Fiche du document numéro 28863

Attention : ce document exprime l'idéologie des auteurs du génocide contre les Tutsi ou se montre tolérant à son égard.
Num
28863
Date
Mercredi 26 mai 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
393595
Pages
26
Urlorg
Titre
Transcription partielle de l'interview d'Hubert Védrine
Soustitre
Hubert Védrine : « je trouve le rapport Duclert, qui est un rapport hostile, tout à fait contestable ».
Nom cité
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Source
Fonds d'archives
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Citation
Lien :
https://www.youtube.com/watch?v=I0GImBIkA7Y


*



HUBERT VEDRINE DANS L’EMISSION THINKERVIEW, LE 26 MAI 2021.


NB. – Les principaux bégaiements ainsi que les acquiescements de complaisance ont été supprimés.


[Début de la transcription à 01 h 10’ 35’’]

Sky [pseudonyme] : Demain, il y a le Président Macron qui va se balader au Rwanda. Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous pouvez nous résumer ce qu’a été le Rwanda ?

[01 h 10’ 47’’]

Hubert Védrine : C’est trop… C’est un sujet trop compliqué pour être résumé. Et il y a deux…, il y a d’ailleurs deux thèses tout à fait contradictoires sur la…, pas sur le génocide qui n’est contesté par personne mais sur la politique de la France. Je veux dire que… Moi, je distingue deux choses…

[01 h 11’ 00’’]

Sky : Comment c’est parti déjà ?

[01 h 11’ 01’’]

Hubert Védrine : Attendez ! Je distingue deux choses : que le Président Macron veuille normaliser les relations avec le Rwanda – qui est un tout petit pays mais enfin, influent quand même en Afrique –, je trouve ça…, ça ne me pose aucun problème. Et personnellement, quand j’ai été ministre, j’ai été voir deux fois Kagame, le Président du Rwanda, le patron du FPR – l’organisation créée en Ouganda à partir des réfugiés tutsi pour tenter de revenir au Rwanda, etc., etc. –, puis qui est devenu Président.

[01 h 11’ 27’’]

Sky : Tutsi et [inaudible] Rwanda.

[01 h 11’ 30’’]

Hubert Védrine : Et donc, moi, je l’ai rencontré deux fois. Donc l’idée d’avoir des relations normales ne me pose aucun problème. En revanche la question de la vérité historique, qu’est-ce qui s’est passé vraiment ? Je ne parle pas du génocide encore une fois, qui est…, que personne ne discute, hein. Mais sur la politique française. Il y a eu un…, en France, une énorme ouverture des archives sous Jospin, dans la commission dite Quilès-Cazeneuve. Et puis récemment sous le Président Macron, la commission Duclert, qui est un rapport que je trouve, moi, tout à fait contestable. Mais enfin il existe…

[01 h 12’ 00’’]

Sky : Pourquoi ?

[01 h 12’ 01’’]

Hubert Védrine : Il est… Je vais vous dire pourquoi. En tout cas, ce qui est frappant pour moi, c’est qu’il n’y a que la France qui ait ouvert ses archives, pour le moment. Donc, que le rapport Duclert soit une étape, c’est évident. C’est une étape dans la connaissance de tout ça. Pour avoir une vision complète, il faudra connaître les archives du Rwanda, de la Belgique, de l’Ouganda, du Tribunal d’Arusha, de l’ONU, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Et même d’Israël puisque les Israéliens ont quelques archives parce qu’ils soutenaient l’Ouganda. Ils ont dit qu’ils ne les ouvriraient pas. Et moi j’appelle à ça. D’ailleurs ça a été demandé il y a plusieurs années déjà, hein. Alors, pour le moment, la France a fait un travail précis là-dessus. Je pense qu’il faut que les autres contribuent. Je parle de la vérité historique sur les évènements. Mais la normalisation ne me pose pas de problème. Après tout, je suis un réaliste ! Il faut qu’on ait des relations, disons, les plus normales possible avec tous les régimes.

[01 h 12’ 56’’]

Sky : Qu’est-ce que dit le rapport Duclert ? C’est quoi la deuxième thèse ?

[01 h 13’ 00’’]

Hubert Védrine : Alors les deux thèses… La première thèse, c’est de dire… – ça c’est la thèse Mitterrand mais également Juppé ou Balladur, hein – la France a détecté, dès le déclenchement de la guerre civile en 1990 par Kagame et le FPR, qu’il y avait un risque monstrueux de guerre civile atroce. Parce qu’il y avait eu en 62, à la fin des Belges…

[01 h 13’ 21’’]

Sky : Ça, c’est la DGSE qui détecte ça ?

[01 h 13’ 23’’]

Hubert Védrine : Non, la DGSE n’avait même pas de bureau au Rwanda. Non, c’est une évidence ! Mitterrand qui avait connu l’Afrique, il se rappelait très bien des massacres horribles de 62 contre les Tutsi et il voyait que l’attaque de Kagame en 90 allait redéclencher la guerre civile. Bon. Donc, ça, c’est la thèse Mitterrandienne : c’est la France qui est le seul pays au monde qui a vu le risque, qui a donc décidé d’en faire une opération militaire de soutien – pas direct, mais de soutien – pour empêcher que le FPR des Tutsi prenne le pouvoir par la force, et en utilisant cette présence pour obliger les uns et les autres à un compromis, qui a finalement eu lieu en 1993 à Arusha. Arusha, c’est là où ont lieu les réunions parce que là…, c’est là où il y a les hôtels à cause du tourisme, en Tanzanie. Donc un accord en 93. Et la France après 93 se retire. Si on reprenait les médias de l’époque [sourire], on serait étonné parce que c’est le contraire de ce qu’ils disent ces dernières années. Et en août 93, on dit : « Bah oui, il y a un compromis à Arusha. C’est formidable ». Il y a un accord. Ce n’est pas que grâce à la France, il y a eu d’autres puissances : les Etats-Unis ont soutenu, le…, l’Union africaine était très bien, la Tanzanie était très bien. Et les Tutsi et les Hutu acceptent l’accord en disant qu’ils vont partager le pouvoir, d’une façon d’ailleurs assez favorable aux Tutsi. Et après quoi la France…, la France s’en va et elle…, le relais est passé à une force des Nations unies qui s’appelle la MINUAR…, la MINUAR. Après quoi, eh bien…, c’est les…, c’est le…, c’est les Rwandais, quoi. Et les Rwandais, il discutent entre eux, ils ne mettent pas en œuvre vraiment l’accord. Et en avril suivant, l’avion du Président du Burundi et du Rwanda est abattu…

[01 h 15’ 10’’]

Sky : Par qui ?

[01 h 15’ 11’’]

Hubert Védrine : On ne sait pas encore… On ne sait toujours pas. Il y a toujours les deux thèses…

[01 h 15’ 13’’]

Sky : Et j’ai lu…, j’ai lu un…

[01 h 15’ 14’’]

Hubert Védrine : Il y a toujours les deux thèses, extrémistes tutsi ou hutu. Et ça déclenche le génocide.

[01 h 15’ 18’’]

Sky : J’ai lu un rapport balistique…, hier soir, sur comment on tire un missile, SAM-16. A quoi ça ressemble, les numéros de série, les stocks, à quoi ça ressemble un missile SAM-16 qui a été tiré, un missile SAM-16 qui n’a pas été tiré, une coiffe de missile, une trajectoire, une frappe double, de nuit, une acquisition thermique…

[01 h 15’ 47’’]

Hubert Védrine : Oui et alors ?

[01 h 15’ 48’’]

Sky : Vous l’avez lu…, vous l’avez lu ce rapport balistique ?

[01 h 15’ 49’’]

Hubert Védrine : Non, moi je ne m’en suis jamais spécialement occupé. Je m’en suis occupé ces dernières années parce que la polémique a…, est relancée tous les ans par les mêmes. Donc j’ai regardé mais…

[01 h 15’ 57’’]

Sky : C’est qui « les mêmes » ?

[01 h 15’ 58’’]

Hubert Védrine : Comment ?

[01 h 15’ 58’’]

Sky : C’est qui « les mêmes » ?

