Fiche du document numéro 29023

Num
29023
Date
Mardi 21 septembre 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
24236
Pages
3
Urlorg
Titre
Opinion: affaire Paul Rusesabagina: pourquoi deux poids, deux mesures?
Soustitre
Par Me Richard Gisagara, avocat en France et au Rwanda
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Ce lundi, 20 septembre, la Haute Cour de Kigali a condamné Paul Rusesabagina, héros de Hollywood dans le film « Hôtel Rwanda », à 25 ans d’emprisonnement pour, notamment, des faits de terrorisme et financement du terrorisme. Son arrestation, son jugement et aujourd’hui sa condamnation ont soulevé une levée de boucliers dans certains milieux européens où certains étaient même allés jusqu’à demander sa libération immédiate. Pourtant des hommes et des femmes sont jugés en Europe pour des faits semblables sans que personne ne trouve rien à y redire. Ce « deux poids, deux mesures » interroge.

L’attaque du World Trade Center de New York en septembre 2001 commanditée du fin fond de l’Afghanistan est venue douloureusement rappeler au monde que la mondialisation du 21e siècle ne sera pas qu’économique. En effet, le développement technologique qui a facilité l’accès aux connaissances et à l’information et qui permet aux citoyens lambdas de communiquer facilement d’un point à l’autre du globe a donné de nouvelles perspectives à ceux qui choisissent la terreur comme moyen d’expression politique. Ils peuvent désormais, beaucoup plus facilement, projeter leur action à des centaines ou des milliers de kilomètres de leur base.

Pour faire face à cette nouvelle menace, les pays occidentaux ont adapté leur législation. Plusieurs procès ont été tenus dans ce cadre et d’autres sont sur le point de l’être. L’affaire Rusesabagina s’inscrit dans le même contexte. Il est étonnant que l’on reproche au Rwanda de faire ce qui se fait en Europe depuis plusieurs années maintenant.

En effet, Paul Rusesabagina a été condamné aux côtés de 20 autres prévenus pour, notamment, une série d’attaques dans le sud-ouest du Rwanda menées par le groupe FLN (Front pour la libération nationale), dont il a revendiqué l’action. Ces attaques ont fait, en 2018, neuf morts et plusieurs blessés, tous des civils. Citoyen rwando-belge, il vivait entre Bruxelles et San Antonio aux Etats Unis. La notoriété que lui a procuré le film Hôtel Rwanda, suivie par la Médaille de la Liberté qui lui a été décernée par le Président Georges Bush, ont fait de lui un homme riche. Tranquillement installé dans son havre de paix en Occident, il a décidé de porter la guerre au Rwanda en créant et soutenant notamment financièrement un groupe armé qui y a semé la mort et la terreur.

Sa condamnation se base notamment sur l’enquête menée par les autorités judiciaires belges à la demande de leurs homologues rwandais. Ce sont elles qui ont permis d’établir que, outre la revendication des attaques armées sur le sol rwandais, Paul Rusesabagina a financé également, à hauteur de plusieurs milliers d’euros, les auteurs de ces attaques.

En Belgique, tout comme au Rwanda, la participation aux activités d’un groupe terroriste, notamment par l’envoi d’argent, est une infraction qui tombe sous le coup de la loi. Les autorités judiciaires belges se montrent d’ailleurs très fermes pour cette infraction. L’on peut citer l’exemple de de Madame Véronique Loute, la mère du djihadiste belge Sammy Djedou. Dans le dossier dit « Paris bis » , qui est le volet belge du dossier des attentats de Paris du 13 novembre 2015, la justice Belge a inculpé cette dame pour avoir envoyé de l’argent à son fils, parti combattre en Syrie en 2012. Elle soupçonne que cet argent aurait servi à financer les attaques à Paris car Sammy Djedou aurait été l’un des recruteurs des terroristes qui ont attaqué Paris. Sa mère a beau nier toute intention de financer le terrorisme et expliquer qu’il s’agissait pour elle d’une façon de garder le contact avec son fils dont elle dit désapprouver l’action, le Parquet fédéral belge ne l’a pas entendu de cette oreille.

Comment peut-on expliquer alors qu’en Belgique l’on s’acharne contre la justice rwandaise pour avoir condamné une personne qui a financé un groupe armée ayant tué des civils et qui a revendiqué ses actions alors qu’en même temps, le Parquet fédéral belge tente de faire la même chose, sans que ça choque grand monde, contre une mère qui a envoyé de l’argent à son fils djihadiste sans forcément partager son combat ?

Certains préfèrent éviter cette comparaison qui contrarie leurs certitudes et se contentent de critiquer les conditions d’arrestation de Paul Rusesabagina. Il faut rappeler en effet que celui-ci a été arrêté à son atterrissage au Rwanda alors qu’il croyait se rendre dans un pays voisin. Pourtant, la plus haute juridiction européenne en matière de droits de l’homme, la CEDH, a déclaré comme légale une arrestation similaire (CEDH ; n° 11755/85 du 19 mars 1991). Il s’agit du cas de Walter Stocké, un fugitif qui était recherché par la police allemande et qui, alors qu’il se trouvait en France, a été trompé par une de ses connaissances qui l’a amené en Allemagne où il a été aussitôt arrêté à son atterrissage. Pourtant, Walter Stocké n’était pas recherché pour un crime de sang mais juste pour fraude fiscale.

Un tel « deux poids, deux mesures » interroge. Pourquoi devait-il être considéré comme normal pour la police allemande d’arrêter un fraudeur du fisc grâce à un subterfuge auquel la police rwandaise ne devrait pas avoir recours pour arrêter une personne poursuivie pour la mort de neuf civils ? Pourquoi juger en Belgique une mère retraitée dont l’argent pourrait avoir été utilisé dans l’organisation d’attentats ayant endeuillé la France devrait-il être considéré comme normal alors que juger un politicien qui a sciemment financé un groupe armé qui a endeuillé le Rwanda serait choquant ? Devrait-on avoir plus de considération pour la vie ici que là-bas ? La réponse à cette question devrait calmer ceux qui s’indignent souvent sans connaître les tenants et les aboutissants de ce dossier.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024