Fiche du document numéro 29153

Num
29153
Date
Lundi 8 novembre 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
492485
Pages
10
Urlorg
Titre
Omar Shahabudin McDoom, The Path to Genocide in Rwanda. Security, Opportunity, and Authority in an Ethnocratic State, Cambridge, Cambridge University Press, 2021, 412 p. [Recension]
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Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Omar Shahabudin McDoom, The Path to Genocide in Rwanda. Security,
Opportunity, and Authority in an Ethnocratic State, Cambridge, Cambridge
University Press, 2021, 412 p.
Florent Piton

Citer cet article : Piton Florent (2021), « Omar Shahabudin McDoom, The Path to Genocide in Rwanda.

Security, Opportunity, and Authority in an Ethnocratic State », Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique,
en ligne.
URL : https://oap.unige.ch/journals/rhca/article/view/crpiton
Mise en ligne : 1er novembre 2021
DOI : https://doi.org/10.51185/journals/rhca.2021.e575

Professeur assistant à la London School of Economics and Political Sciences, Omar
Shahabudin McDoom présente dans The Path to Genocide in Rwanda. Security, Opportunity,
and Authority in an Ethnocratic State les principaux résultats d’une vingtaine d’années de
recherches. Dans le sillage de travaux déjà existants mêlant enquêtes qualitatives et
quantitatives1, l’auteur pose deux questions simples : quels sont les mécanismes ayant permis
le génocide des Tutsi ? Comment et pourquoi de nombreux Rwandais ordinaires ont
participé aux violences ? L’originalité de son approche consiste toutefois à s’intéresser tout
autant à ceux qui ont participé qu’à ceux qui s’y sont refusés, l’enjeu étant d’essayer de
comprendre ce qui pourrait distinguer ces deux groupes. Sur le plan de la méthode, Omar
McDoom alterne les échelles d’analyse – macro (nationale), méso (préfectorale et
communale) et micro (à l’échelle des cellules, la plus petite unité administrative du pays). Ses
enquêtes ont donc été menées dans plusieurs régions et à différentes échelles : les
préfectures de Ruhengeri au nord et Butare au sud, les communes de Mukingo2 et Taba3
(tandis que le génocide commence dès le 7 avril à Mukingo, il commence beaucoup plus tard
autour du 18 à Taba4), et enfin les cellules Tamba5 et Mutovu6 choisies pour leur niveau élevé
de violences, ainsi que Mwendo7 et Ruginga8 choisies pour leur faible niveau de violence.

1
Fujii Lee Ann (2009), Killing Neighbors. Webs of Violence in Rwanda, Ithaca/Londres, Cornell University Press ; Straus Scott (2006),
The Order of Genocide. Race, Power, and War in Rwanda, Ithaca/Londres, Cornell University Press ; Verwimp Philip (2013), Peasants
in Power. The Political Economy of Development and Genocide in Rwanda, Dordrecht, Springer.
2

Préfecture de Ruhengeri.
Préfecture de Gitarama.
4
L’auteur s’appuie essentiellement sur les jugements au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de leurs bourgmestres
pour reconstituer l’histoire du génocide dans ces deux communes.
5
Préfecture de Butare, commune Shyanda.
6
Préfecture de Ruhengeri, commune Nkuli.
7
Préfecture de Butare, commune Maraba.
8
Préfecture de Ruhengeri, commune Kinigi.
3

Délivré selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution
Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.

