Fiche du document numéro 30221

Num
30221
Date
Vendredi 10 juin 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
68090
Pages
13
Urlorg
Titre
Procès Laurent Bucyibaruta aux Assises de Paris. Semaine 4 : Lundi 30 mai – Jeudi 2 juin 2022
Soustitre
Ibuka France vous propose un « bulletin » hebdomadaire sur le déroulé du procès de Bucyibaruta du 9 mai au 12 juillet 2022 aux Assises de Paris.
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le lundi 30 mai, la quatrième semaine de procès commence par l’audition de Jean-Paul Mongereza. Le premier témoin de la semaine est entendu par visioconférence car il est actuellement détenu au Rwanda pour avoir participé au génocide des Tutsi en 1994. Monsieur Mongereza annonce ne pas vouloir faire de déclaration spontanée et répond donc directement aux questions de la Cour. Après lui avoir posé quelques questions de contexte, le Président Lavergne entreprend de lire l’interrogatoire du témoin réalisé par les enquêteurs français et de questionner l’intéressé sur les différentes réponses qu’il a pu donner. Le témoin ayant participé aux rondes et ayant pu observer le fonctionnement des barrières (il maintient n’y être jamais allé et n’avoir jamais pris part aux massacres qui s’y déroulaient), le Président lui demande des précisions sur ces points. Monsieur Mongereza confirmera ainsi notamment que des documents d’identité étaient effectivement demandés au niveau des barrières et que s’ils portaient la mention « Tutsi », leurs détenteurs étaient assassinés, conformément aux ordres donnés par les autorités. Il déclarera également de nouveau que durant la mi-avril 1994, il a été demandé (il ne saura pas dire qui précisément) aux femmes, enfants et vieillards hutu de quitter leurs domiciles et de se rendre à l’ACPR de Nyamagabe, un groupe scolaire secondaire, afin de les protéger d’une éventuelle riposte de la part des Tutsi. Une fois les questions du Président terminées, la parole est donnée aux autres membres de la Cour puis aux différentes parties. Très peu de questions seront posées, Me Foreman, conseil du CPCR, reviendra notamment sur le regroupement des Hutu à l’ACPR. La matinée se poursuit avec l’audition de Jean-Damascène Gahunzire, un témoin qui aurait fait partie des attaquants et qui a été condamné à douze ans de réclusion pour des faits liés au génocide des Tutsi. Le témoin souhaitera commencer son audition par une déclaration spontanée. Il dira notamment avoir vu le préfet Laurent Bucyibaruta à plusieurs reprises à Murambi, notamment juste avant et juste après l’attaque du 21 avril. Il confirme avoir vu l’accusé en date du 15 avril, le lendemain de l’arrivée des réfugiés tutsi, afin de tenir une réunion avec eux ; en date du 20 avril, la veille de l’attaque afin de procéder à une fouille parmi tous les réfugiés ; et enfin le 23 avril, après la grande attaque, afin d’organiser l’ensevelissement des corps et le nettoyage de l’ETO avant l’arrivée des troupes françaises. Très peu de questions seront posées par les parties civiles et par le Ministère Public. Me Biju-Duval, avocat de la défense, quant à lui, posera un certain nombre de questions au témoin. Tout d’abord, il cherchera à comprendre si la remise de peine de quatre ans dont a bénéficié ce dernier n’a pas un lien direct avec le fait qu’il ait dénoncé deux grandes autorités (le préfet Bucyibaruta et le sous-préfet Havuga). Ce dernier répondra par la négative, affirmant que sa remise de peine n’est due qu’à sa bonne conduite. La matinée se terminera sur une réaction de l’accusé aux propos de Monsieur Gahunzire. Laurent Bucyibaruta viendra démonter chaque accusation prononcée à son encontre, soutenant notamment qu’il ignorait tout de ce qu’il se passait. L’audience est suspendue à 13h50.

