Fiche du document numéro 3011

Num
3011
Date
Mercredi 9 septembre 2009
Amj
Hms
00:11:05
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
138099
Pages
3
Urlorg
Sur titre
Carte blanche
Titre
Procès Péan : le discours de la méthode
Sous titre
Les auteurs dénoncent la nature nauséabonde du livre de Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, attaqué en France par SOS Racisme. Pour eux, la logique qui structure le livre, qui veut rendre les victimes responsables de leur propre génocide, est fausse et infamante pour les victimes. La grille de lecture de Péan confine au racisme. Et sa méthode témoigne d'un manque de professionnalisme coupable.
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Alors que s'ouvre aujourd'hui en France le procès en appel intenté par
SOS Racisme contre Pierre Péan pour diffamation raciale et incitation
à la haine raciale pour certains passages de son livre Noires Fureurs,
blancs menteurs
, consacré au Rwanda, nous souhaitons apporter notre
témoignage.

Nous avons été respectivement co-rapporteur de la Mission
d'information parlementaire française de 1998 sur la tragédie
rwandaise, et secrétaire de la Commission spéciale du Sénat belge de
1997 sur les événements du Rwanda en 1994. Élus, nous sommes
particulièrement attachés à la séparation des pouvoirs, et ne
souhaitons évidemment pas nous immiscer dans le débat judiciaire. Nous
sommes tout autant attachés à la vitalité du débat démocratique, et
c'est pour cette raison que, forts du travail accompli dans ces
Commissions parlementaires, il nous apparaît impératif de rappeler
quelques éléments simples.

Tout d'abord, la logique qui structure Noires fureurs, blancs
menteurs
, qui veut rendre les victimes du génocide, les Tutsis,
responsables de ce génocide, est non seulement fausse, non seulement
infâmante pour les victimes, mais également en totale contradiction
avec toutes les études sérieuses et les conclusions des travaux longs,
précis, complexes, de la Mission d'information du Parlement français
et de la Commission d'enquête du Sénat belge.

Ensuite, en reprenant dans son ouvrage des formules présentant les
Tutsis comme « une race, l'une des plus menteuses qui soit sous le
soleil
 », en comparant à plusieurs reprises l'ensemble des Tutsis à «« des menteurs », en affirmant que, « pour revenir `l'an prochain à
Kigali`, la Diaspora tutsie a pratiqué avec efficacité mensonges et
manipulations
 », ou que les associations de Tutsis, « ont infiltré les
principales organisations internationales et d'aucuns parmi leurs
membres ont su garder des très belles femmes tutsies vers les lits
appropriés
 », Pierre Péan adopte une grille de lecture faite de
fantasmes et de clichés racistes.

Notre travail au sein des Commissions parlementaires de Belgique et de
France est formel : ces citations font écho à la grille de lecture
raciste qui a structuré la pensée et permis le passage à l'acte des
génocidaires, faisant plus de 800.000 victimes entre avril en juillet
1994.

Mais comment s'étonner de cet « étrange » parti pris de Pierre Péan
quand on sait que ce dernier a choisi de s'inspirer de sources
douteuses s'il en est, à l'instar de Paul Dresse, qu'il présente comme
un simple « agent territorial » belge, sans préciser qu'il fut un
écrivain nationaliste admirateur de Maurras, très lié aux rexistes
belges pronazis ?

Enfin, la méthode de l'autoproclamée « enquête » de Pierre Péan laisse
perplexe. D'approximations et d'erreurs à répétition en manque
flagrant de recoupement des sources, son livre fait preuve d'un
amateurisme coupable. Mais comment s'en étonner quand on sait que
celui qui se présente comme un enquêteur de terrain, auteur d'un livre
de plus de 500 pages sur le Rwanda affirmant apporter des révélations
sulfureuses, assure lui-même ne s'y être jamais rendu de sa vie ?

Un exemple parmi tant d'autres de la légèreté stupéfiante avec
laquelle Pierre Péan a mené son « enquête » concerne la question des
missiles utilisés pour perpétrer l'attentat contre l'avion du
Président rwandais Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, qui fut le
signal déclencheur du génocide. L'auteur reprend la thèse selon
laquelle ces missiles seraient des sol-air de type SAM 16 faisant
partie d'un stock répertorié par l'armée soviétique, qui les aurait
vendus à l'Ouganda, qui les aurait à son tour rétrocédés au Front
Patriotique Rwandais tutsi. Il croit ainsi tenir la preuve de la
culpabilité du FPR dans l'attentat contre l'avion, donc de sa
responsabilité dans le déclenchement du génocide.

Or, la thèse de Pierre Péan est en contradiction totale avec les
travaux méthodiques de la Mission d'information du Parlement français,
qui a établi que ces fameux missiles n'étaient pas ceux qui ont été
tirés contre l'avion présidentiel. Et pour cause : ils sont
brusquement apparus, en photos, sur un document officiel le 24 mai,
soit plus d'un mois et demi après l'attentat. Or, dans ce document
militaire, « il n'est fait à aucun moment mention de l'auteur de ces
documents photographiques, ni du lieu de leur prise, ni des conditions
de leur acheminement vers les administrations centrales françaises, ce
qui altère singulièrement la portée de ces éléments
 », rappelle le
rapport de la Mission du parlement français. Comme le note ce rapport,
sur les photos, « le tube est en état, les bouchons aux extrémités de
celui-ci sont à leur place, la poignée de tir, la pile et la batterie
sont présents.
 » Conclusion évidente : « il est probable que les
lanceurs contenant les missiles n'aient pas été tirés
 », et ne sont
logiquement pas ceux qui ont détruit l'avion.

On nous a parfois reproché, en tant qu'enquêteurs de Commissions
parlementaires, d'avoir été trop précautionneux, d'avoir toujours
cherché à recouper nos informations, d'avoir cherché la vérité des
faits sans a priori idéologique, d'avoir tenté de comprendre le
génocide au Rwanda sans les facilités intellectuelles d'une vision
coloniale, de n'avoir affirmé que ce dont nous étions absolument
sûrs. Nous revendiquons cette prudence, gage d'honnêteté
intellectuelle. Elle nous est imposée par l'ampleur de la tragédie,
par la gravité des responsabilités à établir et par le respect dû aux
rescapés et aux morts.

Nous nous estimons donc en droit de demander à ceux qui s'expriment
sur le génocide des Tutsis de faire de même.

Pierre Brana, Ancien député français, secrétaire de la commission des
Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, co-rapporteur de la
Mission d'information parlementaire de 1998 sur le Rwanda.

Alain Destexhe, Sénateur, secrétaire de la Commission spéciale du Sénat
belge de 1997 sur les événements du Rwanda en 1994.
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