Fiche du document numéro 29717

Num
29717
Date
Dimanche 15 août 1999
Amj
Fichier
Taille
14273985
Pages
4
Urlorg
Titre
Le rôle de l’Église catholique
Page
8-11
Nom cité
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Mot-clé
Cote
n° 388
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
MEMOIRE DU GENOCIDE

En date du 25 mai 1999, le quotidien officiel du Saint-Siège, L’OSSERVATORE ROMANO, a publié un article intitulé: “Génocide Rwandais: dernier acte”.

A travers cet article, l’Eglise Catholique romaine prend le prétexte de l’arrestation de Mgr Misago Augustin, soupçonné de complicité dans le génocide rwandais, non pour régler les comptes avec son rôle passé dans cette société qu’elle a contribuée à détruire, mais pour faire de la fuite en avant en ne reculant même pas devant des calomnies et des outrances verbales.

L’article de l’OSSERVATORE ROMANO s’ouvre sur une campagne médiatique contre le Rwanda où l’auteur affirme sans ambages qu’une campagne diffamatoire à l’égard de l’Eglise Catholique est en cours au Rwanda “visant à la faire apparaître responsable du génocide de l’ethnie tut si qui a bouleversé le pays en avril 1994”, et “que Mgr Misago n’est que la première victime”.

Tout a été dit par des écrivains de toute sorte, y compris des serviteurs mêmes de l’église non suspects d’hérésie ou d’arrière-pensées, sur le rôle divisionniste de l’Eglise Catholique dès son implantation au Rwanda jusqu’à nos jours. Le plus étonnant est qu’à l’occasion de ces témoignages, l’Eglise Catholique ne s’est pas sentie diffamée, ni n’a remis en cause les accusations qui ont été portées contre elle. Epingler le pouvoir actuel au Rwanda, qui n’a de tort que d’encourager la réconciliation entre les Rwandais après avoir stoppé le génocide, prouve que, comme de par le passé, l’Eglise Catholique est déterminée à éliminer toute autorité qu’elle n’a pas mise en selle et qui n’évolue pas sous son ombre.

Depuis le Roi Musinga qui lui a résisté dans les années vingt et qui a été banni pour cela, puis son fils Rudahigwa intronisé par elle, qui fut longtemps sa coqueluche tant qu’il était son homme à tout faire, avant de tomber en disgrâce perdant au même moment le pouvoir et la vie, puis le Roi Kigeli qui lui fut imposé de façon inopinée par un agitateur, sur la tombe même de son prédécesseur, avant que celui-ci n’y soit descendu et qui de ce fait ne pourra régner; puis le Président Kayibanda, leur créature, qui eut le malheur de démériter et mourut comme un chien; jusqu’à Habyarimana surnommé la “sainte n’y touche” (MASENGESHO), leur favori, et qui, comme on s’y attend, fut le pape du génocide; l’Eglise Catholique n’a cessé depuis qu’elle a mis les pieds au Rwanda, de faire et défaire le pouvoir au grand dam des “sauvages” de ce pays.

Dans son livre, “Mission au Rwanda” (Hâtier 1988), le Colonel Belge Guy Logiest, qui se vante d’être l’instrument de “la révolution assistée” hutu de 1959, en collaboration avec l’Eglise Catholique, dit en particulier: Au Rwanda,

“L’administration indirecte n’existait que de nom. En choisissant de favoriser une race minoritaire qu’elle intégrait dans l’appareil du pouvoir, la Tutelle, contribua à créer les conditions d’un conflit racial qu’elle fut incapable de prévenir. Les Hutus se sentirent discriminés… Pendant de longues années, la Tutelle et les missions ont œuvré, la main dans la main, au point que pour le peuple, l’une et les autres se confondaient en un même pouvoir; un pouvoir qui soutenait et développait l’ascendant de la caste tutsi…” (pp.89,95).

Remarquons que du dire de l’auteur, la Tutelle et les missions religieuses créèrent les conditions d’un conflit racial qu’elles ne surent pas gérer et que ce sont elles qui soutenaient et développaient la thèse de la supériorité Tutsi en traitant les Hutus d’êtres humains de sous ordre. Le livre du Col. Logiest est à la fois un aveu, sans repentir, et une accusation.