L’après-midi débute avec l’audition de Grâce Mukantarindwa, témoin et partie civile dont la citation est demandée par l’association CPCR. Elle commence par une déclaration spontanée, déroulant son parcours durant les plus de trois mois de génocide. Comme beaucoup de rescapés, elle a observé, impuissante, les incendies des maisons et les meurtres des Tutsi dès les premiers jours ayant suivi l’attentat sur l’avion du président Habyiarimana. Après plusieurs jours où elle réchappe par miracle à la mort, elle arrive finalement à Murambi et se réfugie dans l’ETO, comme 50 000 autres personnes. Mme Mukantarindwa affirme à la Cour que le préfet Bucyibaruta a dit aux Hutu présents qu’ils avaient raison, « que quiconque voulait brûler les mauvaises herbes devait les rassembler d’abord ». Après avoir exposé les conditions de vie dans le camp, elle raconte la nuit du 21 avril. Si elle a survécu c’est parce qu’elle s’est cachée au milieu des cadavres puis, la nuit d’après, voyant qu’ils commençaient à ensevelir les corps à l’aide de bulldozers, elle s’est faufilée à l’extérieur de l’ETO. Elle s’est ensuite cachée jusqu’à l’arrivée de l’opération Turquoise, pour ensuite rejoindre les Inkotanyi dans une commune adjacente. S’en suivent les questions de la Cour. Le Président lui demande de confirmer de nouveau avoir vu le préfet Bucyibaruta à Murambi tenir une réunion avec les Hutu. Mme Mukantarindwa, après avoir réitéré ses propos, déclarera se sentir mal et ne pas pouvoir répondre à beaucoup de questions supplémentaires. Le Président Lavergne décide donc de laisser la parole aux autres membres de la Cour et aux représentants des différentes parties. Les conseils des parties civiles s’abstiendront, le Ministère Public posera quelques questions sur l’ensevelissement des corps, et la défense demandera des précisions sur la venue du préfet et sur les propos que lui prête le témoin. Me Biju-Duval suggérera à Mme Mukantarindwa qu’elle n’a pas entendu elle-même la phrase relative au rassemblement des mauvaises herbes, mais qu’elle l’a entendu par la suite, lors des Gacaca. L’audition se termine, et le dernier témoin de la journée, une partie civile dont la citation est demandée par Me Arzalier, se présente à la barre.

Michel Kayitaba a perdu sa mère, ses frères et ses sœurs à Murambi. Ce dernier commencera par présenter une déclaration spontanée à la Cour. Il commence par rappeler que « le chagrin qui nous afflige avec la perte de nos proches ne commence pas en 1994. Pour moi qui suis âgé, il commence en 1959. On constate à chaque fois que le modus operandi est le même ». Il est important de rappeler que les trois mois du début de l’année 1994 n’ont pas été simplement un déferlement de violence lié à la guerre civile, que les persécutions à l’encontre des Tutsi ont commencé bien avant et que la haine qui leur est vouée s’est construite sur plusieurs décennies. Il déclare que, tout comme en 1990, pendant le génocide des Tutsi en 1994, « ce sont les autorités qui ont monté les gens les uns contre les autres ». Le témoin présentera ensuite une description très détaillée de son parcours au mois d’avril 1994. Il expliquera dans quelles conditions il a décidé de quitter son domicile et comment sa mère et les autres membres de sa famille se sont retrouvés à Murambi. N’étant pas présent à Murambi, il apprendra ce qu’il s’est passé de la bouche d’un pasteur qui lui s’y était rendu, du côté des attaquants. Monsieur Kayitaba dévoile ensuite à la Cour les questions qu’il se pose sur le déroulé des évènements de Murambi. Est-ce que le préfet a cherché à savoir qui avait mené les attaques contre les réfugié tutsi ? Est-ce que le préfet savait qu’une attaque se préparait ? À la fin de cette déclaration spontanée, le Président Lavergne constate qu’il ne reste que peu de temps et préfère donc demander à l’accusé de réagir à ce qui vient d’être dit. Il viendra reprendre point par point les éléments donnés par le témoin pour les contredire et démontrer qu’il n’était au courant d’aucune attaque. La déposition se termine, l’audience est suspendue pour ce premier jour.