Open Acess Publication
https://oap.unige.ch/journals/rhca. e-ISSN : 2673-7604

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Le matériel mobilisé est vaste : l’auteur parle de treize principales sources
d’informations (p. 37), qu’il importe toutefois de hiérarchiser en fonction de leur caractère
inédit ou non et de l’ampleur du travail de terrain qu’elles impliquent. Au cours de recherches
menées entre 2002 et 2017 – et en partie interrompues par les autorités rwandaises pour
« divisionnisme ethnique » (p. 334)9 – il a d’abord interrogé dans les deux préfectures de son
enquête 294 personnes (104 perpétrateurs et 190 non perpétrateurs, dont 34 rescapés) avec
un questionnaire de 223 questions (160 aux réponses fermées permettant un encodage et un
traitement statistique, 63 ouvertes)10. Il a également conduit 42 entretiens plus approfondis
avec des individus issus des quatre cellules de son enquête et appartenant à toutes les
catégories de la population. Omar McDoom a enfin reconstitué et cartographié la
composition démographique d’un secteur administratif, Tare11, regroupant en 1994 environ
3 400 habitants répartis dans 647 foyers. Au sein de ce même secteur, il a entrepris de
reconstituer les réseaux sociaux de 116 résidents (37 perpétrateurs et 79 non perpétrateurs).
D’autres données de seconde main sont utilisées dans l’ouvrage, sans que l’auteur ne
précise systématiquement – et par un appareil de notes généralement assez peu rigoureux –
leur provenance, au risque de donner une fausse impression quant à leur véritable
originalité : données statistiques sur les 145 communes du pays, discours présidentiels entre
1962 et 1994, transcriptions de la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM), listes
d’accusés et de victimes produites dans le cadre des procédures judiciaires gacaca,
documents déclassifiés du conseil de sécurité des Nations unies (notamment les
télégrammes de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda, Minuar), procèsverbaux de réunions du comité militaire de crise puis du gouvernement intérimaire pendant
le génocide, un ensemble de documents issus de la base de données publique du TPIR, ou
encore données démographiques sur 160 individus identifiés comme des organisateurs et
des leaders du génocide dans les deux préfectures où il a travaillé.

*
Après un premier chapitre introductif présentant les acquis de la recherche, les
hypothèses de l’auteur et la méthodologie adoptée, le deuxième chapitre revient sur l’histoire
du Rwanda et sur ses caractéristiques sociodémographiques et géographiques. Il s’agit pour
Omar McDoom d’identifier des spécificités qui distingueraient le pays des autres du
continent et qui pourraient expliquer la survenue du génocide, au risque d’une analyse
mécaniste parfois caricaturale. Le récit historique notamment, très largement déconnecté de
l’historiographie récente, reste très ethnicisant. La seconde partie du chapitre, sur les données
sociodémographiques et géographiques, n’évoque pour ainsi dire jamais les acteurs sociaux,
se contentant d’énumérer des statistiques (synthétisées pp. 47-50) qui ne sauraient avoir une
puissance explicative en soi, qu’il s’agisse de l’importance de la population rurale, de la
densité démographique, du réseau routier ou des enjeux de ce que l’auteur appelle la
« bipolarité ethnique » (p. 65). L’ensemble du chapitre constitue au fond une présentation
9

