Fiche du document numéro 30381

Num
30381
Date
Samedi 2 juillet 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
38461
Pages
5
Urlorg
Titre
Rwanda : Védrine contre Védrine
Nom cité
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Type
Blog
Langue
FR
Citation
Le tribunal de Paris m’a condamné pour diffamation à la demande d’Hubert Védrine sur l’affaire du Rwanda en mai 2022. J’ai décidé de ne pas faire appel de cette décision. Il m’est en effet reproché d’avoir fait porter des responsabilités pénalement répréhensibles, comme celles de complicité de crime de génocide, à l’ancien secrétaire général de l’Elysée alors qu’il n’a jamais été condamné pour de tels faits. Je me conformerai donc à cette décision de droit.

Décision du tribunal de Paris



Le tribunal a aussi jugé que j’étais « légitime de prendre part au débat portant sur le rôle de la France dans les tragiques événements survenus au Rwanda » (i.e. le génocide contre les Tutsi) et « d’évoquer la personne d’Hubert VÉDRINE au regard du rôle de secrétaire général occupé par celui-ci à l’époque ».

[Extrait de la décision du tribunal de Paris, page 19]

« La parole de Guillaume Ancel est, en particulier, précieuse dans ce débat dès lors qu’il est au nombre des officiers qui ont été déployés au Rwanda, dans le cadre de l’opération Turquoise et a ainsi directement vécu les événements en cause à un poste de commandement.

Témoignant de son expérience personnelle et professionnelle, il est donc tout à fait légitime de prendre part au débat portant sur le rôle de la France dans les tragiques événements survenus au Rwanda à cette période.

Il est tout aussi légitime, dans ce débat, d’évoquer la personne d’Hubert VÉDRINE au regard du rôle de secrétaire général occupé par celui-ci à l’époque, rôle lui conférant une proximité avec le Président de la République et les membres du gouvernement dont les décisions sont questionnées à travers les recherches effectuées sur la base des archives nationales et auxquelles il est, peu à peu, permis d’accéder au gré des autorisations désormais délivrées.
 »

Questionner le rôle d’Hubert Védrine dans la politique désastreuse de l’Elysée au Rwanda



Alors donc, en évitant de diffamer ce cher monsieur Védrine qui a toujours montré son attachement au débat démocratique, je vais questionner cet ex-secrétaire général de l’Elysée.
En effet, le rapport Duclert sur le rôle de la France dans le génocide contre les Tutsi au Rwanda, tout comme le président Emmanuel Macron, concluaient en mai 2021 à une « responsabilité lourde et accablante » de la politique menée par l’Elysée, qui mena tout droit à un « désastre français » en rendant « possible un génocide prévisible ».

Cette dernière citation est tirée du rapport Muse demandé par le gouvernement rwandais et me semble bien résumer ce qui peut être reproché à l’Elysée. Il n’y a jamais eu d’accusation de complicité au sens d’avoir participé au génocide, mais des faits particulièrement graves de soutien à ceux qui le commettaient.

A ce jour de 2022, personne en France n’a pourtant été jugé responsable de cette « politique désastreuse » qui rendit possible ce million de morts : en 1994, eut lieu l’avant-dernier génocide du vingtième siècle (avant Srebrenica en Bosnie), sans doute le seul que la France aurait pu empêcher et ce n’est pas ce que nous avons fait parce que l’Elysée en avait décidé autrement.

Cette absence de toute responsabilité individuelle constitue désormais une nouvelle controverse sur cette affaire du Rwanda, tandis que le président Macron a lui-même reconnu dans un discours à Kigali la responsabilité politique et donc collective de la France dans cette désastreuse affaire, dont les Français n’avaient pas vraiment été informés jusqu’ici.

Maria Malagardis, une des grandes connaisseuses du sujet, résume en quelques paragraphes les principales questions qui continuent d’interroger la société française sur le soutien apporté à ceux qui commettaient le génocide : [voir son article] « "Védrine", "Rwanda" : que peut-on dire sur les réseaux sociaux du rôle de la France pendant le génocide des Tutsis ? »

Une politique qui a rendu possible un génocide prévisible



Lors de ce procès, que M. Védrine a gagné sur le seul point de la diffamation et non sur son rôle dans cette affaire qui n’a effectivement encore jamais été jugé, l’ancien secrétaire général de la présidence de la République a refusé une fois de plus les conclusions du rapport Duclert. Cette commission d’historiens a pourtant étudié pendant deux ans une partie des archives et son travail a été salué par l’ensemble de la société française en dehors des habituels forcenés du Rassemblement national. M. Védrine rejette ainsi ces conclusions, qui sont accablantes pour l’Elysée, parce qu’elles sont à ses yeux « sans lien avec les analyses du rapport lui-même ».