Le lendemain, le mardi 31 mai, c’est Alphonsine Mukaremera qui est entendue en première. Cette rescapée demeurant au Rwanda et citée ici par le Ministère Public commence son audition par une déclaration spontanée. Quelques minutes après, une suspension d’audience de dix minutes est annoncée par le Président, Madame Mukaremera n’arrivant pas à poursuivre son récit. Malgré cela, elle décide finalement d’arrêter sa déposition spontanée, l’exercice étant beaucoup trop douloureux pour elle. Elle accepte tout de même de répondre aux questions de la Cour. Seule survivante de l’ensemble de sa famille, Alphonsine Mukaremera confirme avoir vu le préfet Bucyibaruta à trois reprises au mois d’avril 1994. Elle déclare que c’est au cours de cette première rencontre que l’accusé a demandé aux Tutsi réfugiés dans la cathédrale de Gikongoro de se rendre à Murambi. Plusieurs questions s’en suivent afin de croiser les déclarations de cette témoin avec celles des autres rescapés entendus au cours de ce procès. Enfin, la première assesseure prend la parole et interroge Madame Mukaremera sur des points très précis, mettant en cause la crédibilité de cette dernière et la véracité de ses déclarations. Les conseils des parties civiles prennent la suite. Me Karongozi l’interroge sur plusieurs éléments contextuels afin de rappeler que, n’ayant pas fait d’études, ne sachant pas reconnaître les jours, les heures et les dates, et vivant un stress post-traumatique, ses réponses à des interrogations particulièrement précises sont à analyser avec précautions. Il convient de prendre en considération tous ces éléments au moment de l’étude des différentes indications données par les rescapés. Après une question du Ministère Public sur l’enfant du témoin, la défense prend le relai et interroge madame Mukaremera. Maître Biju-Duval lui pose plusieurs questions. La stratégie apparaît ici assez clairement : il questionne la crédibilité des déclarations des rescapés et tente de démontrer que les faits rapportés n’ont en réalité par été vécus directement par leurs narrateurs et ne sont que des « ouïes dires », remettant ainsi en cause la matérialité et la véracité de ces exposés. La témoin commence à montrer des signes de fatigue, son audition s’arrête donc à 11h30.

Le deuxième témoin de la matinée, Valérie Mukamana, rescapée citée par le Ministère Public, s’approche de la barre. Elle ne souhaite pas faire de déclaration spontanée et préfère répondre directement aux questions de la Cour et des parties. Comme quelques autres témoins avant elle, Madame Mukamana est Hutu et elle était mariée à un Tutsi durant le génocide des Tutsi en 1994. Le Président Lavergne l’interroge sur son trajet jusqu’à Murambi, sur les conditions de vie dans le camp et sur la façon dont elle a pu réchapper de l’attaque du 21 avril. Détentrice d’une carte d’identité Hutu, sa famille et elle ont décidé qu’elle devait partir pour sauver son enfant d’un an. Le 20 avril, elle présentera donc son document d’identité aux gendarmes et quittera l’ETO, laissant derrière elle son mari et sa belle-famille. Les parties civiles ne posent aucune question à l’intéressée. Le Ministère Public lui demande uniquement quelques indications sur les barrières adjacentes au camp, cherchant à savoir si des personnes ont été tuées en ces lieux. Madame Mukamana confirmera que, même si elle ne l’a pas vu de ses propres yeux, il y a effectivement eu des morts sur ces barrières, « il y a des signes que des gens sont morts sur cette barrière [Kabeza] ». Maître Levy posé ensuite plusieurs questions au témoin, mettant en contradiction les déclarations faites aujourd’hui et celles faites en 2002 et en 2013 devant les enquêteurs du TPIR et les gendarmes français. Finalement, le Président demande à l’accusé s’il souhaite réagir aux éléments apportés par la Madame Mukamana. Laurent Bucyibaruta donne ainsi la liste des personnes qui l’ont accompagné à Murambi lors de la réunion qu’il y a tenu et affirme que notamment le Procureur de la République et le responsable du Service de Renseignement de la Préfecture (SRP) étaient présents. S’ensuivent plusieurs interrogations sur ce point, l’accusé n’ayant auparavant jamais déclaré la présence de ces personnes. Le Président lui demande notamment si, étant visiblement en contact avec le chef du SRP, ce dernier pouvait réellement ignorer les évènements qui avaient lieu dans sa préfecture et, étant également en relation avec le Procureur de la République, s’il lui était vraiment impossible de lui rendre des communications afin de faire cesser les violences et d’en sanctionner les responsables. L’intéressé se cachera, comme à l’accoutumée, derrière la responsabilité de ses supérieurs hiérarchiques, arguant que cela ne faisait pas partie de ses prérogatives en tant que préfet. L’audition se termine finalement à 13h05.