On aimerait en savoir plus sur ce point, évoqué furtivement au détour d’un chapitre.
190 de ces personnes interviewées (celles en dehors des prisons) ne l’ont pas été pas l’auteur lui-même mais par des assistants
de recherche « recrutés » et « formés » par lui, et déjà connus dans les zones de son enquête.
11
Préfecture de Butare, commune Maraba.
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très générale du pays, visant à mettre en évidence un ensemble de « vulnérabilités » (p. 71)
structurelles. Faute d’éléments empiriques ou d’une restitution des subtilités de l’histoire, de
la société et de la géographie du Rwanda, les précautions rhétoriques de l’auteur, qui
rappelle certes que le génocide n’avait rien d’« inévitable » (p. 72), n’empêchent pas que se
dégage de la lecture une perspective très déterministe.
Trois idées centrales, donnant son sous-titre à l’ouvrage, sont mises en avant et
analysées successivement pour expliquer la mécanique génocidaire : la sécurité, l’opportunité
et l’autorité. Le troisième chapitre revient sur la question sécuritaire, plus spécifiquement sur
la menace et la peur engendrées par la guerre entre l’armée gouvernementale et le Front
patriotique rwandais (FPR). Reprenant la notion de « radicalisation » (p. 74), l’auteur identifie
quatre effets psychosociaux de la guerre civile : une ethnicisation de la société et de la vie
politique, un accroissement des réflexes de solidarité ethnique, une perception des civils tutsi
comme appartenant à l’ennemi et une justification de l’autodéfense comme prétexte pour
cibler ces mêmes civils tutsi. Ici, les données statistiques d’Omar McDoom ne fournissent
guère d’informations nouvelles, sinon celle de souligner que pour les Rwandais ordinaires, ce
sentiment de peur était plus lié à la crainte d’une extermination des Hutu que d’un transfert
du pouvoir vers les Tutsi ou le FPR (pp. 80-83). Reste qu’en n’analysant pas davantage ce
sentiment et la manière dont il a pu se cristalliser, l’auteur s’arrête, en quelque sorte, au
milieu du gué. Plus originales sont les pages consacrées à la RTLM, manifestement plus
écoutée dans le nord que dans le sud, aussi bien par des perpétrateurs que des non
perpétrateurs : « la seule exposition au message radiophonique ne détermine pas qui
participa à la violence et qui n’y participa pas » (pp. 88-90). Plus loin, l’auteur souligne que les
contenus diffusés via la RTLM se radicalisèrent après le début du génocide, ce qui l’amène à
considérer que la radio, et plus généralement les médias extrémistes, servirent moins à inciter
aux massacres qu’à justifier a posteriori les violences, en fournissant à celles-ci un corpus
idéologique permettant de les rationaliser. Pour le dire autrement, la « radicalisation » fut au
moins autant une conséquence qu’une cause de la violence. L’hypothèse est intéressante,
mais la méthode pour la confirmer – pour l’essentiel une analyse lexicographique de 55
enregistrements dont 16 antérieurs au génocide et 39 postérieurs à son commencement –
paraît limitée, faute d’une prise en compte de l’ensemble des contenus radiophoniques qui
constituerait un sujet de recherche en soi.
Les deux chapitres suivants reviennent sur la deuxième notion du triptyque :
l’opportunité. Le quatrième chapitre analyse la libéralisation du champ politique à partir de
1990, facteur déterminant dans la dynamique génocidaire, d’une part parce qu’elle mit sous
pression les élites en place, d’autre part parce qu’elle permit l’émergence d’élites
concurrentes dont certaines firent le choix de la confrontation ethnique. Le récit de cette
libéralisation politique, à l’échelle nationale comme à l’échelle locale via quatre études de cas
dans les cellules évoquées plus haut, n’apporte guère d’éléments nouveaux. Ces études de
cas permettent à Omar McDoom de rappeler ce que d’autres ont souligné avant lui, à savoir
que la libéralisation politique ne se fit pas d’emblée sur une ligne de partage ethnique,
notamment dans les régions du sud plus éloignées de la guerre. Dans le nord en revanche,
c’est bien la conjonction de la libéralisation politique et de la guerre qui provoqua une
polarisation ethnique. On peine à suivre la cohérence du chapitre lorsque l’auteur opère un