Pour ma part, puisque la Justice juge « légitime » que je prenne part à ce débat, je voudrais mettre en lumière quelques éléments qui interrogent plus que jamais sur le rôle d’Hubert Védrine.

Malgré son air impassible, voire détaché, dans cette affaire du Rwanda, Hubert Védrine se bat d’abord contre… Hubert Védrine.

Védrine contre Védrine



En effet, d’un côté il y a le proche conseiller et l’admirateur du président François Mitterrand qui ne peut pas admettre la moindre faille, la moindre erreur de son maître à penser, devenu au fil des années l’icône d’un Parti socialiste qui sombre avec lui.

François Mitterrand, sans doute une des figures politiques françaises les plus importantes de la deuxième moitié du vingtième siècle, est devenu « infaillible » dans son esprit, une sorte de divinité que François Mitterrand lui-même n’aurait pas forcément appréciée.

Pourtant remarquablement conseillé par Hubert Védrine, le président Mitterrand s’était d’abord opposé à la réunification allemande, avant de protéger « l’allié serbe » dans une guerre des Balkans que ce dernier avait déclenchée et qui massacrait allègrement les autres populations avec une brutalité qui n’est pas sans rappeler celle de l’armée russe de Poutine en Ukraine.

Dans cette même période, François Mitterrand s’était attaché sans mesure – entiché diront certains – à un régime rwandais que l’extrémisme minait, sans pour autant que cela ne remette en cause le soutien de la France, tout du moins celui de son président.

Pendant toute la préparation du génocide des Tutsi – plusieurs années –, l’Elysée n’a rien vu des informations inquiétantes que lui remontaient des militaires, comme le général Jean Varret horrifié par les intentions destructrices de ses homologues rwandais, ou de la DGSE qui informait méthodiquement des dérives extrémistes du Hutu Power, ceux qui programmaient l’élimination des Tutsi.

La politique de paix, proclamée par Hubert Védrine, correspond mal à la réalité, en particulier lorsque les extrémistes s’emparèrent du pouvoir en avril 1994, après avoir fait assassiner leur propre président, en bafouant les « accords d’Arusha » sous les auspices de l’ambassadeur de France lui-même.

Le fil des contradictions s’accélère alors que le génocide est désormais enclenché



Recevoir les émissaires des génocidaires à Paris suscite des versions alternatives de M. Védrine qui en vient parfois même à nier ce qui est pourtant parfaitement documenté.

L’opération Turquoise, l’intervention militaire pilotée par l’Elysée, a commencé par une tentative de remise au pouvoir des génocidaires bousculés par les soldats de Kagame – ces derniers étant malheureusement les seuls à avoir pourchassé ces génocidaires –, mais dans la légende défendue par l’Elysée, cette opération n’était que purement humanitaire.

Lorsque les soldats français, mes compagnons d’arme, reçurent l’ordre d’escorter les organisateurs du génocide au lieu de les arrêter, c’était – à n’en pas douter – une « initiative » de leur part…

Et quand nous avons dû livrer des armes à ces génocidaires en déroute, c’était là aussi dans une optique de paix, des armes purement défensives qui « n’avaient rien à voir avec le génocide », selon les mots mêmes de l’ancien secrétaire général.

Dans mon expérience militaire, qui est limitée mais bien supérieure à celle de M. Védrine, il était impossible de livrer ces armes sans un ordre express de l’Elysée, car JAMAIS mes compagnons d’arme n’auraient pu prendre de telles décisions. L’Elysée en a donc vraisemblablement décidé, mais sans aucun rôle particulier de son secrétaire général, qui d’ailleurs m’a expliqué avec une forme étonnante de désinvolture « qu’il n’était pas au courant des détails ».

Apparaît alors le deuxième Hubert Védrine, celui qui ne souhaite pas répondre à ces questions et qui voudrait tellement que nous n’en parlions plus.

Pourtant, il alimente lui-même cette polémique en poursuivant tour à tour un vétéran de l’opération Turquoise (moi-même), une médecin remarquable qui s’est consacrée à la défense des victimes de viol pendant ce génocide atroce – Annie Faure –, et ensuite le grand reporter Patrick de Saint-Exupéry qui fut l’un des premiers à poser publiquement la question du rôle du pouvoir français de l’époque dans ce drame du Rwanda.

Mais est-ce bien nous qu’Hubert Védrine poursuit en justice ou l’ombre des questions auxquelles il ne peut pas répondre sans se mettre en cause ?

J’invite donc tous ceux que le sujet intéresse à poser cette question : quel rôle a joué Hubert Védrine dans cette politique au Rwanda qui a mené à un « désastre français » et au génocide des Tutsi ?

En effet, Hubert Védrine aura un jour rendez-vous avec l’Histoire, il serait dommage qu’il n’ait pas eu le temps de s’interroger. Alors un grand merci si vous voulez bien à votre tour le questionner et relayer ce questionnement.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024