Fiche du document numéro 30682

Num
30682
Date
Septembre 2012
Amj
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
7032181
Pages
4
Titre
Silence Turquoise [Extrait : « Une anomalie judiciaire : l'affaire Didot et Maïer »]
Page
19-23
Nom cité
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Mot-clé
Source
Extrait de
Silence Turquoise, Rwanda, 1992-1994 - Responsabilités de l'État français dans le génocide des Tutsi, Don Quichotte, septembre 2012, pages 19 à 23.
Type
Livre (extrait)
Langue
FR
Citation
Deuxième anomalie judiciaire : l'absence totale d'enquête après la mort de trois autres Français, dont deux gendarmes en mission au Rwanda. Jean-Paul Maïer [Pour l'état civil, Maïer se prénomme René, mais son prénom d'usage était Jean-Paul.], Alain Didot et son épouse Gilda ont été tués à Kigali quelques heures après l'attentat contre l’avion du président Habyarimana. Comme pour Jacquy Héraud, Jean-Pierre Minaberry et Jean-Michel Perrine, le ministère public a fait le mort...

Aujourd'hui, personne ne peut dire où, quand et comment ces trois Français ont été assassinés. Les informations disponibles semblent peu fiables.

D'abord, la question du moment. Les registres de l'état-civil mentionnent deux dates de décès : le 6 avril à 21 heures et le 8 avril à 16 heures [La deuxième mention a été portée en août 1994, après une décision du procureur de la République de Nantes en date du 31 mai 1994.], alors qu’il apparaît que les Didot et Jean-Paul Maïer ont plutôt été tués le 7 avril 1994. Ce jour-là, Jean-Paul Maïer a eu une dernière conversation téléphonique avec ses anciens collègues en France à 13 heures, selon son fils Christophe. Quant à Alain Didot, il a appelé sa belle-famille très tôt ce matin-là, et aurait eu un ultime contact avec sa hiérarchie à 14 h 30, d'après un document « confidentiel Défense » signé par les colonels Cussac et Maurin. L'ambassade de France à affirmé n’avoir été informée de ces décès que le 8 avril. Ce que dément aujourd'hui un ancien agent des services consulaires de l'ambassade de France à Kigali. Pierre Nsanzimana, qui n'avait jamais témoigné jusque-là, assure que la secrétaire de l'ambassadeur [Jean-Michel Marlaud.], dépassée par les événements, l'a appelé chez lui le 7 avril à la mi-journée pour lui demander son aide : « On vient de perdre deux coopérants. Qu'est-ce qu'il faut faire ? » Ce qui semble attester que deux personnes au moins étaient déjà décédées à ce moment-là.

Ensuite, la question du « comment ». Selon un certificat établi le 13 avril 1994 à Bangui par un médecin militaire [Certificat signé par le médecin-chef Michel Thomas qui faisait partie des forces françaises stationnées à Bangui en Centrafrique où les trois dépouilles mortelles avaient été transportées.], Jean-Paul Maïer serait mort de manière « accidentelle » et par « balles » (au pluriel), ce qui semble difficilement compatible. Selon des informations données aux familles par l'armée, Alain Didot a été tué à la machette ; Gilda, elle, a été touchée par une rafale d'arme automatique.

Puis vient la question des auteurs. Très vite, les sources diplomatiques et militaires ont déclaré et écrit que la mort des trois Français était imputable au FPR qui, pourtant, n'utilisait jamais la machette. Seul le général Jean-Pierre Huchon [Ancien chef de corps du 1* RPIMa, adjoint du général Quesnot à l'état-major particulier du président Mitterrand puis chef de la mission militaire de coopération (1993-1995).] a fait exception, bizarrement : dans un télégramme « confidentiel Défense » adressé à la famille Maïer le 13 avril 1994, il a accusé les « milices armées rwandaises ». Quant au mobile du crime, il reste flou. Que l’on sache, jamais un militaire français n’a été tué de sang-froid au Rwanda, que ce soit par l'armée régulière, par le FPR ou par un civil isolé.