[01 h 15’ 59’’]

Hubert Védrine : Bah, c’est une série de…, soit de médias, soit de chercheurs, soit de personnalités qui ont pris parti pour la thèse, l’autre thèse. Alors j’ai résumé la thèse, disons favorable, à Mitterrand, Juppé, Balladur. Y compris moi, même si je ne me suis jamais occupé de la politique africaine là-dessus, mais je l’ai défendue quand même. Je l’ai toujours défendue, j’essaie de l’expliquer le mieux possible. Alors l’autre thèse, c’est la thèse qui a été lancée par le gouvernement de Kigali, mais pas au début, en fait, plusieurs années après, quand… Le génocide, c’est 94. Et plusieurs années après, le juge Bruguière arrive à la conclusion, dans l’affaire de l’avion, que c’est sans doute organisé par le FPR de Paul Kagame. Et il lance des mandats d’arrêt. Et…, d’ailleurs, ce qui va dans ce sens, c’est que des proches de Kagame – qui avaient pris le pouvoir avec lui, qui l’ont quitté après, des gens importants qui étaient ministres ou…, etc. – se sont réfugiés en Afrique du Sud et ont déclaré que c’étaient eux qui avaient fait l’attentat. Moi je n’en sais rien, je n’ai pas les éléments pour juger. Ils ont donné les détails de l’organisation, y compris des missiles qui venaient de l’armée de l’Ouganda, etc.

[01 h 17’ 06’’]

Sky : Qui a donné les détails des missiles ?

[01 h 17’ 08’’]

Hubert Védrine : Je n’ai pas… Ecoutez, je n’ai pas…, je ne suis pas venu avec 30 kilos de trucs. Je vous dis simplement que… Vous me dites : « L’autre thèse », hein ? Et donc les anciens de Kagame qui en Afrique du Sud avaient dit ça, l’un d’entre eux a été assassiné et les autorités sud-africaines ont confirmé qu’il avait été assassiné par les Rwandais, par rapport à ça. Mais moi je n’ai pas d’avis et quelque part, ce n’est pas mon problème. Parce que si l’avion a été abattu par des extrémistes tutsi ou par des extrémistes hutu, c’est la même raison : c’est qu’ils voulaient mettre fin à la politique de compromis de la France, dans les deux cas. Donc, du point de vue français, ça me paraît…

[01 h 17’ 46’’]

Sky : Attendez, attendez…

[01 h 17’ 47’’]

Hubert Védrine : Non mais vous m’avez posé une question précise, laissez-moi répondre. Ou alors on va passer huit heures sur le sujet, j’aime autant tenter de résumer. Alors l’autre thèse, qui a été lancée par le rapport fait par les autorités de Kigali, après les accusations de Bruguière, pour répondre à Bruguière, c’est un truc qui s’appelle le rapport Mucyo – mais qui ne remonte pas au génocide, hein, qui remonte à 2008 –, consistant à dire : « Tout est de la faute de la France ». Et depuis, notamment en France mais pas dans les autres pays… D’ailleurs, le…, l’ancien spécialiste de l’Afrique à Libé, Stephen Smith, dit qu’il y a une exception française à ce sujet. Parce qu’il n’y a qu’en France qu’on peut lire des accusations contre la France qui continuent. En tout cas, l’autre thèse, c’est : « C’est de la faute de la France ». Alors c’est repris périodiquement, notamment tous les ans. Et ça a été repris, pas entièrement mais en partie, par le rapport Duclert et cette commission d’historiens.

[01 h 18’ 38’’]

Sky : Qui dit que la France a une responsabilité…

[01 h 18’ 42’’]

Hubert Védrine : Non. Le rapport Duclert commence par dire qu’il n’y a pas de complicité.

[01 h 18’ 46’’]

Sky : Non, mais…

[01 h 18’ 47’’]

Hubert Védrine : Non. Soyons précis.

[01 h 18’ 48’’]

Sky : Pas de complicité, pas de complicité…

[01 h 18’ 49’’]

Hubert Védrine : Pendant des années, y compris Monsieur Duclert lui-même, ils disaient : « La France a été complice ». L’opération Turquoise, qui était liée après, quand la France était partie d’ailleurs… Elle est revenue avec l’accord de l’ONU, après. Mais elle était partie au moment des…, du génocide. Elle n’était plus là, depuis plusieurs mois. Donc Duclert, pas Duclert, excusez-moi, mais les attaquants disaient : « La France est complice, l’opération Turquoise a dissimulé des opérations de soutien, donc, aux Hutu », etc., etc.

[01 h 19’ 20’’]

Sky : A dissimulé ?

[01 h 19’ 21’’]

Hubert Védrine : Le rapport Duclert, partant d’une opinion négative – il suffit de voir les interviews du président de la commission, Monsieur Duclert, avant qu’il ait commencé les travaux –, ils ont dit : « Il n’y a pas de trace de complicité ». Il n’y a pas trace de complicité…

[01 h 19’ 36’’]

Sky : Dans le génocide.

[01 h 19’ 38’’]

Hubert Védrine : Il n’y a… Oui bien sûr ! C’était ça le suj…, c’était ça l’accusation d’avant. Ils sont…

[01 h 19’ 41’’]

Sky : Je peux vous poser une question ?

[01 h 19’ 42’’]

Hubert Védrine : Et laissez-moi finir ! Il n’y a pas de trace de complicité. Et il n’y a rien à dire sur Turquoise. Accessoirement, il n’y a rien à dire sur moi en tant que secrétaire général. Moi je m’en remettais à ce qui était fait, qui me paraissait bien : arrêter la guerre civile, imposer le compromis politique, etc. Depuis le rapport Duclert, donc fin mars, il y a une campagne qui est menée par beaucoup de… – pas beaucoup de gens, mais en fait c’est 10 à 12 personnes – consistant à dire : « La France n’est pas complice mais elle est responsable quand même ». Notamment le président Duclert d’ailleurs ! La France est responsable, voilà. Et donc il y a les deux thèses. Evidemment, moi je ne suis pas d’accord sur la deuxième thèse, vous voyez. Donc c’est une affaire qui va… Je pense que la normalisation avec le Rwanda, voulue par le Président Macron, est tout à fait compréhensible et qu’elle se développera. Mais je pense que la discussion historique, on va dire, se…, continuera parce qu’il y aura d’autres rapports après le rapport Duclert. Il y a d’ailleurs déjà… – puisque vous êtes un être numérique, vous devez voir les rapports qui circulent [sourire] –, il y a déjà 10 à 12 rapports qui décortiquent le rapport Duclert.

[01 h 20’ 46’’]

Sky : Hier j’avais des notes confidentiel-défense en main…

[01 h 20’ 50’’]

Hubert Védrine : Oui, il y en a des milliers, vous savez, tout le temps.

[01 h 20’ 52’’]

Sky : Oui…, on n’a peut-être pas eu les bons alors.

[01 h 20’ 55’’]

Hubert Védrine : Non, pourquoi ? A quel moment ?

[01 h 20’ 57’’]

Sky : J’ai eu des notes confidentiel-défense en main. J’ai eu des expertises balistiques…

[01 h 21’ 03’’]

Hubert Védrine : De quel moment ?

[01 h 21’ 05’’]

Sky : Sur le missile.

[01 h 21’ 07’’]

Hubert Védrine : Ah, mais je vous ai dit, moi, je n’ai pas d’avis sur l’avion !

[01 h 21’ 10’’]

Sky : J’ai des questions à vous poser. D’accord. Où sont les boîtes noires ?

[01 h 21’ 13’’]

Hubert Védrine : Et dans les deux cas, c’est honorable pour la France.

[01 h 21’ 15’’]

Sky : Où sont les boîtes noires ?

[01 h 21’ 17’’]

Hubert Védrine : Dans les deux cas, c’est honorable pour la France ! Là, il n’y a pas d’enjeu de la France dans l’affaire de l’avion !

[01 h 21’ 22’’]

Sky : D’accord. Où sont les boîtes noires ?

[01 h 21’ 23’’]

Hubert Védrine : Je n’en sais rien moi !

[01 h 21’ 24’’]

Sky : Qui aurait pu récupérer les boîtes noires ?

[01 h 21’ 26’’]

Hubert Védrine : Mais je n’en sais rien !

[01 h 21’ 27’’]

Sky : J’ai vu un télégramme diplomatique, annoté par votre main, concernant l’arrêt des génocidaires en zone tampon humanitaire…

[01 h 21’ 37’’]

Hubert Védrine : Non, ça n’a rien à voir ça ! Ça n’a rien à voir !

[01 h 21’ 40’’]

Sky : Où je vois des militaires…, je vois des militaires demander à Paris…

[01 h 21’ 44’’]

Hubert Védrine : Mais…, c’est dommage que… Je vais vous répondre sur…

[01 h 21’ 46’’]

Sky : Laissez-moi terminer.

