Fiche du document numéro 2924

Num
2924
Date
Mardi 7 avril 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
136624
Pages
2
Sur titre
Rwanda
Titre
Les mystères de l'attentat qui fit basculer le Rwanda
Sous titre
Quatre ans après, aucune enquête ne s'est attachée aux circonstances du coup d'envoi du génocide.
Nom cité
Mot-clé
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il était 20 heures 20 à Kigali lorsque l'avion Falcon qui ramenait de
Tanzanie le président Juvénal Habyarimana et celui du Burundi, Cyprien
Ntaryamira explosa en vol, atteint par deux missiles tirés coup sur
coup. L'appareil s'écrasa dans l'enceinte de la présidence, à quelques
pas de la piscine. La garde présidentielle et le commandant français
de Saint Quentin, se précipitèrent vers l'épave: les Rwandais
empêchèrent les Casques bleus de la Minuar de s'approcher. Et le
Français se pencha vers ce qui semblait être la boîte noire.

Le drame se noua dans les minutes qui suivirent: les tueurs, munis de
listes nominatives, se mirent à la recherche des leaders hutus de
l'opposition et des Tutsis, tandis que depuis l'ambassade de France
une accusation terrible était formulée par une voix anonyme: Ce sont
les Belges qui ont abattu l'avion.

Tout et rien



Aussitôt reprise, amplifiée par la Radio des Mille Collines,
l'accusation devait donner le signal de la campagne antibelge qui
culmina avec la mise à mort des dix Casques bleus appelés à protéger
le Premier ministre Agathe Uwilingyimana.

Tout, ou presque, a été dit à propos de la mort des dix Casques bleus.
Mais aucune enquête n'a encore tenté d'éclairer les circonstances de
l'attentat contre l'avion: la carcasse de l'appareil gît toujours aux
abords de la présidence et ni les Nations unies, ni la France, ni la
Belgique, ni le Rwanda ne semblent désireux de savoir qui a déclenché
la tragédie. Et pourquoi.

L'attentat fut cependant une opération minutieusement préparée: dès le
matin du 6 avril, des militaires avaient pris position sur la colline
de Massaka, d'où partirent les deux missiles, dans une zone où seule
avait accès la garde présidentielle. Un témoin nous confia que ces
militaires, Noirs et vêtus de l'uniforme rwandais, portaient leur
béret de l'autre côté, à la française. Dans les semaines précédentes,
des soldats antillais avaient été vus à Kigali, portant l'uniforme
rwandais.

Le tir lui-même fut l'oeuvre de spécialistes: pour réussir à abattre la
cible - en tirant deux missiles coup sur coup -, il fallait savoir que
l'avion présidentiel était doté d'un leurre que seul le deuxième coup,
presque simultané, pouvait rendre inopérant. Or, les militaires
rwandais n'avaient pas été formés au tir de missiles, ce qui n'était
pas le cas des membres du Dami (Département français d'assistance
militaire à l'instruction) ou du GIGN (Groupe d'intervention de la
gendarmerie nationale).

En décembre, après la fin de l'Opération Noroît, des militaires
français étaient restés au Rwanda; d'autres avaient été revus dès
février, à Butare entre autres, et assuraient se trouver là pour une
mission de courte durée. Plus tard, les corps de deux gendarmes du
GIGN, spécialistes des écoutes radio, furent retrouvés près de l'hôtel
Méridien, tandis que, selon un témoignage qui devait nous parvenir,
deux membres du Dami auraient pris part à l'attentat.

Qui?



Plusieurs témoins ont vu des militaires blancs - certains portaient
l'uniforme des Casques bleus belges - quitter la zone de Massaka,
tandis qu'un Rwandais établi près de l'endroit d'où furent tirés les
missiles, nous montra dans sa parcelle l'emplacement où, disait-il, un
Européen avait été enterré!

Quant aux armes, des enquêteurs belges - avant d'être déchargés de
leur mission - établirent qu'il s'agissait de missiles SAM, d'origine
soviétique, de la série Strela. Le professeur Reyntjens, lui, apprit
qu'il s'agissait de missiles de série Gimlet. Il paraît quasiment
certain aujourd'hui que ces missiles sol-air provenaient de stocks
irakiens saisis lors de la guerre du Golfe.

Selon le professeur belge, ces missiles se trouvaient aux mains de
l'armée française, qui aurait donc pu les fournir aux extrémistes
hutus de l'armée rwandaise; mais selon la France, ils auraient été
fournis par l'armée ougandaise, qui les aurait elle-même reçus des
Américains après la guerre du Golfe. Paris reconnaît avoir, ensuite,
continué pendant quelques jours à livrer des armes au Rwanda sans se
rendre compte qu'un génocide était en cours.

Que l'attentat soit imputé au FPR (qui n'avait pas accès au site de
Massaka) ou aux extrémistes hutus et à leurs alliés, une chose est
certaine: il a pris les deux parties au dépourvu. Plusieurs dirigeants
du Front patriotique (aujourd'hui au pouvoir) se trouvaient à Kigali
le 6 avril, en grand danger (risque qu'ils n'auraient pas couru s'ils
avaient été au courant des projets d'attentat) tandis que les
témoignages du colonel Marchal comme du général Dallaire concordent
pour dire que le colonel Bagosora, considéré comme le cerveau du
génocide, affichait un état de panique et se montra totalement
désorganisé, dans les heures suivant la mort du président.

Qui alors furent les commanditaires et les exécutants? On peut
supposer que seul un très petit nombre de personnes étaient dans le
secret. Et que le commando, pour prévenir tout risque de fuite, se
garda d'avertir l'état-major hutu, conscient de toutes manières de
l'enchaînement fatal qui devait mettre en oeuvre la machine à tuer.

COLETTE BRAECKMAN
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024