Fiche du document numéro 29007

Num
29007
Date
Mercredi 15 septembre 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
28620
Pages
3
Urlorg
Sur titre
Intervention
Titre
Le Rwanda sur tous les fronts, une puissance diplomatique obtenue au bout du fusil
Sous titre
Au Mozambique, le Rwanda ne craint pas d’affronter les djihadistes. Et en Centrafrique, il se veut pourvoyeur de sécurité.
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
ONU
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Loin des projecteurs tournés vers l’Afghanistan, de nouveaux fronts se sont ouverts en Afrique. Des groupes armés, se réclamant de l’idéologie islamiste, font face à des régimes minés par la corruption et à des forces de défense inefficaces, qui finissent par lasser leurs alliés occidentaux sollicités par d’autres urgences. Sur deux de ces “scènes secondaires”, la Centrafrique et le Mozambique, le Rwanda, petit pays de dix millions d’habitants, a choisi de donner la preuve de son savoir-faire et de se présenter comme un “pourvoyeur de sécurité”, effaçant ainsi les critiques qui avaient accompagné ses interventions répétées au Congo.

Le succès remporté au Mozambique par le contingent rwandais, un mois après son arrivée, n’a pas fini de faire couler de l’encre : c’est le 12 août en effet que la cité portuaire de Mocimboa da Praïa a été reprise aux djihadistes par des éléments des Rwanda Defense Forces (RDF) aux côtés de militaires mozambicains qui renouaient soudain avec la victoire.

Jusqu’à présent, la petite ville de la province de Cabo Delgado, longtemps négligée par la capitale, Maputo, éloignée de 2 700 kilomètres, était surtout connue pour son port qui accueillait des trafics d’héroïne, de bois précieux, d’ivoire et de rubis. Ces tractations bénéficiaient à l’élite locale, tandis que la population demeurait l’une des plus pauvres du pays et ressassait sa rancœur à l’encontre du parti au pouvoir, le Frelimo, et de l’ethnie des Makonde, qui avait dominé la lutte de libération contre la colonisation portugaise puis contre la Renamo.

L’engagement de Total



Depuis plusieurs années, des rumeurs faisaient état de l’implantation, au nord du Mozambique, de groupes islamiques qui avaient traversé la Tanzanie voisine et auraient été entraînés dans le lointain Kivu et plus particulièrement dans le parc des Virunga, mais ces informations ne suscitaient que dédain et scepticisme.

C’est en 2019 que l’engagement de la société française Total changea la donne. En 2010 en effet, les sociétés italienne Eni et américaine Anadarko avaient découvert au large de Cabo Delgado un immense gisement gazier. Total décida plus tard d’investir 20 milliards de dollars dans un immense projet de production et de liquéfaction de gaz naturel, prévoyant de déplacer des milliers d’habitants et de remodeler le visage d’un littoral longuement négligé.

Comme par hasard, c’est à ce moment que les attaques des “Shebaabs” (les jeunes) s’intensifièrent dans la province et que Mocimboa da Praïa devint le quartier général de la rébellion, obligeant Total à reporter, sinon annuler le début de ses activités. Alors que durant des siècles la côte swahilie avait été dominée par le soufisme, des jeunes ayant mené des études en Égypte, en Libye, au Soudan, en Arabie Saoudite avaient ramené au pays une idéologie plus radicale, s’inspirant du salafisme.

Assistance militaire



Craignant d’être débordé par ses voisins plus puissants, et en particulier l’Afrique du Sud, le président mozambicain, Filipe Nyusi, déploya sans succès les forces mozambicaines face aux combattants islamistes, refusant longtemps de faire appel aux forces armées de la SADC (Communauté des États d’Afrique australe). C’est avec reconnaissance qu’il accepta l’assistance militaire proposée par le président Kagame, qui invoquait la solidarité africaine.

Le premier succès engrangé par les RDF a marqué les esprits et, par la suite, les autres pays de la SADC ont eux aussi décidé d’engager leurs propres forces au Mozambique, les militaires rwandais se retrouvant ainsi aux côtés de troupes qu’ils avaient combattues durant les guerres du Congo.

Outre la solidarité africaniste, quel peut être l’intérêt de cet engagement pour le Rwanda ? Si le Mozambique se transforme en nouvel eldorado, les retombées économiques seront évidentes et, au lendemain de la réconciliation avec la France, il ne doit pas déplaire à Kigali d’obliger Paris et la multinationale Total. En outre, une présence en Afrique australe permet à Kigali de veiller sur ses propres intérêts sécuritaires : de nombreux opposants au régime évoluent au sud du continent, qu’ils soient héritiers des “génocidaires” de 1994 ou dissidents du Front patriotique, comme le très redouté général Kayumba, dont les troupes opèrent entre l’Afrique du Sud et la frontière entre le Rwanda et le Kivu, jusqu’à l’Ouganda.

Poids diplomatique renforcé



Sur un autre front, la Centrafrique, l’intervention rwandaise relève de ce même cocktail de motivations : au départ, un contingent militaire rwandais fut incorporé à la Minusca (mission de l’ONU en Centrafrique), mais, bientôt, les Rwandais gagnèrent la confiance du président Touadéra jusqu’à devenir ses gardes du corps, ses hommes et femmes de confiance. Dans la foulée, des hommes d’affaires rwandais prirent pied à Bangui, intéressés par l’or et les diamants, tandis que les services de renseignements de Kigali surveillaient de près les rives du fleuve Oubangui voisines de la RD Congo, par où étaient passés en 1994 les réfugiés hutus en fuite dans la sous-région.

Professionnelle et disciplinée, l’armée rwandaise ne peut que bénéficier de ces interventions extérieures en termes d’entraînement, de familiarisation avec de nouveaux types d’armements, de relations commerciales, de sécurité. Présentées comme des manifestations de solidarité africaine, ces opérations qui bloquent la progression des djihadistes renforcent aussi le poids diplomatique d’un pays devenu le cinquième contributeur aux opérations de maintien de la paix de l’ONU et, après l’Éthiopie, le deuxième au niveau africain. Le succès de ces opérations permet aussi d’occulter les critiques qui portent sur les menées rwandaises au Congo, la surveillance et la répression des opposants, dans le pays et au-delà des frontières.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024