Mais son témoignage est loin d’être isolé, bien au contraire. Ecrivant avant lui en tant qu’historien de profession et témoin de ce qu’il voyait de ses yeux, l’Evêque Louis de Lacger disait en 1949, dans son livre “Le Rwanda Ancien”:

“Le Rwanda se révéla aux Européens, à leur grande surprise, il y a quelques cinquante ans, dans la forme d’un état unitaire, organisé hiérarchiquement, amalgamant en un corps homogène des populations disparates, bref d’une entité politique comparable à celle des pays civilisés… Les indigènes de ce pays ont bien le sentiment de ne former qu’un peuple, celui des Banyarwanda, qui a donné son nom au territoire… Le sentiment national ne se fonde pas uniquement sur le loyalisme dynastique, mais encore sur les éléments qui lui sont antérieurs: L’unité linguistique, … l’unité d’institutions, de coutumes, et d’usages dans la vie privée, la vie sociale et la vie publique, entre les citoyens de races et conditions différentes; l’unité religieuse enfin. Il est peu de peuple en Europe chez qui se trouvent réunis ces trois facteurs de cohésion nationale: une langue, une foi, une loi (pp. 36, 37, 68).

Cette nation, car c’est comme cela qu’il faut appeler ce qui vient de nous être décrit, qu’est-elle devenue, après cent ans de civilisation européenne et de christianisme?

Alors qu’au départ des habitants de ce pays s’identifiaient comme des Banyarwanda, aujourd’hui les uns en sont venus à s’identifier comme des Hutus, les autres comme des Tutsis. Pis encore, le génocide qui, on s’en doute, n’a pas ses germes dans pareille société, a failli engloutir le Rwanda et son peuple en 1994.

Cette société “… est le fruit de la domination hamite”, ce qui veut dire dans le contexte rwandais, la domination des Tutsi, spécule de Lacger (idem, pp.68). Et de continuer à élaborer sa théorie:

Les Batutsis, (sont) une branche des Kouschites. Ethiopiens ou Hamités… Ces seigneurs bouviers ou vachers, qui sont-ils et d’où viennent-ils? Quand on arrive de la Haute Egypte ou des plateaux d’Abyssinie au Rwanda, on les reconnaît tout de suite… Ils ont le type caucasique et tiennent du sémite de l’Asie antérieure. Mais ils sont noirs de teint, parfois cuivrés ou olivâtres… Avant d’être ainsi négritisés, ces hommes étaient bronzés… L’histoire de ces propriétaires de bovins se perd et l’on ne peut préciser la contrée où s’opéra leur négritisation... (idem pp.56., 57)”.

L’évêque écrivain ne s’embarrasse pas de prouver comment et quand ces “blancs” caucasiens sont venus et sont devenus noirs. Dans son récit, la part de la fabrication et du réel tombe cependant aisément sous le sens.

La réalité qu’il observe et qui jure avec son élucubration, la voici, marquée bien sûr par ses partis pris:

“Le terme mututsi ne désigne plus aujourd’hui aussi exclusivement qu’à l’origine les “bien nés”, les eugéniques, ni même les métis qui se prévaudraient d’une hérédité supérieure... Mututsi et Muhutu sont des mots qui tendent à perdre leur sens proprement racial et à n’être plus que des qualificatifs, des étiquettes, sous lesquelles se rangent capitalistes et travailleurs” (pp.59,60).

Notons en passant que le choix du terme “race”, appliqué dès cette époque aux Hutus et aux Tutsis, n’est pas une pure coïncidence car précisément le projet du colonisateur et de l’église est de démontrer que la race blanche, à travers ces prétendus descendants que sont les Tutsis-Koushites, est responsable du bon ordonnancement de la société rwandaise, “contrairement aux Hutus Nègres: incapables de réalisations valables”. En fait, la théorie stipule que “Everything of value found in Africa was brought there by the Hamites, allegedly a branch of the caucasian race” (E.R Sanders, in Pouvoir et Droit au Rwanda par Filip Reyntjens. p. 103).

Rappelons enfin que d’après la généalogie juive, Kousch est le descendant de Cham, Ham en anglais (d’où le terme hamitique) qui est le frère de Sem, père d’Abraham. Ainsi les Tutsis sont non seulement considérés comme des “blancs”, mais encore les ancêtres de Jésus, le Messie: de quoi enchanter les missionnaires.

