Fiche du document numéro 29160

Num
29160
Date
Octobre 2021
Amj
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
1588045
Pages
22
Titre
L’archive au cœur. Retour d’expérience au sein de la commission Duclert sur le rôle de la France au Rwanda. Entretien avec Sylvie Humbert
Nom cité
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Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
L’ARCHIVE AU CŒUR. RETOUR D’EXPÉRIENCE AU SEIN DE LA
COMMISSION DUCLERT SUR LE RÔLE DE LA FRANCE AU RWANDA
Entretien avec Sylvie Humbert, Sonia Le Gouriellec, Mathieu Boche
De Boeck Supérieur | « Afrique contemporaine »

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ISSN 0002-0478
ISBN 9782807392625
DOI 10.3917/afco.271.0147
Article disponible en ligne à l'adresse :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2020-1-page-147.htm
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2020/1 N° 271-272 | pages 147 à 167

L’archive au cœur
Retour d’expérience au sein
de la commission Duclert
sur le rôle de la France au Rwanda
Entretien avec Sylvie Humbert
Sonia Le Gouriellec et Mathieu Boche

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seure d’histoire du droit à la faculté de droit de l’université catholique de
Lille, spécialiste de justice pénale internationale et de la justice transitionnelle. Vous avez été contactée pour faire partie de la commission de
recherche dirigée par Vincent Duclert. Quand et comment cela s’est-il
passé ? Quelle a été votre réaction ? Avez-vous hésité à accepter ?

Sylvie Humbert (SH) : Merci de cette présentation. Il est vrai que je travaille
depuis de très nombreuses années sur la justice en général. Sur la justice en
France d’abord, puis, dans les années 2000, avec l’affirmation des droits de
l’homme, alors que la justice au niveau européen prenait toute sa place, avec
des comparaisons importantes entre pays, j’ai, en écho avec ce qui s’était passé
après la Seconde Guerre mondiale, développé un intérêt particulier pour tout
ce qui touchait la justice pénale internationale. Cette dernière répond à une
logique complètement nouvelle au xxie siècle, dans un contexte néolibéral et
mondialisé – logique que j’ai retrouvée dans les documents d’archives que j’ai
consultés. Mais cela a été pour moi une vraie surprise car je ne pensais pas
du tout être un jour amenée à travailler sur le Rwanda. Cela dit, j’étais déjà
allée au Rwanda ; j’avais déjà lu un nombre considérable d’ouvrages ; j’avais
écrit différents articles, notamment sur la notion d’impunité. Une notion qui,
lorsqu’elle se rapporte aux crimes contre l’humanité, est devenue insupportable : il est en effet devenu impératif de pouvoir juger les responsables. Cette
notion d’impunité se développe et s’étend de plus en plus, et son impact est
encore, je pense, amené à grandir – comme on le voit déjà en matière de violences sexuelles notamment. J’avais déjà travaillé ces notions en amont – celle
d’impunité, en lien avec celle de la dignité des victimes – et je leur avais consacré plusieurs interventions, toujours en lien avec les crimes contre l’humanité,

Sylvie Humbert est professeure
d’histoire du droit et de la justice à
l’Université catholique de Lille,

membre du C3RD (Centre de
recherche sur les relations entre les
risques et le droit), secrétaire

générale de l’AFHJ (Association
française pour l’histoire de la justice).

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Sonia Le Gouriellec (SLG) : Madame Sylvie Humbert, vous êtes profes-

1. Notamment deux philosophes :
Jean-François Petit (Université

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catholique de Paris) et Cathy Leblanc
(Université catholique de Lille).

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les génocides –, ce qui rejoint également tout ce qui a trait aux crimes de guerre.
On ne maîtrise pas encore toute cette histoire des crimes contre l’humanité,
des génocides, et de la responsabilité qui en découle, mais je crois que l’on peut
dire qu’une histoire commune est en train de s’écrire, dont je perçois certains
éléments, même si ce n’est pas encore très net, notamment parce que les grands
penseurs de ces théories ne sont pas encore bien connus1.
Lorsque l’on m’a contactée, j’avais déjà entendu dire au Rwanda que
« des choses allaient se passer en France, sur les archives », et je m’attendais
alors à une sorte de confrontation entre différents chercheurs, sans imaginer
qu’une commission serait créée pour travailler sur ces archives – qui n’ont
jamais été exploitées. Je n’ai pas hésité. Je ne me considère pourtant pas comme
une spécialiste du Rwanda, quoique j’y aie des amis et que j’estime avoir compris pas mal de choses en me rendant sur place, mais j’ai émotionnellement et
humainement compris qu’il était impératif de donner un sens à ce qui s’était
passé. Aussi, lorsque Vincent Duclert m’a téléphoné – c’était encore sous le
sceau du secret – en me disant qu’il aimerait que je puisse faire partie de cette
commission, j’ai tout de suite répondu « Oui, il faut y aller », tout en le remerciant vivement de la confiance qu’il avait en moi.
J’ai aussi pensé à mon amie au Rwanda, Assumpta Mugiraneza, qui
dirige un centre multimédia sur la mémoire du génocide – IRIBA – et qui
m’avait déjà reçue dans le cadre d’un colloque que nous avions coorganisé
ensemble lorsque que j’étais partie au Rwanda pour la première fois. Je savais
donc déjà qu’humainement parlant, il fallait absolument trouver une solution.
Et cela a été pour moi, je pense, un moment important dans ma vie. Je l’ai vécu
un peu comme un exercice de résilience. Parce qu’il est vrai que tous les dossiers
que l’on consulte sont administratifs, où l’on ne parle pas du génocide, et s’il n’y
avait pas notre part d’humanité dans la recherche, je pense que l’on aurait fait
une analyse qui n’aurait pas apporté grand-chose. C’est d’ailleurs la critique qui
avait été émise lorsque la commission a été désignée, le 5 avril 2019 : « Cette
commission ne servira à rien, ils ne vont rien trouver de plus que ce que l’on a
déjà trouvé, etc. » Et en effet, avec cette optique-là, nous n’aurions rien trouvé,
mais si on y va en se disant « Attention, derrière, il y a eu un million de morts,
qu’est-ce qui s’est passé ? », cela change la donne.
Or, ce regard ne devient possible qu’avec le temps. C’est peut-être ce
qui a manqué à la commission Quilès en 1998 : ce temps long, qui permet ce
regard. Nous avons d’ailleurs tous fait la comparaison avec Jacques Chirac et
le Vel d’Hiv : une génération différente, qui apporte un regard différent. Il faut
parfois savoir attendre le moment opportun pour ouvrir les archives. Cela ne
sert souvent à rien de les ouvrir dans l’immédiateté car, dans l’immédiateté, ce
qui prévaut ce sont les témoignages des gens qui sont sur place, c’est essentiel.
Les documents d’archives n’apportent une plus-value que si l’on connaît déjà

l’histoire. Ce qui répond aussi à la critique concernant le fait que cette commission ne comptait pas de « spécialistes du Rwanda ».

SLG : Ce que vous dites de l’aspect humain, de l’importance de l’émotion, me
rappelle l’ouvrage Une initiation de Stéphane Audoin-Rouzeau : le Rwanda
a bouleversé sa vie. Diriez-vous, après être allée sur place, après avoir participé à cette commission, que cela a constitué, peut-être, le moment le plus
important de votre carrière universitaire ? Qu’est-ce que cela a changé en
vous, dans votre façon de penser et d’aborder ces questions ?

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place, d’y prendre la mesure du drame qui s’est déroulé… Une chose qui m’a
notoirement marquée dans mes recherches, c’est de m’être rendue compte de
la confusion particulièrement prégnante entre guerre et génocide. Certains se
focalisaient en effet sur la guerre, quand d’autres essayaient d’expliquer qu’un
génocide se déroulait – sans être crus. La lecture diplomatique a pris le dessus… Mais face à un drame humain, il faut arrêter de penser en termes diplomatiques. Je vais vous expliquer comment la commission a fonctionné, et je
vous dirai ensuite pourquoi cela a changé ma façon de voir les choses.
Nous nous sommes d’abord rendus dans les archives qui avaient été désignées par le président de la République : les services historiques de la Défense,
les services du ministère des Affaires étrangères, les archives diplomatiques,
les archives de la présidence de la République, les archives du Premier ministre.
La seule lacune a été les archives de l’Assemblée nationale. J’y reviendrai. Nous
avions une dérogation générale pour travailler sur les documents « confidentiel défense », et le président de la commission avait une habilitation « secretdéfense ». Nous nous répartissions les tâches en fonction de nos spécialités.
Pour ma part, j’aurais pu travailler sur les aspects politiques mais je me suis
orientée, en tant que juriste de la justice pénale internationale, vers tout ce qui
touchait au Conseil de sécurité de l’ONU – donc le droit pénal international
et la diplomatie. Je suis d’abord allée au service historique de la Défense, puis
aux Archives nationales où avaient été réunies toutes les archives de François
Mitterrand. Progressivement, j’ai fait un tri et, au bout d’un moment, je me suis
dit que j’avais trouvé ma voie : je m’y suis consacrée pendant une année.