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retour en arrière chronologique pour proposer une typologie des idéologies en circulation
avant 1990. Il distingue ainsi celle, essentialiste, issue de la période Kayibanda et donc
concernant plutôt les individus de plus de 45 ans en 1990, celle, plus inclusive et
intégrationniste, de la période Habyarimana et donc concernant plutôt les individus de 30 à
45 ans en 1990, et celle, à la fois modérée et plurielle voire divisée de l’Église catholique. Qu’il
s’agisse des sources utilisées pour distinguer ces idéologies (pour l’essentiel les discours
présidentiels dont on voit mal en quoi ils permettraient de saisir à eux seuls l’idéologie d’une
époque) ou de la description de leur contenu et de la manière dont elles circuleraient au sein
de la population, l’analyse confine au simplisme, d’autant que cette typologie ne s’inscrit en
rien dans l’argumentation globale de l’ouvrage sinon pour insister sur la multiplicité,
l’ambiguïté et in fine la modération globale des discours idéologiques en circulation à la
veille de la guerre, puis durant celle-ci. De même, lorsque l’auteur évoque les évolutions de la
participation politique, on s’étonne qu’il reprenne un poncif contestable en analysant les
choix politiques des acteurs subalternes comme le produit d’un « manque de savoir et
d’expérience des processus démocratiques » (p. 174). Contrairement à ce que semble croire
l’auteur, le fait que des acteurs choisissent tel ou tel parti pour des intérêts personnels ou
pour éviter d’être confrontés à des menaces s’inscrit au contraire dans une perception
consciente des enjeux politiques locaux et l’on voit mal l’intérêt de les analyser au prisme de
valeurs détachées des conditions concrètes d’existence.
Le cinquième chapitre revient sur l’attentat du 6 avril 1994 au cours duquel périt le
président de la République Juvénal Habyarimana et auquel Omar McDoom accorde un rôle
central dans le processus conduisant au génocide, comme troisième et dernier facteur
macro-politique après la guerre civile et la libéralisation du champ politique. Sans attribuer
explicitement cet attentat au FPR, il estime qu’il est à ses yeux « improbable » (pp. 201-205)
que cet attentat soit le résultat d’un coup d’État venant de l’intérieur. Le récit des évènements
à l’échelle nationale résume pour l’essentiel l’ouvrage d’André Guichaoua12, dont l’auteur
reprend l’affirmation contestable d’un gouvernement intérimaire tentant de stopper les
massacres jusqu’au 11-12 avril (pp. 190 et 194). Il décrit ensuite la manière dont le génocide
s’impose à l’échelle locale, selon des rythmes et des processus différenciés en fonction de la
situation politique antérieure. Deux facteurs pouvant expliquer l’entrée précoce ou tardive
des communes dans le génocide sont mis en avant : le contrôle de la commune par un
bourgmestre issu du parti présidentiel ou d’un parti d’opposition (auquel cas l’entrée serait
plus tardive), et la profondeur des relations interethniques antérieures. Aucun de ces deux
arguments n’est réellement convaincant. Ainsi, l’association entre partis d’opposition et
modération politique est caricaturale (il y a des extrémistes dans les partis d’opposition).
Constatant lui-même les limites de ce modèle à propos des communes de la préfecture de
Gikongoro entrées précocement dans le génocide, Omar McDoom s’en sort par un biais de
confirmation en expliquant que les bourgmestres de cette préfecture, quoiqu’appartenant
pour l’essentiel à l’opposition, ont été dépassés par des autorités préfectorales issues du parti
présidentiel. Tout aussi caricaturale est la distinction, lorsqu’il s’agit d’identifier les
entrepreneurs ethniques et politiques impulsant localement la dynamique génocidaire, entre
12

Guichaoua André (2010), Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994), Paris, La
Découverte (traduit en anglais en 2015).

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ceux qui procèderaient de l’État (bourgmestres, conseillers communaux, responsables de
cellules) et ceux qui proviendraient de la « société », l’État et la société ne constituant pas
deux sphères séparées, mais au contraire interpénétrées. Par ailleurs, il ne suffit pas de dire
que 47 % de ces leaders locaux du génocide étaient auparavant des agriculteurs (farmers),
cette catégorie étant pour le moins hétéroclite. Cette affirmation est pourtant au fondement
de la principale hypothèse du chapitre – hypothèse guère originale au demeurant –
consistant à dire que le génocide n’obéit pas seulement à une logique top-down mais
procède aussi d’une pression venue d’en bas. Plus originales en revanche sont les pages
consacrées à la place de la coercition dans la dynamique génocidaire, Omar McDoom
pointant à la fois les risques pris par ceux qui soit refusaient de participer aux attaques soit
protégeaient des Tutsi (deux questions très différentes mais qu’il tend à mettre sur le même
plan) et le fait qu’une part importante des personnes interrogées (entre un tiers et la moitié)
indiquent qu’il ne leur arrivait rien.
Le sixième chapitre analyse le troisième et dernier élément du triptyque : l’autorité.
Omar McDoom entend nuancer le modèle de Scott Straus d’État-Léviathan pour décrire le
rôle et le fonctionnement de l’État rwandais, capable de mobiliser massivement la population
civile dans le génocide13. Complétant Scott Straus, Omar McDoom pointe ainsi trois
dimensions propres à cet État : sa faible autonomie, sa grande légitimité et ses capacités
matérielles considérables. La faible autonomie de l’État renvoie à la capture des institutions
par des forces sociales et politiques privées, dans le cadre notamment d’un parti-État
concentré entre les mains d’un petit groupe d’acteurs issus de familles et de régions
spécifiques, et sans la concurrence d’une société civile véritablement structurée. La légitimité
de l’État tiendrait quant à elle à l’héritage postrévolutionnaire et à la continuité des frontières
géographiques depuis le XIXe siècle. Pour mesurer enfin les capacités de mobilisation de
l’État, Omar McDoom accumule d’abord des données quantitatives : 39 000 agents consacrés
à la sécurité en 1994 soit un pour 193 habitants14, 17 $ de taxes prélevées par an par
habitant… Il revient surtout sur l’héritage des travaux communautaires umuganda par
lesquels l’État parvenait depuis le début des années 1970 à mobiliser la population rurale.
75 % des personnes qu’il a interrogées affirment ainsi qu’elles participaient
systématiquement à ces travaux. Un troisième indicateur est celui de la capacité de l’État à
immobiliser sa population dans les espaces ruraux au détriment de toute amorce de
transition urbaine, un phénomène que l’auteur analyse essentiellement par des données
quantitatives sans mobiliser les travaux existants sur l’idéologie ruraliste en vigueur sous
Juvénal Habyarimana15. En définitive, ce chapitre ne propose pas de réelles connaissances
nouvelles ni sur le plan empirique ni sur le plan théorique pour modéliser le rôle de l’État
dans le génocide des Tutsi.
Dans un septième et dernier chapitre, Omar McDoom revient sur ce constitue à ses
yeux l’apport le plus novateur de sa recherche : pourquoi certains ont tué et d’autres pas, ce
qu’il fait en comparant systématiquement perpétrateurs et non perpétrateurs. Le chapitre
s’ouvre sur de nouvelles propositions d’un bilan chiffré du génocide, tant pour ce qui
13

