Fiche du document numéro 2933

Num
2933
Date
Mercredi 14 novembre 2001
Amj
Auteur
Fichier
Taille
164802
Pages
2
Sur titre
Commission Lumumba
Titre
Le Rwanda et le Burundi aussi sont concernés
Sous titre
La fin de la monarchie était annoncée. Les informations recueillies par les experts de la commission Lumumba débordent sur les manoeuvres belges au Rwanda et au Burundi dans les années soixante.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La moisson d'informations glanées par les experts chargés d'examiner le
rôle des autorités belges dans l'assassinat de Patrice Lumumba dépasse
largement le cadre du Congo de 1960 : les archives livrées par le
ministère des Affaires étrangères et le Palais révèlent des pans inédits
de la politique belge dans les deux pays voisins, le Rwanda et le
Burundi, dont les Nations unies avaient confié la tutelle à la Belgique.

C'est ainsi qu'une note du 24 octobre 1960, adressée au roi Baudouin par
le grand maréchal Gobert d'Aspremont Lynden (oncle du ministre des
Affaires africaines), précise que « le mwami de l'Urundi, Mwambutsa, a
dit au ministre des Affaires africaines, au cours d'une conversation,
qu'il avait le très vif désir d'être invité au mariage du roi. Le
ministre souhaite qu'il soit répondu favorablement à cette aspiration.
Le mwami Mwambutsa lui a paru bien disposé. Par contre, son fils a une
attitude douteuse; ce serait une raison de plus de montrer de la faveur
au père. A première vue, je ne vois pas d'inconvénient grave à inviter
Mwambutsa. Quant à Kigeri, le mwami du Rwanda, la question ne se pose
pas, puisqu'il sera écarté.
»

A peine nommé, Rwagasore sera assassiné



A plus d'un titre cette note est remarquable. Tout d'abord parce qu'elle
confirme la défaveur du prince Louis Rwagasore, fils du mwami Mwambutsa
qui, à l'époque résidait à Lausanne. Ami de Patrice Lumumba, Rwagasore,
en 1998, avait fondé le parti Uprona, qui réclamait l'indépendance et
réunissait des Hutus et des Tutsis sur une base nationaliste. Un autre
document, sous la signature du résident général Jean-Paul Harroy, révèle
qu'en décembre les Belges ont placé Rwagasore en résidence surveillée et
que « la mesure ne sera levée que si l'intéressé s'abstient d'activités
politiques.
 »

A ce moment, en effet, des élections communales avaient lieu au Burundi
et en octobre 1961 l'Uprona remportera les élections législatives. A
peine nommé Premier ministre, Rwagasore sera assassiné par un tueur à
gages grec travaillant pour le PDC, parti démocrate-chrétien, soutenu
par les intérêts belges et par l'Eglise. Par la suite, deux Grecs et
trois Burundais accusés du complot furent jugés et exécutés par pendaison.
Quant à Kigeri du Rwanda, au moment où se prépare le mariage du roi, il
se trouve au Congo. Le colonel Logiest, qui a pratiquement les pleins
pouvoirs au Rwanda, explique dans ses mémoires que le 18 octobre, il a
réuni au sein d'un Conseil provisoire les partis vainqueurs des
élections communales, organisées par les Belges contre l'avis de l'ONU
et du roi Kigeri. « Le 28 janvier 1961 les bourgmestres hutus élus se
réunissent à Gitarama, sous la protection des paracommandos belges et
proclament l'abolition de la monarchie
 ». Comme prévu en octobre, Kigeri
est donc effectivement « écarté » du pouvoir. L'intéressé, qui vit
actuellement aux Etats-Unis, nous a déclaré que ce document ne le
surprenait pas : « Il était évident que Logiest et Harroy voulaient me
chasser du pouvoir. Si je me trouvais à Léopoldville, c'est parce que je
voulais y rencontrer Dag Hammarskjold, le secrétaire général de l'ONU,
et plaider en faveur de l'indépendance. Harroy n'avait pas fait
d'objection à mon départ, bien au contraire. Mais lorsque je voulus
revenir au Rwanda, je trouvai des commandos belges qui gardaient la
frontière avec pour mission de m'empêcher de revenir dans mon pays
tandis que la radio appelait à la vigilance. Je n'ai jamais fui le
Rwanda comme on l'a dit, ce sont les Belges qui m'ont empêchés d'y
revenir car ils voulaient instaurer la République...
 »

Le mwami Kigeri estime qu'une autre commission d'enquête devrait se
pencher sur l'assassinat de Rwagasore au Burundi et surtout sur la mort
subite de son prédécesseur, le mwami Mutara : « Il souhaitait se rendre à
New York, pour demander à l'ONU d'accorder l'indépendance au Rwanda. A
Bujumbura, où le remplaçant de son médecin habituel lui avait fait une
injection avant le voyage, il s'écroula au sortir du cabinet médical.
Choc, infection, crise cardiaque ? On a assuré qu'il s'agissait d'un
accident. Mais je sais que mon frère n'avait jamais été malade et
qu'aucune autopsie ne fut pratiquée. Par la suite, les Belges, qui
voulaient nommer un régent, ont été très surpris lorsque le pouvoir
traditionnel (les Abiru, ou conseillers de la Cour) m'ont immédiatement
nommé pour assurer la succession. Pour moi il est clair que, depuis
1930, les Belges voulaient l'abolition de la monarchie au Rwanda, ils
voulaient nous diviser, et vous voyez aujourd'hui le résultat de cette
politique...
 »

Les non-dits de la note du Palais sont également éloquents : si
l'invitation du mwami Mwambutsa du Burundi est en discussion, la cause
de Kigeri est visiblement déjà scellée. Cette note confirme qu'à Kigali,
contrairement à ce qui a parfois été dit, le colonel Logiest n'agit pas
seul, il exécute une mission qui lui a été confiée en haut lieu. Kigeri
confirme : « Logiest me disait qu'il était là pour exécuter des ordres,
et que, si on lui avait dit de remettre les Tutsis au pouvoir, il
l'aurait fait et que nous aurions même pris un whisky ensemble...
 »

Faut-il rappeler que les manoeuvres belges dans ces trois pays d'Afrique
centrale ne présenteraient plus aujourd'hui qu'un intérêt historique si
les événements de l'époque (la mort violente de Rwagasore et de Lumumba,
la mystérieuse disparition de Mutara, l'exil de Kigeri) n'avaient
entraîné des conséquences qui se font sentir, dramatiquement, jusqu'à
aujourd'hui ?

NDLR: les couleurs du texte ainsi que le soulignement sont du webmaster
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