Fiche du document numéro 28567

Num
28567
Date
Vendredi 11 juin 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
41438
Pages
5
Urlorg
Titre
Rwanda-France : lecture plurielle d’une réconciliation
Sous titre
Verbatim. Comment le flot de paroles de conciliation des présidents Macron et Kagame s’est-il décanté dans l’esprit des Rwandais(es) ? Éléments de réponse.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il y a eu les réactions passionnées à chaud, juste après les discours des présidents Macron et Kagame le 27 mai dernier. Il y a aussi eu des réactions puisées à la source de l'analyse du sens révélé ou caché des mots prononcés ce jour-là dans un contexte qu'avaient apaisé les deux rapports, Duclert pour la France et Muse pour le Rwanda, convergents à bien des égards quant à leurs conclusions. Ce sont les mots qui ont accompagné ces dernières que nous avons choisi de partager dans les textes ci-dessous.

Yolanda Mukagasana : « Nous attendons de voir… »



« La visite du président Emmanuel Macron est un acte de courage, d'humanité et de détermination. C'est un pas de géant. C'est une très bonne chose aussi bien pour le Rwanda que pour la France, mais aussi pour toute l'Afrique francophone. Grâce à cette visite, le peuple français va enfin connaître la vérité sur la responsabilité de ses autorités au temps de l'ancien président français François Mitterrand, mais aussi l'Afrique francophone qui a subi la désinformation continue et avérée de la cellule africaine de l'Élysée par rapport à l'histoire tragique africaine. Ne croyez surtout pas que la décision du président Emmanuel Macron de venir au Rwanda a été chose aisée pour lui. Ne croyez pas que les coupables du génocide contre les Tutsis, aussi bien les Rwandais que les Français, ont aimé son acte de courage. Ne croyez pas que les génocidaires et leurs amis en France vont le laisser tranquille. Mais il a fait un choix courageux et honorable quoique difficile, le choix d'un homme humble et très intelligent. Le président Emmanuel Macron a écrit une page de l'histoire franco-africaine. C'est aux Africains de continuer.

Désormais, la France et l'Afrique ont un rendez-vous pour les relations de respect mutuel. Ce n'est plus cette France arrogante qui impose et s'impose. On dit que la promesse est une dette. Le président Emmanuel Macron a fait des promesses à nos morts, aux survivants et au peuple rwandais. Il a fait des promesses à l'histoire. Maintenant que nous avons constaté sa grande humilité, nous attendons de voir s'il est intègre. Nous attendons de le voir honorer les promesses qu'il a faites, à nous les vivants, devant et pour nos morts. Il a fait des promesses à mon mari et tous mes enfants qui reposent dans ce mémorial de Kigali, à Gisozi, et à plus d'un million de victimes du génocide contre les Tutsis. Moi, je reste convaincue qu'il va les honorer, notamment celles concernant le fait que les coupables soient traduits devant la justice. Et moi j'y crois. Ma lutte date du 7 avril 1995. Vingt-sept ans après, je me sens un peu comprise et reposée. Ceux qui disent que le président Macron n'a pas présenté des excuses pour la France n'ont rien compris à la profondeur de ses mots. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. »

Fulgence Niyonagize : « Des gestes parlent plus que les mots »



Ce journaliste à Pax Press, une ONG de média pour la paix, a scruté tous les détails de ce 27 mai. « Est-ce par hasard que le président Macron portait un costume gris cendre, couleur de deuil utilisée lors des commémorations au Rwanda ? Il est un des rares à avoir visité le site du mémorial du génocide et a passé plus de 40 minutes à l'intérieur, sans doute pour s'imprégner de toute l'histoire du génocide. Comment le Rwanda qui a pardonné tant de tueurs directement impliqués sur les collines ne peut-il pas pardonner à leur partenaire d'hier, aujourd'hui pieux et qui reconnaît ses responsabilités ?

Macron a surpris tout le monde quand, au lieu de déposer directement les gerbes de fleurs sur la tombe où reposent plus de 250 000 victimes tutsies tuées à Kigali, il est passé outre le protocole pour aller embrasser deux veuves du génocide avec des mots sans doute de réconfort. Ces gestes parlent plus que les mots. »

Éric Ndushabandi : « Le Rwanda peut servir de partenaire »



Pour ce professeur de sciences politiques et de relations internationales à l'université du Rwanda, également directeur de l'institut de recherche et de dialogue pour la paix-IRDP, « Macron risque d'être réélu l'année prochaine parce qu'il ne se positionne ni à droite, ni à gauche, évitant l'approche qui pourrait déplaire aux uns et aux autres ». Et d'ajouter : « Le fait qu'il ait demandé pardon plutôt que de présenter des excuses officielles a plus à voir avec la politique intérieure qu'avec la relation de la France avec le Rwanda. Macron a fait le choix d'imposer sa légitimité en tournant l'attention de l'opinion française sur une question extérieure. Car l'agenda électoral français est un facteur moteur de la démarche de l'actuel président français.