Straus Scott (2006), The Order of Genocide…, op. cit., pp. 201-223.
Sont comptabilisés les soldats et les gendarmes. Les policiers ne sont en revanche pas inclus, alors même qu’ils jouent un rôle
considérable dans les communes pendant la guerre et le génocide.
15
Verwimp Philip (2013), Peasants in Power…, op. cit.
14

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concerne le nombre de ses victimes (entre 491 000 et 522 000 Tutsi – soit les deux tiers de
ceux qui vivaient alors dans le pays – et des milliers de Hutu) que celui de ses perpétrateurs
(423 000, soit un homme hutu adulte sur cinq, auxquels il faudrait rajouter 156 000 ayant
commis des actes de pillage, ce dernier chiffre étant concède-t-il largement sous-estimé). La
méthodologie adoptée, de même que son rapport à la bibliographie existante sur ces
questions, mériteraient d’être amplement discutés. Notons seulement que comme d’autres
avant lui, Omar McDoom écarte les participations féminines de son analyse. S’inscrivant dans
une approche situationniste pour expliquer pourquoi des individus basculent dans la
violence, l’auteur souligne d’abord, comme d’autres également, que les perpétrateurs ne se
distinguent pas, ou alors de façon marginale, des non perpétrateurs, en termes d’âge, de
statut marital, de nombre d’enfants, de possession foncière, de scolarisation, de profession,
etc. Ce premier constat lui permet d’écarter des explications faisant appel à des hypothèses
telles que le piège malthusien, la pénurie foncière ou le ressentiment ethnique. Il remarque
par exemple que si une courte majorité des personnes interviewées (près de 60 %)
considéraient que les Tutsi étaient originaires de l’extérieur du Rwanda, ce pourcentage était
comparable chez les perpétrateurs et les non perpétrateurs. En dépit des limites d’une
enquête par sondages, ces analyses permettent de contribuer aux débats quant au rôle de
l’idéologie dans la dynamique génocidaire. L’auteur propose ensuite une typologie des
tueurs, entre les extrémistes, les opportunistes et les conformistes (p. 329), typologie qu’on
pourra confronter avec celle de Lee Ann Fujii distinguant leaders, collaborators et joiners16.
Omar McDoom revisite ainsi les questionnements relatifs aux « motivations » des tueurs et
souligne que les enquêtés, lorsqu’ils répondent à des questions concernant leur propre
expérience, mettent surtout en évidence le rôle de la coercition, tandis que les questions
indirectes (du type « pourquoi des gens ont fait ceci ou cela ? ») pointent des motivations
plus personnelles et opportunistes. De manière intéressante, l’auteur souligne également que
les motivations peuvent évoluer dans le temps, un individu pouvant passer par exemple de la
catégorie conformiste à la catégorie opportuniste. On aimerait toutefois lire des parcours
personnels plus développés, plutôt qu’essentiellement des données statistiques et de courts
extraits d’entretiens utilisés de manière illustrative.
La dernière partie du chapitre apporte davantage de nouveautés. À partir de la
reconstitution et de la cartographie de la composition démographique du secteur de Tare,
Omar McDoom montre comment les liens sociaux et la proximité géographique déterminent
la participation au génocide. Deux conclusions se dégagent de son étude de cas. D’une part,
habiter à proximité d’un tueur augmente la probabilité de participer aux violences, dans ce
qui s’apparente à une logique de contagion (« It is where you live », p. 343). À l’inverse, la
proportion de foyers tutsi dans le voisinage ne constitue pas un facteur décisif. Cette
première conclusion permet d’enrichir les réflexions autour de la place des relations de
voisinage dans la dynamique génocidaire, le génocide des Tutsi étant considéré comme
l’archétype d’un génocide de voisinage17. D’autre part, à partir d’un échantillon – relativement
réduit – de 116 habitants du secteur de Tare, il montre que les participants au génocide sont
16