Les Européens - et il n’est plus besoin de distinguer entre l’administration coloniale et l’église catholique - entreprirent de faire correspondre la réalité à leur théorie. En 1926, par le Plan Mortehan, ils supprimèrent l’administration traditionnelle qui comprenait toutes les composantes de la population et décidèrent que seuls les Tutsis serviront dans l’administration coloniale et comme d’auxiliaires des missionnaires. Le Représentant de l’église, Mgr Classe, définissait ainsi cette politique:

“...Le plus grand tort que le gouvernement pourrait se faire à lui-même et au pays serait de supprimer la caste Mututsi. Une révolution de ce genre conduira le pays tout droit à l’anarchie et au communisme haineusement anti-européen. Cette révolution sera une révolution désastreuse parce que destructive et sans force pour reconstruire. Avec la jeunesse Mututsi, nous avons un élément incomparable de progrès. Avides de savoir, désireux d’imiter les européens… Il faut se rappeler qu’ils ne sont pas des Bantus. Puisqu’ils aiment savoir et sont capables de réflexion, pourquoi ne chercherait-on pas davantage à les former...? Chefs-nés, ceux-ci ont le tact, le savoir-faire, le sens du commandement” (in l’Essor Colonial du 21 décembre 1930).

Pour en faire des auxiliaires efficaces, l’église et la Tutelle réservèrent aux Tutsis le monopole de l’administration. Comme dans tous les systèmes de ségrégation raciale, la prétendue supériorité raciale doit être promue en fait et assurée par des institutions ad hoc. Mgr Classe précise par ailleurs:

“Encourager le mouvement mututsi vers la mission, c’est l’avenir de la religion qui est en jeu. Donc développer l’école tutsi. lui donner la plus grande attention et de vrais soucis, cela sera le moyen de garder cette jeunesse chez nous. Mais il faut que l’école marche, soit une véritable école où ces jeunes progressent”. (In La Christianisation du Rwanda 1900-1945, Paul Rutayisire, Université de Fribourg, Suisse, 1987, p.294).

L’Eglise Catholique se servit donc de l’école et de la discrimination pour assurer la conversion des Rwandais. Les écoles laïques, apparues plus tard, étaient en fait calquées sur le même modèle et poursuivaient les mêmes objectifs. De plus, elles étaient aussi entre les mains des missionnaires. Leur but était:

“… d’instruire et éduquer les fils des Chefs afin de les préparer aux devoirs de leur charge et d’en faire ainsi des auxiliaires éclairés de l’administration; de former des moniteurs pour les écoles du gouvernement; d’instruire les Batutsi, dont les parents n’exercent pas de fonction de chefs et de sous-chefs, pour en faire des clercs”. (in Christianisation du Rwanda, op. cit.p.296).

Ainsi, tout au début, l’école fut réservée exclusivement aux Tutsis. C’est plus tard que viendra l’école des Bahutu dont Mgr Classe dira:

“… l’école des Bahutu est nécessaire pour former les catéchistes, maîtres d’écoles, répétiteurs et pour instruire, et former la jeunesse en général… L’école des Batutsi, doit avoir le pas sur celle des Bahutu. C’est elle que le père chargé des écoles doit avoir le plus à cœur de développer. Elle prépare l’avenir en nous gagnant les futurs chefs, en gagnant les parents et le gouvernement... Elle doit passer avant celle des Bahutu, et le père chargé des écoles doit y aller chaque jour”, (in Gamaliel Mbonimana: l’instauration du Royaume Chrétien au Rwanda 1900-1931, Univ. Catholique de Louvain 1981, p.127).

Mgr. Classe poussa la discrimination raciale jusqu’à prescrire l’endogamie: il fallait admettre les jeunes Tutsi au baptême:

“qu’étant en règle pour le mariage, c’est à dire mariés ou fiancés à des filles chrétiennes ou catéchumènes de leur ethnie” (P. Rutayisire, op.cit.p.346). L’auteur ajoute “... Nous ne pouvons pas dire avec précision, si ces directives ont favorisé ou pas 1’endogamie parmi les Batutsi dirigeants. Mais on ne peut pas exclure l’hypothèse selon laquelle elles ont provoqué la conversion de la gent féminine de cette catégorie sociale”. (id,).