SLG : Comment s’est organisé le travail au sein de la commission ?
SH : Nous avons peu à peu constitué des équipes – d’autant que le confinement
nous a imposé des restrictions d’accès aux archives, qui ont été fermées pendant
trois mois, début 2020. Elles ont ensuite été rouvertes trois jours par semaine
seulement, avec des horaires restreints. Ce n’est qu’en septembre 2020 que nous
avons pu à nouveau travailler dans des conditions à peu près normales : quatre
jours par semaine, du lundi au vendredi, accompagnés par une personne habilitée « secret-défense » qui pouvait nous apporter les documents – au départ, il a

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SH : Oh, cela m’a beaucoup changée… Cela mûrit une personne d’aller sur

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donc aussi fallu que les archives s’organisent. Dans ce laps de temps, nous avons
eu six mois pour nous documenter. D’aucuns ont dit que nous ne nous étions
pas documentés, mais c’est faux ! Nous avons lu énormément d’ouvrages ; nous
avons reçu de nombreux témoignages ; nous avons mené des entretiens avec des
personnes de différents milieux : des militaires, des journalistes, des universitaires, des témoins, et aussi des Rwandais. Mais comme notre mission portait
uniquement sur les archives, le rapport ne traite que de ce que la mission nous
demandait. Je ne cherche pas, en disant cela, à faire de notre expérience un
péplum en vantant tout ce que nous avons pu faire, mais je crois important de
mettre en avant le fait que nous sommes désormais en mesure, avec cette équipe,
d’élaborer une forme de déontologie de recherche. Car jusqu’à présent nous ne
disposions pas vraiment de frontières établies entre, d’un côté, la recherche
scientifique classique, qui obéit au temps long et, de l’autre, les missions d’évaluation des politiques publiques, plus axées sur le temps court, l’immédiateté.
Ainsi, je caractériserais plutôt la mission Quilès comme une mission d’évaluation des politiques publiques, plus axée sur le temps court, qui s’éloigne d’une
recherche scientifique ; cela n’a pas été une recherche scientifique.
Je raisonne là un peu à la façon de Paul Ricœur, et c’est la manière dont
notre commission a envisagé sa manière de travailler : sur ce temps long (vingtsept ans, c’est court bien sûr, mais, dans le contexte actuel, c’est un temps long).
Notre perspective était donc aussi différente de l’approche médiatique – sans
vouloir nier par-là l’intérêt des investigations faites pas les journalistes.
Je dois dire aussi que nous avons essuyé des tentatives de déstabilisation
de la part de certains, qui nous conseillaient des articles orientés, critiquant les
uns et les autres. Mais nous avons pris la décision de ne répondre à personne, de
laisser dire, tant que le rapport ne serait pas finalisé. Cela nous a permis de rester soudés et les critiques, en fait, nous ont donné une force inimaginable – ce
qui nous a notamment permis de terminer dans les temps. Car deux ans, c’est
très court, dans un contexte de manifestations des gilets jaunes, de grève des
trains, de confinement… Cette force collective nous a permis de réf léchir, d’entendre ce qui était dit de part et d’autre, d’entendre les critiques qui étaient
portées, mais cela sans cesser d’avancer, et en entretenant toujours l’idée que
« nous y arriverons ». Cela n’était pas gagné. Et nous avons bien sûr connu
quelques moments de découragements. Notamment lorsqu’en septembre, alors
que nous pensions avoir terminé, on nous a dit : « Attention, il faut retourner
dans les archives pour voir quels sont les documents qui vont être déclassifiés. »
Nous avons alors, à nouveau, étudié tout ce que l’on avait déjà vu – en un temps
record, puisqu’on savait aller à l’essentiel : on avait nos notes, sauvegardées sur
un ordinateur qui était toujours mis au coffre, aux archives, et que l’on pouvait
aussi consulter depuis nos bureaux au ministère des Armées.
Il faut dire que c’est la première fois qu’une mission est organisée par
l’Élysée (d’habitude, c’est de l’initiative du Premier ministre). La première fois
au cours de la Ve République qu’un président de la République envisage une
commission de cette sorte pour travailler sur les archives. Et, au départ, il faut

SLG : Vous étiez en effet hébergés au ministère des Armées, or l’armée est
l’un des acteurs impliqués… Il y a notamment eu une polémique au sujet
d’anciens travaux de Julie d’Andurain, qui s’est retirée de la commission.
Est-ce que cela a eu un impact sur votre travail ?

SH : Cela faisait partie de ces tentatives de déstabilisation dont je parlais tout
à l’heure. Julie avait un regard de scientifique ; elle n’arrivait pas avec une idée
préconçue. Elle avait en effet écrit cet article par le passé : elle aurait très bien
pu reprendre son article, à l’origine de la polémique, en expliquant que l’analyse qu’elle en avait faite à l’époque n’était pas complète et ne correspondait
plus à la vision qu’elle en avait désormais ; elle aurait tout à fait pu, en tant que
chercheure, justifier l’évolution de son regard. Si elle s’est retirée de la commission – et cela avant qu’elle ne soit attaquée –, c’était pour des raisons de santé.
Comme je le disais tout à l’heure, nous n’avons pas souhaité répondre à cette
polémique – pas plus qu’aux autres. Julie a eu le sentiment de ne pas être soutenue, ce que je regrette, car ce n’était pas du tout cela. Elle faisait un excellent
travail, et ses archives ont été poursuivies – d’autres spécialistes de l’armée
ayant pu reprendre ce qu’elle avait fait. Le temps qu’elle a passé avec nous nous
a beaucoup éclairés et nous avons ressenti un vide après son départ. Peut-être
a-t-elle aussi, de son côté, fait preuve d’une certaine maladresse en n’ayant pas
signalé qu’elle avait écrit cet article, mais cela ne revêtait pas pour elle une
telle importance dès lors qu’elle avait réalisé ce travail en se basant sur les éléments dont elle disposait à l’époque – loin de tout soupçon d’avoir « dénaturé »

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reconnaître que personne ne voulait nous accueillir. Le problème, c’est que
l’on avait besoin d’être sur un réseau protégé, puisque l’on travaillait sur du
« confidentiel défense ». Or, il s’est trouvé qu’il y avait tout un étage inoccupé
au ministère des Armées – un étage réservé aux diplomates, qui n’y venaient
qu’occasionnellement. Nous avons donc pu bénéficier de cette possibilité d’y
installer nos bureaux. Mais jamais nous n’avons été sous la dépendance du
ministère des Armées. Pas plus que de l’Élysée ni d’aucun service qui aurait
pu avoir une inf luence. Jamais. L’avantage, c’est qu’au ministère des Armées,
nous pouvions travailler jour et nuit, 24 heures sur 24, et c’est ce que l’on a fait
à partir du 1er janvier 2021, jusqu’au moment où, vers le 15 mars, nous avons
rendu le document, entièrement mis en page par nos soins, à l’éditeur Armand
Colin. Ce fut donc un travail ininterrompu. Nous étions quasiment confinés.
Un traiteur nous apportait les repas. Certains travaillaient jusqu’à 6 heures du
matin, quand d’autres arrivaient à 6 heures du matin. Une ambiance particulièrement intéressante s’est là instaurée : une ambiance particulière, teintée de
secret (nous devions faire en sorte que personne ne puisse divulguer ce que nous
étions en train d’écrire – les rares documents imprimés étaient mis au coffre),
et avec quelques prises de bec bien sûr, parce que quand on vit confiné, comme
cela, en groupe, c’est inévitable, mais aussi des fous rires extraordinaires… Une
ambiance que l’on n’oubliera jamais.

les archives. Nous avons du reste beaucoup insisté auprès du président de la
République pour déclassifier toutes les archives, les rendre accessibles à tous.
Car le regard de ceux qui travaillent jusqu’à présent sur le sujet peut être biaisé
et, s’ils souhaitent maintenant pouvoir le compléter, chaque individu concerné
peut désormais avoir accès à ces archives, et c’est une force. Il faut bien sûr
demander des choses très précises et justifier d’un intérêt particulier pour avoir
accès à ces archives ; comme dans toute demande de dérogation, il faut expliquer les raisons, l’intérêt de la recherche, et ce que l’on espère en tirer. C’est
toujours le même débat.