Macron veut stratégiquement diviser les deux anciens systèmes de partis politiques, modifier de manière importante la cartographie électorale des socialistes et gagner en popularité de cette manière. Du point de vue géopolitique, le Rwanda est un partenaire stratégique positionné à la jonction d'un bloc oriental anglais et au cœur des pays francophones d'Afrique. Il peut servir de partenaire pour stopper les échecs de la France en Afrique dans un contexte d'expansion du terrorisme jusqu'au Mozambique ». Pour Éric Ndushabandi, « nous sommes à la rencontre de la réparation symbolique presque assurée et d'une ouverture au droit à la réparation économique ».

Hugo Jombwe : « Nous espérons la tenue prochaine des procès »



Chef de mission RCN-Justice & Démocratie, une ONG belge implantée au Rwanda dans la foulée du génocide et œuvrant dans le domaine de la justice, Hugo Moudiki Jombwe a initié « Justice et Mémoire ». Il s’agit d’un projet qui suit de près les procès de suspects de génocide tenus hors du Rwanda, notamment en France.

Pour lui, « le fait que la France s'engage à faire plus dans le domaine de la justice liée au génocide pour les suspects se trouvant sur son sol est fort intéressant ». « Ceci est pour nous une nouvelle importante puisqu'à ce jour seules 3 personnes ont été jugées en France. Nous espérons la tenue prochaine des procès et la prise de mesures permettant aux Rwandais de les suivre et d'y participer. »

ETA : « La normalisation fait revenir l'espoir de justice »



Rescapée du génocide qui a vécu tout le calvaire de la zone de l'opération Turquoise, ETA voit à travers les soldats français des complices des tueurs, de ses bourreaux dans le camp de Nyarushishi. Victime de viols collectifs desquels elle a eu un fils, elle interroge : « Où étaient-ils quand j'ai été sortie du camp de Nyarushishi sous leurs yeux, violée et infectée du VIH-sida ? » Quinquagénaire aujourd'hui, ETA, qui avait 24 ans à l'époque et dont le fiancé a été tué pendant le génocide, se dit « rongée par la maladie et le mal-être ». « J'entends encore résonner les mots fatals de leur question “Tu es hutue ou tutsie ?” ». La normalisation des relations, la reconnaissance fait revenir en elle « l'espoir de justice ». « Nous sommes nombreuses à mourir à petit feu à cause du sida et de la misère alors que nos violeurs, nos bourreaux, comme l'ancien préfet Emmanuel Bagambiki, le cerveau du génocide à Cyangugu, perçoivent des pensions auprès de leurs anciens complices. » Et de conclure : « Pour moi, normalisation des relations signifie la justice assortie de réparation. »

Laurent Ndagijimana : « il était temps de quitter les tergiversations »



Pour ce rescapé du génocide et président d'Ibuka-Rusizi, dans l'ancienne zone de l'opération Turquoise, « il était plus que temps de quitter les tergiversations et les soubresauts qui ont caractérisé la position de la France sur ce génocide dont elle avait facilité l'exécution par des appuis de toute sorte au gouvernement rwandais d'alors ». « En reconnaissant son rôle dans l'innommable, dit-il, la France fait un pas valable et honnête dans la bonne direction, un pas de nature à harmoniser progressivement les relations entre Rwandais et Français dans le futur. C'est une décision politique qui se doit d'être suivie d'actions concrètes », poursuit-il.

« En tant que rescapé, je garde l'espoir de voir la France, d'abord, poursuivre et clôturer des dossiers en justice des personnes suspectées de génocide réfugiées en France, depuis 27 ans déjà, ensuite, agir sur les négationnistes qui s'évertuent à nier les faits et leurs conséquences sur la population de ce pays, enfin, de bâtir une société du vivre ensemble dans la paix et la concorde sans devoir effacer notre histoire. » Et de conclure : « En définitive, la justice est pour moi un vœu pieux qui ne peut plus attendre car toute justice tardive n'en est plus une. Puis-je l'espérer maintenant de la part de la France ? »

AVEGA : « La normalisation, une très bonne chose pour nos deux peuples »



Pour Mukabayire Valérie, présidente de l'association des veuves du génocide Agahozo (AVEGA), « la normalisation des nouvelles relations franco-rwandaises est une très bonne chose pour nos deux peuples. C'est un très grand pas en avant, après plusieurs années de distance et d'incompréhension entre nos deux pays. Ces nouvelles relations sont sincères, solides et durables, car elles sont fondées sur la vérité déclarée et la reconnaissance de la responsabilité de la France dans le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994 ». « Nos attentes ici, poursuit-elle, sont orientées principalement vers la justice. Nous attendons et nous avons un grand espoir que la France va contribuer à ce que toutes les personnes soupçonnées du crime de génocide ne puissent échapper à la justice. »

Antoine Mugesera : « Tout à gagner dans la normalisation »



Survivant du génocide, chercheur, écrivain, cet ancien sénateur aujourd'hui membre du « Comité des sages » estime que le Rwanda et la France ont tout à gagner dans la normalisation de leurs relations. En effet, si « une sorte d'épine s'était incrustée dans les relations entre nos deux pays, elle en est maintenant retirée. La vie va mieux continuer et tout le monde y gagne. Seul l'avenir dira combien nos attentes ont été comblées ou non. Donnons-lui de la chance et l'on verra. »
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024