La seconde partie de la journée débute par l’audition de François Mudaheranwa, témoin cité par le Ministère Public ayant été condamné pour des faits en rapport avec le génocide dans la préfecture de Gikongoro. Il ne fera aucune déclaration spontanée et répondra ainsi directement aux questions du Président. Ce dernier commence par lui demander la peine à laquelle il a été condamné et ce qu’il a reconnu dans son plaider-coupable. Monsieur Mudaheranwa a été condamné à 10 ans de réclusion pour la commission d’actes de génocide à Murambi, dans la préfecture de Gikongoro. Quand le Président lui demande s’il a commis ces actes de son plein gré ou s’il a été forcé, ce dernier déclarera « ce sont les autorités qui nous dirigeaient qui nous incitaient à le faire parce que nous ne nous dirigions pas nous-mêmes. S’ils ne nous avaient pas demandé d’aller tuer, nous n’aurions pas pu aller tuer nos voisins, les personnes avec qui nous vivions en amont ». Après plusieurs déclarations sur les évènements de Murambi d’avril 1994, le Président déclare au témoin que ce qu’il dit aujourd’hui n’est pas similaire à ce qu’il a pu déclarer précédemment aux enquêteurs français. Après la lecture des auditions en question, le témoin déclarera que les gendarmes français n’ont pas transcrit correctement ce qu’il avait dit. Les interrogations de la Cour s’arrêtent ici. Les conseils des parties civiles ne poseront aucune question. Le Ministère Public intervient donc ensuite et demande à Monsieur Mudaheranwa de préciser à la Cour ce qui est entendu au Rwanda comme « réunion ». Il répondra en effet que ce ne sont pas des rassemblements formels comme cela est entendu en France, mais plutôt un rassemblement spontané dans un espace public lors duquel les autorités viennent faire des déclarations de notoriété publique. S’en suivent les questions de la défense par l’intermédiaire de Maître Biju-Duval. Ce dernier ira droit au but et demandera au témoin : « qui vous a demandé de modifier vos déclarations pour venir accuser, charger le préfet Laurent Bucyibaruta lors de ce procès ? ». Monsieur Mudaheranwa déclarera à plusieurs reprises que personne ne lui a dicté ce qu’il devait dire devant la Cour. L’audition s’arrête sur cette question et l’audience est suspendue pour une courte pause.

Le dernier témoin de la journée, Emmanuel Hangari entre dans la salle et s’approche de la barre. Ce rescapé cité par le Ministère Public ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée et préférera répondre directement aux questions. Seul deux de ses sœurs et lui-même ont survécu au génocide, tous les autres membres de sa famille ont été tués durant le mois d’avril 1994. Après avoir donné quelques indications sur le déroulé des jours ayant directement suivis la mort du président Habyarimana, ce dernier décrit l’attaque du 21 avril. Après avoir essayé de se défendre avec des pierres, manœuvre inefficace face au nombre d’assaillants, aux grenades et armes à feu qu’ils possédaient, il s’est réfugié sous les tôles du toit d’un bâtiment. Pour quitter le camp, il a finalement été aidé par un Hutu qu’il connaissait, ce dernier lui indiquant qu’il devait porter des feuilles de bananiers pour se fondre dans la masse des attaquants. Le Président termine ses questions en lui demandant s’il souhaite rajouter quelque chose. Ce dernier dira simplement « les procès ont tardé et nous oublions de plus en plus certaines informations », résumant assez bien toute la complexité de l’analyse des déclarations des témoins et permettant ainsi de rappeler que l’étude de la crédibilité et de la véracité des témoignages doit être réalisée à la lumière de cet élément. Le temps s’ajoutant au traumatisme, il convient de faire preuve de compréhension et de bienveillance dans la réception de ces récits. Après quelques questions des différentes parties, le Président donne la parole à l’accusé afin qu’il puisse réagir à ces déclarations. Il lui posera finalement une question, lui demandant s’il avait imaginé à un seul moment qu’une attaque de grande envergure pouvait avoir lieu à Murambi. Pour rappel, sur les 50 000 réfugiés du camp, seuls 34 ont survécu. Laurent Bucyibaruta répondra que non, à aucun moment il n’a imaginé une telle tragédie. Le Président insiste, lui demandant s’il n’était pas au courant des autres évènements qui se déroulaient au Rwanda, s’il n’avait pas eu un premier avertissement avec le massacre de Kibeho, tuant environ 25 000 personnes, dans sa propre préfecture. L’ancien préfet répondra qu’il était effectivement au courant des évènements par le biais de la RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines). Un silence s’en suit dans la salle d’audience. Le Ministère Public rappellera par la suite la tonalité des propos tenus sur la RTLM, radio extrémiste appelant au massacre des Tutsi. Le fait que l’accusé déclare avoir écouté cette radio durant le génocide n’est ainsi pas un élément tout à fait anodin. Plusieurs questions sont posées à Monsieur Bucyibaruta par le Président afin d’éclaircir le fait que ce dernier, pour différentes raisons, ne pouvait ignorer ce qu’il se passait au Rwanda au mois d’avril 1994 et particulièrement au sein de sa préfecture. L’audience est finalement suspendue à 19h30.