[01 h 21’ 47’’]

Hubert Védrine : Allez-y, allez-y.

[01 h 21’ 48’’]

Sky : Où je vois des militaires demander à Paris : « On les attrape ? ». Et c’est annoté, en marge : « Ce n’est pas ce qui a été dit dans le bureau du ministre…, du Premier ministre ».

[01 h 22’ 01’’]

Hubert Védrine : Alors je vais vous répondre sur ce point. Mais ça n’a rien à voir avec les missiles, ça !

[01 h 22’ 05’’]

Sky : Non, non ! Mais c’est la conséquence !

[01 h 22’ 06’’]

Hubert Védrine : D’accord. Non, ce n’est pas la conséquence. L’affaire des missiles, encore une fois, je n’ai pas…, je n’en sais rien. Je ne sais pas qui a abattu l’avion ! Je ne sais pas. Et faites attention quand vous regardez des notes – que certains extraient de milliers de notes –, il ne faut pas regarder des notes qui circulent, qui défendent toutes les positions. Il faut regarder la décision prise, après. C’est vrai de toutes les notes diplomatiques ou autres. Alors, donc, sur l’avion, je n’en sais rien. On saura peut-être un jour. Je rappelais donc qu’il y a des proches de Kagame qui ont expliqué avec détail pourquoi c’étaient eux. Ce n’est peut-être pas eux. Mais dans les deux cas, extrémistes tutsi ou hutu, ils voulaient…, disons, casser la politique de compromis, dont nous nous étions réjouis de voir triompher à Arusha. Puisque c’était le but de l’intervention. L’intervention de 90 ne conduit pas au génocide. Elle conduit aux accords d’Arusha, en 93. Alors après, quand les massacres et le génocide commencent, à Paris Mitterrand, Balladur, Léotard, Juppé discutent. Qu’est-ce qu’il faut faire ? On est parti.

[01 h 23’ 06’’]

Sky : Tout seuls ? Ou il y a des conseillers militaires, ou il y a des gens des services de renseignement qui discutent avec eux ?

[01 h 23’ 12’’]

Hubert Védrine : Non mais, comment dire…

[01 h 23’ 13’’]

Sky : Comment ça se passe ce type de discussions ?

[01 h 23’ 14’’]

Hubert Védrine : Eh bien, les dirigeants, ils ont les travaux, les notes de tout le monde, de tous les spécialistes. Mais il faut bien des décideurs quand même ! Alors donc, ils décident. Et la question est de savoir…, puisqu’on est parti, en fait. Il y a juste une opération très rapide pour évacuer des gens – comme il y a dans tous les drames, hein, les putschs –, une opération Amaryllis, quelques jours. Ils ont sauvé, je crois, 1 500 personnes, moitié Rwandais – Tutsi et Hutu – et moitié étrangers. Mais après, la vraie question qui se pose à Paris, à l’époque, c’est : « Est-ce qu’il faut revenir ? ». Alors l’armée n’est pas favorable. C’est très compliqué, c’est très long. L’armée qu’on présente comme amie des Hutu, c’est complètement débile. Ils ne sont pas du tout favorables. Juppé est très favorable puisqu’il dit : « C’est un génocide, ça devient un génocide. C’est atroce, il faut revenir ». Mitterrand est plutôt de ce côté-là.

[01 h 24’ 01’’]

Sky : La DGSE alertait, alertait, alertait…

[01 h 24’ 04’’]

Hubert Védrine : La DGSE n’a pas de bureau au Rwanda.

[01 h 24’ 07’’]

Sky : On n’est pas obligé d’avoir un bureau…, on n’est pas obligé d’avoir des bureaux pour faire remonter de l’information !

[01 h 24’ 10’’]

Hubert Védrine : Naturellement. Mais d’ailleurs elle remontait très bien. Et si la France n’avait pas été consciente de cette question, elle ne se serait pas posé la question de revenir ! Pourquoi elle reviendrait si elle n’était pas consciente ? Il n’y a pas besoin de notes de la DGSE… Je vous rappelle que le patron de la DGSE…, il faut compléter votre information parce que devant la commission Quilès, le patron de la DGSE a expliqué qu’il n’y avait pas de bureau au Rwanda.

[01 h 24’ 33’’]

Sky : Oui mais…

[01 h 24’ 34’’]

Hubert Védrine : Vous avez parlé de la DGSE, donc je vous réponds. Ils n’avaient pas de bureau au Rwanda. Ils travaillaient sur la base d’informations venues de l’Ouganda ou de Belgique. Il n’y avait pas de bureau. Cela ne veut pas dire que ça soit faux. Mais il n’y a pas besoin de ça pour savoir que ça tourne à l’horreur ! Et comme ça tourne à l’horreur, donc, il y a une discussion à Paris. Et Mitterrand et Balladur, disons, se mettent d’accord entre eux en disant : « C’est tellement atroce qu’il faut revenir. Mais on va revenir avec un mandat des Nations unies. Pour que ce soit incontestable ». Donc on demande à New York un mandat des Nations unies. Et malheureusement, le mandat des Nations unies ne sera obtenu que le 22 juin, si je ne me trompe pas, parce que les Américains ne veulent pas faire une opération, ils ne veulent pas qu’on parle de génocide d’abord.

[01 h 25’ 20’’]

Sky : Les agents dans la base de Konabe.

[01 h 25’ 22’’]

Hubert Védrine : Le… ?

[01 h 25’ 22’’]

Sky : Konabe.

[01 h 25’ 23’’]

Hubert Védrine : Quoi… ?

[01 h 25’ 24’’]

Sky : Des agents de la DGSE, stationnés sur cette base-là.

[01 h 25’ 27’’]

Hubert Védrine : Oui, oui. Mais regardez ce que dit Silberzahn à ce sujet. Alors, donc, les Américains…

[01 h 25’ 31’’]

Sky : Qu’est-ce qu’il dit ?

[01 h 25’ 32’’]

Hubert Védrine : Ne veulent pas revenir en Afrique parce que le mot « génocide » entraîne des obligations. Ils ont eu des Marines assassinés en Somalie, si je ne me trompe pas. Et donc, il y a un mandat pour faire une opération Turquoise. Mais l’opération Turquoise n’est obtenue, du Conseil de sécurité, qu’à condition… – je suis en train de répondre à la question que vous m’avez posée sur l’annotation, hein.

[01 h 25’ 54’’]

Sky : Ouais, bien sûr.

[01 h 25’ 54’’]

Hubert Védrine : L’opération Turquoise est une opération humanitaire, sans interposition. Donc il ne faut absolument pas être au contact du FPR, ni des Hutu, de rien. Donc il faut des zones neutres entre les deux. Il n’y a évidemment pas d’arrestations. Dans aucune opération de rétablissement de maintien de la paix de l’ONU il n’y a des arrestations. Et…

[01 h 26’ 16’’]

Sky : Tous les Etats membres de l’ONU sont liés par la Convention de 1948 sur le génocide, qui oblige tout le monde à prévenir et à réprimer le crime de génocide.

[01 h 26’ 25’’]

Hubert Védrine : Mais vous m’interrogez en tant que quoi, là ?! Vous me laissez expliquer ou alors vous défendez une thèse ?

[01 h 26’ 32’’]

Sky : Je ne défends pas de thèse !

[01 h 26’ 32’’]

Hubert Védrine : Si, vous défendez une thèse là.

[01 h 26’ 34’’]

Sky : Quelle est ma thèse ?

[01 h 26’ 35’’]

Hubert Védrine : Eh bien, la thèse où…, vous extrayez d’un océan de documents deux, trois choses qui essaient de contredire ce que j’essaie de vous dire.

[01 h 26’ 44’’]

Sky : Je me fais l’avocat du diable !

[01 h 26’ 45’’]

Hubert Védrine : Ah d’accord. Mais au moins c’est beaucoup plus net comme ça. L’avocat du diable… Alors donc, je vous réponds sur la question des militaires. Donc l’opération Turquoise a lieu. Ils se mettent au Congo, parce qu’il ne faut pas…, en République démocratique du Congo. Et comme arrivent des hordes de gens – ils ont sauvé quand même, on pense, 20 à 30 000 personnes –, et dans l’ensemble il y a sans doute des génocidaires. Ce n’est pas évident à déterminer. Je vous signale que devant le Tribunal d’Arusha – le vrai Tribunal, mis en place après –, dans beaucoup de cas, ils n’arriveront pas à déterminer l’intention génocidaire. Même le Tribunal, international, mis en place après ! Alors des militaires qui sont confrontés à des mouvements de population, qu’est-ce qu’ils font ? Naturellement, ils disent : « Qu’est-ce qu’on fait ? ». D’où la réunion à Matignon. Qu’est-ce qu’on fait ? Il y a peut-être des gars génocidaires dans le paquet, c’est tout à fait possible.

