Fiche du document numéro 29010

Num
29010
Date
Vendredi 17 septembre 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
42218
Pages
4
Urlorg
Titre
Rwanda : le procès du héros de «Hôtel Rwanda» vu par ses victimes
Sous titre
Alors que le verdict du procès pour «actes de terrorisme» du héros déchu de Hollywood Paul Rusesabagina sera connu lundi, notre reporter a sillonné le sud du Rwanda à la recherche des victimes du groupe armé dont il était le chef. Il y a rencontré des habitants traumatisés, que les attaques ont replongé dans les souvenirs du génocide de 1994.
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FLN
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Au cœur de la jungle rwandaise de Nyungwe, l’air est frais et le silence n’est troublé que par le murmure lancinant des insectes. Hormis quelques débris métalliques dans l’herbe et des traînées de suie sur la barrière de sécurité, il reste peu de traces de la sanglante attaque qui s’est déroulée il y a près de trois ans, le 15 décembre 2018, sur la route nationale 6 qui traverse cette immense forêt tropicale dans le sud-ouest du pays. Mais les témoins, eux, n’ont rien oublié.

Ce jour-là, Azela traverse la forêt dans l’autocar qui relie la capitale Kigali à la ville de Cyangugu, à l’extrême sud-ouest du pays. «J’étais en train d’allaiter mon bébé quand on a vu un barrage sur la route. Les attaquants ont surgi. Trop nombreux pour les compter. Ils ont tiré dans les roues en ordonnant au chauffeur de s’arrêter, puis ils ont tiré sur les passagers du bus et j’ai été touchée», raconte cette agricultrice de 39 ans. Les assaillants abattent alors six personnes âgées de 13 à 45 ans, en blessent de nombreuses autres puis frappent leurs victimes avec des bâtons avant d’incendier le bus.

Attaques aveugles



Depuis février 2021, le procès de dix-huit des personnes accusées, entre autres, d’avoir commis et commandité cette attaque, se tient à Kigali. Tous appartiennent au Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), une coalition d’opposants en exil créée en novembre 2016, et à sa branche armée, le Front de libération nationale (FLN) qui a déclaré la guerre au régime en place à Kigali. Mais les victimes sont toutes civiles et ces attaques aveugles cherchent à déstabiliser un pays encore traumatisé par le génocide contre la minorité tutsie de 1994. Les magistrats doivent annoncer leur verdict lundi.

Parmi les accusés figure Paul Rusesabagina, devenu une icône mondiale quand Hollywood s’est emparé de son destin pour l’ériger en héros du film Hôtel Rwanda, réalisé en 2004 par Terry George. L’histoire réunissait tous les ingrédients pour émouvoir le grand public : pendant le génocide des Tutsis en 1994, Rusesabagina aurait été un «juste», un Hutu (l’ethnie au nom de laquelle a été perpétré le génocide), qui aurait protégé 1 268 personnes, réfugiées dans le luxueux hôtel de Kigali dont il avait la charge.

La légende a depuis été contestée. Pourtant, hors du pays, et pendant des années, rien n’entame le prestige de ce petit bonhomme rondouillard de 66 ans, vite parti en exil après le génocide. Il recevra l’ordre du mérite, plus haute distinction américaine, des mains du président George Bush. Aujourd’hui encore, un grand nombre de ses soutiens peinent à admettre qu’il soit accusé de «formation d’une force armée irrégulière» et de huit autres chefs d’accusation relatifs au terrorisme, dont neuf meurtres.

«Trois hommes ont tiré sur mon mari en chantant»



Revenu au Rwanda fin août 2020 à la faveur d’un piège digne d’un roman d’espionnage (un pasteur évangéliste servant d’hameçon l’a convaincu de monter dans un jet privé censé atterrir au Burundi voisin), Paul Rusesabagina risque la prison à perpétuité. Au cours des huit mois de procès, les audiences ont pourtant permis de confirmer la responsabilité du MRCD-FLN dans les attaques qui frappent le sud-ouest du Rwanda depuis 2018. L’ancien hôtelier en était le chef incontesté. Ses soutiens aux Etats Unis comme en Europe, des fondations américaines, des élus européens ou des exilés rwandais, dénoncent un «enlèvement» et rejettent les charges.

Jusqu’à présent, aucun journaliste occidental ne s’était aventuré dans les zones isolées du sud du Rwanda où vivent les victimes de ce groupe armé. A Nyabimata, trois ans après une autre attaque, les impacts de balles sont toujours visibles sur les maisons et la carcasse calcinée d’une voiture communautaire gît encore dans la rue principale.

La nuit du 19 juin 2018, des combattants font irruption dans le village et encerclent une maison dans laquelle des convives regardent un match de la Coupe du monde de football. Ils commencent à tirer et abattent un jeune homme de 25 ans puis enferment les autres dans la bâtisse avant de l’incendier. De l’autre côté du village, un second groupe entre en action. «Trois hommes ont tiré sur mon mari en chantant. Puis ils sont allés au groupe scolaire mettre une balle dans la tête du préfet des études», raconte Joséphine, la veuve du directeur de l’école primaire. Les paramilitaires du FLN parcourent la commune, dépouillent les habitants, les tabassent. Ils pillent boutiques et maisons sur leur chemin puis dévalisent la petite banque coopérative.

Depuis le début de son procès, Paul Rusesabagina, qui avait initialement justifié ces attaques au nom de son organisation, nie toute implication, affirmant n’avoir joué qu’un rôle «diplomatique» dans ces opérations militaires. Très vite, il a d’ailleurs refusé d’assister aux audiences.