Le mercredi 1er juin commencent les auditions de témoin à propos des faits survenus à la paroisse Cyanika, notamment le 21 avril 1994. Ce jour-là, environ 15 000 réfugiés tutsi ont été tués. La première personne entendue sur ces faits est Emmanuel Ntaganira, détenu à la prison de Gikongoro et cité par le Ministère Public. Ce dernier commencera par une déclaration spontanée dans laquelle il confirmera que c’est le préfet Bucyibaruta, accompagné de plusieurs personnes, qui leur a demandé, mi-avril, d’ériger des barrières, notamment à Kabeza, et de laisser passer les Tutsi qui se rendaient à Murambi. Il déclare que c’est toujours le préfet de Gikongoro qui, peu après, parce que le nombre de réfugié avait beaucoup augmenté, leur a demandé de contrôler les cartes d’identité des réfugiés et de tuer ceux qui étaient détenteur de documents mentionnant l’appartenance à l’ethnie tutsi. Il décrit ensuite le déroulé des évènements des 20 et 21 avril. Dans un premier temps, les autorités, notamment le préfet Bucyibaruta, ont procédé à une fouille des réfugiés afin de vérifier qu’ils ne possédaient pas de matériel traditionnel dont ils auraient pu se servir pour se défendre. Par la suite, des renforts d’attaquants sont arrivés de plusieurs communes. Enfin, vers 3h du matin, des gendarmes sont arrivés, ont encerclé le camp et ont commencé à tirer sur les réfugiés. Après avoir massacré tous les Tutsi présents à l’ETO, le témoin affirme que les autorités, dont le préfet de Gikongoro, leur ont demandé de poursuivre les survivants qui se dirigeaient vers la paroisse de Cyanika et de les tuer à leur tour. Il termine sa déclaration en affirmant que, par la suite, le préfet Bucyibaruta avait ordonné de ne pas tuer les Tutsi blessés réfugiés à l’hôpital de Kigeme afin de « les présenter à la communauté internationale ». La déclaration se termine et s’en suivent les questions de la Cour. Le Président lui demande s’« il y a eu des instructions pour incendier, détruire ou tuer des Tutsi ? Pourquoi à plusieurs endroits, en simultané, on constate ce type d’actions ? », ce à quoi il répond que les tueries ont effectivement eu lieu suite aux instructions qu’ils recevaient du préfet Bucyibaruta et d’autres autorités. Le témoin déclarera également à propos de l’ancien préfet « s’il n’était pas responsable de cela, il aurait mis fin à cela ». Le Président continue d’interroger Monsieur Ntaganira sur les instructions qui ont pu être données, par qui, sur les conséquences de l’impunité de fait des Hutu attaquants, etc. Ce dernier répondra que des instructions claires ont été données, soit directement par le préfet à la population, soit par le biais de ses subordonnés (les sous-préfets, bourgmestres…). Que ces instructions ont été prises au sérieux parce qu’il n’y avait pas de conséquences après les attaques. Un des juges assesseurs le confronte au fait que plusieurs de ses déclarations sont contradictoires et que, quand il est interrogé à ce sujet, il répond automatiquement que le problème vient des verbalisants et non pas de lui-même. Elle lui déclare qu’il est tout de même inquiétant de constater que, tant le juge d’instruction, les enquêteurs du TPIR que les gendarmes français ont mal fait leur travail. Elle soulève et pointe ainsi du doigt un argument fréquemment utilisé par les témoins, justifiant les contradictions par une mauvaise transcription de leurs déclarations. Monsieur Ntaganira dira seulement qu’il ne sait pas si ces oublis sont volontaires ou non mais que dans tous les cas, l’ensemble de ses propos n’ont pas été retranscrits tels qu’ils ont été rapportés.