Ce triple assassinat est d'autant plus mystérieux qu'il semble lié à l'attentat du 6 avril, même si on ne peut l’affirmer. Peut-être fallait-il éliminer le radio transmetteur Alain Didot parce qu'il avait capté des communications qu'il n'aurait pas dû entendre, au soir du 6 avril. Sa villa était idéalement située pour écouter des communications émanant soit du lieu de garnison du FPR, soit de la caserne de la garde présidentielle de Kimihurura, tous deux situés dans un rayon de trois cents mètres, soit de la tour de contrôle de l'aéroport, distante de deux ou trois kilomètres. Tous ces sites étaient à la portée de son antenne, sachant que le matériel militaire est très performant. Ceux qui avaient intérêt à supprimer ainsi un témoin gênant étaient certainement impliqués dans l'attentat contre l'avion présidentiel.

Enfin, nul ne peut dire si ces trois Français ont été tués au même moment, en un même lieu et par les mêmes personnes. Leurs corps ont pourtant été retrouvés au même endroit, sommairement enterrés dans le jardin de la villa des Didot. Ce sont des casques bleus belges. Les militaires français leur avaient demandé leur concours le 10 avril [Les Didot vivaient dans un quartier de Kigali proche du lieu de cantonnement du FPR, où les Français pensaient ne pas pouvoir mener les recherches en toute sécurité.], Les soldats belges ont d’abord découvert les dépouilles d'Alain et Gilda Didot et de Damascène, leur jeune veilleur, le 12 avril ; puis celle de Jean-Paul Maïer à la mi-journée le lendemain. Dans leurs comptes rendus, les hommes de la Minuar ont évoqué la possibilité que les corps aient été transportés post-mortem jusqu'à la villa des Didot.

Les corps des trois Français sont arrivés au Bourget le 15 avril, avec ceux des trois membres de l'équipage du Falcon 50. Une cérémonie d'hommage a eu lieu dans un hangar de l'aéroport en présence de François Léotard et Michel Roussin, ministres de la Défense et de la Coopération.

Aujourd'hui, le fils de Jean-Paul Maïer, Christophe, est amer : « Je me demande pourquoi mon pays ne prend pas la peine ou ne se donne pas les moyens de défendre la mémoire d'un de ses soldats [Entretien du 19 décembre 2005 au domicile de Christophe Maïer.]. » Le frère de Gilda Didot, Gaétan Lana, se souvient que ses parents, Angelo et Laura, des Siciliens arrivés en France au début des années 1950 et morts à trois jours d'intervalle en juillet 2011, n’ont jamais compris ni accepté ce silence officiel.

Christophe Maïer et Gaétan Lana confirment qu'ils ont reçu des « conseils » dans les mois qui ont suivi avril 1994. Il fallait rester discrets, disent-ils, ne pas faire de bruit ni alerter l'opinion. Encore moins porter plainte. « On a eu affaire à quelqu'un, un militaire, qui a fait signer un texte à mes parents : une sorte d'engagement qu'ils ne chercheraient pas à savoir quoi que ce soit sur la mort de leur fille [Entretien téléphonique du 17 octobre 2006.] », explique le frère de Gilda Didot.

Dans une quête ultime d’explications, Gaétan Lana se tourne maintenant vers la justice. Au début de l’année 2012, il a demandé à être entendu comme témoin par le juge Trévidic. Si le magistrat l'invite à se constituer partie civile, ce sera le signe que l'hypothèse d’un lien entre ces trois assassinats et l'attentat mérite d’être étudiée.

Christophe Maïer, lui, hésite encore à remuer un passé qui reste douloureux. Il veut que la mort de son père soit enfin reconnue pour ce qu’elle est : Jean-Paul Maïer est « mort pour la France », au Rwanda, en avril 1994, lors d'une mission. Pourquoi et par qui a-t-il été tué ? Ces questions, qu'il n'arrive pas encore vraiment à poser, restent en suspens. Pour l'heure, en tout cas.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024