Fiche du document numéro 30491

Num
30491
Date
Mardi 16 août 1994
Amj
Hms
20:00:00
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
33718
Pages
5
Sur titre
Journal de 20 heures
Titre
Professeur Alexandre Minkowski : « Le départ de l'armée française est catastrophique. Nul n'est mieux équipé que l'armée française pour faire de l'action humanitaire »
Sous titre
À Goma l'urgence concerne aujourd'hui les enfants, orphelins ou abandonnés.
Nom cité
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Lieu cité
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Résumé
- Next Monday [August 22] the last French people present in Rwanda will leave the country. The refugees are worried about it. Further north, in Goma in Zaire, the situation in the camps is still very difficult. Out of 800,000 refugees in the Goma region, more than half are children.

- He can hardly stand on his legs as the lack of food has weakened him. An old man found him alone by the side of the road and brought him to the orphanage in this refugee camp. It happened this morning and no one knows anything about the story of this lost child. He, on the other hand, remembers and tells how his parents died in a bombardment. But when you ask him how long he's been here, he says a year or three months. He has completely lost track of time.

- Sometimes luck smiles on a few, like this baby barely a month old that his father has just found among the orphans in the camp. There are a thousand of them here, hosted by the Irish organization "Goal", which has set up the orphanage for a week.

- If for a few days the distributions of water and food have made life easier in the camps and made it possible to stop the cholera epidemic, the weaker and malnourished children still suffer from all kinds of diseases. Despite treatment and medication, every morning a few dozen of them are found dead in tents. An Irish nurse explains that the leading cause of death is pneumonia. But they also die of dysentery and possibly of the HIV virus as well. There are a large number of children with AIDS.

- Outside the camps, private orphanages in town have had to accommodate hundreds of children when nothing was preparing them for it. Apart from the goodwill of those who work there, by the admission of the doctor of this Zairian center, everything is lacking. Dr Mukanya Mbuyi, "Doctor, Zairian Association 'CAREA'": "It was first an orphanage. Now it has become practically a hospital. Practically we lack everything. days. And we come to discover them only after".

- In Goma, the emergency today concerns children, orphans or abandoned. By the dozen each day, they continue to flock to the already overcrowded orphanages.

- Professor Alexandre Minkowski, "Pediatrician - Member of the Honorary Committee of UNICEF": "We talked about the greatest humanitarian disaster of all time. I would like to demystify it a little bit so as not to forget the others. that at UNICEF we have taken the count: there are 35,000 children under the age of five who die in the Third World with the utmost indifference. This is what I call 'the Holocaust silent'. […] We must not forget that in there, there is the immense mass of orphans and children, traumatized, who wander with or without their parents in the no man's land of northern Rwanda and in the secured by the wonderful French army. As it leaves, everyone is going to leave because we only have confidence in the French army. So I worry a lot. Since you tell me what it is. must be done immediately: the departure of the French army is catastrophic. I don't want to sing cocoricos but this band of young people, with c exemplary officers, whom I also saw in Bosnia, like that, found a remarkable new motivation: it is humanitarian action. No one is better equipped than the military to do this. It's amazing. Better even than all NGOs. Therefore I believe that we should do the impossible so that Europe, for once, does not lower its pants. But what is going to happen? The French will be gone, there will be vague contingents of Ghanaians, etc. People are getting the hell out of it and I understand them. They are afraid without the French. So, first of all, the UN must do something other than talk. Europe must mobilize. And it is his shame now! It is his shame that he did nothing. So I insist on the political problem. Second, we have to be interested in what will become of these people. I am used to going to these countries, like Cambodia, where everyone has a traumatic psychopathy due to the crimes they have seen. [It is necessary to provide these people] with psychotherapeutic care. It is a priority emergency. These subjects must not be living corpses for them to become operational in their country".
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
[Dominique Bromberger :] Lundi prochain [22 août] les derniers Français présents au Rwanda quitteront le pays. Les réfugiés s'en inquiètent. Plus au nord, à Goma au Zaïre, [inaudible] qui devait ramener certains d'entre eux dans leur pays a été annulé : il n'y avait plus de candidats au retour ! Et pourtant dans les camps la situation est toujours très difficile, [inaudible] pour les enfants. Sur 800 000 réfugiés de la région de Goma, plus de la moitié sont des enfants. Ils sont plus facilement touchés par les maladies. Reportage de Nellie Pons et Mathieu Dupont.