SLG : Vous êtes juriste et historienne et avez l’habitude d’une certaine
méthodologie à l’égard des archives, mais ce n’était pas le cas de tous. Avezvous dû apprendre à travailler ensemble ?

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est vrai que nos méthodes n’étaient pas standardisées au départ. Je m’explique :
quand je travaille sur des archives, j’analyse le document, je l’identifie bien sûr,
je le référence, j’inscris qui le rédige, la date, etc. Je note beaucoup d’éléments…
Et ensuite, s’il le faut, je reprends des passages complets. Tout cela relève d’une
logique, et si l’on veut y retourner par la suite, cela permet de maintenir une
continuité. Certains, en revanche, allaient plus directement à l’essentiel, si
bien que nous avons dû harmoniser nos méthodes, puisque tous les documents
devaient être mis en commun. Nous avions tous accès au même réseau, et tout
le monde devait être en mesure de pouvoir lire et comprendre ce qui était écrit
par les autres. Certains ont donc dû reprendre leur travail. Pour la rédaction du
document final, toutes les fiches ont été mutualisées. Nous apportions chacun
un paragraphe, puis on complétait, on corrigeait, on reprenait les parties qui
avaient été écrites, on les améliorait – on corrigeait aussi les fautes d’orthographe, de grammaire, on rajoutait des titres, etc. Bref, cela s’est construit en
commun. À tel point qu’on est incapable de dire aujourd’hui qui a écrit quoi.
On est incapable de retrouver ce que l’on a écrit. Mais on est tous capable de
défendre l’ensemble du rapport. Et c’est notre force.

SLG : Y a-t-il une découverte dans les archives qui vous a particulièrement
marqué ?

SH : Oh, nous avons tous trouvé des éléments qui nous ont marqués – ne seraitce qu’au gré des multiples annotations au crayon qui ponctuent les documents.
Mais faut-il toutes les prendre en compte ? Toutes doivent-elles être considérées comme étant des réactions qui apportent des preuves ? Non, bien sûr.
C’est là qu’il importe de prendre conscience de la responsabilité du chercheur.
Un exemple, que nous n’avons pas utilisé dans le rapport : je suis tombée sur
une archive signée par une personne de l’ambassade de France, dont je n’avais
jamais entendu le nom. Nous sommes au mois de juillet-août 1994 – il y a donc

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SH : Les autres aussi avaient l’habitude de travailler dans les archives, mais il

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une vacance de l’ambassade – et je me rends compte, en allant chercher dans
l’annuaire, qu’il s’agit d’un jeune homme qui, au fond, fait du zèle. Cette personne, je ne l’ai jamais retrouvée ensuite. Les questions qu’il posait montraient
qu’il ne connaissait absolument rien au problème du Rwanda. Je pense que
ce qu’il avait écrit en marge n’a même pas été pris en compte par ceux à qui
il s’adressait. C’était vraiment le travail d’un débutant ; et c’était isolé. Dans
ce type de cas, nous ne tenons pas compte des annotations. Parfois, aussi, les
réactions étaient prises sous le coup d’émotion, dans un contexte particulier,
et cela ne correspondait pas forcément non plus à la réalité du terrain. Il faut
donc nécessairement mener une analyse des personnes qui sont sur place et qui
prennent une position. Nous avons par exemple reçu un témoignage d’un haut
gradé de l’armée qui nous a expliqué qu’il était au Rwanda au début du génocide, au moment de l’opération Amaryllis. Il était près de l’aéroport, et quand
on lui a demandé « Sur les routes, vous avez quand même vu des cadavres ? », il
a répondu : « Non, il n’y avait pas énormément de cadavres. » Car il n’était pas
sur la zone où le génocide se perpétrait. Son regard était donc différent de celui
d’un capitaine de l’armée qui, ailleurs, à un autre moment, a lui vu des cadavres.
Tout cela est donc à confronter, à analyser ; on ne peut tirer une conclusion
hâtive de tel ou tel témoignage : il faut multiplier et recouper les éléments pour
pouvoir dire « Voilà ce qu’il faut prendre en compte », ou alors « Attention, ce
témoignage est pris sous le coup de l’émotion, dans un contexte particulier,
mais il ne se répète pas ». Et ce n’est pas à nous à dire à tel individu : « Vous
vous êtes trompés. » Il ne s’est pas trompé : son témoignage est vrai, il est dans
sa vérité ; mais il n’est pas dans la vérité globale de ce qui s’est passé. Cela me
rappelle Voltaire critiquant la manière dont on apportait la preuve, en France,
sous l’Ancien Régime, en expliquant que la vérité se construit de différentes
vérités : il faut additionner des vérités pour trouver la « vraie vérité ».
Nous avons également collecté des témoignages dans nos archives
diplomatiques ou dans les notes de service qui étaient particulièrement riches
et importantes. Nous pouvions également lire les analyses des ONG. Nous
avions donc accès aux différentes positions : humanitaire, diplomatique et
militaire. La position des journalistes était aussi quelquefois prise en compte.
Je songe aussi à un dossier dans lequel un ambassadeur relate comment Colette
Braeckman, qui était en Belgique et écrivait pour Le Soir, interprétait la manière
dont les événements se passaient. L’ambassadeur notait : « Il faut qu’on la rencontre pour lui expliquer qu’elle se trompe à un moment donné. » Nous avons
rencontré Colette Braeckman, qui est en effet revenue sur sa position. Elle a
eu une approche très intéressante, très constructive ; elle l’écrit d’ailleurs dans
son ouvrage. Elle montre bien l’évolution qui a été la sienne, à travers le regard
qu’elle a porté au moment où elle était sur place, puis l’analyse qu’elle en a faite
a posteriori, ne serait-ce qu’au sujet de l’opération Turquoise, qu’elle a d’abord
perçue comme une opération militaire dont l’objectif était d’affronter le FRP,
avant de finalement reconnaître qu’il s’agissait d’une opération humanitaire et
militaire à la fois.

Il y a beaucoup d’éléments, comme cela, qui apparaissent dans les
documents et qui sont intéressants, et c’est là où j’ai bien pris conscience de la
manière de travailler des historiens, parce qu’on avance pas à pas, on avance
progressivement, et la synthèse se fait dans la conclusion. C’est très intéressant
cette démarche-là.

Mathieu Boche (MB) : Je voudrais revenir sur la question de la méthode
de travail de la commission, et en particulier celle de l’« éthique du chercheur », son positionnement par rapport à la commande politique. Avezvous été confrontée à la situation de devoir demander un peu de latitude
par rapport à la lettre de mission initiale ? Avez-vous été amenés, en tant
que collectif, à rediscuter avec le politique de la commande initiale ?

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nous nous sommes rendu compte, en chemin, qu’existaient d’autres archives
qui pouvaient être très importantes à analyser. Je pense par exemple aux
archives de l’Organisation mondiale de la santé, mais qui avaient déjà été étudiées par des médecins, qui ont produit des écrits, si bien que nous n’avons pas
jugé utile de les reprendre. Par contre, nous avons eu accès aux archives de
l’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de
la Défense), c’est-à-dire à tous les rushs qui ont été pris sur place par l’armée
et qui ont été transcrits par toute une équipe, qui s’est essentiellement concentrée sur cela. Cela a constitué un plus considérable, mais nous n’avons pas pu
remettre tout ce que l’on a fait à ce sujet, sans quoi nous n’aurions jamais terminé à temps. Ce qui rappelle que le rapport ne constitue qu’une approche,
mais toute cette transcription, que nous avons utilisée, apporte énormément
d’éléments quant à la compréhension ou l’incompréhension de ce qui se passait.
Et là, du reste, ce que l’on voit dans ces rushs est surtout l’incompréhension
dans laquelle se trouvent les militaires qui sont sur place, ce qui a vraiment
constitué une richesse. Toutes ces archives sont accessibles à tous : on trouve
donc très important de les avoir reprises dans le rapport en signalant aux personnes intéressées qu’elles peuvent y aller, que n’importe qui peut demander à
avoir accès à ces rushs pris par l’armée.
Ce qui en revanche nous a le plus déçus, et c’est écrit dans le rapport, c’est
que l’on s’est rendu compte que les archives ne nous avaient pas tout transmis,
et qu’il nous a fallu faire de nouvelles demandes. Là nous avons été un peu obligés de nous retourner vers le commanditaire, en disant : « On sait qu’il existe
des documents puisqu’ils sont signalés, mais on ne les a pas. » On a vu qu’il y
avait des trous, et nous avons alors obligé les archives à faire des recherches
supplémentaires. Et je ne veux pas dire que c’était volontaire de leur part : je
pense que le travail qu’ils ont fait en un temps record était magnifique ; ils ont
vraiment cherché à nous aider, et ces archives n’étaient sans doute tout simplement pas là où elles auraient dû être rangées. Si bien que nous avons aussi
contribué à apporter une plus grande clarté dans le classement des archives