Fujii Lee Ann (2009), Killing Neighbors…, op. cit.
Dumas Hélène (2014), Le Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Seuil ; (2020), Sans ciel ni terre. Paroles
orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006), Paris, La Découverte.
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socialement plus connectés que les non-participants, et qu’une connexion forte avec un
génocidaire augmente considérablement la probabilité d’être soi-même un génocidaire (« It
is who you know », p. 349). Contre le déterminisme qui affleure régulièrement dans l’ouvrage,
il souligne ainsi que si la forte densité du pays a contribué au génocide, c’est moins par un
mécanisme néo-malthusien que par un mécanisme proprement sociologique, la densité de
population venant renforcer le rôle des liens sociaux dans la dynamique génocidaire.

*
En dépit de ses apports, l’ouvrage soulève des questions mettant en jeu la manière
dont s’écrit l’histoire du Rwanda et du génocide des Tutsi. Première remarque – et non des
moindres – Omar McDoom fait preuve d’une triple occultation bibliographique : régionale, la
recherche rwandaise étant quasi passée sous silence (moins de vingt références, rapports
gouvernementaux compris, sur 18 pages de bibliographie) ; linguistique, l’auteur ignorant
l’essentiel des recherches francophones ou n’utilisant pas réellement celles qu’il cite18 ;
disciplinaire, les travaux des historiens des deux dernières décennies, y compris anglophones,
étant très largement oubliés. Alors même qu’il prétend travailler essentiellement à l’échelle
micro, Omar McDoom ne mobilise pas, par exemple, les histoires locales du génocide qui
existent, y compris lorsqu’elles concernent ses propres études de cas19. Peut-on par ailleurs
évoquer la révolution rwandaise de 1959-1961 en se référant au seul ouvrage de René
Lemarchand publié en 197020 et sans évoquer, a minima, James Jay Carney21 ou Léon Saur22 ?
Peut-on analyser la construction de l’État rwandais sous la Deuxième République sans
mobiliser Marie-Eve Desrosiers23 ou François-Xavier Munyarugerero24 ? Peut-on enfin revenir
sur l’histoire du racisme et des idéologies ethnicistes en résumant les apports de Jean-Pierre
Chrétien à son ouvrage sur les médias du génocide25 ? Cette liste de manques n’est pas
exhaustive. À l’inverse, la citation sans recul critique de l’ouvrage de Judi Rever (pp. 6 et 205)