La parole est donnée aux parties civiles. Me Gisagara revient sur la déclaration du témoin à propos des blessés réfugiés à l’hôpital de Kigeme et lui demande qui a donné l’ordre de ne pas les tuer pour les montrer à la communauté internationale. Le témoin lui répond que c’est le préfet Bucyibaruta qui a dit « ces gens, vous n’allez pas les tuer, nous allons les montrer à la communauté internationale pour dire qu’il y a eu des troubles internes mais que ce n’était pas un plan mis en place pour les tuer ». Le Ministère Public prend la suite et pose plusieurs questions à l’intéressé sur l’organisation de l’attaque du 21 avril (le transfert des réfugiés, la privation d’eau et de nourriture, la fouille, le fait de se vêtir de feuilles de bananiers…). Le témoin déclare que ces directives ont été données par les autorités, que le 20 avril, la population a été convoquée et que des instructions ont été transmises par le préfet aux bourgmestres et aux conseillers de secteur.

Enfin, les derniers instants sont laissés à la défense. C’est Maître Biju-Duval qui prend la parole afin de demander des éclaircissements sur les différents moments où le témoin affirme, aujourd’hui, avoir vu le préfet Bucyibaruta alors qu’il ne l’avait pas fait devant le juge d’instruction. Le témoin maintient les réponses qu’il avait déjà données auparavant. Le conseil de l’accusé poursuit en demandant à Monsieur Ntaganira si ce dernier, condamné à 7 ans de prison pour participation au génocide, n’a pas bénéficié d’une peine relativement courte justement parce qu’il a dénoncé d’autres personnes et fait porter le poids de ses crimes sur d’autres épaules. L’intéressé lui répond que non, qu’il n’a jamais cherché à minimiser son rôle et qu’il a plaidé coupable parce que sa conscience en avait besoin : « je n’ai pas reconnu mes crimes dans l’intérêt du pays mais dans mon intérêt personnel pour me sentir apaisé dans mon propre cœur. Et aujourd’hui, je suis paisible ».

L’audition se termine et l’audience est suspendue pour ce matin. L’après-midi débute avec l’audition de Liberata Mukantanganira, rescapée citée par le Ministère Public. Elle s’avance vers la barre, prête serment et débute sa déclaration spontanée. Elle raconte de façon claire et concise comment elle est arrivée à la paroisse de Cyanika, poussée par la peur et par les autorités, elle dévoile le déroulé de l’attaque du 21 avril et termine par exposer comment, après avoir passé plusieurs heures cachée sus les cadavres, elle a réussi à sortir vivante de l’ETO. Parmi les sept personnes qui composaient sa famille en avril 1994, seules trois d’entre elles ont survécu. Sur questions du Président Lavergne, elle déclare n’avoir jamais vu le préfet Bucyibaruta en personne mais avoir entendu que c’est lui qui dirigeait les attaques dans la préfecture de Gikongoro, qu’il avait été contacté par le prêtre de la paroisse de Cyanika et qu’il n’avait rien fait pour sauver les réfugiés. Quand le Président lui demande si elle souhaite ajouter quelque chose avant de donner la parole aux parties, elle déclare, au nom des rescapés, « nous avons un besoin de justice, pour les nôtres qui ont été tués injustement ». Me Karongozi posera quelques questions à l’intéressé, le Ministère Public et la défense, eux, s’abstiendront.

Le troisième et dernier témoin de la journée, Kizito Karekezi, est appelé à la barre. Ce dernier, cité par le Ministère Public, a été accusé d’avoir participé au génocide et condamné en première instance, puis, il a été acquitté en appel. Il déclare à l’audience qu’il connaissait très bien le préfet Bucyibaruta en 1994 car il avait le même âge que son fils et que le chauffeur de l’accusé était un ami proche de sa famille. Le Président prend ensuite la parole pour poser des questions au témoin. Ce dernier lui racontera d’abord comment il a appris la mort du président Habyarimana et les évènements des jours qui ont suivi. Il explique ensuite comment son père a tenté de dissuader un groupe d’attaquant de lancer une grenade sur les réfugiés de la paroisse, en vain. Il poursuit en décrivant la journée du 21 avril 1994, « c’était une horreur ». Le Président poursuit en donnant lecture des déclarations faites par le témoin devant la juge d’instruction, lui demandant de confirmer ou de préciser ses propos. Enfin, il est interrogé sur les différentes procédures judiciaires qui ont eu lieu à son encontre, devant les juridictions rwandaises classiques et devant les tribunaux Gacaca. La parole est ensuite donnée aux avocats des parties civiles, au Ministère Public, puis à la défense. Sans grande surprise, Maître Biju-Duval demandera à l’intéressé s’il a déjà été approché pour faire de fausses déclarations lorsqu’il était au Rwanda et notamment lorsqu’il était poursuivi pour participation au génocide. Ce dernier confirme qu’effectivement des manœuvres en ce sens ont été réalisées mais qu’il a toujours refusé de s’y adonner car c’est à cause de tels arrangements qu’il s’est lui-même retrouvé en prison. L’audience est finalement suspendue à 19h20.