[Nellie Pons :] Il tient à peine sur ses jambes tant le manque de nourriture l'a affaibli. Un vieux, nous a-t-on dit, l'a trouvé seul au bord de la route et l'a amené à l'orphelinat de ce camp de réfugiés. Il est arrivé ce matin et personne ne sait rien de l'histoire de cet enfant perdu [on voit un enfant squelettique au milieu d'autres jeunes enfants].

[Une femme noire qui s'occupe des enfants : "Lui il ne sait pas. Il n'a pas parlé, il a refusé"].

Lui par contre se souvient [l'enfant raconte son histoire en kinyarwanda] et raconte que ses parents sont morts dans un bombardement à Ki… [inaudible]. Mais quand on lui demande depuis combien de temps il est ici, il dit un an ou bien trois mois. Il a complètement perdu la notion du temps.

Parfois la chance sourit à quelques-uns, comme ce bébé âgé d'à peine un mois que son père vient de retrouver parmi les orphelins du camp. Chaque jour des [inaudible] de l'orphelinat, dans l'espoir souvent déçu de retrouver leur enfant. Ils sont un millier ici, accueillis par l'organisation irlandaise "Goal", qui a monté l'orphelinat depuis une semaine.

Si depuis quelques jours les distributions d'eau et de nourriture ont facilité la vie dans les camps et permis d'enrayer l'épidémie de choléra, les enfants plus faibles et mal nour… [inaudible] encore de toute sorte de maladies [gros plans sur des enfants malades et très amaigris]. Malgré les soins et les médicaments, chaque matin, quelques dizaines d'entre eux sont retrouvés morts sous les tentes.

[Léonie Canavan, "Infirmière, Association Irlandaise 'GOAL'" [elle s'exprime en anglais mais ses propos sont traduits] : "La première cause de mortalité est la pneumonie. Ils meurent aussi de dysenterie et peut-être aussi du virus HIV. Il y a un grand nombre d'enfants atteints du SIDA", explique cette infirmière irlandaise.]

En dehors des camps [on voit un portail s'ouvrir, sur lequel se trouve inscrit : "Carea, N/Kivu, BP : 695, Goma."], des orphelinats privés en ville ont dû accueillir des centaines d'enfants alors que rien ne les y préparait. Hormis la bonne volonté de ceux qui y travaillent, de l'aveu même du médecin de ce centre zaïrois, on y manque de tout.

[Dr Mukanya Mbuyi, "Médecin, Association Zaïroise 'CAREA'" : "C'était d'abord un… orphelinat. Maintenant c'est devenu pratiquement un hôpital. [Inaudible], euh…, euh, des machines à peser, il nous manque des stétos, il nous manque des lits. Pratiquement il nous manque tout. Et ça fait que certaines maladies passent inaperçues pendant des jours. Et on vient les découvrir seulement après".]

À Goma, l'urgence concerne aujourd'hui les enfants, orphelins ou abandonnés. Par dizaines chaque jour, ils continuent d'affluer vers les orphelinats déjà surchargés [on voit une femme blanche tenir dans ses bras plusieurs enfants].

[Dominique Bromberger interviewe à présent en plateau Alexandre Minkowski.]

Dominique Bromberger : Invité de ce journal, le professeur Alexandre Minkowski qui revient d'une mission pour l'UNICEF au Zaïre et qui se trouvait à Goma. Monsieur le professeur, bonsoir.

Alexandre Minkowski, "Pédiatre - Membre du Comité d'Honneur de l'UNICEF" : Bonsoir.