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SH : Nous n’avons pas rediscuté de la commande initiale, mais il est vrai que

sur le Rwanda. Ce qui permet donc maintenant de donner une vision beaucoup
plus nette et intéressante de tout ce qui s’est passé. Une ouverture a également été faite sur d’autres archives, comme celles de l’OPR A (Office français
de protection des réfugiés et apatrides) et puis sur les archives judiciaires, tout
simplement parce qu’existaient des demandes de la part des victimes, et qu’il
faudra à un moment ou à un autre pouvoir répondre à ces aspects-là. Il fallait
aussi pouvoir avoir accès aux dossiers sur l’attentat de l’avion ; là aussi, c’est une
petite équipe qui s’en est chargée. Ces archives judiciaires, on ne les a toutefois
demandées que tardivement, une fois que nous étions assez avancés dans toutes
celles qui avaient été définies dans le cadre de la mission.

MB : Vous mentionnez certaines difficultés rencontrées, dont celle d’accé-

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SH : Je pense en effet que c’était indispensable. Mais cela le sera-t-il autant
dans l’avenir ? J’en suis déjà moins certaine, à cause du numérique. Le « secretdéfense », avec le numérique, perd un peu de sa force, et peut-être qu’il perdra
bientôt beaucoup de sa valeur. Mais, aujourd’hui, je crois que pour lancer cette
recherche, il fallait vraiment que cela vienne de l’Élysée. Cela dit, et pour témoigner de ce que, malgré tout, nous sommes en démocratie, vous avez compris que
l’Assemblée nationale n’a pas accepté de nous ouvrir les archives de la commission Quilès. Cela au motif qu’elle avait alors accordé le huis clos, et que le huis
clos, c’est respecter la personne privée. À l’appui de leur refus, dans les courriers
qu’ils nous ont adressés (au bout de trois demandes, si bien que l’on était tout
de même un peu déçu de leur peu de réactivité), ils nous ont justement expliqué que l’on était en démocratie, et qu’en vertu de la séparation des pouvoirs,
l’Assemblée n’avait pas d’ordre à recevoir de l’Élysée. Vous voyez un peu l’indépendance de l’Assemblée nationale – et ce n’est pas quelque chose qui se retourne
contre elle. Car je vous ai expliqué que quand les députés ont réalisé leur mission, ils étaient peut-être dans un temps trop proche. On était en 1998, cela
faisait à peine quatre ans. La justice commençait à peine à se mettre en place.
On connaissait le nombre de victimes. On n’avait pas encore pris conscience
de l’ampleur du nombre de génocidaires. Il fallait mettre en route un certain
nombre de choses. On commençait à peine à faire évoluer la législation par
rapport au Code pénal de 1994. Ceux que nous avons rencontrés nous disaient :
« Oui, il y avait dans le Code pénal l’article sur le génocide, mais le génocide
commis en France… » On n’avait jamais envisagé le génocide commis à l’extérieur. La compétence universelle était dans les textes internationaux, mais il
fallait encore la retranscrire dans la législation française. Tout cela s’est mis
en place progressivement. Et lorsque les plaintes arrivent en France – et elles
arrivent dès 1994 –, la législation française n’a pas encore été mise aux normes
internationales et il y a donc un vide juridique. Évidemment, l’instruction est

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der à certaines archives. Est-ce selon vous, dans ce genre de processus, un
préalable nécessaire que d’être rattaché à un commanditaire au plus haut
niveau de l’État ?

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difficile à mettre en œuvre – les premières plaintes sont déposées en juin 1994,
vous imaginez, alors que ce n’est pas encore la fin du génocide, ce n’est pas la
fin de la guerre. Les plaintes arrivent donc mais il est impossible de les traiter,
et s’ouvre alors un temps de discussion avec le ministre, au niveau du parquet,
et se produisent des erreurs, des amalgames… Tout cela, je l’expliquerai par
la suite, dans d’autres productions. C’est déjà valorisé dans le rapport, mais
comme cela n’entrait pas dans le cadre de la mission qui nous avait été confiée,
on ne l’a pas trop développé. Et puis, surtout, tous les dossiers, ensuite, arrivent
au-delà de 1994 – or, notre mission était bornée à 1994. On a certes accepté
d’avoir un regard sur l’année 1995, mais nous nous sommes vraiment limités à
ce que la France pouvait connaître du génocide de 1990 à 1994. Le regard qu’on
en a après est forcément différent – et notre travail devait répondre à : « Quel
rôle a joué la France de 1990 à 1994 ? » Il ne s’agissait donc pas de s’interroger
sur ce qu’elle a fait après.
Dans notre rapport, il nous fallait absolument rester cohérent avec ce
que l’on pouvait savoir à l’époque, et c’est à cette aune que nous avons répondu
« Oui, la France est responsable ». On ne peut pas nier sa responsabilité. Sa
responsabilité morale et politique. Cette responsabilité se révèle dans les prises
de décisions, dans les inquiétudes de certains, dans le fait aussi que pour ceux
qui sont sur place, tout est complexe, se mélange. Tout est complexe d’autant
que les acteurs changent, au niveau de l’armée, au niveau des politiques, car
on est alors en période de cohabitation, et il a donc fallu jouer – le mot jouer
est impropre bien sûr – avec des personnalités différentes. Il est vrai aussi que
le président Mitterrand est très malade, et qu’il s’est entouré de personnes qui
sont dans une sorte de lien de clientélisme à son égard. On ne peut pas nier
cet aspect : ne pas déplaire à quelqu’un de malade, à quelqu’un envers qui on a
un respect absolu. C’est important ce respect qu’on a envers un président de la
République… On en voit aujourd’hui encore les dérives, et on comprend un peu
ce soutien qui a pu être porté par certaines personnes, qui refusent aujourd’hui
de considérer qu’ils ont agi dans l’illégalité. Pour eux, ce qu’ils faisaient était
dans la légalité, tout était légal.
C’est du reste quelque chose qui m’a beaucoup impressionné : le légalisme, le positivisme français, qui se retranche toujours derrière des accords
diplomatiques, derrière une législation, derrière un droit – sauf qu’en face, on
est en dans le contexte d’un génocide, c’est-à-dire d’une réalité socio-historique.
Le génocide n’est pas juridique et les Rwandais n’ont que cette vision-là à l’esprit – le FPR surtout. Alors, oui, les Hutu vont prendre position en lien avec la
France, ils vont valoriser nos accords de coopération militaire, nos accords de
coopération économique, c’est important pour eux. Mais on n’en est pas moins
face à deux dimensions complètement opposées. Qui s’opposent très fortement
et qui doivent maintenant, finalement, une fois que tout est terminé, réussir à
trouver le juste milieu, entre ce que certains considéraient comme légal, et ce
que les autres ont considéré comme inhumain.

MB : C'est une réf lexion très intéressante sur laquelle je voudrais rebondir car la vision légaliste des relations que la France entretient avec un
certain nombre d'autres pays en Afrique reste d'actualité. Est-ce que vous
pensez, souhaitez ou imaginez que cela pourrait être l'un des messages à
transmettre avec ce rapport : d’inviter la France, ou la coopération française, à un pas de côté concernant la manière dont elle envisage ses relations avec les États africains ?