Le lendemain, dernier jour de cette quatrième semaine de procès, le jeudi 2 juin, trois témoins doivent être entendus par la Cour d’assises. Tout d’abord, à 9h30, c’est Etienne Urinzwenimana, détenu à la prison de Gikongoro pour participation au génocide des Tutsi. Le témoin commencera par une courte déclaration spontanée, exposant rapidement le déroulé des faits entre le 16 et le 21 avril 1994. Le Président poursuit donc l’audition par des questions. Il posera plusieurs questions sur la provenance des Tutsi réfugiés à Cyanika, sur la mise en place des barrières et leur fonctionnement, sur la coupure d’eau à la paroisse, les premières attaques, notamment le lancement d’une grenade quelques jours avant l’attaque finale, le déroulé de la grande attaque du 21 avril et enfin, l’organisation de l’ensevelissement des corps. Le témoin avouera finalement que c’est lui qui a lancé la grenade précitée, tuant ainsi plusieurs réfugiés tutsi. La parole est ensuite donnée aux avocats des parties civiles. Me Gisagara et Karongozi poseront un certain nombre de question afin d’obtenir des détails et de restituer le contexte pour l’ensemble de l’audience. Le Ministère Public prendra la suite. L’avocate générale demande notamment à l’intéressé comment se passait la cohabitation entre Hutu et Tutsi avant le génocide. Contrairement à de nombreux témoins, ce dernier reconnait que, « dans la vie normale, les Tutsi et les Hutu ne s’appréciaient pas et il ne manquait qu’une étincelle ». Enfin, après plusieurs questions de la défense, posées par Me Biju-Duval, visant notamment à soulever des incohérences dans les déclarations du témoin et ainsi à remettre en question sa crédibilité, l’audience est suspendue.

Le dernier après-midi de la semaine reprend avec l’audition en visioconférence de Monsieur Azarie Nzungize, témoin détenu au Rwanda pour avoir participé au génocide. En 1994, il était secrétaire à la sous-préfecture de Karaba. Il commence par une déclaration spontanée très courte. Le Président prend ensuite la parole pour lui poser plusieurs questions. Il commence par lui demander des éclaircissements sur la nature exacte des fonctions qu’il occupait au sein de la sous-préfecture et des prérogatives qui y étaient attachées. Monsieur Nzungize déclare ainsi qu’il était secrétaire en chef, il avait sous sa responsabilité deux dactylographes, il était chargé principalement de s’occuper du courrier du sous-préfet et, dans une moindre mesure, de répondre au téléphone lorsque ce dernier était absent. Sur questions du Président, le témoin va également confirmer qu’il n’y avait aucune autorité tutsi dans la sous-préfecture de Karaba, et, à sa connaissance, aucun fonctionnaire non plus. Il lui demande également d’où venaient les instructions reçues par les bourgmestres ; ce à quoi Monsieur Nzungize répond par un silence. Il termine finalement par reconnaître que ces directives étaient certainement données lors des réunions préfectorales de sécurité, ne précisant cependant pas l’autorité qui en était à l’origine. Le Président poursuit avec la lecture de la déposition du témoin lorsqu’il a été entendu par les gendarmes français en 2014 afin de demander à Monsieur Nzungize de confirmer ou de préciser ses propos de l’époque. Enfin, il termine par lui demander de décrire les procédures judiciaires qui ont été lancées à son encontre et d’exposer à la Cour l’état actuel de sa situation. L’intéressé répond qu’il est actuellement en procédure de révision de sa situation, estimant qu’il a été accusé à tort, n’ayant jamais participé au génocide. Le témoin pense qu’il a été fallacieusement dénoncé à cause d’un témoignage à charge qu’il a fait devant les juridictions Gacaca. Le Président Lavergne laisse ensuite la parole aux autres membres de la Cour. Après quelques questions, c’est Me Gisagara qui prend le relai et demande au témoin si, étant donné qu’il est encore en procédure, il est réellement en position de dire toute la vérité sur les faits survenus à Cyanika et aux alentours en avril 1994. En effet, de nouveaux éléments pourraient être utilisés à son encontre et il semblerait plus prudent pour lui de ne pas faire de telles révélations. L’intéressé répond qu’il a essayé de dire toute la vérité. Me Karongozi et Me Foreman prennent la suite en essayant de faire révéler par Monsieur Nzungize qui est l’autorité qui a pu donner les différentes directives au bourgmestre. Ce dernier se défilera à chaque fois, ne répondant jamais frontalement aux questions. Finalement, c’est Me Bernardini, conseil de Survie, qui parviendra à obtenir un semblant de réponse, faisant reconnaître au témoin que si les rapports de situation remontaient effectivement depuis les conseillers jusqu’au préfet, il devait en être de même pour les instructions, elles descendaient depuis la préfecture jusqu’au cellules. Le Ministère Public est ensuite invité par le Président à poser ses questions. L’avocate générale demandera à Monsieur Nzungize s’il a pu rencontrer le préfet Bucyibaruta à Cyanika en avril 1994 au cours d’une réunion tenue avec les réfugiés. Ce dernier répondra par la négative, niant toute venue du préfet. Enfin, la défense, en la personne de Me Levy, posera deux questions afin de remettre en question le fonctionnement des Gacaca et de démontrer qu’il existait une pratique assez structurelle de dénonciation aux fins de voir sa peine diminuer, essayant ainsi de souligner le manque de crédibilité des témoignages entendus lors des Gacaca. L’audience est suspendue pour dix minutes et le dernier témoin de la semaine entre finalement dans la salle Vedel.

