Fiche du document numéro 2848

Num
2848
Date
Mercredi 29 juin 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
2812637
Pages
1
Surtitre
L'ancien supergendarme français veut à tout prix impliquer des Belges dans l'attentat du 6 avril
Titre
Rwanda : la thèse de Paul Barril vacille
Page
1+7
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le capitaine Barril en fait trop et sa prolixité risque de nuire à la
crédibilité de ses propos sinon à celle de ses commanditaires. Dans un
premier temps en effet, l'ancien supergendarme du GIGN avait assuré au
quotidien «Le Monde» qu'il détenait la boîte noire du Mystère-Falcon
dans lequel les présidents rwandais et burundais ont trouvé la mort,
qu'il était allé la rechercher à Kigali, pour le compte de la famille
Habyarimana.


Dans un deuxième temps, en direct sur France 2 hier midi, l'ancien
officier est allé beaucoup plus loin: il assure disposer des
enregistrements des conversations avec la tour de contrôle, où,
dit-il, il a reconnu des accents «belges», enregistrements réalisés
par les Forces armées rwandaises. Il affirme aussi - en employant le
«nous» - disposer de photos satellites indiquant une offensive sur la
frontière ougandaise, entamée dès le 6 avril.


Qui veut trop démontrer finit par ne plus convaincre, et même par
susciter des questions sur la nature exacte de la mission commandée.
Ainsi «Le Canard Enchaîné» écrit-il que l'ancien membre de la cellule
élyséenne, qui n'a jamais totalement rompu avec ses anciens
employeurs, serait, en réalité, allé à Kigali afin de récupérer des
archives du président Habyarimana. Il était donc pour le moins
dangereux de propulser un personnage aussi controversé sur le devant
de la scène...


En effet, les propos de Barril sont émaillés de contradictions et
d'inexactitudes. On peut tout d'abord s'étonner qu'un «privé» ait
encore accès à des photos satellites, dont l'usage est censé être
réservé aux militaires. Quant au lieu d'où ont été tirés les missiles,
il s'agissait, le 6 avril, d'un endroit contrôlé par la garde
présidentielle; le FPR n'y est arrivé qu'en mai. A propos de la boîte
noire elle-même, le mystère demeure entier: le personnel de
maintenance de la société Dassault assure que ce type d'appareil n'en
était pas doté et un pilote croit avoir reconnu dans l'objet présenté
par M. Barril une simple boîte d'antenne radio-compas. Il reste que,
peu après le crash, un objet ressemblant à cette «boîte noire» fut
recueilli sur l'épave de l'avion par un coopérant militaire français.
Qui l'a remis à Paul Barril? Le gouvernement rwandais, auquel l'objet
aurait été rendu par la suite? On peut aussi se demander si les restes
de boîte noire montrés à la télévision française ne sont pas le
résultat d'un montage, afin de faire oublier l'existence d'un
«original» compromettant.


Par ailleurs, M. Barril aurait découvert à Massaka des pièces de
lanceurs Sam 7. Les tireurs d'élite, sans conteste des professionnels,
étaient donc bien distraits! En mai, en tous cas, alors que le FPR
occupait les lieux, le terrain avait visiblement été passé au peigne
fin et ce serait donc avec l'aide des occupants précédents, la garde
présidentielle, que M. Barril a fait ses découvertes.


Autre inexactitude relevée dans les propos de M. Barril: il affirme
qu'aucune enquête internationale n'a été demandée. En réalité, dans
les premières heures qui ont suivi l'attentat, et plus encore lorsque
la responsabilité des Casques bleus belges fut évoquée - ce qui
entraîna la mort de dix d'entre eux dans des circonstances atroces -,
le gouvernement belge a demandé à l'OACI (Organisation pour l'aviation
civile internationale) d'ouvrir une enquête, et cette demande est
régulièrement rappelée par Bruxelles.