Il faut dire que dans ce régime d’apartheid belgo-catholique, les théories scientifiques, les définitions sociologiques, les sacro-saints principes de la Bible se plient aux intérêts opportunistes. Dès le début, le terme “Tutsi”, particulièrement dans la bouche et sous la plume de Mgr Classe, signifie les grands Chefs. Mais l’irrationnel le dispute à l’absurde car au moment d’établir des cartes d’identité ethniques, il y aura d’autres critères de définition.

L’église et la Tutelle réinventent donc l’histoire du Rwanda. Celui-ci, à leur dire, n’a jamais été la patrie des Rwandais mais est présenté, dans les discours et les faits comme ayant été de tout temps une colonie des “Koushites Tutsi”, devanciers des missionnaires, sur les Nègres Hutus-Bantus.

Les Rwandais, depuis la résistance armée aux Européens à Shangi en 1895, qui avait tourné au désastre, subissaient docilement le sort du vaincu. Le vainqueur mettait donc le pays en coupe réglée en détruisant la Nation. Dans les années vingt, un seul homme continua à faire tête à l’ordre nouveau de l’église et de la Tutelle: le Roi Musinga. Selon la théorie il devait être le premier des “Kouschites”, “intelligent, droit, vertueux, assuré de régner!”

Car suivant l’administrateur belge Ryckmans:

“Les Batutsis étaient destinés à régner… leurs qualités et même leurs défauts les rehaussaient encore. Fiers…, se laissant rarement aveugler par la colère… rien d’étonnant que les braves Hutus, moins malins, plus simples, se soient laissés asservir…”.

On peut dire que l’église et la Tutelle traitèrent le Roi Musinga, au propre et au figuré, comme le dernier de leurs Hutus. Sa résistance lui valut le banissement et des propos durs dont l’auteur n’est autre que Mgr Classe:

Musinga: “Un triste Sire! Il faut débarrasser le Rwanda de Musinga. Il n’y a pas à se faire d’illusion: Musinga est entièrement anti-européen, et il le restera, malgré tous les efforts pour le faire changer de mentalité. Au point de vue moral, il est au dessous de tout ce qui peut s’imaginer…” (Essor Colonial, op.cit).

Son bannissement, aurait dû ouvrir les yeux à ceux qui ont gobé aveuglément ta théorie hamite des missionnaires. Il n’en fut rien.

De notoriété publique, le régime que l’église et la Belgique établirent sur le Rwanda depuis 1918 jusqu’en 1962 fut atroce. Elles imposèrent d’excessives corvées et des châtiments corporels dégradants à tout le peuple Hutu et Tutsi, à l’exception de quelques tutsi instruments de l’ordre catholico-colonial. Tout cela se faisait évidemment dans une atmosphère caractérisée par le discours hamite: ce qui ajouta à la confusion.

Les corvées étaient exécutées même au bénéfice de l’église. D’abord pour construire des églises et établir des missions. Pour ensuite effectuer des conver­sions, car celui qui embrasse la nouvelle religion est sauvé des corvées.

Un des Pères Blancs, assez rares, célèbres pour avoir fustigé ces pratiques, fut le P.Hellemans qui estimait qu’on avait agi “beaucoup par les chefs” et que “les candidats au baptême espéraient l’exemption des corvées”, P.Rutayisire, p.354.

L’on ne peut pas comprendre l’histoire du Rwanda sans l’analyse des corvées, et la marque que celles-ci ont laissé sur les mentalités. Elles étaient administrées par la tutelle et l’église avec le truchement des hommes de paille Tutsis. Ce que celles-là exploiteront sans vergogne quand sonnera l’heure du retournement des alliances par la crosse et la croix, dans les années cinquante.

Les corvées étaient un travail forcé, non payé, imposé à tout adulte du Rwanda. Elles étaient imposées pour construire des infrastructures routières, des bâtiments publics, les églises et les maisons des missions, les écoles, les centres de santé. Elles servaient aussi pour lancer des exploitations nouvelles de café, de pyrèthre, etc…

Ce travail était accompagné d’un impôt excessif du contribuable, soit retiré de l’économie traditionnelle, soit du travail rémunéré, que beaucoup de Rwandais furent obligés d’aller prester dans les colonies britanniques. Ledit travail était accompagné de prélèvement en nature, sans contrepartie, que les gens ordinaires devaient payer aux administrateurs blancs, à leurs auxiliaires blancs ou Tutsis ou aux Chefs.