Monsieur Ignace Mboneyabo est un rescapé cité par le Ministère Public. Il commencera son audition par une courte déclaration spontanée. Il présentera quatre dates. Tout d’abord, celle du 8-9 avril 1994, moment à partir duquel les Tutsi ont commencé à se réfugier à Cyanika ; puis, celle du 10 avril, jour où le bourgmestre de Karama et le sous-préfet de Karaba sont venus à la paroisse voir les réfugiés et leur ont demandé de retourner chez eux ; celle du 21 avril, date du massacre de Cyanika ; et enfin, le 24 avril, jour où il s’est fait débusquer avec d’autres rescapés et où il a miraculeusement échappé à la mort. Le Président poursuit en lui posant plusieurs questions. Étant séminariste à la paroisse de Cyanika en avril 1994, le témoin est notamment interrogé sur l’organisation de la paroisse et sur les différentes personnes qui y travaillaient. Monsieur Mboneyabo vient également confirmer les témoignages des rescapés entendus précédemment sur les conditions de vie dans la paroisse. Le Président lui demande également s’il a pu voir le préfet Bucyibaruta à la paroisse, ce à quoi le témoin répond par l’affirmative, disant que le préfet est venu à une seule reprise et qu’il ne s’est pas entretenu avec les réfugiés, qu’il a simplement tenu une réunion privée avec le père responsable de la paroisse. Enfin, le Président terminera en lui demandant pourquoi il est l’un des deux seuls membres de la paroisse à avoir survécu à l’attaque. Monsieur Mboneyabo répondra très franchement que c’est parce que les attaquants ont vu sa carte d’identité, et qu’étant Hutu, il n’était pas visé par ces attaques. Il laisse finalement la parole aux parties. C’est Maître Karongozi qui ouvre le bal et interroge le témoin sur le prêtre responsable de la paroisse de Cyanika. Le Ministère Public prend la suite et demande à l’intéressé s’il est au courant que ce même prêtre s’est rendu le 20 avril à Gikongoro pour faire savoir que le ton montait à la paroisse et qu’il commençait à être inquiet. Monsieur Mboneyabo répond que non, il n’en savait rien. Après deux questions de Me Levy, l’audition de ce dernier témoin est close. Le Président Lavergne donne la possibilité à l’accusé Laurent Bucyibaruta de réagir aux propos tenus aujourd’hui. Il parlera très brièvement, n’apportant pas d’information particulièrement importante. L’audience est finalement suspendue à 19h05.

La semaine se termine, le vendredi 3 juin étant consacré au suivi médical de l’accusé. Le lundi 6 juin étant férié, les audiences ne reprendront que le mardi 7 juin à 9h30.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024