«Ils criaient qu’ils étaient l’armée de Jésus»



Au sud de Nyabimata, la piste serpente au milieu des cultures de thé qui quadrillent les hautes montagnes jusqu’à Yanze. Le petit hameau est juché sur une colline, la dernière avant d’entrer au Burundi. Dans la nuit du 27 au 26 juin 2020, un groupe de combattants du FLN surgit d’une forêt en contrebas du village, pointe une mitrailleuse vers les modestes habitations et ouvre le feu. Mais la véritable attaque vient de la frontière burundaise, sur l’autre versant de la colline. «Ils avaient des sifflets et ils criaient qu’ils étaient l’armée de Jésus», raconte un paysan. Sa maison et son hangar, criblés d’impacts de balles et de roquettes, se trouvaient sur le chemin des assaillants.

Le village se situe à moins d’un kilomètre du Burundi. Les positions du FLN se trouvent à proximité, de l’autre côté de la frontière. Ils sont «sur la première colline juste derrière l’armée burundaise. Et cette grande tente là-haut, c’est aussi une de leurs positions», expliquent les habitants en pointant une crête. Bien que le mot ne soit jamais prononcé, l’atmosphère qui règne à Yanze est celle d’une guerre. Un conflit diffus qui prend racine dans l’un des pires crimes de l’Histoire. Dans la région, le souvenir du génocide d’un million de Tutsis en 1994 refait surface. Toutes les personnes rencontrées identifient leurs agresseurs à d’anciens militaires ou miliciens hutus qui ont fui après le génocide dans les pays voisins pour se réorganiser.

«Ce sont les mêmes qui nous attaquaient en 1998, 1999, 2000…» affirme-t-on à Yanze. Selon l’un des six otages emmenés par les assaillants dans leur fuite à Nyabimata, le commandant des FLN se présentait «comme un membre de l’ancienne armée» rwandaise. Paul Rusesabagina aurait ainsi incorporé dans son organisation plusieurs centaines de combattants issus du principal groupe armé formé par les génocidaires en exil. Sur le terrain, la population n’a pas le moindre doute sur la nature et les desseins du FLN.

«Ma famille est traumatisée»



«Ce sont des Interahamwe [miliciens qui ont participé au génocide des Tutsis, ndlr] qui vivent au Burundi. Ils crient qu’ils viennent libérer le Rwanda. Ce sont toujours les mêmes idées», résume le président du conseil de secteur de Bweyeye, dont la communauté subit des assauts répétés de la part du FLN. Encore une dizaine depuis le début de l’année 2021. Au milieu de la forêt de Nyungwe, une piste défoncée et pleine d’obstacles fend la végétation. C’est le seul chemin pour se rendre à Bweyeye, qui vit enclavée entre la jungle et la frontière burundaise. Malgré l’important déploiement militaire rwandais sur cette frontière au cœur de la jungle, difficile de ne pas songer à la possible présence de «l’armée de Jésus» dans cet océan végétal. Un sentiment qui ne disparaît pas au bout du chemin, dans le secteur le plus isolé du pays.

Devant une bicoque en torchis se tient un homme frêle de 65 ans. Vêtu de haillons et chaussé de bottes en caoutchouc aux semelles détruites, il paraît anéanti. «J’avais une maison assez moderne, mais j’ai été obligé de la quitter pour échapper aux attaques. J’ai perdu ma bananeraie, ma récolte et mes animaux. Ma famille est traumatisée», raconte le vieil homme. Se tient-il informé du procès de Paul Rusesabagina ? Le vieil homme laisse passer un court silence puis éclate d’un rire nerveux et crispé : «J’avais emporté un poste de radio, mais il ne fonctionne plus.»

Isolées de la capitale, les victimes de Bweyeye n’ont pas eu la possibilité de se constituer partie civile auprès du parquet, contrairement à d’autres victimes de ces attaques sanguinaires. «Je voudrais aussi accuser les soldats burundais. Sans leur soutien, ces attaques ne seraient pas possibles», tempête le vieux déplacé.

«Plus personne ne s’aventure sur ces routes vers le Burundi»



Seule une rivière étroite et peu profonde sépare Bweyeye du Burundi, à quelques centaines de mètres des dernières maisons du village. Autour de l’unique pont qui enjambe le cours d’eau, la situation est extrêmement tendue. «Aujourd’hui, les Imbonerakure [la milice du parti au pouvoir au Burundi, ndlr] viennent jusque sur la frontière pour menacer les Rwandais», explique de son côté le président du conseil de secteur.

Difficile de savoir ce qui se trame de l’autre côté de la rivière. Depuis 2015, le Burundi vit presque en autarcie et le régime muselle l’opposition et la presse. Mais, selon les enquêtes de journalistes en exil, militaires et miliciens burundais aideraient le FLN sur les collines frontalières de Bweyeye. Les habitants de Yanze disent eux aussi avoir reconnu des Burundais parmi les assaillants rwandais. «Nous en connaissions même certains par leurs noms. Ce sont des Imbonerakure», assurent-ils. Selon l’enquête du parquet de Kigali, Paul Rusesabagina aurait inlassablement cherché à s’assurer du soutien des autorités burundaises. De son côté, Bujumbura nie tout lien avec les attaques au Rwanda et conteste la présence du FLN sur son territoire.

Pourtant la peur est bien là. «Aujourd’hui, plus personne ne s’aventure sur ces routes vers le Burundi de peur de se faire trancher le cou», expliquent des villageois à Yanze. Ils n’ont jamais eu l’opportunité de voir le film Hôtel Rwanda. Et pour eux, le nom de son héros n’évoque que la terreur aveugle des attaques perpétrées par les hommes du groupe armé qu’il a dirigé. Bien loin des mirages d’Hollywood.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024