Fiche du document numéro 30304

Num
30304
Date
Samedi 25 juin 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
293018
Pages
1
Titre
Génocide des Tutsi : le long chemin de la justice française
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Devant la cour d’assises de Paris, les témoins continuent de se succéder au procès de Laurent Bucyibaruta, qui doit durer jusqu’au 12 juillet. Une plainte ayant été déposée en janvier 2000 contre le haut fonctionnaire rwandais accusé de « génocide », « complicité de génocide » et « complicité de crimes contre l’humanité » pendant le génocide des Tutsi en 1994, il aura fallu vingt-­deux ans pour que cet ancien préfet, soit présenté à la barre d’un tribunal. Les dossiers rwandais en lien avec le génocide des Tutsi s’enchaînent au tribunal de Paris. En décembre 2021, Claude Muhayimana a été reconnu coupable d’avoir transporté des Interahamwe, miliciens responsables de nombreux massacres dans l’ouest du Rwanda, et condamné en première instance à quatorze ans de prison, pour « complicité de génocide ».

Comme eux, des milliers de personnes ayant commis des délits imprescriptibles, car liés au « crime des crimes », ont pris la fuite à la fin du génocide, qui, entre avril et juillet 1994, a fait un million de morts. La plupart ont été jugés au Rwanda par des gacaca, des tribunaux populaires. Les hauts responsables du génocide ont, eux, comparu entre 1995 et 2012 à Arusha (Tanzanie), devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) créé par les Nations unies.

En France, où de nombreux génocidaires ont trouvé refuge au tournant des années 2000 grâce à des réseaux d’entraide et des associations implantées dans les régions de Rouen et de Toulouse notamment, la justice a suivi le cours tumultueux des relations franco­-rwandaises. La plupart n’ont jamais été réellement inquiétés, parfois grâce à des soutiens politiques comme Agathe Habyarimana, veuve de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana. Celui-­ci, allié de la France et en lutte contre les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) de l’actuel chef de l’Etat, Paul Kagame, est mort dans l’attentat contre son avion, le 6 avril 1994. L’accident avait donné le signal du génocide.

Rupture diplomatique

Avant de s’intéresser aux présumés génocidaires réfugiés sur son sol, la justice française a cherché à connaître les auteurs de cet attentat. L’enquête fut confiée au juge Jean-­Louis Bruguière, qui, en novembre 2006, a délivré neuf mandats d’arrêt visant des proches de Paul Kagame, élu en 2000. Cette décision, qui revenait à considérer le FPR comme responsable de l’attentat, a provoqué la rupture des relations diplomatiques avec la France.

Il faudra attendre 2010 pour qu’un rapprochement entre les deux pays soit amorcé. Cette année-­là, le président Nicolas Sarkozy se rend au Rwanda, où il reconnaît les « erreurs d’appréciation » commises par la France pendant le génocide. Dans la foulée, les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux succèdent à Jean-Louis Bruguière et reprennent totalement l’enquête sur l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. Les investigations des experts, menées à Kigali, concluent que la zone de tir des missiles « la plus probable » serait un camp tenu par les Forces armées rwandaises, affaiblissant ainsi la thèse du juge Bruguière. Faute de « charges suffisantes », l’enquête sur l’attentat de 1994 aboutit en décembre 2018 à un non-lieu pour les proches du président Paul Kagame.

DE NOMBREUX GÉNOCIDAIRES ONT TROUVÉ REFUGE EN FRANCE, OÙ LA JUSTICE A SUIVI LE COURS TUMULTUEUX DES RELATIONS AVEC LE RWANDA

En France, la première plainte contre un présumé génocidaire date de 1995. Wenceslas Munyeshyaka, un prêtre rwandais qui officie alors en Ardèche, est accusé d’avoir livré des Tutsi aux miliciens hutu dans son église de Kigali. L’instruction est si longue que la France est condamnée en juin 2004 par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit à un procès « dans un délai raisonnable ». En 2019, la Cour de cassation validera une ordonnance de non-­lieu rendue en sa faveur, illustrant la difficulté à rapporter des preuves longtemps après les faits, et l’extrême délicatesse des dossiers.

Réconciliation

La volonté politique de traquer les présumés génocidaires en France et de les poursuivre apparaît pendant le mandat de Nicolas Sarkozy (2007­-2012). En 2012 est créé le pôle génocide et crimes contre l’humanité du tribunal de Paris, puis, l’année suivante, l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité. Si les relations avec le Rwanda restent tièdes sous François Hollande (2012-­2017), elles s’améliorent après l’élection d’Emmanuel Macron. Fin 2018, Paris encourage la candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie. Trois ans plus tard, un rapport d’historiens reconnaît « un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes » de la France.

Depuis la réconciliation entre les deux pays, les procédures contre les présumés criminels se sont accélérées. « On a fourni des moyens pour faire avancer les procédures et la tenue des procès, affirme une source à l’Elysée. Au sein du pôle crimes contre l’humanité du tribunal de Paris, le ratio entre magistrats et enquêteurs n’était pas équilibré. Nous avons augmenté les effectifs [de 14 à 20 enquêteurs] et fait un rééquilibrage. Ce n’est donc pas un hasard si de grands procès démarrent maintenant. »

Vingt-­neuf informations judiciaires et cinq enquêtes préliminaires en lien avec le Rwanda sont actuellement ouvertes. « Mais une centaine de personnes liées au génocide, à des degrés divers, vivent sur notre territoire, s’insurge Alain Gauthier, président du Collectif pour les parties civiles pour le Rwanda, une association qui traque les présumés génocidaires depuis 2001. Nous sommes excédés par la lenteur de la justice. Des témoins sont morts, d’autres ont disparu. D’autres enfin ont largement eu le temps d’accorder leurs versions. »

Les procès de Philippe Hategekimana, ancien gendarme naturalisé français en 2005, et du médecin rwandais Sosthène Munyemana, accusé d’avoir mis en place des « barrières » afin d’organiser des massacres en 1994, sont attendus en 2023. L’instruction du dossier de ce dernier aura duré vingt-­huit ans.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024