Fiche du document numéro 28809

Num
28809
Date
Mercredi 21 juillet 2021
Amj
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
253080
Pages
1
Sur titre
Projet Pegasus
Titre
Le héros d’« Hôtel Rwanda » surveillé à travers sa fille
Sous titre
Paul Rusesabagina, opposant au président Kagame, a été arrêté en août 2020 et est actuellement jugé à Kigali
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Gérant de l’Hôtel des
Mille Collines, que détient
la Sabena, l’ancienne
compagnie aérienne
belge, au cœur de Kigali,
Paul Rusesabagina n’a pas encore
fêté ses 40 ans lorsque, le
6 avril 1994, un missile sol-air
touche de plein fouet le Falcon50
qui ramène le président rwandais Juvénal
Habyarimana de Tanzanie.
L’événement déclenche un génocide
qui, en quelques semaines, signe
la mort de plus de 800 000
Tutsi et Hutu modérés. Immédiatement,
Paul Rusesabagina, dont
l’épouse est tutsi, se réfugie dans
l’hôtel dont il a la charge, ouvrant
la porte à 1 268 autres réfugiés, les
protégeant – dans des circonstances
controversées – des milices.
Un sauvetage mis en scène par
l’Irlandais Terry George dans le
film Hôtel Rwanda, en 2004.
Installé en Belgique avec sa famille
depuis 1996 et devenu l’un
des opposants les plus virulents
de l’actuel président, Paul Kagame,
Paul Rusesabagina, 67 ans,
a été arrêté à la fin du mois
d’août 2020 au Rwanda. Il doit répondre
de neuf chefs d’accusation,
dont celui de terrorisme, et
risque de finir ses jours en prison.
Ce dissident averti, dont les inimitiés
réciproques avec les autorités
de Kigali étaient connues, s’est retrouvé
menotté à la fin des vacances
d’été 2020, prisonnier exhibé à
la presse par le Bureau rwandais
d’investigation… Le citoyen belge
avait décollé de l’aéroport de San
Antonio (Texas), où il réside une
partie de l’année, afin de se rendre
au Burundi. Or, lorsque son vol a
fait escale aux Emirats arabes
unis, un pays qui entretient d’excellentes
relations avec le Rwanda,
Paul Rusesabagina a embarqué
dans un avion privé qui, croyait-il,
allait le mener à Bujumbura. En
fait, il s’est retrouvé à Kigali, où
son procès s’est ouvert en février.
Les proches de M. Rusesabagina
ont envisagé que les communications
de ce dernier avaient été
écoutées par les services de renseignement
rwandais. Une suspicion
qui s’est étoffée lorsque, dans
le cadre de cette enquête collaborative
menée par Le Soir et Knack
en collaboration avec Forbidden
Stories, Amnesty International et
quinze autres médias, l’un des
iPhone de Carine Kanimba – l’une
des filles de Paul Rusesabagina –,
analysé par le Security Lab d’Amnesty
International, a révélé des
traces récentes d’intrusion.
« J’avais réservé le vol de mon
père jusqu’à Dubaï, il s’était déjà
arrangé lui-même
pour aller de
Dubaï au Burundi », raconte Carine
Kanimba, formelle sur le fait
qu’« il ne serait jamais rendu au
Rwanda de son plein gré, parce que
le gouvernement rwandais a déjà
tenté de le tuer. » « Ils ont déjà pénétré
dans notre maison en Belgique
à plusieurs reprises (…). Il y a
quelques années, nous avons reçu
l’enregistrement audio de deux
personnes en train de parler.
C’étaient deux membres du Bureau
rwandais d’investigation, ils envisageaient
d’empoisonner mon
père, mais aussi de mettre des photos
pédopornographiques dans
son ordinateur. Ils avaient ce matériel,
il leur fallait juste pouvoir s’approcher
de son ordinateur. Puis ils
auraient alerté le FBI afin qu’ils l’arrêtent.
Et la même chose se serait
passée en Belgique. Mon père s’est
rendu à la police afin de porter
plainte. » Une plainte pour « menaces
de mort » a été recueillie
par la police fédérale en septembre
2018, que les journalistes de
Knack se sont procurée.