Dans ce système où, pour reprendre la langage d’aujourd’hui, la violation des droits de l’homme, jusqu’aux droits élémentaires, était institutionnalisée toute personne nantie de la moindre parcelle d’autorité commettait des abus sans restriction. Ainsi l’Historien Kagame dira-t-il ceci dans son livre: “la notion même du travail devint synonyme de corvée”.

Quand, plus tard, l’église et la Tutelle changèrent de langage et de pratique en disant cette fois-ci que “les Hutu étaient nés pour gouverner”, le régime des corvées allait être exploité démagogiquement en mettant le tout, non sur le dos des seuls Tutsis qui avaient collaboré avec l’église et la Tutelle, ce qui eut été du reste une franche absurdité, mais sur tous les Tutsis et malicieusement sur la société traditionnelle, ce qui est le comble de la malice et de la cruauté. Il était en particulier affirmé que la féodalité “traditionnelle” avait écrasé les Hutus de corvées dites encore Ubuhake.

Le démenti à ce mensonge sera apporté de l’intérieur du système par Mgr Classe lui-même.

“…pour avoir cette vache tant désirée; le pauvre hère ou le riche, pour augmenter le nombre de ces bêtes, va comme on dit dans le Rwanda, guhakwa chez un plus fortuné, mututsi ou muhutu qu’ils soient eux-mêmes Batutsi ou Bahutu, car une vache de plus n’est jamais dédaignée... C’est en réalité un contrat bilatéral et pour cela les redevances ou une obligation du Mugaragu; nous ne les regardons pas comme des corvées: c’est volontairement que l’umugarugu s’y soumet; il le sait”. (Mgr Classe;op cit.).

Les corvées non payées assurées par des châtiments corporels ignobles ou par la crainte de bannissement ont donc été imposées par l’église et la Tutelle.

Puis vint donc le tournant des indépendances. Nul mieux que le Colonel Logiest n’a exprimé de façon saisissante comment son pays et l’église catholique opérèrent la volte-face de façon cruelle et opportuniste. Citant le R.P. Monsmans, il dit:

“… La formule de collaboration qui a été suivi fidèlement jusqu’ici (1956) risque de faire apparaître l’église comme ayant partie liée avec le gouvernement. S’il devait en être ainsi, l’église serait rendue solidaire des inévitables erreurs: bref de tous ces éléments, qui blessent les autochtones au plus intime d’eux-mêmes. On en arriverait à ce que l’église soit considérée comme étrangère…”, (op.cit.p 96).

C’est alors que les évêques du Congo Belge et du Rwanda-Urundi se réunirent à Léopoldville en 1956 et déclarèrent l’égalité de toutes les races devant Dieu.

“Parce qu’ils se préoccupaient déjà de l’après-colonialisme. Il s’agissait du maintien de l’église catholique en Afrique. Cette position fut reprise encore davantage dans la lettre pastorale pour le carême de 1959 de Mgr Perraudin, laquelle rappela les devoirs des croyants notamment celui d’admettre l’égalité des races devant Dieu; cette volte-face ne pouvait qu’être favorable aux partis Hutu…” idem, p.98.

La Belgique adopta la même stratégie que l’église, avec le même souci de sauver les meubles. Encore une fois l’église et le pouvoir colonial se retrouvèrent ensemble en se rangeant démagogiquement et tactiquement du côté de la masse des Hutus et en jetant l’opprobre sur les Tutsis qui étaient soi-disant responsables de tous les malheurs des premiers. Pendant plus de soixante ans, l’église et le colonisateur avaient écrasé les Hutus après les avoir déclarés des êtres inférieurs, des citoyens de seconde zone, des serfs. En 1959, la crosse et la croix avaient déjà fini par se liguer pour se disculper en organisant l’extermination des Tutsi qui a commencé par ce que le dernier Gouverneur Mr. Harroy a qualifié lui-même “de révolution assistée”.

