Fiche du document numéro 28401

Num
28401
Date
Jeudi 27 mai 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
172051
Pages
7
Titre
Discours prononcé au mémorial de Gisozi à Kigali
Tres
Sur un ton grave, le Président Emmanuel Macron reconnaît d'une part la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi tout en déniant d'autre part son implication dans les évènements. Il affirme les bonnes intentions de la France et lui accorde le droit à l'erreur et à la maladresse. La mise en place du Gouvernement intérimaire par le colonel Bagosora en étroite collaboration avec l'ambassadeur de France Jean-Michel Marlaud vient notamment contredire son discours et prouver au contraire que la France a joué un rôle déterminant dans la mécanique génocidaire. Il recourt également à l'argument de la responsabilité de la communauté internationale, omettant le fait que la France a usé de son siège de membre permanent du Conseil de sécurité pour abuser les Nations unies en feignant de reconnaître le génocide et en permettant à ses auteurs de prendre la fuite. Il reconnaît enfin une dette envers les victimes.
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Source
Commentaire
Visiting Kigali, the president of the French Republic Emmanuel Macron delivers a speech at the Gisozi genocide memorial. In a serious tone, he denies on the one hand the involvement of France in the genocide against the Tutsi: " The killers who haunted the marshes, the hills, the churches did not have the face of France. She was not an accomplice. The blood that was shed did not dishonor her weapons or the hands of her soldiers ". But on the other hand, he allows himself the error, the awkwardness: " France did not understand that, by wanting to prevent a regional conflict or a civil war, it was in fact staying alongside a genocidal regime ”. Its recognition of the responsibility of France is balanced by a declaration of good intentions: “ By ignoring the warnings of the most lucid observers, France took on an overwhelming responsibility in a process which ended in the worst, even though it was seeking precisely to avoid it ”. The argument rings false: “ In Arusha, in August 1993, France believed, alongside the Africans, to have wrested peace. [...] Its efforts were laudable and courageous. But they were swept aside by a genocidal mechanism which did not want any hindrance to its monstrous planning ”. The establishment of the interim Government by Colonel Bagosora in close collaboration with the French Ambassador Jean-Michel Marlaud contradicts these good intentions and on the contrary proves that France has played a decisive role in this genocidal mechanism. The President also resorts to the argument of the responsibility of the international community, omitting the fact that France has used its seat as a permanent member of the Security Council to abuse the United Nations by pretending to recognize the genocide and by allowing its perpetrators to flee. Finally, we can give credit to the French President for this sentence: " By standing, with humility and respect, by your side, today, I come to recognize the extent of our responsibilities ". He recognizes " a debt to the victims after so many past silences ".
Type
Discours
Langue
FR
Citation
Kigali, le 27 mai 2021

[SOUS EMBARGO JUSQU’AU PRONONCE]

« Seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter »
Ce sont ces paroles, empruntes de gravité et dignité, qui résonnent en ce lieu, ici au mémorial de Gisozi, à Kigali.

Raconter la nuit.

Ces paroles convoquent un insondable silence. Le silence de plus d’un million d’hommes, de femmes, d’enfants, qui ne sont plus là pour raconter cette interminable éclipse de l’Humanité, ces heures où tout s’est tu.

Elles nous racontent la course éperdue des victimes, la fuite dans la forêt ou dans les marais. Une course sans arrivée et sans espoir, une traque implacable qui reprenait chaque matin, chaque après-midi, dans une terrible et banale répétition du mal.

Elles nous font entendre la voix de ceux qui, après avoir trébuché, ont affronté la mort ou la torture de leurs bourreaux sans un cri, parfois pour laisser s’enfuir un proche, un parent, un enfant, un ami qu’ils avaient protégé jusqu’à leur dernier souffle. Ces voix qui se taisaient quand montait, à l’aube, l’insoutenable euphorie des chants de rassemblement de ceux qui tuaient « ensemble » et de ceux qui partaient, dans leur vocabulaire dévoyé, au « travail ».
Ce lieu, ici à Gisozi, leur restitue tout ce dont on avait tenté de les priver : un visage, une histoire, des souvenirs. Des envies, des rêves. Et surtout une identité, un nom – tous les noms, gravés, un à un, inlassablement sur la pierre éternelle de ce mémorial.

Ibuka, souviens-toi.

Ces paroles nous font entendre aussi la voix de ceux qui portent la plaie de cette nuit, ceux qui portent la blessure béante d’avoir été là et d’être encore là. Ceux dont nous n’avons écouté la souffrance ni avant, ni pendant, ni même après, et c’est peut-être le pire. Survivants, rescapés, orphelins, c’est grâce à leur témoignage, leur courage, leur dignité que nous mesurons combien il ne s’agit pas de chiffres ou de mots, mais de l’irremplaçable épaisseur de leurs vies.

Ces paroles disent une tragédie qui porte un nom : génocide. Elles ne s’y réduisent pas pour autant. Car il s’agit bien d’une vie, avec tous ses rêves, un million de fois fauchés.

