Fiche du document numéro 30230

Num
30230
Date
Jeudi 9 juin 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
57315
Pages
3
Urlorg
Titre
Interview exclusive : « Je ne vois pas ce qu’aurait fait Rusesabagina pour sauver les Tutsi ». Général Babacar Faye
Sous titre
Général Babacar Faye, de nationalité sénégalaise, vient de séjourner au Rwanda. Dans un entretien exclusif avec la rédaction, il esquisse un bref portrait de son compatriote [Mbaye Diagne]. Il nie tout appui de Paul Rusesabagina aux fugitifs réfugiés à l’hôtel Mille Collines entre avril et mai 1994. Entretien…
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Page web
Langue
FR
Citation
Général Babacar Faye nie tout appui de Paul Rusesabagina aux fugitifs réfugiés à l’hôtel Mille Collines entre avril et mai 1994. (Photo le Canapé)

Le Canapé : Pendant le génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, vous étiez au Rwanda. Quelle était votre fonction ?

Gén. Babacar : Je suis arrivé au Rwanda en 1993. J’étais capitaine de cavalerie. J’ai travaillé d’abord au sein du Groupe d’Observateurs Militaires Neutres (GOMN) de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Ensuite, le 1er décembre 1993, le GOMN a été remplacé par la Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda (MINUAR). La fonction était la même. J’étais l’aide de camp du Général Dallaire.

Le Canapé : Aviez-vous l’habitude de vous rendre à l’hôtel Mille Collines ?

Gén. Babacar : Je fréquentais souvent l’hôtel pour visiter les réfugiés et le capitaine Mbaye Diagne.

Le Canapé : Vous connaissiez Paul Rusesabagina ?

Gén. Babacar : Je crois qu’il était gérant de l’hôtel, quelque chose comme ça.

Le Canapé : Les fugitifs étaient nourris à l’hôtel à quelle(s) condition(s) ?

Gén. Babacar : Au début il y avait une sorte d’arrangement pour nourrir les réfugiés. Quand l’hôtel ne pouvait plus les nourrir, les militaires pouvaient partager leur ration militaire. L’hôtel était à court de denrées alimentaires.

Le Canapé : Il semble que les réfugiés ont dû quand même payer pour trouver à manger.

Gén. Babacar : Oui, à un certain moment on a beaucoup parlé de cela. Les réfugiés ont payé mais pas les militaires de la force onusienne d’observation.

Le Canapé : Quelle était la qualité du service à l’Hôtel ?

Gén. Babacar : Il n’y avait pas de service à proprement parler. Les gens se débrouillaient.

Le Canapé : On n’a pas chassé des réfugiés à l’hôtel ?

Gén. Babacar : Les chasser aurait été les condamner mort. On était là pour les protéger. Le capitaine Mbaye était l’interlocuteur, le responsable direct. A un certain moment, il a décidé de les évacuer vers le stade Amahoro parce qu’il y avait beaucoup de restrictions notamment au niveau alimentaire.

Il y a eu des négociations entre la MINUAR, le gouvernement de l’époque et le FPR dans le cadre d’un accord tripartite pour un échange de personnes.

En fait, le capitaine Mbaye était un officier de liaison. Il escortait les officiels pour les réunions. Quand le génocide a été déclenché, tout cela a été suspendu. Il organisait des évacuations. Il était engagé dans des pourparlers, il aidait les gens de l’hôtel Mille Collines et ceux du stade Amahoro à échanger des lettres. Le 27 mai c’était la fin de l’opération d’évacuation des Tutsi. Environ 400 personnes ont été échangées entre le camp du FPR et celui du gouvernement.

Le Canapé : Quel rôle Rusesabagina a-t-il joué pour aider les Tutsi pourchassés par les miliciens Interahamwe ?

Gén. Babacar : Je vais parler des faits. Le 7 avril 1994, le Capitaine Mbaye a évacué les enfants d’Agathe Uwilingiyimana. A l’hôtel Mille Collines, beaucoup de gens venaient d’eux-mêmes. Dès le 8-9 avril, les militaires rwandais ont été empêchés de venir à l’hôtel. Il y avait un détachement tunisien et le capitaine Mbaye surveillait. Personne ne pouvait y avoir accès. Pour certains cas, le capitaine Mbaye est allé les chercher lui-même à Nyamirambo. Dès qu’ils franchissaient la porte de l’hôtel, ils étaient protégés par les forces onusiennes. Je ne vois pas ce qu’il aurait fait pour sauver les Tutsi.

Le Canapé : Pendant les opérations d’évacuation, il n’y a pas eu de menaces ?

Gén. Babacar : J’ai été témoin d’une tentative d’opération d’évacuation le 3 mai. J’étais au niveau de l’hôtel Méridien. A partir d’une communication radio, j’ai appris que le capitaine Mbaye était en difficulté. J’ai décidé d’aller vers lui. Il avait été bloqué au niveau de la station SOPETRAD. Mais avant d’y arriver, j’ai trouvé sur le pont suspendu au-dessus de la route « Poids lourds » deux camions. Ils avaient été arrêtés par les miliciens. Ils les avaient débarqués. Les Tutsi avaient été mis en rang en attendant leur exécution.

En arrivant au niveau de la station, deux miliciens avaient pointé les canons de leurs fusils sur le cou du capitaine Mbaye. Par un réflexe militaire, je les ai poussés et j’ai pris le capitaine par le bras. Un milicien s’est couché sur la chaussée. Heureusement il n’a pas tiré. Après des négociations, le convoi a fait demi-tour. Il est retourné à l’hôtel.

Le Canapé : Qu’est-ce qui vous aura marqué pendant le génocide contre les Tutsi de 1994 ?

Gén. Babacar : J’ai été marqué par le nombre de morts que j’ai découvert. Comme on faisait des patrouilles, il nous arrivait de trouver un village vide d’hommes. Je n’ai jamais vu un nombre si important de morts dans ma vie. Des morts sur les chaussées. A Kicukiro, à côté d’une station-service, on a trouvé plusieurs morts superposés les uns sur les autres.

Le Canapé : un dernier message ?

Gén. Babacar : J’ai été témoin d’un génocide contre des gens dont le seul tort était d’être Tutsi. Etre Tutsi faisait de vous un élu de la mort. Cette expérience je ne souhaite à personne de la vivre. Même à mes ennemis.

Je loue la capacité de résilience du peuple rwandais. Je suis émerveillé de sa capacité de réveil. Il faut savoir se relever lorsqu’on est tombé.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024