18

Sur les années 1990 par exemple, l’ouvrage de Jordane Bertrand (2000) quoique cité en bibliographie finale, n’est pas réellement
exploité et ses conclusions, assez différentes de celles d’André Guichaoua, ne sont pas mobilisées.
19
Comme lui, Ornella Rovetta a par exemple travaillé sur la commune de Taba, à partir du procès au TPIR de son bourgmestre :
Rovetta Ornella (2014), « Le procès de Jean-Paul Akayesu. Les autorités communales en jugement », Vingtième siècle. Revue
d’histoire, 122, pp. 51-61 ; (2019), Un génocide au tribunal. Le Rwanda et la justice internationale, Paris, Belin. Voir également
Gakwenzire Philibert (2017), « Les politiques de discrimination, persécutions et génocide des Tutsi en commune de Rubungo et
Gikomero (1960-1994) », thèse, Université libre de Bruxelles ; Kabwete Mulinda Charles (2010), « A space for genocide. Local
authorities, local population and local histories in Gishamvu and Kibayi (Rwanda) », thèse, University of the Western Cape ;
Rutazibwa Privat et Rutayisire Paul (2007), Génocide à Nyarubuye, Kigali, Éditions rwandaises ; Viret Emmanuel (2011), « Les habits
de la foule. Techniques de gouvernement, clientèles sociales et violence au Rwanda rural (1963-1994) », thèse, Institut d’études
politiques de Paris.
20
Lemarchand René (1970), Rwanda and Burundi, New York/Washington/Londres, Praeger Publishers.
21
Carney James Jay (2014), Rwanda Before the Genocide. Catholic Politics and Ethnic Discourse in the Late Colonial Era, New York,
Oxford University Press.
22
À défaut de citer sa thèse, effectivement difficilement accessible, au moins pourrait-on faire référence à cet article publié dans
une revue bien diffusée dans le monde anglophone : Saur Léon (2009), « La frontière ethnique comme outil de conquête du
pouvoir : le cas du Parmehutu », Journal of Eastern African Studies, 3(2), pp. 303-316.
23
Desrosiers Marie-Eve (2014), « Rethinking political rhetoric and authority during Rwanda’s Firts and Second Republics », Africa.
Journal of the International African Institute, 84, pp. 199-225.
24
Munyarugerero François-Xavier (2003), Réseaux, pouvoirs, oppositions : la compétition politique au Rwanda, Paris, L’Harmattan.
25
Chrétien Jean-Pierre (2000), L’Afrique des Grands Lacs. 2000 ans d’histoire, Paris, Aubier (traduit en anglais en 2003) ; Chrétien
Jean-Pierre et Kabanda Marcel (2013), Rwanda, racisme et génocide. L’idéologie hamitique, Paris, Belin.

RHCA, COMPTES RENDUS DE LECTURE, EN LIGNE, 2021.

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interroge, quand on sait la teneur complotiste et négationniste dudit ouvrage et de son
autrice26.
Cette déconnexion à l’égard d’un certain nombre de travaux récents est plus gênante
encore lorsqu’elle conduit l’auteur à des approximations historiques, à des interprétations
datées, voire à des erreurs factuelles (ainsi se trompe-t-il sur la capitale administrative de la
résidence du Ruanda à l’époque coloniale, p. 273). Omar McDoom reprend par exemple à
plusieurs reprises l’antienne, pourtant déconstruite, qui voudrait qu’il y ait au Rwanda entre
85 et 91 % de Hutu, entre 8 et 14 % de Tutsi et autour d’1 % de Twa, affirmation qu’il qualifie
au passage de « consensus académique » (p. 67). L’absence de profondeur historique se
manifeste tout particulièrement dans les études de cas à toutes les échelles. Lorsqu’il
distingue l’évolution des deux préfectures de Butare et de Ruhengeri dans la guerre, il ne
parvient pas à inscrire ces trajectoires différenciées dans le temps long et se contente
d’évoquer la proximité ou non du front (p. 105)27. De même, son récit des évènements dans
la cellule de Mutovu ignore les spécificités historiques d’une région bien particulière au sein
des marges septentrionales du Rwanda : la « mémoire plus nuancée du mwami et des chefs »
exemplifiée par une citation d’Élias (pp. 260-261) tient à ces spécificités historiques dont
Omar McDoom n’a manifestement pas connaissance, au point qu’il confond dans la citation
le chef et le sous-chef28.
D’une manière générale, les études de cas sont peu fouillées et les citations d’entretiens
sont essentiellement illustratives. L’auteur mobilise davantage les 294 enquêtes par
questionnaire encodées statistiquement. Si cette méthode permet de saisir certains
phénomènes, elle échoue globalement à restituer la complexité des dynamiques
génocidaires. L’analyse d’Omar McDoom confine d’ailleurs parfois au truisme, par exemple
lorsqu’il explique que 62 % des enquêtés font état d’un sentiment d’insécurité après le 6 avril
1994, c’est-à-dire à partir du début du génocide, contre 32 % avant (p. 83). Il se dégage
régulièrement de la lecture une impression de naïveté, au prix tantôt d’une lecture au premier
degré de certaines sources29, tantôt de formulations franchement malheureuses, par exemple
quand les viols sont associés aux pillages et analysés à ce titre comme le simple résultat de
motifs opportunistes (p. 22). Ailleurs, l’auteur se risque parfois maladroitement à une
« histoire en if », expliquant que puisque 20 000 civils ont été protégés au stade Amahoro de
Kigali par la Minuar, il aurait été possible de faire de même dans les stades des autres
préfectures et de sauver ainsi quelque 200 000 personnes (p. 200). Plus globalement, Omar
McDoom multiplie les références à la place occupée par le Rwanda dans divers classements
internationaux et les compilations de chiffres dont on peine à saisir l’intérêt heuristique. On
apprend ainsi que la guerre dure 1 285 jours avant le génocide (p. 76), que 136 des 164

