLLECTIF DES LIGUES ET ASSOCIATIONS DE DEFENSE DES
DROITS DE L’HOMME AU RWANDA (CLADHO) SUR LA SECURITE DES TEMOINS
DANS LE PROCESSUS GACACA
Certaines localités de la Province de Gikongoro viennent d’être le théâtre d’assassinats atroces de rescapés
du génocide par des sanguinaires décidés à éliminer les personnes détentrices de témoignages et
d’informations qui devraient être livrées dans les procès GACACA. Certains des cas relevés sont les
suivants :
-

le 27/12/2000, assassinat de Madame Séraphine MUKASHYAKA en district Karaba ;
le 20/04/2000, assassinat de Monsieur KARASIRA alias KABOMBO, en district de Kaduha ;
le 04/10/2003, assassinat de Monsieur NDAHIMANA Emile, en district de Kaduha ;
le 26/11/2003, assassinat de Monsieur RUTINDUKA, en district de Kaduha.

Le CLADHO condamne ces crimes odieux et interpelle le Gouvernement Rwandais pour qu’il prenne des
mesures urgentes appropriées afin de mettre fin à de tels assassinats dans le pays, sans quoi la réussite du
processus gacaca serait hypothéquée.
Le CLADHO recommande que des enquêtes minutieuses et rapides soient menées / poursuivies et
aboutissent à l’identification et au jugement de tous les auteurs de ces crimes ignobles portant atteinte au
premier droit, à savoir le droit à la vie, qui est la condition pour l’exercice de tous les autres droits.
Un tel jugement s’avère décisif et indispensable dans la mesure où il pourra dissuader d’autres actions
d’intimidations ou de harcèlement enregistrées ici et là dans le pays à l’encontre des témoins dans le
processus gacaca.
Ayant constaté que beaucoup d’autres enquêtes ont été menées dans de telles situations, sans publication
des résultats, le CLADHO saisit cette occasion pour attirer l’attention du Gouvernement Rwandais sur le
risque de perpétuation de la criminalité si des enquêtes sur des cas de tueries aussi ignobles, ourdies par
des sanguinaires, continuaient à ne pas avoir d’effet réel.
Fait à Kigali, le 12 janvier 2004
Pour le CLADHO
Bernadette MUKARUTABANA

Présidente

PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Annexe 8
Présentation du colonel F. Rusagara sur le concept de camps de solidarité,
conférence internationale sur le Génocide, Kigali, avril 2004
Le concept des camps de solidarité : une approche militaire pour la réintégration et la
promotion d’une identité rwandaise fondée sur des institutions et des valeurs
précoloniales supposées121
Selon le Colonel Rusagara (§34), la mission de reconstruction du Rwanda qui passe par l’union et
la réunion de son peuple, a commencé au niveau de l'armée. Afin de progresser dans sa mission,
la Force de Défense du Rwanda (« RDF » ex. Armée Patriotique rwandaise/RPA) a jugé
nécessaire d’intégrer d’anciens soldats de la FAR faits prisonniers à ses propres forces (…).
(§35) Le processus d’union et de réunion impliquait de rassembler les anciens combattants dans
des camps ou des centres de réorganisation afin de les informer de la politique nationale, en
mettant l’accent sur la réconciliation et l’unité nationale. Le concept des camps de réorganisation
(qui ont par la suite été renommés « camps de solidarité » par la Commission pour l’Unité et la
Réconciliation Nationales (NURC)), a été mis au point selon le modèle de l’Amotorero122 de la
période précoloniale. Dans ce même contexte, les camps de réorganisation sont appelés Ingando
(camps militaires traditionnels), ce qui signifie que les individus présents dans ces camps sont
amenés à se reconstruire selon l’idéologie de la Rwandanicité123.
(§36) La RPF/A a été l’un des précurseurs du concept de l’Ingando à travers le processus
d’intégration des anciens combattants, tout en respectant un caractère national sous l’égide de la
Commission pour l’Unité et la Réconciliation Nationales. De fait, l’Ingando a été adopté par la
Commission comme l’un de ses principaux vecteurs d’intégration dans la société au sens large.
121 Résumé, par PRI, d’une partie d’une présentation du Colonel Frank Rusagara, avril 2004, Col. F. Rusagara,
Commandant Rwanda Military Academy, Nyakinama, Presentation to the International Conference on Genocide, on Prevention
and Intervention to Stop Genocide : Political Will, Legal Instruments, Mechanisms, Constraints, Resources…”, date indéterminée,
21 pages, 51 paragraphes
122 Selon le Colonel Rusagara (2004: 4) l’Amatorero provient d’un ensemble de régiments militaires pré coloniaux au
sein desquels l'idéal et les valeurs de la Rwandanicité étaient inculqués pour créer une identité commune. Des cours
d’histoire et de culture étaient dispensés sur l’identité individuelle rwandaise. Ces thèmes étaient également souvent
abordés à travers des poèmes, des chansons et des danses. Ainsi par exemple, la célèbre danse rwandaise appelée
Intore, était au départ la danse militaire de l’Itorero (régiment). L’Intore était une danse de héros. En fait, dans la langue
Kinyarwanda, le mot Intore désigne des héros et des personnages célèbres. Comme le montre l’Amotorero destiné aux
jeunes femmes et aux jeunes hommes, toute leçon pouvant être tirée de l’histoire était valorisée.