[01 h 27’ 39’’]

Sky : On les choppe, on les choppe.

[01 h 27’ 41’’]

Hubert Védrine : Non, ils demandent… C’est une opération des Nations unies ! Il y a un mandat précis. Ils demandent ce qu’ils peuvent faire. Et la réunion à Matignon, à laquelle je vais, moi, pour tenir informé le Président – ce n’est pas une réunion à l’Elysée, hein, c’est une réunion à Matignon, donc autour du Premier ministre, avec Alain Juppé, Léotard, etc., etc. –, ils disent : « Eh bien, nous, on ne peut que demander à New York, à l’opération du maintien de la paix, si on peut changer le mandat. Qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Ils demandent mais il n’y a pas de réponse de New York ou la réponse, c’est qu’on ne peut pas changer de mandat. Donc il n’y a aucune initiative française par rapport à ça, la France est tenue. J’en viens à la note : comme il y a une dépêche le jour même – j’ai redécouvert ça des années après parce que je n’avais aucun souvenir de ça –, une dépêche qui annonce qu’on va arrêter…, parce que certains voudraient qu’on arrête les génocidaires. Si on pouvait être sûr que c’est eux, en plus. Il n’y a pas marqué « génocidaires », ce n’est pas évident.

[01 h 28’ 36’’]

Sky : Non, mais on les [inaudible]…

[01 h 28’ 38’’]

Hubert Védrine : Il y a une dépêche…, il y a une dépêche qui annonce l’arrestation. Et moi je me borne à annoter pour le Président que ce n’est pas la décision prise à Matignon, puisque la décision c’est de demander à New York. Donc il n’y a pas de décision prise d’arrestation, point. Il n’y a aucune initiative de l’Elysée, ni du Président, ni des conseillers, ni même du gouvernement. Et Alain Juppé demande à son conseiller Bernard Emié, après, de donner cette réponse. Et on attend la réponse de New York. La réponse de New York, c’est que le Conseil de sécurité ne veut pas bouger. Et d’ailleurs, vous remarquerez que si vous étudiez les autres opérations de l’ONU dans les domaines de…, un peu sensibles, il n’y a jamais d’arrestations. Il peut, peut-être, y avoir la création d’un Tribunal. Et d’ailleurs la France va évidemment voter pour la création du Tribunal d’Arusha, hein, après !

[01 h 29’ 25’’]

Sky : Alors le Gouvernement intermédiaire [sic] : 13 membres sont identifiés et localisés à Cyangugu. Pas de doute sur leur rôle. L’ambassadeur Yannick Gérard demande d’arrêter ces membres du gouvernement génocidaire.

[01 h 29’ 40’’]

Hubert Védrine : Et donc c’est le résultat d’une…, c’est pourquoi il y a une réunion à Matignon. Mais j’ai déjà répondu.

[01 h 29’ 48’’]

Sky : Est-ce que vous comprenez…, quand moi je lis ça, ça donne l’impression qu’on a protégé la fuite des génocidaires.

[01 h 29’ 56’’]

Hubert Védrine : Pourquoi vous pensez ça ?

[01 h 29’ 57’’]

Sky : Parce qu’on aurait pu les chopper ! Même si on n’avait pas le mandat ! Vous voyez quelqu’un dans la rue se faire tabasser dans la rue : vous faites quoi ? Vous appelez la police, vous attendez qu’on vous donne mandat de le choper ? Vous faites quoi ? On est une armée, d’accord. On identifie les gars qui ont trucidé des Tutsi, qui ont planifié un génocide. Ce génocide…

[01 h 30’ 19’’]

Hubert Védrine : Mais, d’après ce que je sais…

[01 h 30’ 21’’]

Sky : Laissez-moi terminer, laissez-moi terminer…

[01 h 30’ 22’’]

Hubert Védrine : D’après ce que j’ai en tête, les militaires n’étaient pas devant les actes de génocide.

[01 h 30’ 26’’]

Sky : Mais ils les ont vus !

[01 h 30’ 28’’]

Hubert Védrine : Non. Non, non. Ce n’est pas ça.

[01 h 30’ 29’’]

Sky : Ils ont vu les cadavres partout, les mecs qui coupaient à la machette…

[01 h 30’ 31’’]

Hubert Védrine : Je suis désolé mais il y a, dans le livre, pour lequel vous m’avez invité, il y a 250 entrées, hein. Je vois que vous êtes en relation avec des gens qui vous ont préparé les questions…

[01 h 30’ 41’’]

Sky : Non ! Je suis en train…

[01 h 30’ 41’’]

Hubert Védrine : Je les connais.

[01 h 30’ 42’’]

Sky : Je suis en train de lire les notes…

[01 h 30’ 43’’]

Hubert Védrine : Je connais les questions, je connais les réponses. Et si vous voulez bien, après l’émission, je vous enverrai une liste de 20 à 25 articles ou livres français, camerounais, congolais, belges, américains, canadiens, etc., qui disent exactement le contraire ! Dont aucun ne s’en prend à la France !

[01 h 31’ 04’’]

Sky : Alors mais pourquoi, en France…

[01 h 31’ 06’’]

Hubert Védrine : Alors pourquoi le rapport Duclert, qui est un rapport hostile, pourquoi le rapport Duclert a conclu qu’il n’y avait rien à dire sur Turquoise ? Le rapport Duclert, qui est parti d’un a priori hostile ? Dont les conclusions, d’ailleurs, sont tout à fait différentes des chapitres d’analyse, des pièces. Donc j’appelle simplement et je le dis aux gens qui nous écoutent, y compris aux gens qui sont, eh bien, disons, bouleversés par la question, je comprends, c’est un génocide : il y a quand même 20 à 25 articles ou livres dans le monde – le seul pays où on n’accède pas, c’est en France – qui racontent l’histoire du génocide, qui n’est pas contestée, autrement…, autrement. Donc la focalisation sur une responsabilité française, moi je la conteste. Voilà.

[01 h 31’ 46’’]

Sky : Alors, quelle est…

[01 h 31’ 47’’]

Hubert Védrine : Elle est contestée d’abord à cause d’Arusha et puis après je la conteste en pensant que c’est le seul pays qui a tenté d’atténuer les horreurs, voilà.

[01 h 31’ 54’’]

Sky : Alors pourquoi en France, il se passe ça ? Pourquoi par exemple, ce matin, je lis le testament de Rocard sur le Rwanda dans Libération ? Avec…, il dit : « On a identifié les gens, c’est un massacre, j’ai été sur place, j’ai discuté avec au moins 50 personnes, je vous fais…, je vous transmets mes questions ». Il y a un problème ? Pourquoi…

[01 h 32’ 20’’]

Hubert Védrine : Redonnez les dates. Mais ça aurait été mieux de dire aux gens que vous vouliez faire une émission sur ce sujet.

[01 h 32’ 25’’]

Sky : On ne fait pas que ça sur ce sujet.

[01 h 32’ 26’’]

Hubert Védrine : Non, on est en train de la faire sur ce sujet. Parce que je serais venu…, je vous aurais envoyé avant, d’ailleurs, la…, les articles et livres qui sont très intéressants, les autres choses. C’est que vous êtes toujours avec les mêmes sources, là, toujours. Si. C’est toujours les mêmes sources, c’est les mêmes arguments, qu’on connaît bien depuis le rapport Mucyo. C’est les mêmes, ça tourne depuis le début. Alors, c’est… Il faut retrouver les dates, si vous voulez. Parce que moi j’ai rappelé tout à l’heure que l’engagement de la France de 90 conduit aux accords d’Arusha en 93. Sinon il y aurait eu des massacres avant, hein. Et on est…, tout le monde était très content en 93 parce qu’on pensait qu’on avait…, qu’on avait réglé la chose par un compromis. Et s’il n’y avait pas eu des accusations sans arrêt…, sans arrêt répétées – y compris les vôtres – on pourrait traiter…

[01 h 33’ 13’’]

Sky : Je n’accuse pas, je vous pose des questions !