Succession d’indices

Effectué par le Security Lab d’Amnesty
International, l’audit du téléphone
belge de Carine Kanimba
décèle de premières traces d’infection
fin janvier 2021. Ce qui ne signifie
pas qu’il n’y en ait pas eu
précédemment, certains logiciels
ayant la capacité d’effacer leurs
traces. D’autant que d’autres signes
de malveillance informatique
ont été relevés en février, en
mars et en avril. En mai, lorsque la
jeune femme – qui a la double nationalité
belgo-américaine – fait
un voyage aux Etats-Unis,
rien de suspect n’est relevé dans l’historique
des activités de son iPhone.
Puis de nouvelles traces sont découvertes
à la date du 14 juin 2021.
« Ce jour-là,
j’ai rencontré la ministre
belge des affaires étrangères,
Sophie Wilmès, se souvient Carine
Kanimba. Et mon téléphone était
dans la pièce. » Auparavant, elle
avait déjà noté qu’« un grand nombre
des parlementaires belges que
nous av[i]ons contactés et qui nous
[avaient] apporté leur soutien
[avaient] ensuite été approchés par
le gouvernement rwandais, que ce
soutien nous ait été donné en public
ou en privé. Je parlais avec un
parlementaire belge et, quelques
jours plus tard, il me disait qu’il
avait été approché par une personne
rwandaise. C’était suspect ».
Un autre élément troublant
concerne un témoignage sous
serment que Carine voulait faire
signer par son père en avril, attestant
qu’il avait été maltraité et torturé.
« Nous en avions discuté avec
l’équipe, en interne, sans en parler
avec nos avocats rwandais. Mais
lorsque notre avocat rwandais est
allé voir mon père en prison, il a été
fouillé et on lui a demandé le formulaire
que mon père était censé
signer. Mais l’avocat n’était pas au
courant, nous n’avions pas évoqué
le sujet avec lui. D’une manière ou
d’une autre, les gardiens savaient
ce qu’ils devaient chercher. Ils
avaient accès aux informations
concernant ce témoignage, alors
que nous avions été très prudents.
A ce moment, nous avons compris
que le téléphone de l’un de nous
était infecté. »
Déjà en septembre 2020, lorsque
Carine Kanimba préparait la défense
de son père, qui venait d’être
incarcéré à Kigali, des spécialistes
en sécurité avaient « trouvé un
SMS avec un lien suspect, sur lequel
[elle] n’avai[t] pas cliqué ». Après
destruction de l’appareil, la jeune
femme achète un iPhone X. Il y
avait un risque qu’il soit à son tour
mis sous surveillance, mais elle
n’avait « pas le choix », estime-t-elle.
« Nous devions obtenir le soutien
de plusieurs pays. Et je ne pouvais
pas me permettre d’être absente
même dix secondes des réseaux
sociaux, je devais y être pour
défendre mon père, ajoute-t-elle.
Le gouvernement rwandais mène
une grande campagne de communication,
ils ont embauché des centaines
de trolls afin de propager
de la désinformation sur les réseaux
sociaux. »
Cette succession d’indices et ses
suspicions expliquent que Carine
n’ait pas tremblé en apprenant
que cet iPhone était infecté par Pegasus
: « Tout ça n’a aucune importance
pour moi, parce que je travaille
à sauver la vie de mon père ».

« Contraints au silence »

Depuis, Carine Kanimba a changé
de téléphone, changé tous ses
mots de passe, et va porter plainte
en Belgique et aux Etats-Unis.
« Je me bats pour la vérité, dit-elle.
Mais il y a beaucoup de personnes
qui nous aident, qui ont rejoint la
campagne pour la libération de
mon père, et le gouvernement
rwandais a déjà tenté d’assassiner
certaines d’entre elles, d’en contraindre
au silence. Certaines sont
ici, en Belgique, comme réfugiés
ou demandeurs d’asile, et nous savons,
preuves à l’appui, que leur vie
est en danger. Savoir que le gouvernement
rwandais pourrait
avoir obtenu des informations sur
ces personnes me choque. Je ne
voudrais pas qu’il leur arrive quoi
que ce soit. »
Sollicité par Le Soir, Vincent Biruta,
le ministre rwandais des affaires
étrangères et de la coopération
internationale, a répondu
par l’intermédiaire d’un de ses
conseillers : « Le Rwanda n’utilise
pas ce système logiciel comme
cela a été confirmé précédemment,
en novembre 2019, et ne
possède pas cette capacité technologique,
sous quelque forme que
ce soit. » Il a ajouté : « Ces fausses
accusations font partie d’une
campagne permanente visant à
provoquer des tensions entre le
Rwanda et d’autres pays. Et à semer
la désinformation sur le
Rwanda, aux niveaux national et
international. C’est de la diffamation
et cela suffit. Les questions relatives
au procès pour terrorisme
de Paul Rusesabagina et ses vingt
coaccusés ont été largement traitées
par la cour. »
kristof clerix (« knack »)
et joël matriche (« le soir »
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