Elle aura lieu en novembre 1959, trois ans environ avant l’Indépendance formelle du Rwanda. Cette extermination culminera avec l’hécatombe de 1994. Et qui s’en étonnera puisqu’en 1961, les délégués de l’ONU, observant ce que la Belgique et l’église venaient de mettre en place, écrivaient dans leur rapport: “qu’une dictature raciale d’un parti avait été établie au Rwanda…”, puis que “les développements des 18 derniers mois indiquaient une transition d’un régime oppressif vers un autre”.

Ainsi donc, on ne peut pas reprocher à Mgr Perraudin d’avoir déclaré au nom de l’église catholique du Rwanda en 1959 que toutes les races étaient égales devant Dieu et que l’oppression devait prendre fin. Ce qu’on en est droit de se demander c’est:

(a) Qu’est-ce qu’il avait attendu auparavant pour s’en rendre compte et quelle est son intégrité morale ou sa crédibilité, lui dont le passé et l’institution avaient partie liée avec es injustices “raciales”?

(b) Son institution, l’Eglise, et le Pouvoir Colonial étaient sans conteste les auteurs des inégalités et des injustices sociales. Mgr Perraudin, qui était l’Archevêque n’est pas intellectuellement si peu développé au point de confondre le pauvre paysan Tutsi contre qui il a canalisé la colère populaire avec des vrais responsables des maux sociaux qu’étaient son Eglise et l’ordre colonial.

(c) Le Bureau du PARMEHUTU, nouveau parti ethniste comme il s’entend, avait ses bureaux chez Mgr Perraudin à l’Archevêché de Kabgayi. Le journal catholique Kinyamateka, qui embrasa littéralement le pays et garda jusqu’à ce jour le ton partisan, et L’AMI, lui aussi d’obédience catholique et instrument de propagande partisanne, le fameux Manifeste des Bahutu de 1957 et enfin, les tracts appelant la population à la violence et distribués par les avions militaires belges, tous ces écrits qui ont mis le pays à feu et à sang en 1959, étaient préparés et imprimés à l’Archevêché de Kabgayi.

Car “il est un autre domaine où les missions Catholiques ont joué un rôle capitale: celui de la Presse…”, (Logiest op.cit.p.98). Cette propagande de l’église était évidemment la falsification de l’histoire. Elle présente le Rwanda ancien, comme il a été indiqué, sous les couleurs de la féodalité honnie qui avait écrasé les Bahutus par des corvées: la féodalité, l’ubuhake. Et c’est au non de cette falsification que Mgr Perraudin ainsi que le dernier gouverneur belge, Mr. Harroy, ont mené leur soi-disante révolution.

Pourtant c’est M. Harroy, bien sûr de concert avec le clergé blanc, qui avait signé le décret du 14 juillet 1952 régissant la mise en place du Conseil Supérieur du pays ainsi que les Conseils des Territoires, des Chefferies, des sous-Chefferies composés de “Notables” en majorité Batutsi. Mgr Alexis Kagame décrit la situation politique qui prévalait en 1952 en ces termes:

“En fait, il n’y a pas, dans ce système, qu’un seul et unique électeur, le Sous-Chef. Celui-ci, en plus de ce privilège lui octroyé, dispose d’une arme efficace extra-électorale: il accuse, juge et punit. Il n’y a donc aucun danger que l’un oui l’autre des “Notables” élus en arrive à penser autrement que son unique électeur de base. Et tous les droits concentrés dans le Sous-Chef le sont au superlatif à l’échelon du Chef de Chefferie. On pourrait développer des raisonnements analogues sur chaque échelon de ces conseils…” (A. Kagame: Un Abrégé de l’Histoire du Rwanda de 1852 à 1972, Butare, Editions Universitaires du Rwanda, 1975, pp225,226).

L’auteur montre plus loin que:

“… Les résultats de la “consultation populaire” du 30 septembre 1956, (émanant du décret du 14 juillet 1952) démontrent clairement combien le système installé était foncièrement immoral. Sur les 6051 Bahutu (66,72%) et les 3223 Batutsi (33,08%) à l’échelon de Sous-chefferie, en passant par une proportion presque honnête aux échelons de chefferie et territoire, on aboutissait à un Conseil Supérieur du pays composé d’un seul Muhutu sur 31 Batutsi” (cfr Rapport de la Comission d’Enquête au Rwanda en 1960, p. 14).

