Fiche du document numéro 28639

Num
28639
Date
Vendredi 2 juillet 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
239887
Pages
1
Sur titre
Trois questions à… Valens Kabarari
Titre
« La pièce pose la question de l’universalité du génocide » [Interview de Valens Kabarari]
Sous titre
Il avait 7 ans au moment du génocide au Rwanda. Arrivé en France en 2008, cet animateur de formation au sein de l’Association Meusienne pour l’insertion des Personnes Handicapées (A.M.I.P.H.), depuis 2019, est aussi réalisateur-scénariste.
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Vous êtes rescapés du génocide
contre les Tutsis du Rwanda de 1994.
Vous avez assisté à la représentation
de Doliba, à Ecurey, samedi dernier.
Quelles sont vos impressions ?

Ce n'était pas la première fois. J'ai
assisté à ce spectacle depuis presque
sa création. J'ai découvert la pièce de
théâtre en arrivant dans la Meuse par
la programmation de Théâtre l’ACB
Scène de Bar-le-Duc. Elle parlait des
Gacaca : j'ai aussitôt contacté le metteur
en scène. Tout fût ensuite très
facile parce qu'il était très heureux de
connaître un Rwandais rescapé qui
habitait près de chez lui, une personne
ayant vécu l'histoire qui pourrait avoir
un regard sur son œuvre. Il a découvert
mon livre "Vivant" puis j'ai assisté à ses
répétitions.
Quant à mes impressions lors du
spectacle, et ce, dès la première fois,
en coulisse, ce fût un sentiment d'admiration
sur la qualité du texte,
d'Eugène Ebodé, Souveraine magnifique.
Et ce qui est particulièrement
intéressant dans cette représentation,
dans son approche du génocide, c'est
son universalité : voir des européens
blancs jouer le rôle de Rwandais et que
le tribunal Gacaca soit transposé sur
une scène… Au bout de quelques
minutes de spectacle, on oublie la couleur
de peau. On oublie la distinction
entre les peuples, il n’y a plus le recul
que je vois souvent dans les regards
des européens quand je témoigne
devant eux, cette impression que je
suis moi un spectacle je raconte une
histoire, un vécu humain, mais très loin
d’eux et de chez eux. Dans
l’interprétation par des comédiens
français, je voyais des
Rwandais. Tous ces personnages
devenaient rwandais, devenaient
victimes ou bourreaux ; tous
démontraient, par leur jeu, l'universalité
de la question posée par
le génocide.

Il est beaucoup question,
dans la pièce, du rôle de la
Gacaca dans le processus de
réconciliation. Peut-on dire que
ce tribunal populaire a réussi sa
mission ?

Je ne sais pas si l'on peut utiliser
le terme "réussir". Peut-on
réparer un génocide ? Peut-on
réellement réparer les victimes
d'un génocide ? Est-ce qu'elles
peuvent sortir de là en disant :
"Nous avons réussi quelque chose
?" Non. Par contre, il était essentiel
d'avoir enfin une justice
après trente ans d'impunité, jusqu'en
1994. Car c'est aussi cette impunité, et
j'entends par là, ne serait-ce que pas
un blâme moral, le fait de ne pas
condamner des actes racistes, qui a
rendu possible les massacres. Mais les
Gacaca étaient aussi essentielles parce
qu'avec le nombre de tueurs ou plus
précisément de participants aux
meurtres, jamais les juges et les
moyens plus modernes et plus lents de
justice n'auraient pu poursuivre tous
les génocidaires ; la totalité des procès
mis bout à bout aurait duré un siècle.
Les bourreaux étaient trop nombreux.
Les Gacaca étaient donc un moyen de
combattre l'impunité. Ce fût aussi l'opportunité
d'innocenter quelques-uns. Et
surtout, cela a libéré la parole ; c'était
une sorte d'exorcisme. À défaut de
pouvoir faire revenir ceux que nous
avions perdus, on devait au moins parler
d'eux. Parler de ce qu'ils avaient
subi ; de ce que les survivants avaient
subi. Si on ne parle pas, la souffrance
reste enfouie.

Vous avez écrit "Vivant" avec Élise
Delage, pour témoigner de votre histoire.
En quoi le témoignage participe-
t-il du devoir de mémoire ?

Quand j'ai écrit avec Élise Delage
"Vivant"(lire par ailleurs), je n'ai pas
vraiment choisi de l'écrire. J'ai été
poussé par ce que je voyais en Europe,
après les attentats de Paris. L'année
2015, avec Charlie Hebdo et le massacre
du Bataclan, a fait que ce devoir
de mémoire s'est imposé de lui-même.
J'ai choisi, si l'on veut, la manière de le
raconter, un de mes choix étant de travailler
à deux, d'avoir une écoute, une
double réflexion, que ce soit un témoignage
que le lecteur puisse plus facilement
lire. Mais je ne m'impose pas un
devoir de mémoire : je le fais naturellement,
par besoin de parler. Je le fais
aussi pour les autres, ceux qui ont des
questions et puis en fonction de ce que
j'entends dans l'actualité. Quand je
trouve des résonances, parce qu'il y en
a, avec le 13 novembre 2015 ; tuer
aveuglément des innocents de tous
âges ; tuer avec fierté ; tuer en masse
des personnes qui n'ont rien fait, simplement
pour ce qu'ils sont. Voilà le
cœur du génocide. Alors j'ai eu besoin
d'écrire.

Recueilli par J.-C. EDJANGUE
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