Dominique Bromberger : Alors, pffou…, ce que nous venons de voir est terrible. Ces enfants peuvent-ils être soi… [inaudible]. Certains d'entre eux semblent -- même si on peut les sauver physiquement --…, semblent ébranlés dans leur personnalité.

Alexandre Minkowski : Oui.

Dominique Bromberger : Qu'avez-vous ressenti vous-même ?

Alexandre Minkowski : Une première chose : euh, le reportage m'a intéressé parce que le docteur Mbuyi, euh…, est zaïrois, euh…, et il opère dans ce centre de COREA, ou CAREA. Et j'ai vu là-bas -- faut le voir pour y croire ! --, euh…, quatre par quatre, des petits nourrissons de moins de six mois, tous perfusés, euh…, gémissants plaintivement. Je pense que ce sont les derniers survivants du choléra parce que le choléra a tué tout ce qui pouvait maintenant. Et je crois que la…, la maladie est en régression. Euh…, si vous per… [inaudible] un préalable important : il y a des choses [inaudible], il y a des endroits où la télévision [inaudible]. On a parlé de la plus grande catastrophe humanitaire de tous les temps. Vous savez, il y a des gens qui aiment bien, euh…, exagé…, non pas exagérer mais parler de "tous les temps", de "la plus grande catastrophe". Je voudrais quand même un peu démystifier ça pour ne pas oublier les autres. Sachez qu'à l'UNICEF on a fait le compte : il y a 35 000 enfants de moins de cinq ans qui meurent dans le tiers-monde dans l'indifférence la plus totale. C'est ce que j'appelle "l'Holocauste silencieux". Je voudrais le rappeler parce que l'UNICEF -- dont je suis membre du comité d'honneur qui m'a envoyé là-bas -- est la seule à le rappeler. Je cite au passage l'effroyable Sud-Soudan, euh…, exécuté [inaudible] pu ramener Carlos, en passant. Je parle du Mozambique, de l'Angola et de tous les autres pays que j'ai travaillé [sic], en particulier la Bosnie et le Cambodge. Donc, euh, ce qui est grave, là, c'est vrai ! Mais moi, ce qui me…, ce qui m'a toujours orienté dans le tiers-monde, c'est la ré…, la capacité des gens à s'organiser dans la catastrophe et la capacité des enfants à récupérer. Faut pas perdre cet espoir. Et c'est pour ça que la note un petit peu particulière que j'apporterais, c'est que ces enfants, qu'on a trouvé dans 90 % des cas au bord de la route à côté du cadavre de leur mère -- euh…, c'est presque la majorité --, euh…, on les appelle pudiquement "les enfants non accompagnés". Croyez-moi. Alors ils ont un bracelet jaune autour de leur bras, avec un nom qu'on a inventé. Est-ce qu'ils vont retrouver leur mère ? Franchement dit, ça me paraît, dans la majorité des cas, improbable. Et quand on veut les retirer du cadavre de leur mère, c'est déchirant. Ils poussent des cris dans le genre de "Mama, mama !", etc. Enfin, je veux pas faire du pathos exagéré. Mais c'est vous dire que ces enfants, il y en a une grande partie qui arrivent dans ce… grand camp où j'étais à Ndosho. Je tiens à le signaler parce que c'est un merveilleux centre -- je dis bien : merveilleux -- où les médecins et les infirmières zaou…, zaïrois se… dévouent sans arrêt avec une compétence extraordinaire. Et justement, j'ai reconnu là-bas le docteur Mbuyi. Vous…

Dominique Bromberger : Alors que…, que peut-on faire et que doit [inaudible] pour eux ?