Le Colonel Rusagara affirme également (2004:4) que c’est donc à travers ce type de poésie que le concept de la
Rwandanicité a trouvé une existence durable qui s’est manifestée par la stabilité sociale et la puissance militaire. Plus
loin (2004:2-3), l’auteur affirme qu’avant la colonisation, la Rwandanicité représentait la compréhension que le peuple
rwandais avait de lui-même, les connaissances qu’il avait sur lui-même en tant que peuple et la façon dont il
définissait son pays. La Rwandanicité répondait à un certain nombre d’actions positives ou négatives qui servaient
depuis longtemps de critères de mesure de la valeur de chaque individu au sein de la société rwandaise. Pour les
Rwandais, le Rwanda était un état d’esprit. Le Rwanda était le meilleur pays. Etre un gentleman rwandais (imfura
y’iRwanda) impliquait d’adhérer aux normes et aux valeurs inculquées pendant longtemps. Cet ensemble était codifié
dans le Kamere y’u Rwanda, qui définissait à lui seul le véritable rwandais. Au sens premier, ce terme désigne les racines
qui permettent et soutiennent le développement. Etre qualifié de « sans racines » (Kamere) était ressenti comme une
véritable insulte. Au cours des années 90, la RPF/A s’est efforcé de ramener l'identité rwandaise à ses racines pour
que les personnes puissent à nouveau s'épanouir et se réaliser. A l’inverse, pendant la période post coloniale,
Kayibanda et Habyarimana qui (selon Rusagara) n’avaient pas internalisé la notion de Rwandanicité, pensaient que
l’identité rwandaise pouvait être exilée.
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PRI - Rapport Gacaca VI - Mai 2004

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Les commissaires politiques de la Force de Défense du Rwanda sont toujours en fonction dans
les camps de solidarité chapeautés par la Commission, en tant que personnel actif et consultants.
Cela souligne le rôle continu de l’armée à la fois dans les forces armées et dans toutes les couches
de la société en matière de réconciliation et de gestion de conflits. L’Ingando comporte également
des ateliers participatifs au sein desquels les officiers et les hommes de la RDF entrent en contact
avec les anciens officiers et les hommes appartenant à la FAR, dans le cadre d’un processus qui
dure généralement deux mois au minimum.
(§38) La stratégie de la RDF vise à mettre en place une plateforme permettant de réfléchir aux
moyens de construire un Rwanda unifié et réconcilié, fondé sur les idéaux de la Rwandanicité.
S’inspirant des exercices participatifs de l’Ingando, la RDF a mis au point un programme
d’éducation civique destiné, notamment, à faire prendre conscience au peuple rwandais, de la
nécessité d’une réconciliation et de la reconstruction d’une société s’appuyant sur la cohésion.
L’objectif est de permettre aux participants de tirer des leçons du passé afin de bâtir un pays
réunifié et prospère. Faisant appel aux méthodes d’analyse et aux connaissances qui leurs sont
fournies, ces derniers sont à même de comprendre les événements socio-économiques et
politiques qui ont modelé le Rwanda actuel. Les participants sont encouragés à assumer des
responsabilités individuelles et collectives pour relever les défis nationaux. A travers le processus
de l’Ingando, les participants prennent peu à peu conscience que des facteurs d’union tels que
l’histoire, la langue, la culture, le patrimoine commun et les défis socio-économique du pays
représentent un terrain commun sur la base duquel les questions d'importance nationale peuvent
être résolues. L’objectif est de promouvoir une identité rwandaise qui pourra servir de base pour
l'établissement d'une paix et d'un développement durables. Les Ingandos s’adressent à l’ensemble
de la société et comptent parmi leurs rangs aussi bien des jeunes ayant suivi une formation
supérieure que des leaders d’opinion appartenant à divers niveaux de l’administration, des juges
des tribunaux traditionnels gacaca, des personnes revenues au pays, et récemment, des prisonniers
placés en liberté conditionnelle. Ainsi les personnes de retour dans le pays et les prisonniers sontils préparés pour une réintégration en douceur dans leur communauté. Dernièrement, les Ingandos
ont également été utilisés pour compléter le système des juridictions gacaca. Par exemple, avant de
comparaître devant ces tribunaux, les prisonniers en liberté conditionnelle sont orientés par
l’Ingando.
(§39) L’Ingando se veut un système de réparation et de réconciliation. Son objectif est d’apporter
aux participants des informations sur l’évolution du pays, de leur fournir un espace de discussion
sur les causes du génocide et sur le rôle qu’ils ont eux-mêmes joué dans ce dernier. Les
participants sont également encouragés à reconnaître ouvertement leurs torts et à demander
pardon devant les victimes et la communauté. Cela leur permet de se préparer à une réintégration
progressive. Il faut espérer que les informations fournies par les participants, au cours des séances
d’Ingando, sur leur rôle dans le génocide serviront à renforcer le processus juridique des gacaca.
Finalement, au cours de ces séances, les participants prennent part à des programmes
communautaires consistant, par exemple, à fournir un abri aux victimes du génocide, quelles que
soient leurs origines.
(§40) Au sein de l’armée, l’interaction entre les différents protagonistes de la guerre offre un
modèle de réconciliation et d’unité nationale pour l’ensemble de la société. L’armée qui repose sur
l'esprit et le travail d'équipe participe à la réalisation des objectifs et des projets du pays. En effet,
l’armée définit clairement l’ennemi commun de l’idéal national de garantie de la sécurité. Ainsi,
c’est grâce à ce processus d’intégration que la RPF/A a pu démystifier l’incompatibilité supposée
entre les identités Hutu et Tutsi dans le cadre du Rwanda de l’après génocide.

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