[01 h 33’ 15’’]

Hubert Védrine : On pourrait traiter la vraie question, c’est de savoir s’il fallait… Est-ce qu’il fallait intervenir en 90 ? Est-ce qu’il ne fallait pas, malheureusement, laisser la guerre civile se dérouler sans qu’on n’y puisse rien ? Et il y a une autre question, assez compliquée, c’est : est-ce qu’il ne fallait pas essayer, après Arusha, de mettre en place une force internationale pour…, disons, pour la mise en place des accords, quoi. Bon, mais ça n’a pas été le cas, le FPR ne voulait pas que la France reste. On est parti, il y a une force des Nations unies qui s’est décomposée en avril…, avril 94, notamment parce que les Belges ont retiré tout leur contingent. Donc, moi, je trouve que les accusations après, par rapport au seul pays…, au seul pays qui ait dit : « On est disposé, nous, à faire une opération humanit… ». Il y avait des contingents africains pour être honnête, hein : il y avait des Sénégalais et d’autres. L’opération Turquoise, où même le rapport Duclert hostile n’a rien trouvé à redire ! Donc, en fait, vous revenez sur le rapport Duclert, là. Vous ne le trouvez pas assez dur si je comprends bien [sourire].

[01 h 34’ 12’’]

Sky : On a lu le… Qu’est-ce que vous pensez quand Mediapart vous étrille ?

[01 h 34’ 22’’]

Hubert Védrine : Eh bien, je ne sais pas. Je n’écoute pas, je ne regarde pas spécialement Mediapart moi. Mais je ne veux pas m’enfermer dans le sujet puisqu’on va lasser les gens et moi je ne suis pas d’accord avec cette thèse.

[01 h 34’ 32’’]

Sky : Mais…, je vous donne l’opportunité d’y répondre.

[01 h 34’ 34’’]

Hubert Védrine : Non, je ne suis pas venu pour ça et on a déjà beaucoup parlé. Et malheureusement, comme je n’ai pas pensé que vous développeriez ça à ce point, je ne suis pas venu avec la liste des…, mais il y a des…

[01 h 34’ 46’’]

Sky : Quels bouquins il faut lire ? Quels bouquins il faut lire sur le Rwanda pour comprendre la situation ?

[01 h 34’ 50’’]

Hubert Védrine : Alors comprendre, je ne sais pas, c’est très compliqué. Mais d’abord il y a un Que sais-je ?…, il y a un Que sais-je ? sur le génocide des Tutsi, rédigé par un grand professeur belge, qui s’appelle Monsieur Reyntjens, et qui a été expert au Tribunal d’Arusha. Mais évidemment les gens dont nous parlons ne l’aiment pas parce qu’il n’attaque pas la France.

[01 h 35’ 09’’]

Sky : Qui sont ces gens-là ?

[01 h 35’ 11’’]

Hubert Védrine : Eh bien, il y a des gens…, il y a des ONG, par exemple l’organisation Survie, qui attaque la France, mais depuis avant l’affaire du Rwanda. Ils ont toujours attaqué la… C’est eux qui ont d’ailleurs organisé le voyage de Rocard. Ils ont toujours attaqué la France sur la politique française en Afrique en général. Après, il y a…

[01 h 35’ 28’’]

Sky : C’est quoi cette ONG ?

[01 h 35’ 29’’]

Hubert Védrine : C’est une ONG très ancienne – créée par quelqu’un qui est décédé maintenant mais dont le nom va me revenir – qui a toujours condamné, en gros, la politique française en Afrique. Pas uniquement les interventions, disons, la…, l’exploitation de l’Afrique, le colonialisme, etc. C’est Verschave, je crois. Je crois que c’était le fondateur, hein. Mais c’est très ancien, c’est même avant Mitterrand et c’est avant le Rwanda. Et donc, il y a…, il y a un Que sais-je ? que moi je trouve honnête. Il y a des enquêtes d’une Canadienne qui s’appelle Judi Rever, qui est une ancienne de RFI, qui a eu des prix au Canada et aux Pays-Bas…

[01 h 36’ 05’’]

Sky : Ah, ben alors… C’est la dame qui dit qu’il y avait des Tutsi qui s’étaient infiltrés dans les checkpoints des Hutu et ainsi de suite, c’est ça ?

[01 h 36’ 11’’]

Hubert Védrine : Elle n’est pas la seule à dire ça….

[01 h 36’ 13’’]

Sky : Qui sont ?

[01 h 36’ 14’’]

Hubert Védrine : Elle a donné beaucoup d’interviews en Afrique du Sud parce que les Sud-Africains ne croient pas…

[01 h 36’ 18’’]

Sky : Ça ne tient pas la route, ça !

[01 h 36’ 19’’]

Hubert Védrine : Les Sud-Africains ne croient pas du tout la thèse de Kigali, en général. Les Congolais encore moins mais pour d’autres raisons. Les Africains ne sont pas unanimes…, par rapport à ça. Et Judi Rever a décrit deux choses : d’abord, les…, certains massacres des troupes du FPR quand ils attaquent en 90, 91. Et puis d’autre part, ce qui s’est passé au Congo après. Vous voyez, après en…, après 94. En 96, quatre-vingt…, elle a écrit ce qu’on…, ce qu’a décrit le rapport des Nations unies là-dessus. Elle a eu accès aux sources des Nations unies dit…, sur le rapport dit « Mapping » – qui n’est pas une personne, c’est une procédure le rapport Mapping –, qui a décrit les massacres dans le Kivu. Après, vous avez des auteurs africains, comme le franco-camerounais Onana, qui a travaillé sur l’opération Turquoise. Vous avez un grand spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs qui s’appelle Monsieur Guichaoua. Enfin, il y en a un certain nombre. Et puis après, il y a beaucoup d’articles de différents pays. Mais si vous vouliez vraiment comparer les deux thèses, vous voyez, vous avez les thèses avec les messages que vous êtes en train de lire, qui sont dans un sens, et vous avez pas mal d’autres livres qui méritent d’être lus. Alors, évidemment, les autres livres en général…

[01 h 37’ 27’’]

Sky : Je lis…, je lis les messages de la communauté.

[01 h 37’ 29’’]

Hubert Védrine : Oui d’accord, mais je les reconnais [sourire]. Et donc vous avez les autres thèses, qui malheureusement sont très peu lues en France parce qu’il y a une campagne organisée pour dire que ce sont des livres négationnistes.

[01 h 37’ 41’’]

Sky : Qui organise cette campagne selon vous ?

[01 h 37’ 43’’]

Hubert Védrine : Bah, il y a eu pendant longtemps à Kigali un bureau spécialisé dans le suivi des opinions étrangères, notamment belges, notamment françaises, américaines, etc. Et alors il y a une tension en ce moment parce que la presse anglo-saxonne – qui a été très, très, très favorable à Kagame depuis le début – a quand même pas mal changé depuis quelques temps. Et par exemple The Economist aujourd’hui, qui est une référence, dit que c’est une dictature. Une dictature. Et ce qui est dit sur les résultats économiques du Rwanda, c’est largement trafiqué. Bon. Et il y a eu pas mal de… Je vais signaler que Madame Judi Rever, qui est très attaquée, précisément parce que ce qu’elle dit est quand même très embêtant, elle a fait des grands articles en Afrique du Sud. Les Sud-Africains sont assez d’accord avec elle. Au Congo, il y a un autre débat qui concerne les Congolais – dont moi je ne me suis jamais mêlé, les Français non plus d’ailleurs. Les Congolais pensent qu’il y a eu quand même des massacres énormes au Kivu. Et le rapport Mapping dit : « On peut se poser la question d’un génocide au Congo ». Mais c’est…, ce n’est pas mon point de vue, je n’ai pas d’expertise là-dessus…

[01 h 38’ 46’’]

Sky : Vous parlez de quoi, du Kivu, là ?

[01 h 38’ 47’’]

Hubert Védrine : Je parle de l’Est du Congo, oui du Kivu. Et c’est ce que…, et le prix Nobel de la paix, le docteur Mukwege – qui est cet homme extraordinaire qui opère, qui répare les femmes violées, violentées, blessées, etc. –, lui, il demande un Tribunal pénal international pour le Congo. Pour le Congo, pas pour le génocide rwandais, qui n’est pas contesté, vous voyez. Et d’ailleurs, le Président Kagame, qui était de passage à Paris il y a quelques jours, a attaqué le prix Nobel de la paix dans son interview au Monde. Donc il y a une dimension grosse bagarre entre Africains. Là, ce dont je viens de parler ce n’est pas une question…, pardon, franco-rwandaise, vous voyez. C’est un débat entre Africains. Et moi, je n’ai pas d’éléments d’appréciation. Je me borne à intervenir dans le débat en essayant de rappeler quelles ont été les intentions de la France de 90 à 93.