Alexandre Minkowski : Bon. Écoutez, euh…, ça c'est une chose que j'ai un petit peu rapidement vu mais je ne dirais [inaudible] parler d'évaluation. Je suis même allé voir le camp de la mort de Kibumba, à 40 kilomètres de là. Euh…, ce qu'on peut faire… Il faut pas oublier que là-dedans, il y a ce que j'ai vu, et puis il y a l'immense masse des orphelins et des enfants… traumatisés qui errent, euh, avec ou sans leurs parents dans le no man's land du Rwanda du nord et dans la partie, euh…, soi-disant sé… -- je dis pas soi-disant -- sécurisée par la merveilleuse armée française. Comme elle s'en va, tout le monde va s'en aller parce qu'on a confiance que dans l'armée française. Alors je m'inquiète beaucoup. Puisque vous me dites ce qu'il faut faire dans l'immédiat : le départ de l'armée française est catastrophique. Je veux pas chanter des cocoricos mais cette bande de jeunes gens, avec des officiers exemplaires -- que j'ai vu aussi en Bosnie, pareil --, ont trouvé une nouvelle motivation remarquable : c'est l'action humanitaire. Nul n'est mieux équipé que l'armée pour faire ça. C'est étonnant. Mieux même que tous les ONG [sic]. Par conséquent je crois qu'il faudrait faire l'impossible pour que l'Europe -- ça c'est un problème politique et j'insiste sur ce côté là --…, il faudrait que l'Europe pour une fois ne baisse pas son pantalon. Or qu'est-ce qui [inaudible] : les Français seront partis, il y aura des vagues contingents de Ghanéens, etc. Les gens foutent le camp et je les comprends. Ils ont peur sans les Français. Donc, premièrement, il faut que l'ONU fasse autre chose que des paroles. Il faut que l'Europe se mobilise. Et c'est sa honte actuellement ! C'est sa honte de n'avoir rien fait. Donc j'insiste sur le problème politique. Deuxièmement, euh, le petit camp dont je vous parle, il a 3 000 sujets qui sont lavés tous les matins, qui sont, euh…, qui boivent de l'eau propre, euh, qui y ont des couvertures [sic] qu'il faut laver tous les matins. Alors, première urgence : il faut envoyer par centaines de milliers -- car la saison des pluies approche, il va y avoir [inaudible] couches jetables, des couvertures, envoyer des jouets aussi. Et aider ces gens par la présence de…, de médecins, non seulement de Zaïre [sic] mais d'autres endroits, à aider tout ce monde là. Parce que je vous le rappelle, 100 à 200 000. Deuxièmement, il faut s'intéresser, euh, disons, à ce que vont devenir ces… Un certain nombre d'entre eux chantent, sont gais, ils ont des ressources extraordinaires comme les enfants du jeune âge. Mais il y en a toute une partie que j'ai vu qui sont décharnés, accroupis, euh, euh, faisant leurs selles toute la journée, qui sont sanglantes -- ça c'est pas le choléra c'est la dysenterie --…, euh, en effet pas sur du sol qui est d'ailleurs volcanique et… qui… répand tout ce qu'on veut, euh, sur une toile propre ! Mais [inaudible] une tête, ils ont un cerveau ! Comme les enfants traumatisés de Bosnie. Par conséquent, moi j'ai l'habitude d'aller dans ces pays, comme le Cambodge, où tout le monde a une psychopathie, euh…, traumatique par les crimes qu'ils ont vus, par les Bosniaques, etc., c'est-à-dire par une équipe de gens qui en plus de la tendresse nécessaire, apportent une…, un soin psychothérapique. Ça paraît curieux que je puisse dire ça. C'est une urgence prioritaire. Et je vous dirais que je vais me mobiliser à fond pour ça. Et l'UNICEF : il faut que l'aide soit multipliée par 10 et par 100. Il faut que ces sujets ne soient pas des cadavres vivants. Il faut absolument que le monde entier se mobilise pour aider ça à fond. Non pas les 3 000 dont je vous parle mais les [inaudible] abominables. La personne humaine, elle a…, elle a besoin de son cerveau pour que ces sujets deviennent opérationnels dans leur pays. Par conséquent, en dépit des… démissions politiques, il faut que la bonne volonté générale, et même celle des États, se mobilise pour qu'on cesse de voir ce drame.

Dominique Bromberger : Merci professeur Minkowski.
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