Un génocide ne se compare pas. Il a une généalogie. Il a une histoire. Il est unique.

Un génocide a une cible. Les tueurs n’ont eu qu’une seule obsession criminelle : l’éradication des Tutsi, de tous les Tutsi. Des hommes, des femmes, leurs parents, leurs enfants. Cette obsession a emporté tous ceux qui ont voulu y faire obstacle mais, elle, n’a jamais perdu sa cible.

Un génocide vient de loin. Il se prépare. Il prend possession des esprits, méthodiquement, pour abolir l’humanité de l’autre. Il prend sa source dans des récits fantasmés, dans des stratégies de domination érigées en évidence scientifique. Il s’installe à travers des humiliations du quotidien, des séparations, des déportations. Puis se dévoile la haine absolue, la mécanique de l’extermination.

Un génocide ne s’efface pas. Il est indélébile. Il n’a jamais de fin. On ne vit pas après le génocide, on vit avec, comme on le peut.

Au Rwanda, on dit que les oiseaux ne chantent pas le 7 avril. Parce qu’ils savent. C’est aux hommes qu’il appartient de briser le silence.

Et c’est au nom de la vie que nous devons dire, nommer, reconnaître.

Les tueurs qui hantaient les marais, les collines, les églises n’avaient pas le visage de la France. Elle n’a pas été complice. Le sang qui a coulé n’a pas déshonoré ses armes ni les mains de ses soldats qui ont eux aussi vu de leurs yeux l’innommable, pansé des blessures, et étouffé leurs larmes.

Mais la France a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda. Et elle a un devoir : celui de regarder l’histoire en face et de reconnaître la part de souffrance qu’elle a infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence sur l’examen de vérité.

En s’engageant dès 1990 dans un conflit dans lequel elle n’avait aucune antériorité, la France n’a pas su entendre la voix de ceux qui l’avaient mise en garde, ou bien a-t-elle surestimé sa force en pensant pouvoir arrêter le pire.

La France n’a pas compris que, en voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d’un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu’elle cherchait précisément à l’éviter.

A Arusha, en août 1993, la France pensait, aux côtés des Africains, avoir arraché la paix. Ses responsables, ses diplomates, y avaient œuvré, persuadés que le compromis et le partage du pouvoir pouvait prévaloir. Ses efforts étaient louables et courageux. Mais ils ont été balayés par une mécanique génocidaire qui ne voulait aucune entrave à sa monstrueuse planification.

Lorsqu’en avril 1994, les bourreaux commencèrent ce qu’ils appelaient odieusement leur « travail », la communauté internationale mit près de trois mois, trois interminables mois, avant de réagir. Nous avons, tous, abandonné des centaines de milliers de victimes à cet infernal huis clos.

Au lendemain, alors que des responsables français avaient eu la lucidité et le courage de le qualifier de génocide, la France n’a pas su en tirer les conséquences appropriées.

Depuis, vingt-sept années de distance amère se sont écoulées. Vingt-sept années d’incompréhension, de tentatives de rapprochement sincères mais inabouties. Vingt-sept années de souffrance pour ceux dont l’histoire intime demeure malmenée par l’antagonisme des mémoires.

En me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, ce jour, je viens reconnaître l’ampleur de nos responsabilités. C’est ainsi poursuivre l’œuvre de connaissance et de vérité que seule permet la rigueur du travail de la recherche et des historiens. En soutenant une nouvelle génération de chercheurs et de chercheuses, qui ont courageusement ouvert un nouvel espace de savoir. En souhaitant, qu’aux côtés de la France, toutes les parties prenantes à cette période de l’histoire rwandaise ouvrent à leur tour toutes leurs archives.

Reconnaître ce passé, c’est aussi et surtout poursuivre l’œuvre de justice. En nous engageant à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper à la justice.

Reconnaître ce passé, notre responsabilité, est un geste sans contrepartie. Exigence envers nous-même et pour nous-même. Dette envers les victimes après tant de silences passés. Don envers les vivants dont nous pouvons, s’ils l’acceptent, encore apaiser la douleur. Ce parcours de reconnaissance, à travers nos dettes, nos dons, nous offre l’espoir de sortir de cette nuit et de cheminer à nouveau ensemble. Sur ce chemin, seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don de nous pardonner.

Diibuka.
Diibuka.

Je veux ici, en ce jour, assurer la jeunesse rwandaise qu’une autre rencontre est possible. N’effaçant rien de nos passés, il existe l’opportunité d’une alliance respectueuse, lucide, solidaire, et mutuellement exigeante, entre la jeunesse du Rwanda et la jeunesse de France.

C’est l’appel que je lance ici à Gisozi. C’est le sens de l’hommage que je veux rendre à ceux dont nous garderons la mémoire, qui ont été privés d’avenir et à qui nous devons d’en inventer un.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024