[01 h 39’ 36’’]

Sky : Question internet : le rôle du ministre des Affaires étrangères est-il vraiment de vendre des armes aux autres pays ?

[01 h 39’ 44’’]

Hubert Védrine : Ah [sourire]…

[01 h 39’ 44’’]

Sky : Est-ce qu’on a vendu des armes pendant le génocide ?

[01 h 39’ 47’’]

Hubert Védrine : Non ! Mais non, même le rapport Duclert dit que non ! Eh bien, je suis étonné par vos questions puisque [sourire]…, dans vos questions, il y a des questions qui reviennent sur le rapport Duclert, qui est très sévère, même si la conclusion n’a rien à voir avec les chapitres d’analyse. Dans le rapport Duclert, pour ceux…, je ne pense pas que les gens l’aient lu. Il fait, je crois, 1 000 pages, hein. Alors donc, c’est la commission d’historiens mise en place par le Président Macron, qui a ouvert toutes les archives et qui ont tout regardé. Alors il y a six chapitres que je trouve, moi, assez objectifs, de présentation des archives. Il y a un chapitre d’interprétation que je trouve, moi, totalement biaisé, partisan, etc., bon. Mais enfin, d’autres gens…

[01 h 40’ 24’’]

Sky : Mais pourquoi ?

[01 h 40’ 25’’]

Hubert Védrine : Eh bien, sur chacun des points…, sur chacun des points, ils ne tiennent pas compte, par exemple, du fait que l’engagement de la France a abouti aux accords d’Arusha, le compromis, très favorable. A Arusha, en août 93 – il n’y a pas que nous, il y a tous les autres, on est un élément, nous, d’Arusha –, on donne aux Tutsi 40 % de l’armée, 40 % de l’armée future, alors qu’ils représentent 12 à 13 % de la population. Donc ce n’est pas un accord pour les Hutu pour écraser de leur masse majoritaire les Tutsi, vous voyez. Donc le rapport Duclert est rempli de…, rempli de trucs comme ça. Bon. Et après, il y a la conclusion qui est encore différente. Mais il y a deux personnes de la commission qui se sont retirées avant, parce qu’ils n’ont pas obtenu que les conclusions soient débattues collectivement. Après, il y a les interviews du président Duclert, en plus du rapport, qui vont plus loin et qui demandent des excuses. Mais on ne sait pas très bien de quoi il faut s’excuser. Parce que…, est-ce que la France doit s’excuser d’être intervenue en 90 ? On pourrait en discuter, hein, de ce point. Mais c’était pour bloquer la guerre civile et imposer le compromis, bon. Est-ce qu’il faut s’excuser d’avoir fait Turquoise ? Mais même le rapport Duclert n’a rien trouvé à critiquer à Turquoise ! C’est une opération des Nations unies. Alors très enfermée, humanitaire, mais pas d’interposition ni arrestation. Bon, je ne vois pas très bien. Donc le travail va continuer sur l’aspect historique. Je reviens à ce que j’ai dit au début parce que vous m’avez titillé, c’est votre jeu, c’est normal.

[01 h 41’ 58’’]

Sky : Et encore, ça n’était que l’apéritif [sourire] !

[01 h 42’ 00’’]

Hubert Védrine : Bon. Et donc j’ai répondu, je pense que le travail historique va continuer et que, d’une façon ou d’une autre, les autres pays protagonistes vont être obligés de suivre l’exemple de la France, on va dire, qui a beaucoup, beaucoup ouvert.

[01 h 42’ 11’’]

Sky : Alors…, est-ce que…, est-ce qu’on a vendu des armes pendant le génocide et est-ce qu’on a vendu des armes aux génocidaires ?

[01 h 42’ 19’’]

Hubert Védrine : Mais bien sûr que non ! Le rapport Duclert dit que non !

[01 h 42’ 21’’]

Sky : D’accord. Est-ce qu’on a fermé…

[01 h 42’ 23’’]

Hubert Védrine : Il y a une…, il y a une coopération militaire avant, jusqu’aux accords d’Arusha.

[01 h 42’ 28’’]

Sky : Est-ce qu’on a fermé les yeux quand on avait la capacité d’attraper des génocidaires ?

[01 h 42’ 34’’]

Hubert Védrine : J’ai déjà répondu que les militaires ont demandé, ce qui est très bien de leur part, que le gouvernement a vu qu’il était tenu par le mandat, ils ont demandé à New York. Honnêtement, je ne sais pas ce qu’ils auraient fait si le…, à New York, le Département du maintien de la paix, dirigé à l’époque par Monsieur Kofi Annan, avait dit : « Il faut essayer d’attraper les génocidaires ». Ce n’était pas évident. Même le Tribunal d’Arusha – qui a fait un travail magnifique, les années après, et que la France avait aidé à constituer – a eu le plus grand mal, comme vous le savez.

[01 h 43’ 09’’]

Sky : On a Rocard qui, dans son testament sur le Rwanda, dit : « Quel a été le rôle exact des conseillers militaires français lors de l’opération Noroît ? ». Alors, c’est quoi l’opération Noroît ?

[01 h 43’ 21’’]

Hubert Védrine : Noroît c’est avant Arusha, ça.

[01 h 43’ 23’’]

Sky : C’est quoi l’opération Noroît ?

[01 h 43’ 24’’]

Hubert Védrine : Ah, bien, c’est ce que j’ai rappelé en disant qu’en…, 90, donc Mitterrand a décidé de bloquer la guerre civile par une intervention, c’est Noroît. Il y a d’ailleurs un livre qui est à mon avis beaucoup plus intéressant que la…, que ce que dit Rocard – avec qui, en gros, la…, disons, les positions de l’ONG de l’époque qui avait organisé sa visite –, c’est le livre du général Delort qui a commandé Noroît et qui explique ce qu’ils ont fait. Ce qu’ils ont fait, ce qu’ils n’ont pas fait. Et il n’y a pas eu d’affrontements directs, Noroît et des troupes du FPR, vous voyez. Donc leur rôle c’était d’être en soutien à l’armée rwandaise face à l’attaque du FPR et de l’Ouganda. Ça, c’est le volet militaire.

[01 h 44’ 06’’]

Sky : Est-ce que les…

[01 h 44’ 06’’]

Hubert Védrine : Mais, en général, on oublie le volet politico-diplomatique : c’est-à-dire puisqu’on est là et qu’on vous protège, vous devez partager le pouvoir. Et plus les pressions de la France étaient insistantes, et plus les Hutu les plus extrémistes ont refusé ça. Ils sont sortis du gouvernement, il y a eu plusieurs remaniements. Donc autour du Président Habyarimana, il y avait des gens qui se résignaient à la politique…, à la demande de la France : « Il faut partager le pouvoir ». Les autres disaient : « Non ! On ne veut pas partager le pouvoir ! Les Tutsi vont revenir, ils vont rétablir l’exploitation d’avant, ils vont vendre le…, ils vont reprendre le bétail, les terres, etc. Donc il faut les bloquer, voire les exterminer ». Et vous avez le début…, vous observez le début de la…, du délire génocidaire du côté hutu. Mais ce n’est pas le Président. C’est les…, le système hutu qui refuse le compromis : « Il n’y a pas de raison qu’on partage le pouvoir avec ces gens ! Ils sont 12 %, ils viennent de l’Ouganda ! Et nous, on est 85 % ». Et la France dit : « Non, désolé, la seule façon de…, d’éviter le pire c’est d’imposer un compromis ». Et on croyait, je le répète, avoir réussi à Arusha. Donc tout ce qui est conseillers, c’est avant. Au moment d’Arusha, Kagame donc, demande que la France parte. C’est là où, malheureusement, il aurait fallu un…, une énorme force africaine ou internationale pour imposer l’accord. Et il reste une trentaine de conseillers français après, c’est tout.

[01 h 45’ 28’’]

Sky : Est-ce que la France a fait des appuis feu pour protéger les Hutu ?

