Fiche du document numéro 28669

Num
28669
Date
Dimanche 21 mai 2006
Amj
Auteur
Fichier
Taille
0
Pages
0
Titre
Les sans-papiers sont-ils sans avenir ?
Soustitre
Sans papiers, sans statut, sans garantie. L’Etat veut « sélectionner » ses immigrés. Qui pourra rester, qui pourra partir ? Eugène, médecin d’origine rwandaise à Lille, sans-papiers, s’interroge sur son sort…
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Eugène Rwamucyo, et
même plutôt le docteur
Eugène Rwamucyo, est
une incohérence administrative.
Un couac de plus dans les
pages encore ouvertes de l’immigration
en France. Une coquille,
une erreur ? Pour être
exact, aux yeux de l’administration,
Eugène Rwamucyo n’est
pas.
Il n’est pas un médecin d’origine
rwandaise âgé de 46 ans,
avec toutes sortes de diplômes
4 étoiles qui lui débordent des
poches, il n’est pas toxicologue,
spécialiste de l’hygiène au travail.
Il n’est pas le praticien attaché
que désespère d’embaucher
le centre hospitalier de Lille. Il
n’est pas pour le moment un
médecin sous-exploité et sous-payé
pour faire fonction d’« infirmier
» aux urgences de Calmette.
Il n’est pas un Rwandais
qui a appris le russe pour se former
en médecine à Leningrad,
chassé de son pays, amoureux
des idéaux qui font de la France
une terre d’espoir, de liberté et
de droits. Il n’est pas père de famille…
« Je n’ai pas de papiers,
je ne suis rien, c’est comme un
déni de mon existence. En plus
de ne pas avoir le droit d’asile,
je n’ai pas le droit de vivre ».
Voilà avec quoi Eugène Rwamucyo
se réveille tous les matins.
En ce moment, il entend partout
parler de la loi Sarkozy sur
l’immigration dite « choisie » et
avoue qu’il ne comprend pas
parfaitement tout. De ce qu’il a
pu saisir comme informations
sur les textes votés mercredi à
l’Assemblée, les nouvelles dispositions
n’auraient pas que du
mauvais : « Après tout, quand
j’écoute les grands principes de
la loi, je me dis que la carte “talents
et compétences”, c’est
tout moi ! ». Ce serait même
pour lui la fin d’une certaine
forme moderne d’esclavage.
Aujourd’hui, Eugène Rwamucyo
n’a pas le droit de choisir et
n’est pas en mesure de négocier.
Employé en contrats précaires
depuis 2003 au CHRU de
Lille, ce Rwandais a un temps
fait fonction de médecin : « Je
gagnais deux fois moins qu’un
médecin français. Quand je faisais
des gardes le week-end, elles
m’étaient payées 4 fois
moins ». Depuis quelques mois,
il est en CDD d’infirmier, « je
prends ce que je trouve ».
Eugène Rwamucyo est une
sorte d’intermittent de la médecine.
Alors la carte « talents et compétences
», il a presque envie d’y
croire : « Si ce n’est pas une loi
gadget, l’immigration choisie,
moi je suis d’accord. Mais j’espère
qu’ils vont me choisir
moi ! ». Lui. Et les autres ? C’est
tout le débat que soulèvent justement
les textes de Nicolas
Sarkozy. « Immigration choisie
», ça veut bien dire que la
France va faire un tri. Pour
Eugène, l’affaire est encore plus
complexe. Il a aujourd’hui
épuisé tous les recours possibles.
L’office français de protection
des réfugiés et apatrides
(OFPRA) lui a tout refusé. Il
s’est fait aider, son dossier est remonté
jusqu’au cabinet du ministre
de l’Intérieur. Il demandait
l’asile territorial, on lui a
promis plus : une carte de séjour
a été libellée à son nom.
« Je l’ai vue, je l’ai même touchée,
mais la Préfecture refuse
de me la donner ». Résultat,
Eugène Rwamucyo a perdu en
route son récépissé de demandeur
d’asile, son seul papier valable.
Aujourd’hui, l’administration
française ne lui reconnaît
donc aucune existence et pourtant
c’est bien l’Etat qui lui
verse tous les mois son salaire,
de médecin ou d’infirmier, cela
dépend…
Eugène Rwamucyo est un « cas » administratif. Sans papiers, sur sa carte de visite il est marqué « praticien attaché au CHRU de Lille ». Photo Ludovic Maillard
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