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beaucoup réf léchi ces temps-ci. J’ai analysé, par exemple, toutes les résolutions qui ont été prises, de 1990 à 1994, par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Conseil dont la France est membre à part entière et, en 1990, pour la première fois, le Rwanda envoie également un membre – un membre temporaire
mais qui va jouer un rôle important parce qu’il est désigné par le président
Habyarimana. Ensuite, le FPR (qui est régulièrement analysé et considéré par
la France comme représentant un gros problème – et ce alors qu’au moment
d’Arusha, il est devenu un parti politique reconnu) – pourra également envoyer
un représentant à l’ONU. Vous avez donc à l’ONU un certain nombre d’États
permanents, vous avez la France, et aussi un représentant des Hutu – même si
l’appellation n’est pas correcte, je vais céder à cette facilité pour tâcher d’expliquer la situation – et un représentant des Tutsi. Et dans toutes les résolutions,
on demande l’avis des uns et des autres, puisque pour toutes demandes d’intervention de l’ONU, il faut que toutes les parties en présence donnent leur accord.
Ce sont les règles générales qui ont été établies dans la convention des Nations
unies de 1945. On voit alors que des mécanismes se mettent en place, parce que
le Conseil de sécurité, jusqu’à la chute du mur de Berlin, n’avait pas eu tellement
vocation à intervenir militairement ou humanitairement. Par contre, après la
chute du mur de Berlin, les demandes explosent, notamment dans des pays
où les conf lits sont latents, comme dans certains pays du Moyen-Orient ou au
Kosovo et au Rwanda. Dans ces résolutions, la France pèse d’un poids considérable, et ce poids – c’est le positivisme – se traduit toujours par un « Attention
à ne pas… ». Chaque fois, les Français mettent en avant le droit qui doit protéger – qui doit protéger aussi les intérêts du Conseil de sécurité, qui ne peut pas
intervenir n’importe comment, qui doit répondre à des précautions d’usage… Si
bien que progressivement, la France étant déjà sur place, ayant déjà du matériel, ayant déjà des accords de coopération militaire, va de plus en plus être
amenée à proposer son intervention au Rwanda. On voit donc une construction
juridique qui se crée et qui fait que l’on associe à la fois l’intérêt du pays à être
soutenu humanitairement, et l’idée que cela coûte énormément d’argent… Ces
dispositions pécuniaires – tout cela est transcrit, est analysé dans les dossiers
diplomatiques – sont l’argument que la France met systématiquement en avant.
De la rigueur juridique et de la rigueur économique donc. Face à quelque chose
qui n’a aucune rigueur, c’est-à-dire le drame humain… À la fin, lorsque le génocide est terminé, la dernière résolution que j’ai analysée porte sur la création

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SH : Votre question m’intéresse aussi parce que c’est quelque chose à quoi j’ai

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de la justice pénale internationale, où l’on voit à quel point la conception anglosaxonne diffère de la conception européenne et se révèle beaucoup plus souple
que le droit français. Mais alors, le risque, c’est qu’à l’aune d’une position trop
souple, la France ne se trouve en porte-à-faux, parce qu’ayant respecté scrupuleusement les accords de coopération militaire, ayant appliqué rigoureusement
le droit international, elle risquerait de se trouver coincée, au point de pouvoir être considérée comme étant partie prenante du génocide… Or, à aucun
moment, dans aucun dossier, la France ne prend parti pour le FPR ou pour les
Hutu.
Dans tous les documents, on voit bien que ce sont les aspects économique et humanitaire qui sont au cœur de la prise de position, et c’est pour
cela que l’on dit qu’il n’y a pas eu de complicité. Il y avait un souhait de mettre
fin au conf lit, bien sûr, pour pouvoir apporter l’aide humanitaire. Et l’aide
humanitaire était destinée, non pas aux Tutsi ou aux Hutu mais aux Rwandais
qui étaient tous en train de quitter le territoire, soit pour se protéger des FAR
(Forces armées rwandaises), soit pour se protéger du FPR. On voit bien qu’il n’y
a pas eu de volonté de protéger les Hutu en particulier, surtout lors de l’opération Turquoise, où là on a des télégrammes qui sont concrets – on a cité d’ailleurs les ambassadeurs qui se sont prononcés et qui mettent en avant que sur
place ils se rendent bien compte que la réalité est différente. Mais on a toute
cette société, toute cette histoire, qui se construit autour d’un grand mensonge – le mensonge est très présent dans l’histoire du génocide. Mensonge qui
vient bien évidemment du régime en place. Un exemple me revient, dont je ne
sais plus si nous avons pu le restituer entièrement. Je vous ai parlé de l’Organisation mondiale de la santé. Chaque année se tient à Genève un congrès de
l’OMS, qui est organisé au mois de mai. Nous sommes en mai 1994, en plein
cœur du génocide, et Alain Juppé reconnaît le 16 mai, à Bruxelles, qu’il y a
un génocide. Et il sait très bien qu’à Bruxelles, il y a une forte concentration
de réfugiés du Rwanda – des Tutsi. Ce message n’est pas anodin, même si ce
n’est pas apparu à ce moment-là comme étant un signal. Eh bien, en ce même
mois de mai, à Genève, le représentant des médecins rwandais dénonce le génocide que les Tutsi commettent contre les Hutu ! Vous imaginez ! Il continue à
tenir ce discours. C’est un vrai mensonge, et il n’évolue pas, il ne change pas :
il maintient que ce sont les Tutsi et non les Hutu qui commettent le génocide.
C’est effrayant… Comment voulez-vous que l’on reste de marbre quand on lit
cela ? Nous, en tant que chercheur, on ramène de l’émotion, on recherche notre
humanité – on en a besoin, nous ne sommes pas des machines, des ordinateurs
qui vont seulement transcrire et retransmettre.
C’est là où nous nous sommes demandé : « Comment peut-on définir le
rôle de la France ? » Et nous sommes allés jusqu’à dire que les responsabilités
étaient « lourdes et accablantes ». En tant que juriste, bien sûr, je n’aurais pas
utilisé ces termes-là, mais je les assume parce que c’est là une position d’historien. En tant que juriste, si je faisais des recherches, des investigations, ce
serait dans le but de condamner et punir, mais ce n’était pas là notre rôle de

chercheur. Cela devra être analysé plus tard, si se tiennent des procès. Le rôle
du chercheur se borne à apporter des éléments, des arguments, mais il ne juge
pas, ne condamne pas – et ce n’était pas le but recherché dans nos travaux :
nous n’avons pas fait des recherches en nous disant : « Il va falloir les juger, les
condamner. » Du reste, ce n’est pas forcément la justice qui peut apporter la
solution.

MB : Certains ont salué le fait que cet exercice arrivait à un moment où,

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SH : Je dirais que notre objectivité était pour beaucoup liée au fait que nous
étions généralement trois ou quatre à travailler en même temps. On travaillait en groupe, on discutait, on se posait des questions les uns les autres. On
a toujours analysé nos documents à plusieurs, et de ces analyses ressortaient
donc forcément un point de vue commun. C’est ce qui fait que l’on a avancé
de manière objective – car parfois, bien sûr, certains ne comprenaient pas les
documents de la même façon. On s’est donc posé énormément de questions, et
je pense que c’est ce questionnement permanent entre nous qui nous a permis
de rester objectifs et de prendre une position que l’on estime être la plus neutre.
Mais il y a toujours un peu de subjectif : on ne peut pas nier que chaque chercheur a sa relation particulière aux choses, et parfois – c’est là que je vous ai dit
qu’il pouvait parfois y avoir quelques tensions – certains restaient fermes, en
disant par exemple : « Oui, mais à ce moment-là, on aurait pu modifier notre
position, pourquoi on ne l’a pas fait ?… », et les réf lexions étaient chaque fois
très pertinentes. Tout est donc parti de cette quantité de questions importantes
que l’on s’est posées, que l’on a mis sur la table. Et c’est la raison pour laquelle
la rédaction a été longue – car elle charriait quantité de réf lexions que nous
devions chaque fois confronter pour parvenir à la position la plus objective
possible.
En ce qui concerne ce rapport, je me permets d’espérer qu’il pourra servir de laboratoire pour de futurs chercheurs. Car c’est très intéressant cette
confrontation. Et puis le fait de travailler sur le long terme, pour nos étudiants
et pour tous ceux qui font des recherches, me paraît tout aussi important que
de comprendre l’actualité. Car on ne peut pas vraiment analyser l’actualité si
on ne cultive pas un regard sur l’évolution qui a conduit à cette actualité. Ainsi
se pose aujourd’hui la question : « Les Ouïgours sont-ils victimes d’un génocide ? » Je crois qu’il faut aujourd’hui réussir à développer des principes, afin

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au fond, la France s’acquittait d’un devoir moral, sans en attendre autre
chose, mais d’autres chercheurs ont manifesté des visions différentes.
J’imagine que ce contexte ne peut pas être complètement mis de côté et
oublié par le chercheur qui réalise cet exercice. Comment se protège-t-on
de ce discours extérieur, pour réaliser un travail de recherche qui soit le
plus objectif possible ? Et puis, sur l’autre versant : comment percevezvous l’utilisation de ce rapport dans la construction de relations nouvelles
entre la France et le Rwanda ?

de réaliser justement que l’on n’est pas encore à même d’apporter la prévention
nécessaire en matière de génocide. De toute façon, si on regarde bien la convention de 1948 qui instaurait la convention sur le génocide, l’essentiel est axé sur
la répression. Très peu de chose concerne la prévention. Or, dans le contexte
actuel, toute la réf lexion autour de l’enseignement du génocide vise à analyser
comment on peut prévenir les génocides – au-delà de l’aspect mémoriel. Bien
sûr, l’objectif mémoriel n’est pas absent de ce rapport, ne serait-ce que par le
fait que la première commission dirigée par Vincent Duclert sur la prévention
et l’enseignement des génocides a permis d’inscrire leur enseignement dans des
classes de terminales, et au-delà. Je pense du reste qu’il faudrait également
l’inscrire dans les formations permanentes, pour les magistrats, les avocats,
toutes les fonctions qui tournent autour de la justice.