“Il est à peine croyable que les fonctionnaires de l’Administration tutrice, les seuls et uniques responsables de l’anomalie - puisque seuls législateurs et initiateurs attitrés aux principes démocratiques, -soient restés impassibles et satisfaits de tels résultats. Dans le cadre des luttes qui s’amorçaient, l’on est en droit de se demander s’il ne s’agissait pas d’un moyen prémédité propre d’accélérer le pourrissement de la situation au détriment des Batutsi” (idem, pp.236,237). Comme rappelé plus haut ces iniquités seront mises sur le dos des Tutsi et de la société traditionnelle.



D’abord par Mgr Perraudin:

“Dans notre Rwanda, les différences et les inégalités sociales sont pour une grande part liées aux différences des races, en ce sens que les richesses, d’une part, et le pouvoir politique et même judiciaire d’autre part, sont en réalité, en proportion considérable - entre les mains d’une même race. Cet état de choses est l’héritage du passé que nous n’avons pas à juger. Mais il est certain que cette situation de fait ne correspond plus aux normes d’une organisation saine de la société Rwandaise et pose, aux responsables de la chose publique, des problèmes délicats et inéluctables” (idem,p.247).



Par Mr. Harroy ensuite:

“Ma première affirmation sera qu’il y a un problème: le conflit Tutsi-Hutu...Mais le problème est indéniable en ce pays d’inégalités des conditions auquel il est nécessaire d’apporter des solutions… Cette situation, une fois reconnue, les chiffres font alors apparaître que, état de fait, le groupe social Tutsi détient un pourcentage très élevé de ces postes officiels…” (idem. pp.241,242).

(d) Les tueries de 1959 ont forcé les rescapés des massacres à l’exil pour plus de 35 ans d’où il leur était refusé de revenir. Mgr Parraudin ignorait-il cette situation ou cette situation correspondait-elle à son “égalité des races”? Depuis 1959 jusqu’en 1973, l’église, sous la férule de Mgr Perraudin va marquer de son empreinte la vie sociale et politique du Rwanda, en faisant de ce pays un hutuland.

A la veille de la révolution de palais de 1973, un autre homme d’église, l’Abbé Naveau, belge de son état, fut mis à la tête de ce qu’on a appelé le Comité du Salut Public pour manipuler encore une fois les masses rwandaises sous couvert d’une autre “révolution”. Ce comité sillonna le pays, prêchant que les Tutsi étaient encore en surnombre, qu’il fallait les éliminer. Ce qui fut fait. Bien entendu, l’on a jamais vu Mgr Perraudin et l’église lever le petit doigt. Et pour cause!

Comme on le voit dans tout ce qui précède, l’église catholique joua un rôle terriblement destructeur d’un bout à l’autre de l’histoire douloureuse du Rwanda. Elle sema les grains de haine et de destruction dont le génocide n’a été que l’aboutissement direct. Dans ce qui précède aussi, nous avons largement laissé la place aux autres pour raconter la mise à mort de la nation rwandaise. En ne répétant que ce que les autres ont dit ou écrit avec autorité comme le fait le gouvernement rwandais aujourd’hui, comment pouvons-nous être accusé de diffamation envers l’église catholique? Malheureusement celle-ci n’est pas encore revenue de ses errements passés.

La dernière épisode de l’extermination des Tutsis date de 1994. Le coup d’envoi avait été donné dès octobre 1990. Dans un simulacre d’attaque de la capitale de Kigali par le FPR dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990, le gouvernement Habyarimana ratissa tous les Tutsis de Kigali, la capitale, qu’il traita alors d’ennemis ou d’infiltrés. Ceci fut répété dans tout le pays. Pas de condamnations de la part de l’église!

En 1992, le régime multiplia des massacres des Batutsi et Bagogwe à Kibilira, Ruhengeri, Gisenyi, Bugesera et Kibuye et partout dans le pays. Pas un mot de la part de l’église. Au contraire les Evêques Rwandais ont écrit à leurs collègues français:

“L’agression dont, le Rwanda a été victime a été présentée comme une tentative des réfugiés pour revenir dans leurs pays d’origine… nous savons que sous ce prétexte, il y a principalement l’ambition d’un groupe féodo-monarchiste de renverser le pouvoir actuel et de restaurer un régime rejeté par la plus grande majorité de la population”.