26

Rever Judi (2018), In Praise of Blood. The Crimes of the Rwandan Patriotic Front, Toronto, Random House.
Jean-Paul Kimonyo a pourtant proposé des analyses percutantes dans le cas de Butare : Kimonyo Jean-Paul (2008), Rwanda. Un
génocide populaire, Paris, Karthala (traduit en anglais en 2016). Cet ouvrage est pourtant cité en bibliographie.
28
Contrairement à ce qu’il fait dire à Élias, que j’ai moi-même interrogé en 2013, ce n’est pas le chef (Jean-Népomucène
Rwaburindi) mais le sous-chef (Denis Nzamuye) qui était mieux accepté par la population et dont la maison fut protégée lors des
violences de novembre 1959.
29
Ainsi du sous-texte de la citation de Charles Nkurunziza (p. 156) qu’Omar McDoom ne semble pas saisir (ce sont les Tutsi,
accusés de monopoliser le pouvoir avant l’indépendance, qui sont implicitement visés), ou de celle de Froduald Karamira (p. 196).
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OMAR S. MCDOOM, THE PATH TO GENOCIDE IN RWANDA |

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guerres civiles recensées entre 1955 et 2016 ne débouchèrent pas sur un génocide (p. 166)30,
qu’Habyarimana a dirigé le pays 7 580 jours et qu’il fait partie des 8 % des 361 chefs d’États
africains assassinés après les indépendances (p. 178), ou encore que le Rwanda se classe au
premier rang des pays d’Afrique subsaharienne ayant le moins de diversité ethnique (p. 265).
Outre leur caractère formaliste, ces chiffres témoignent de ce qui constitue, en définitive, la
principale faiblesse de l’ouvrage : une approche qui ne parvient pas à rompre réellement avec
des analyses mécanistes et déterministes, voire ethnicisantes, au détriment de la mise à jour
de ressorts sociaux et politiques complexes et toujours labiles dès lors qu’il s’agit de
comprendre le processus génocidaire à l’échelle collective comme à l’échelle individuelle.

Florent Piton
Post-doctorant LabEx HaStec, IMAf (France)

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KABWETE Mulinda Charles (2010), « A space for genocide. Local authorities, local population and local
histories in Gishamvu and Kibayi (Rwanda) », thèse, University of the Western Cape.

30

L’extension du champ d’application de la catégorie génocide à des crimes de masse qui n’en relèvent pas strictement inscrit à
cet égard l’ouvrage dans un courant bien particulier des genocide studies.

RHCA, COMPTES RENDUS DE LECTURE, EN LIGNE, 2021.

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| FLORENT PITON

KIMONYO Jean-Paul (2008), Rwanda. Un génocide populaire, Paris, Karthala (traduit en anglais en
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