SLG : Vous parlez de l’enseignement en France, mais la question se pose

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SH : Exactement. Mais nous avons navigué entre tant de propos différents, portés par les uns et les autres, qu’il nous fallait trouver une sorte de consensus… Je
ne veux pas dire que notre rapport est consensuel, non, et il y aura toujours des
personnes pour l’analyser de manière pointue, de manière subversive aussi, en
tentant de démonter – ce que l’on nous a d’ailleurs reproché – notre méthode.
Mais si d’autres ont des méthodes différentes à nous proposer, nous acceptons
volontiers de dialoguer avec eux. Nous ne prétendons pas détenir la « vérité
essentielle ». C’est une vérité que nous apportons – qui est pour l’instant crédible, et j’espère qu’elle ne sera jamais mise en cause. Une vérité qui repose sur
l’analyse des sources premières. Et cette recherche doit enclencher un élan vers
la construction d’une histoire commune. C’est ce qui est important, cette histoire commune. Vous avez raison quand vous dites que cette réf lexion doit être
aussi portée au Rwanda, car le pays a un peu réagi dans la rancœur – toutes les
positions qui ont été prises, on s’en est rendu compte, l’étaient dans la rancœur.
Et puis, c’est aussi un pays qui fonctionnait uniquement sur la base de la coutume. Le droit existe, mais il s’agit surtout de droit pénal. Il n’y a pas de justice
civile au Rwanda, qui fonctionne sur le modèle des « gacaca » pour tout ce qui
est de l’ordre de la justice civile. Un système où l’on est plutôt dans un esprit de
conciliation. Et il est vrai que c’est aussi source d’incompréhension quant à la
question de l’impunité.
Car l’impunité qui a été inscrite dès les procès de Nuremberg, en 1945,
concernait les responsables politiques, et l’idée était donc de créer une Cour
pénale internationale pour juger les responsables politiques, afin que ce ne
soit pas leur propre État qui les juge – ce que l’on appelle la « délocalisation ».
Les responsables politiques ont donc été jugés en partie par le TPIR (Tribunal
international pour le Rwanda), une juridiction ad hoc. On a créé ce TPIR un
peu sur le modèle du TPIY (Tribunal international pour la Yougoslavie), parce
que c’était concomitant, mais il n’y a pas eu de calque – c’est complètement

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aussi au Rwanda. On entend du reste parler du risque d’un autre génocide…

SLG : C’est l’une des ouvertures qu’a faite Emmanuel Macron…
SH : Oui, exactement. On a reproché à la France d’avoir permis aux génocidaires qui s’étaient réfugiés dans la zone HS (la zone humanitaire sûre) de les
avoir laissés partir. Ce n’est toutefois pas si simple. La France, je vous l’ai dit,
est légaliste, et rien dans la mission de l’ONU et dans la législation française
ne permettait aux Français qui se trouvaient dans un pays étranger de pouvoir
arrêter ceux qui avaient commis à l’étranger un crime qui n’existe pas dans la
législation de ce pays. Car le génocide n’était pas encore inscrit dans la législation rwandaise, donc le crime n’existait pas… Il y avait donc, quand même,
juridiquement parlant, non pas un vide juridique, mais une pure et simple
inexistence.
Dans la conception juridique anglo-saxonne – qui est beaucoup plus
souple, qui est prédominante dans la justice pénale internationale, et dont la
justice nationale du Rwanda s’est aussi s’inspirée –, les arrestations auraient
sans doute été possibles.
Mais j’en reviens à cette situation de blocage, car pour dépasser une
inefficacité récurrente, une justice qui n’arrive pas à être rendue, le Rwanda a
fait appel à la justice gacaca, qui est une justice consensuelle et qui donne une
place importante à la parole, n’est pas formaliste et peut agir rapidement, telle
une justice de proximité. Et, à cet égard, je n’accepte pas les critiques occidentales selon lesquelles les droits de l’homme n’ont pas été protégés : nous n’avons
pas, nous Occidentaux, à mettre notre nez dans cette justice, qui a été consensuelle et qui, au départ, a fonctionné correctement. J’ai travaillé sur les justices

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faux, c’est l’analyse qui en est faite actuellement parce que les chercheurs n’ont
pas pu avoir accès, justement, aux éléments qui permettaient de créer le TPIR.
Le TPIR a du reste été adapté au modèle anglo-saxon plutôt qu’au modèle de
droit civil européen. Par la suite, les juridictions nationales se sont mobilisées
pour juger les responsables. La difficulté, c’est que dans ces juridictions nationales, la plupart des magistrats avaient été tués, et ceux qui restaient étaient
plutôt des partisans hutu, et la crainte existait donc que la justice nationale
soit orientée et ne donne pas une bonne idée de la justice par réconciliation.
L’impunité fait qu’il ne peut pas y avoir d’amnistie, donc, juridiquement parlant, l’amnistie n’est pas acceptable. On ne peut pas avoir à la fois l’impunité
et l’amnistie. L’impunité réclame aussi une imprescriptibilité : il faut pouvoir
rendre responsable toute sa vie celui qui a commis le crime de génocide, le
commanditaire, comme on a jugé Papon en France. Tout cela doit se construire
progressivement. Une justice nationale a donc été mise en place, et il y a eu de
nombreuses arrestations, d’un nombre considérable de génocidaires, je ne sais
pas si on peut l’imaginer… Mais ils étaient sur place et donc faciles à repérer.
Mais, très vite, on s’est rendu compte de ce blocage judiciaire, alors il y a eu bien
sûr de nombreuses fuites vers d’autres pays. On peut aussi reparler des génocidaires que la France a laissé fuir.

SLG : Cela vous paraît donc satisfaisant qu’Emmanuel Macron ne se soit
pas vraiment excusé, mais ait demandé à ce que les victimes pardonnent ?
C’était assez alambiqué…

SH : Les victimes vont pardonner à la France. La France n’a pas commis le génocide, cela est très net. Les victimes attendent le pardon de ceux qui ont commis
un crime contre leur famille. Mais un État qui reconnaît qu’il est responsable,
c’est très fort ; ce n’est pas simple. Et en soi, bien sûr – il faut insister ici sur la
différence –, chaque Français ne s’estime pas coupable. On a tous compris que
la France avait commis l’irréparable en adoptant cette position politique, mais
chaque Français, individuellement, ne s’en sent pas pour autant coupable. C’est
une profonde différence, et les victimes au Rwanda font la nuance.
Il y a ceux qui ont commis les crimes, qui sont condamnés, qui sont
responsables ; il y a ceux qui ont demandé pardon, ceux qui ont accepté de