[01 h 45’ 33’’]

Hubert Védrine : Ça, je n’en sais rien. Mais pendant les…, pendant le génocide, la France n’est pas là ! Si c’est avant, même réponse. Mais j’aimerais qu’on [rire]… Vous vous rendez compte qu’il y a 249 entrées dans le Dictionnaire géopolitique sur d’autres sujets ! Il y a [inaudible], il y a Biden, il y a…, etc., etc. Donc, dans les conflits, la période 90-93, donc avant Arusha, la France est en soutien, c’est l’opération Noroît, dirigée par le général Delort. Voilà. Et ils ont face à eux le FPR. Et Madame Judi Rever, dans ses enquêtes, dit que le FPR a massacré des cadres hutu en avançant. Ça c’est ce qu’ont dit, d’ailleurs, les juges espagnols il y a une dizaine d’années. Parce qu’il y a des malheureux Espagnols qui étaient dans des ONG, à cet endroit, qui ont été tués dans les batailles FPR, etc. Donc il y a eu une longue procédure judiciaire en Espagne. Et la plus haute autorité espagnole avait analysé – mais jamais les médias français l’ont repris, ça – comment le FPR avait déstabilisé le Rwanda pour justifier son intervention. Parce qu’au début, il n’y a pas de risque de génocide au début. Ils n’interviennent pas pour arrêter le génocide, vous voyez. Il ne faut pas confondre 90, 93 et 94. Une grande partie est, quand même…

[01 h 46’ 47’’]

Sky : C’est après le 6 avril, c’est ça ? 94 ?

[01 h 46’ 49’’]

Hubert Védrine : Oui…, l’avion, c’est en 94.

[01 h 46’ 53’’]

Sky : Le 6 avril ?

[01 h 46’ 54’’]

Hubert Védrine : Le 6 avril, oui.

[01 h 46’ 55’’]

Sky : Dans les 24 heures, les 48 heures, juste après l’avion du Président abattu, tout a été très vite. Est-ce que ça révèle d’une planification de longue date de ce génocide des Tutsi par les Hutu ?

[01 h 47’ 11’’]

Hubert Védrine : Dans le livre du général Delort – moi, qui m’a appris plein de choses –, il dit qu’il y a une énorme confusion…, de part et d’autre. Mais ça apparaît quand même spontané, un peu partout. Ça se fait à coups de machette, pour l’essentiel. Donc le débat sur les armes est un petit peu hors sujet. Et je rappelle que le Tribunal d’Arusha, après, a eu beaucoup de mal à déterminer la préparation, l’organisation. Mais ce qu’il y a de…, ce qui est sûr – enfin, ce qui est sûr…, je ne devrais pas dire ça parce que je n’en sais rien en fait –, mais je pense qu’au fur et à mesure des avancées de Kagame, 90, 91, 92, il y a un état d’esprit très, très, très violent, donc jusqu’à un esprit génocidaire, qui se répand dans tout le système hutu. Sans même que ce soit organisé. La terreur de voir se rétablir le régime d’avant 62. Et donc, ça, c’est très diffus, il n’y a même pas besoin que ce soit organisé pour que ce soit un génocide en fait, vous voyez.

[01 h 48’ 15’’]

Sky : Non mais pour que ça aille aussi vite, c’est forcément qu’il y avait des gens qui ont pensé ça…

[01 h 48’ 20’’]

Hubert Védrine : Eh bien [inaudible] ça a duré deux mois, hein.

[01 h 48’ 21’’]

Sky : Aller chercher certains ministres, aller chercher certains leaders tout de suite, ça veut dire qu’il y avait des listes quand même !?

[01 h 48’ 30’’]

Hubert Védrine : Les…, pas le Président Habyarimana lui-même, hein, qui est mort dans l’attentat. D’ailleurs s’ils l’ont tué… – si on pense que c’est les Hutu –, s’ils l’ont tué, c’est parce qu’ils lui reprochaient d’accepter les pressions de la France, pour le compromis. Même chose dans l’autre sens.

[01 h 48’ 46’’]

Sky : Ce n’était pas une histoire qu’il y avait deux généraux qui allaient perdre leur titre de général. Donc ils n’allaient pas perdre leur rente ?

[01 h 48’ 50’’]

Hubert Védrine : Non, eh bien non. Non, non, attendez. On parle d’un génocide, c’est…

[01 h 48’ 54’’]

Sky : Oui, bien entendu.

[01 h 48’ 55’’]

Hubert Védrine : Donc ce n’est pas lié à l’histoire de généraux, tout ça. Non, je pense qu’il y a une grande partie des Hutu qui n’acceptaient pas les accords d’Arusha, qui ne voulaient rien lâcher. Et une partie du FPR qui voulait tout prendre, voilà.

[01 h 49’ 09’’]

Sky : Comment on a laissé…

[01 h 49’ 10’’]

Hubert Védrine : Non la vraie erreur, pour moi – donc vos questions se répètent mais… –, la vraie question pour moi, qui est lancinante, c’est que si Mitterrand n’avait pas eu souvenir des massacres atroces de 62 et s’il n’avait pas pris la décision en 90 de tenter de bloquer la guerre civile, s’il avait dit : « C’est épouvantable mais…, bon, on n’y peut rien, c’est loin, c’était une colonie belge, ce n’est pas nous », etc., etc., je pense qu’on lui aurait reproché, cruellement, la non-intervention. Alors évidemment on n’en parlerait peut-être pas aujourd’hui de la même forme. Mais il y aurait eu des massacres atroces, peut-être un génocide, en 90 ou 91. Ça c’est une question qui n’est jamais posée mais, même moi qui essaie d’être le plus…, le plus honnête et le plus convaincant sur l’héritage Mitterrand par rapport à ça, je considère que la question se pose. Est-ce qu’il fallait vraiment, en 90, essayer de…, d’enrayer le processus ? L’autre question compliquée, mais j’en ai parlé, c’est : est-ce qu’il ne fallait pas, après Arusha – même si Kagame exigeait qu’on parte, parce qu’il avait évidemment [sourire] d’autres projets pour la suite –, est-ce qu’il ne fallait pas essayer que les Africains, le Conseil de sécurité de l’ONU mettent en place un système, vous voyez. Mais ça, ce n’est pas une question franco-française. C’est une question globale, ça.

[01 h 50’ 22’’]

Sky : La question…, la question que je me pose, c’est : on est au vingtième siècle – c’était il n’y a pas si longtemps que ça –, en 100 jours, il y a un million de morts…

[01 h 50’ 34’’]

Hubert Védrine : Mais le Cambodge ? Ce n’est pas tellement vieux le génocide au Cambodge, hein. C’est au vingtième siècle aussi, c’est à la fin du vingtième siècle. Donc…, j’ai peur que les siècles ne changent rien, hein.

[01 h 50’ 47’’]

Sky : Donc, il n’y a pas si longtemps que ça, 100 jours, un million de morts, à la machette…

[01 h 50’ 53’’]

Hubert Védrine : Au Cambodge, on parle de deux millions de morts.

[01 h 50’ 55’’]

Sky : Attendez, attendez…

[01 h 50’ 56’’]

Hubert Védrine : On parle quasiment de 30 % de la population. Vous voyez, c’est très…, très [inaudible].

[01 h 50’ 59’’]

Sky : Horrible…, à la machette, planifié, quand les autorités radicalisées hutu balancent…

[01 h 51’ 08’’]

Hubert Védrine : Ce n’est pas le Président, ça, hein…, qui est mort dans l’attentat.

[01 h 51’ 11’’]

Sky : Balancent à la population : « Allez régler le…, leur compte aux Tutsi ». 100 jours. Et c’est des milliers et des milliers et des milliers de morts par jour. Quand l’armée française va dans les collines… Rappelez-moi, les collines de… ? J’ai un trou de mémoire…

[01 h 51’ 32’’]

Hubert Védrine : Non mais, la France n’est pas là à ce moment-là !

[01 h 51’ 34’’]

Sky : Il y a la France qui…

[01 h 51’ 35’’]

Hubert Védrine : Attendez, vous…

[01 h 51’ 36’’]

Sky : La France trouve 3 000 planqués dans la montagne…

[01 h 51’ 40’’]

Hubert Védrine : Non mais attendez, vous…

[01 h 51’ 41’’]

Sky : Les Tutsi sortent de la montagne en disant : « Aidez-nous, aidez-nous, aidez-nous, on va se faire trucider, on se fait trucider, on se fait trucider ! ».

[01 h 51’ 45’’]

Hubert Védrine : Vous…, vous…

[01 h 51’ 46’’]

Sky : Les français disent : « On va revenir dans trois jours ».