COLETTE BRAECKMAN

Suite en page 7

L'ancien supergendarme français veut à tout prix impliquer des Belges
dans l'attentat du 6 avril

La thèse «rwandaise» de Paul Barril vacille

Voir début en page une


Reste cependant à savoir si le Mystère Falcon, piloté par un équipage
composé d'anciens militaires, doit être considéré comme un avion
civil.


Au-delà des contradictions de son témoignage, il importe aujourd'hui
de se demander pourquoi la famille du défunt président, sinon d'autres
commanditaires, ont demandé à M. Barril de mettre ses talents de
conteur et de monteur au service d'une version qui perd peu à peu en
vraisemblance, celle d'une implication belge, en collaboration avec le
FPR. De plus en plus, la thèse selon laquelle les «durs» du régime,
membres de la belle-famille du président, auraient été les
instigateurs de l'attentat et les inspirateurs des massacres gagne du
terrain.


Même le fait qu'Elie Sagatwa, considéré comme le chef de file des
«faucons» du régime, se soit trouvé dans l'avion, de même que le chef
d'état-major, ne prouve rien: le président Habyarimana se savait
menacé, un coup avait déjà été préparé pour le 23 mars, plusieurs
hauts gradés avaient déjà fait savoir que des événements importants se
préparaient. S'entourer de personnalités de poids, se faire
accompagner par le président du Burundi, pouvait être, pour le
président Habyarimana, une façon de se protéger.

Comment ne pas remarquer aussi que l'irruption du capitaine Barril sur
la scène médiatique suit la publication dans «Le Soir» d'une thèse sur
laquelle enquête toujours l'auditorat militaire belge et qui implique
deux ressortissants français...

Brouillages



En réalité, l'intervention de Paul Barril pourrait avoir ceci de
commun avec Turquoise qu'il s'agit aussi d'une opération de
brouillage. Turquoise, malgré ses effets positifs auprès des victimes,
pourrait être considérée comme une entreprise humanitaire dissimulant
d'autres objectifs. Il s'agirait entre autres de retirer des hommes
restés aux côtés des gouvernementaux ou d'extraire de l'enfer rwandais
des collaborateurs locaux, qui ne sont pas les plus menacés mais qui
savent beaucoup de choses. Des messages radio ont été lancés, invitant
ceux qui le peuvent à gagner Kibuye. Les membres de la radio des Mille
Collines se prépareraient aussi à être évacués par les Français.
Dans la ville zaïroise de Goma, des observateurs relèvent la présence
de militaires n'appartenant à aucune unité officiellement engagée,
tandis que la percée de l'armée française sur Gikongoro, à quelques
kilomètres de la ligne de front, inquiète ceux qui redoutent un
«contact» entre le Front patriotique et Turquoise.


Un contact qui pourrait bien avoir lieu ailleurs: un témoin à
l'aéroport de Bangui, en Centrafrique, a vu des militaires français
équipés de parachutes. Ils semblaient persuadés qu'ils allaient être
appelés à sauter sur Kigali dans les heures à venir et donc à
affronter directement le Front patriotique rwandais.


Par ailleurs, Turquoise, auquel le gouvernement Balladur impose
visiblement la circonspection, a des effets induits: le déploiement
médiatique qu'elle suscite met en lumière l'ampleur du génocide et
entraîne inévitablement des questions sur les responsabilités de tous.
Ce sont ces questions-là aussi que les brouillages tenteraient de
détourner vers d'autres cibles.


Pendant que toute l'attention est - enfin, et trop tard - tournée vers
le Rwanda, le Burundi voisin vit lui aussi des heures extrêmement
critiques: le président par intérim, Sylvestre Ntibantunganya, a
déclaré que le pays était au bord de l'abîme et que la méfiance entre
les citoyens avait atteint des sommets.


Il apparaît en effet que, via Goma, d'importantes livraisons d'armes
israéliennes ont lieu en ce moment au Burundi, vraisemblablement
destinées au mouvement extrémiste Palipehutu et aux durs du Frodebu:
sur les collines du Burundi, on enseigne en ce moment l'usage des M 16
et des fusils-mitrailleurs Uzi.


COLETTE BRAECKMAN
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