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de paix pendant la Révolution française, qui relevaient aussi d’une justice sans
formalisme, non hiérarchisée, confiée à des citoyens de toute confiance, dont
l’objet est de réconcilier les gens. Cette justice a fonctionné jusqu’à ce que la
guerre se déclare, en 1792, et que la Terreur soit installée. Je considère donc à
cet égard que les gacaca ont justement permis de relier la société. Et c’était le
but.
J’ai été rapporteur d’une thèse sur les gacaca, qui a été soutenue à
Strasbourg en mars 2020, une thèse en théologie, qui met en lumière les
enjeux éthiques de ces gacaca. Cela m’a permis de saisir quelque chose de
très important, que j’ai expliqué dans ce rapport et qui a trait à une éthique
de la responsabilité du passé. D’une telle éthique – de la responsabilité du
passé – découle une éthique de la reconnaissance du présent. Et la reconnaissance du présent – c’est ce qu’a fait Emmanuel Macron devant Paul Kagame
dernièrement – permet d’ouvrir à une éthique de la réconciliation. Or, avec les
gacaca, on est bien dans la construction d’une réconciliation. Cette construction a existé dans la majeure partie des villages. Mais pas partout, car vous avez
toujours des irréductibles – et puis il y a toujours ceux qui sont actuellement
condamnés à de longues peines, qui vont sortir prochainement, et là, vous avez
raison, le problème va resurgir. Car ceux-là estiment qu’ils ont été injustement
condamnés et que tout ce qu’ils ont fait était légal puisque ce n’était pas interdit
par la loi… Une mauvaise législation entraîne forcément de mauvais actes. Et je
pense que ceux-là portent toujours une part de haine en eux. La haine, ce n’est
pas quelque chose qui disparaît facilement. Et le pardon, c’est quelque chose
qui est intérieur à soi. C’est bien ce qu’a expliqué Emmanuel Macron, et c’est ce
qu’explique Gaudiose Luhahe dans sa thèse. C’est très fort cette position, et le
pardon, ce n’est pas simple. Il faut d’abord que le crime soit reconnu. Les victimes n’ont pas à pardonner : elles reçoivent les excuses, la demande de pardon,
mais il leur appartient de répondre, de pardonner ou non, en leur intérieur. La
reconnaissance, la demande, sont toutefois un préalable indispensable.

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reconnaître leurs fautes, qui ont commencé à réparer – qui ont accepté ces travaux d’intérêt généraux, dans un but de réparation. Et ce n’est pas simple : ce
n’est pas un cadeau qu’on leur fait, pas plus qu’une amnistie – c’est une reconnaissance de l’acte. On les voit de loin lorsqu’on se balade au Rwanda : ils ont
le costume orange, ils sont dans les champs, sur les routes, ils cassent des cailloux, ils sont transportés en camion ; ils sont mélangés à la foule mais, en même
temps, on ne s’adresse pas à eux, on ne les prend pas en photo, on ne les interroge pas ; mais on voit qu’ils travaillent, qu’ils participent à la reconstruction
du pays, qu’ils sont là dans les champs. Ils sont mélangés aux hommes et aux
femmes, aux enfants – ils ne sont pas dangereux : ils ont reconnu leur faute,
ils ont demandé pardon. On n’estime pas qu’ils vont récidiver, et la société les
accepte comme tels. Gaudiose Luhahe nous montre dans sa thèse ces cas de
réussite. Bien sûr, il y a aussi ceux qui ont refusé de demander pardon, ceux
qui ont été instrumentalisés par les avocats, qui leur ont fait comprendre qu’ils
n’avaient qu’à reconnaître et qu’après tout, cela ne leur coûterait rien et qu’ainsi
ils pourraient sortir de prison. Les conditions d’incarcération n’étant pas particulièrement bonnes au Rwanda, beaucoup ont ainsi endossé de faux rôles, et
sont restés dans le mensonge. Le mensonge est au cœur d’un génocide. C’est
pour cela qu’il est essentiel de tendre vers la transparence dans la justice, dans
les débats. Les gacaca se passent toujours en public : il n’y a pas de huis clos,
tout est dit. La parole n’en est pas moins organisée, donnée aux uns et aux
autres, mais une sorte d’instruction s’est déroulée en amont, qui donne déjà une
idée de la durée des procès et, dans les premiers mois, les gacaca ont vraiment
permis de répondre aux attentes des uns et des autres.
Cette justice de paix, gratuite, a de plus en plus de succès, et on le voit
aussi en France, où l’on développe de plus en plus la médiation, la conciliation,
la justice transitionnelle – ce qui témoigne d’une démocratisation de la justice.
De plus en plus, les individus sont partis à leur procès, et y jouent un rôle important. Le juge n’est pas l’arbitre – c’est cette notion de tiers pouvoir : certes, il va
prendre des décisions, il va condamner, donc il détient ce tiers pouvoir, mais
il ne peut pas, seul, aboutir à ce que la justice rendue soit consensuelle. Aussi,
quelque chose se passe qui fait que chaque individu devient son propre acteur.
Et il faut redonner la parole mais, loin des dérives de notre époque numérique,
en face à face. Le face-à-face est essentiel.
C’est aussi ce qui ressort de cette thèse, qui est la première thèse d’une
Rwandaise sur les gacaca. Elle est allée sur place, elle a assisté à des procès – c’est sa force. Et pour la première fois, l’analyse n’est pas le fait d’une personne venant de l’extérieur. Je ne veux pas dire que l’analyse d’une personne
extérieure est forcément mauvaise, mais le regard est orienté, par rapport à sa
propre culture. Là, l’auteure est de culture rwandaise. La culture rwandaise
existait avant la colonisation qui l’a progressivement fait perdre de vue. Et le
génocide, c’est la rupture complète avec cette culture. Après le génocide, on est
donc allé rechercher les racines anciennes des gacaca, pour retisser le lien qui
avait été progressivement rompu par le processus génocidaire – qui se met en

MB : Cette réconciliation entre les deux pays doit aussi s'accompagner de
faits, pour alimenter la construction de cette nouvelle relation. Parmi les
premiers points de dialogue entre les deux pays, on note l'intervention
militaire rwandaise au Mozambique, dans une zone où la France a des intérêts. Ne pensez-vous pas que cela dénote finalement une certaine continuité de la vision française dans ses relations avec les gouvernements de
pays africains (mythe de l'homme fort, coopération militaire) ? Comment
cela entre-t-il en cohérence ou en dissonance avec vos propos ?

SH : Il est vrai que Paul Kagame, beaucoup le critiquent, beaucoup le contestent.
En allant au Rwanda, en discutant avec des victimes du génocide, nous leur
avons posé ces questions – nous avons créé des liens amicaux à chaque déplacement, des liens très forts : on retrouve chaque fois les mêmes personnes et ils
nous parlent sans langue de bois. Eh bien, ils nous disent que s’il n’y avait pas
eu Paul Kagamé, le Rwanda ne se serait pas relevé. Même s’il y a eu des choses,
que l’on ne peut pas écrire actuellement, qu’on ne peut pas dire, ils estiment
qu’il faut passer outre, parce que le pays s’est reconstruit grâce à lui. Donc cette
image de l’homme fort, indispensable pour la reconstruction du pays, est prégnante. Mais cet homme fort connaît maintenant beaucoup d’oppositions au

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place dès 1959, avec l’éviction des Tutsi, à la fois des pouvoirs politiques et des
pouvoirs administratifs, de l’éducation, etc. Et cela, c’est la force du Rwanda :
d’être allé rechercher ce qui faisait le lien de leur société. Alors, quand on
entend en France que les gacaca sont un échec, non, ç’a été le point de départ
d’une « reliance ». Ensuite, évidemment, il y a eu une période négative, mais
nous sommes dans une phase de reconstruction qui ne peut pas être monolinéaire, qui connaît des hauts et des bas, et qui va connaître encore des épisodes
difficiles et douloureux. En ce sens, cette réconciliation entre nos deux pays est
aussi un atout pour le Rwanda : pour consolider ce qui se fait à l’intérieur, pour
montrer qu’on n’a pas tourné la page, que l’on continue à travailler sur cette
mémoire commune.
Maintenant, il faut que l’on continue à construire cette histoire d’une
réconciliation commune – et c’est cela l’importance du rapport, et surtout de la
position que je trouve très courageuse d’Emmanuel Macron. Très courageuse
parce qu’il a pris conscience du mal-être de certains et ne cherche pas à pointer des erreurs commises par les uns et les autres : il montre bien que chacun
maintenant doit travailler en commun, doit créer cette sorte d’unité. Et je crois
que ce qui va nous rendre capable de rechercher cette unité, c’est de continuer
à travailler sur les valeurs d’humanité. Valeurs qui doivent aller au-delà de tout
ce qu’on a édifié jusqu’à présent – qui réclament des bases différentes, des principes différents, et qu’il va falloir étendre à d’autres pays, d’autres États. Je ne
veux pas dire que l’on est ainsi en train de réf léchir à une « gouvernance mondiale », mais peut-être à une forme de « gouvernance de l’humanité », qui soit
fondée sur de tels principes et valeurs.

SLG : Sur un plan peut-être plus personnel, quels enseignements tirezvous de cette expérience si singulière, et sera-t-elle importante dans votre
trajectoire ? Et du reste, a-t-elle pris fin avec le discours de Macron ou estelle amenée à se poursuivre d’une autre manière ?