[01 h 51’ 49’’]

Hubert Védrine : Vous re… Non mais, excusez-moi. C’est là où votre…, vos interrogations ne sont pas à la hauteur de la réputation de votre site parce que…

[01 h 51’ 54’’]

Sky : Pourquoi donc ?

[01 h 51’ 55’’]

Hubert Védrine : On en a déjà parlé cinq fois, vous remélanger les dates ! Vous me parlez de la fin de l’opération Turquoise ! Quand le génocide commence et se développe pendant des semaines, de façon atroce, c’est en avril-mai ! La France n’est pas là en avril-mai ! La France n’obtient l’accord du Conseil de sécurité pour revenir que le 22 juin ! Ce n’est pas nous qui avons retardé la date ! D’ailleurs, il n’y a pas que la France, il y a des contingents africains. Et la question horrible dont vous parlez, des Tutsi rassemblés sur des collines, qui appellent à l’aide. Et l’opération Turquoise, son mandat strict, c’est d’être au Congo ! Pas dans le Rwanda ! Et le général Lafourcade a expliqué 36 fois – qui dirigeait l’opération –, 36 fois qu’ils n’avaient pas les moyens d’aller au Rwanda. Normalement ils n’avaient pas le droit, il fallait rassembler des moyens logistiques. Lafourcade il est…, il est torturé par cette question. On lui pose sans arrêt, il a déjà répondu 36 fois. Ils n’avaient pas les moyens d’aller les sauver, ils sont arrivés trop tard. Ils en ont sauvé 20 ou 30 000 mais peut-être que ça…

[01 h 52’ 57’’]

Sky : La communauté…, la communauté…

[01 h 52’ 59’’]

Hubert Védrine : Mais pourquoi… Attendez ! Je ne comprends pas pourquoi vous me posez des questions auxquelles il a été répondu 36 fois. Vous ne m’avez pas cité une seule fois les réponses de Lafourcade. Vous ne m’avez pas cité une seule fois les réponses à toutes les questions qui ont été mises en avant. Et le rapport Duclert, lui-même, qui était obsédé par la recherche d’une culpabilité française, n’a pas trouvé ! Ils ne disent rien sur Turquoise. Vous me parlez de Turquoise : si c’était…, s’il y avait des traces de ça, ce serait dans le rapport Duclert ! Vous êtes…, vous êtes… Disons, vous faites de la surenchère sur le rapport Duclert.

[01 h 53’ 32’’]

Sky : J’essaie d’avoir de vous…, des réponses.

[01 h 53’ 34’’]

Hubert Védrine : Non mais…, le rapport Duclert, même si moi je conteste le chapitre d’interprétation et les conclusions, je note que même dans la partie, disons, sévère et critique, il n’y a pas ça sur Turquoise. C’est des accusations qui circulaient depuis des années et des années depuis le rapport Mucyo – fait par les Rwandais en…, donc, 2008, pour se protéger des accusations de Bruguière –, mais qui n’ont même pas été retenues par le rapport Duclert, qui est un rapport à charge. Donc, je vois bien…

[01 h 54’ 01’’]

Sky : Est-ce qu’à votre avis, il y aura un rapport à décharge ?

[01 h 54’ 05’’]

Hubert Védrine : Eh bien, là, il y a tous les livres que je vous ai cités mais qui ont comme point commun de pas tellement parler de la France. Ils ne considèrent évidemment pas que le… Il n’y a qu’en France qu’on peut considérer que la France soit coupable ou responsable, hein. C’est un truc purement maso-français, ça. Donc au-delà des autres livres mais sur cette ligne. Mais, ce n’est pas un rapport à décharge non plus parce que les autres livres que j’ai cités rapidement – j’ai cité quatre auteurs mais il y en a beaucoup plus en réalité – se sont intéressés au parcours de Kagame, qui est exceptionnel, qui est une sorte de Lénine, qui est incroyablement doué, à partir de l’Ouganda et de toute la suite, y compris toute l’opération au Congo. Je ne parle pas tellement du Kivu, je parle de sa mainmise du pouvoir à Kinshasa. Donc les autres livres, que ce soit Guichaoua, Onana, Judi Rever, Reyntjens et compagnie, ils n’ont pas spécialement fait un livre pour dire les accusations contre la France sont injustes. Ils l’ont dit dans des colloques en disant : « C’est totalement débile ». Mais ils se sont intéressés à autre chose, l’histoire de l’Afrique centrale : qu’est-ce qui s’est passé dans cette région malheureuse du monde – vous savez Au cœur des ténèbres, c’est ça le roman, hein –, ce qui s’est passé en Ouganda, ce qui s’est passé au Rwanda, ce qui s’est passé… J’ai cité les massacres de 62 mais il y en a eu d’autres, hein, les…, contre les Tutsi, en général. Il y a eu les massacres au Burundi, en général dans l’autre sens. Il y a le Congo, il y a tout ça. Donc les autres livres, ils remettent dans le contexte. Et je pense que ceux qui ne se contentent pas d’accusations, disons, d’un peu de slogans, peuvent se plonger dans un de ces livres. J’en ai cité trois, quatre.

[01 h 55’ 35’’]

Sky : Question internet : pendant le génocide, est-ce que les satellites français ont pris…, ils ont pris des images ? Pas d’images ? Comment ça se passait la remontée d’informations ?

[01 h 55’ 45’’]

Hubert Védrine : Je n’ai pas compris la question.

[01 h 55’ 46’’]

Sky : Pendant le génocide, est-ce que l’information du gouvernement français se faisait par l’espace, c’est-à-dire qu’on avait des satellites qui prenaient des photos ? Est-ce que vous avez vu des photos satellites de ce qui se passait, les gens sur place…

[01 h 55’ 58’’]

Hubert Védrine : Je pense, oui. Enfin, c’était des massacres humains [inaudible] à coups de machette, hein. Bon, bien sûr. Mais il y a eu des grands photographes de presse, hein, qui étaient là-bas. Il y en a notamment un qui était là pour une grande agence, qui a écrit un long texte qui est complètement opposé aux accusations, qui était sur place pendant tout le génocide, c’était atroce… Donc, il y a eu des… Donc, il défend les positions françaises et en tout cas il conteste les accusations. Mais ça me fait penser qu’il y a eu des grands photographes pour les grandes agences mondiales, hein. Mais à quoi ils ont eu accès, je n’en sais rien, moi.

[01 h 56’ 31’’]

Sky : A votre avis, Macron, demain, il va dire quoi ?

[01 h 56’ 34’’]

Hubert Védrine : Je n’en sais rien. Je n’en sais rien mais comme je l’ai dit au début, je pense qu’on peut distinguer la normalisation, le Président Macron veut avoir les relations les plus normales possibles avec le Rwanda en raison de l’influence, du poids de Paul Kagame en Afrique. Même s’il a plusieurs grands pays qui sont tout à fait opposés à sa politique. Mais il a quand même une influence réelle. Et…, voilà, très bien. Je n’ai rien à dire de plus, je n’en sais rien. J’ai bien dissocié depuis le début de ce long échange sur le sujet l’aspect normalisation et l’aspect recherche de la vérité historique, qui ne pourra se faire que quand d’autres pays auront ouvert aussi.

[01 h 57’ 13’’]

Sky : Genre la Belgique ?

[01 h 57’ 14’’]

Hubert Védrine : Eh bien, j’ai fait la liste, hein : le Rwanda…, le FPR, le Rwanda, la Belgique, la Grande-Bretagne, l’Ouganda, le…, Israël, les Américains, le Tribunal d’Arusha, le Département du maintien de la paix de l’ONU, etc., etc. Il y a… Pourquoi ils ne le feraient pas ? Pourquoi ils ne le feraient pas ?

[01 h 57’ 28’’]

Sky : Votre intime conviction sur ce dossier-là ?

[01 h 57’ 30’’]

Hubert Védrine : Paul Quilès l’avait demandé, hein, dans une lettre au secrétaire général des Nations unies. Mais, je reviens : la normalisation ne me choque pas, j’ai été voir deux fois Kagame moi. Moi comme ministre, deux fois je l’ai vu ! Et il n’a jamais posé de problème pour me voir, hein ! La première fois j’étais seul, parce ce que je faisais le tour de l’Afrique centrale que je ne connaissais pas bien, en fait.

[01 h 57’ 49’’]

Sky : Comment ça se prépare ce genre de voyage ?

[01 h 57’ 50’’]

Hubert Védrine : Et l’année suivante, j’étais avec le ministre anglais.

[Fin de la transcription à 01 h 57’ 53’’]
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024