En disant cela, l’Eglise se situe toujours du côté de son revirement de 1956, dont on a vu ce qu’il vaut, et plus précisément, de façon outrancière et démagogique, d’un seul côté de la société rwandaise.

Et les missionnaires, dans leur fax du 23 mars 1992, alors que la chasse aux Tutsis battait son plein dans certaines parties du pays, disaient au Vatican:

“… C’est l’heure de la chasse aux fauteurs de troubles. Il est faux de dire qu’à l’heure actuelle les massacres des Tutsis continuent”.

L’autre événement important dans la marche vers la “solution finale” a été les dix commandements des Bahutu calqués sur les dix commandements de la Bible (Exode chap.20). Mais en fait les dits commandements des Bahutu, c’est la Bible de la haine. L’église s’est tue. Et enfin, préludant à la préparation finale, le document de l’Etat Major de l’Armée définissait comme ennemi devant être neutralisé, tout Tutsi de l’intérieur, de l’extérieur et tout Hutu marié à un Tutsi, tout opposant. L’église s’est encore tue.

Il n’est donc pas étonnant qu’au lendemain du déclenchement des massacres en 1994, les évêques catholiques se sont bornés à dire qu’ils “… condamnent les actes de violence, du crime commis par ceux qui agissent sous le coup de la colère, du chagrin et de la vengeance” (Communiqué du 10 avril 1994). Et quand l’un d’entre eux, l’Evêque Phocas Nikwigjze déclare qu’au moment du génocide les gens d’Eglise doivent oublier qu’ils sont chrétiens et agir tout comme un chacun, on n’a jamais vu le Vatican s’indigner.

“… Dans une telle situation, tu oublies que tu es chrétien; tu es alors humain avant tout. Ces Batutsi étaient des collaborateurs, des amis de l’ennemi, il fallait les-tuer” (Golias, os 48/9,1996 (45).

Quatre vingt quinze pour cent (95%) des églises ont servi de boucheries pour les Tutsi et d’autres Rwandais qui ne soutenaient pas le génocide en 1994. Pour certaines églises comme celle de Nyange, les prêtres ont même ordonné que ces immenses églises construites par les Rwandais sous le régime de la corvée soient écroulées par des caterpillars sur des milliers de fugitifs, trois mille dans le cas de Nyange, dont pas mal de chrétiens, qu’y avaient trouvé refuge.

De telles situations bien entendu, n’ont appelé aucun mot de pitié ou un geste de solidarité en faveur des victimes de la part du Vatican. Et si Vatican s’accommode de ce que ces églises aient servi de boucherie pour les victimes du génocide, pourquoi se demandait-il que ces églises sont transformées en ossuaires puisque les os y sont déjà de toute façon?

Et comment le Vatican s’indigne-t-il que ces églises servent d’ossuaires pour une seule ethnie alors que personne n’est allée discriminer les os des Hutus de ceux des Tutsis, qui y sont tombés? Ce qui avait été demandé et qui avait été accordé par le clergé local, c’est que ces lieux de culte, transformés en lieux d’exécution, gardent tout au moins quelques uns, des signes qui serviront de mémoire pour des générations futures! On s’étonnera de la position radicale, “raciste” et insensible du Vatican à ce sujet.

Quant à la théorie du double génocide, en le répétant, le Vatican ne fait que ressasser les outrances de François Mitterrand proférés dès le début des tueries en 1994 pour brouiller la réalité. Nul ne doute que le Vatican, tout comme F. Mitterrand n’est pas loin de penser aussi que ce génocide sur les Africains est un “génocide sans importance”. Vu tout son passé chargé au Rwanda, on s’en étonnera pas. Avant, durant et après le génocide, l’Eglise catholique au Rwanda affiche une continuité et un acharnement s ans faille: de quoi pleurer pour ce pays.

Réaction élaborée et préparée par le Département Chargé de la Politique et Administration du Territoire à la Présidence de la République Rwandaise, B.P. 15, Kigali, Tél: 84085 (Centrale), 85391 (Bureau), Fax: 84390)
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024