SH : Nous y avons réf léchi avec les membres de la commission, et je pense que
nous avons maintenant une autre mission, à l’égard des jeunes chercheurs en
particulier, qui consiste à transmettre ce que nous avons appris de cette expérience. À le transmettre aux étudiants, aux magistrats en formation permanente
aussi. Et de façon plus générale, je crois que quelque chose doit impérativement
en sortir. Dans les recommandations qui sont inscrites dans le rapport figure
d’ailleurs cette proposition de créer un centre international de recherche sur les
génocides, de manière à pouvoir rassembler les chercheurs de différents pays et
de pouvoir continuer les recherches. Nous songeons aussi à continuer à travailler sur les archives en allant à Genève, en Belgique.
On nous a à ce propos reproché de ne pas avoir travaillé sur les archives
au Rwanda : nous y sommes allés pour en prendre connaissance, mais il n’y
en a pas. C’est un pays où il y a très peu d’archives, et puis, comme l’a expliqué Jean-Damascene Bizimana, qui dirige la CNLG (Commission nationale de

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niveau politique. Il y a donc eu une évolution aussi, au sein de la société rwandaise, et actuellement cet homme fort, sans le soutien d’autres États comme la
France, je pense qu’il perdrait un peu de son pouvoir au sein de cette société.
Mais nous vivons aussi une période de renouvellement générationnel. La nouvelle génération au Rwanda – j’en connais qui sont nés après les
années 2000 – ne sait pas ce qu’est un Hutu, ce qu’est un Tutsi, sauf si on leur
répète, ce qu’ils ne veulent pas. C’est une génération à laquelle les parents n’ont
pas voulu faire porter le fardeau du passé – c’est ce qu’ils nous ont tous dit :
ils ont un fardeau qui pèse 100 kg sur les épaules, mais ils ne veulent pas le
transmettre à leurs enfants. Et, de ce fait, cette génération ne connaît pas bien
ce qui s’est passé, sauf ce qu’ils ont vu, parce que les écoles vont visiter les
mémoriaux à Kigali. Et je peux vous assurer que cela prend au ventre. Cela fait
mal de visiter ces lieux, on ne peut pas en sortir indemne. Donc, dès le collège,
tous les enfants ont une image du génocide, mais sans en connaître vraiment
les raisons, les aboutissements, etc. Cette génération, qui va porter l’avenir du
Rwanda, est malgré tout meurtrie, parce qu’elle a vécu avec des parents qui
étaient malheureux, qui ont connu le désespoir. Qui même s’ils n’ont pas transmis leur fardeau, leur histoire, ont néanmoins transmis leur malheur, leur tristesse, leur désespoir. C’est donc aussi une génération qui a besoin d’être prise en
main, et sans cette force au niveau de l’État, sans cette unité – y compris avec
les autres pays, à l’international, parce que le génocide est un crime qui touche
l’humanité –, cette génération ne pourra pas retrouver son souff le. Donc, il faut
construire ces bases-là, et c’est pour cela qu’il est important que les États se
réconcilient.

lutte contre le génocide), comment voulez-vous qu’en pleine guerre, qu’en ces
moments-là, où tout le monde était constamment en mouvement, existât la possibilité de conserver des documents d’archives ?
Mais pour en revenir à cette mission de transmission, j’espère vraiment
que nous pourrons constituer des lieux, organiser des événements, où notre
expérience pourra être transmise afin qu’elle puisse être exploitée par d’autres.
Car je crois que nous formons désormais, non pas une équipe de sages, mais une
équipe, je dirais, de « sachants ». Et cette équipe doit être maintenant mise au
service des futures générations de chercheurs. Je pense que c’est indispensable,
ou notre mission tombera peu à peu dans l’oubli et n’aura pas vraiment eu de
sens.

SLG : Souhaitez-vous revenir sur les perspectives de justice côté français,
que nous avions eff leurées tout à l’heure ?

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J’ai obtenu une dérogation personnelle et individuelle pour travailler justement sur les archives judiciaires. Jusqu’à présent, je n’avais travaillé que sur
l’année 1994, et j’ai donc obtenu l’autorisation d’aller travailler jusque sur les
dossiers quasiment actuels (sachant que je respecte évidemment les règles des
archives, qui font que je ne divulgue aucun élément qui pourrait permettre de
reconnaître et de porter atteinte à l’intégrité et à la vie privée des personnes,
qui ne seront pas citées). J’ai déjà aperçu quelques éléments intéressants, et
j’envisage également de faire une sorte de compte rendu qui puisse être mis à
destination des archives du ministère de la Justice, pour expliquer la nécessité
d’ouvrir ces archives à des magistrats, et de leur associer à ce moment-là un
chercheur, pour qu’ils puissent gagner du temps. Cette collaboration est surtout importante dans les instructions, parce que le magistrat n’est pas un historien. Il ne doit pas agir en historien ; de même que l’historien n’est pas un
magistrat et ne doit pas se comporter en juge. Mais ce qui est intéressant est
de pouvoir confronter les deux points de vue, pour pouvoir justement chercher
quel est le juste équilibre, qui permettra de trouver une solution. Cela ne veut
pas dire qu’il faut à tout prix aboutir à une condamnation, car parfois le simple
fait qu’il y ait une plainte, qu’il y ait un procès, cela suffit pour expliquer les
choses. La condamnation ne va pas faire revenir la victime, mais ce qui importe
est qu’il puisse y avoir une explication, que la parole puisse trouver sa place.
Ce qui peut s’envisager dans des structures qui peuvent être différentes, éventuellement dans des débats qui ne soient pas axés uniquement sur un procès
en cour d’assises, mais sur une autre forme de procès, un peu dans l’esprit des
gacaca – de cette justice de paix qui permet de créer ce lien, ce contact entre la
victime et le coupable. C’est cela qui fait que les choses avancent. S’il y a trop
de droit, trop de procédures, cela gâche la parole. C’est le constat qu’ont fait
les témoins des procès que j’avais suivis, celui de Pascal Simbikangwa et celui
d’Octavien Ngenzi et Tito Barahira, qui ont été jugés par la cour d’assises de

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SH : Eh bien, je vais vous avouer que c’est un projet que je viens de déposer.

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Paris. Et c’est à cette occasion-là que je me suis rendue au Rwanda, dans le
but de rencontrer des témoins, et de savoir comment ils avaient perçu la justice française, eux qui étaient des Rwandais (témoins que l’on retrouve dans le
livre Justice et oubli, paru à la Documentation française). Ces témoignages font
entendre, d’abord, comment ils débarquent en France, eux qui n’ont jamais mis
les pieds en dehors du Rwanda. C’est un décalage complet : ils arrivent pieds
nus, très légèrement vêtus, au mois de novembre alors qu’il fait 5 ou 6 degrés.
Ils mettent donc des chaussures, on leur donne des vêtements, etc. Ils estiment
précisément que, lors du procès, on ne leur donne pas suffisamment la parole.
Au Rwanda, lorsque l’on a rencontré ces témoins, on est resté quatre heures
avec eux, parce qu’on discute, on répète, on analyse, on met l’accent sur un
élément, on y revient, etc. Donc, pour eux, c’était très frustrant en France : on
vous donne la parole, on écoute et on prend note, on pose éventuellement une
question, et c’est fini, vous rentrez chez vous. Cela ne se passe pas comme ça
au Rwanda. Les gacaca, leurs séances duraient longtemps, mais au moins ils
avaient la sensation d’être entendus – pas écoutés, entendus. Or, la justice doit
être entendue et pas seulement écoutée. Il faut la comprendre. Il faut l’entendre
car si on ne l’entend pas, cela crée un malentendu – je joue un peu avec les
mots car cela fait partie d’une démonstration que j’ai faite dans un article où
je parle justement du « mal entendu » et du déni d’inhumanité dans les camps
de déportation en Russie. C’est l’affaire du procès Kravchenko, où l’avocat – qui
est Joë Nordmann, pour lequel j’avais organisé une manifestation à la Cour de
cassation – ne veut pas entendre le témoin, Margarete Buber-Neumann, qui
explique qu’elle a été déportée en Russie dans des conditions aussi terribles
qu’en Allemagne. Il ne veut pas l’entendre – c’est un mal entendu – parce qu’il
pensait que c’était impossible. Il reviendra sur sa position par la suite, en comprenant qu’il a commis une erreur, et il s’en voudra toute sa vie – de ne pas avoir
entendu cette personne à ce moment-là. C’est cela, je crois, qui est essentiel :
que ce soit correctement entendu.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024