Fiche du document numéro 28327

Num
28327
Date
Mercredi 5 mai 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
45714
Pages
5
Urlorg
Titre
Rwanda-France : « Éduquer les jeunes à penser autrement »
Sous titre
À Kigali comme à Paris, l’heure est à l’apaisement et à l’édification d’un nouvel avenir dans le respect de la mémoire vive du génocide. Reportage.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Si le développement, visible, tangible, confirmé par des indicateurs crédibles, se confirme, s’accélère, impressionne, il faut être dans le pays, quand arrive le fatidique mois d’avril pour se souvenir qu’en 1994, il n’y a pas si longtemps finalement, le Rwanda était frappé par une terrible tragédie : le génocide contre les Tutsis perpétré par le gouvernement extrémiste hutu. Un passé douloureux qui hante encore les Rwandais, ceux qui l’ont vécu comme ceux qui sont nés après. Une mémoire d’autant plus lourde à porter que toute la lumière sur les événements qui ont conduit au drame n’a pas encore totalement été faite malgré les investigations et recherches multiples mises en œuvre depuis des années. D’où cette douleur, elle aussi tangible, à Kigali comme ailleurs dans l’une des mille collines qui composent le pays, quand arrive le mois d’avril. Même si, cette année, la 27e commémoration s’est inscrite dans un contexte particulier. Et ce à double titre.

Un contexte particulier pour la 27e commémoration du génocide



D’une part, en raison de la pandémie du Covid-19. Même si le pays, qui a adopté des mesures parmi les plus strictes, s’en sort plutôt bien sur le plan sanitaire, avec toutefois le maintien de mesures de restriction des déplacements. Et par conséquent, comme l’année dernière, des commémorations elles aussi « restreintes ».

D’autre part, en raison des derniers éléments dans l’écriture du récit des événements de 1994 et de ce qui a conduit à l’« inimaginable ». Notamment, des avancées notoires dans une série de dossiers qui avaient conduit à une rupture dans les relations entre la France et le Rwanda.

En effet, depuis plusieurs mois, la France apporte des réponses à des demandes exprimées par le Rwanda et longtemps restées insatisfaites. L’ouverture des archives, le procès de génocidaires réfugiés en France, et, dernier événement en date, la publication du rapport de la commission Duclert : le résultat de travaux commandés par le président Emmanuel Macron il y a deux ans afin d’« analyser le rôle et l’engagement de la France au Rwanda ». Cela s’est traduit par un document de 1 200 pages concluant à « un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes » au sein de l’État français. Il écarte cependant l’idée d’une complicité de génocide et a été symboliquement remis en main propre par l’historien français Vincent Duclert au président Paul Kagame. C’était le 7 avril, autrement dit le jour du début des commémorations nationales. Le président rwandais a salué les conclusions du rapport qu’il a qualifié d’« important pas en avant ».

Un pas important vers un réchauffement dans les relations entre la France et le Rwanda. Celui-ci ne manquera pas d’être confirmé lors de la visite annoncée d’Emmanuel Macron à Kigali, probablement en mai prochain. Cela dit, des signes significatifs de volonté de rapprochement avaient déjà été à noter. Ainsi du soutien de Paris à la candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de l’OIF, effectif depuis octobre 2018, de la visite à Kigali d’une délégation de l’Agence française de développement (AFD) conduite par Rémy Rioux, en juin dernier. Faut-il le rappeler, ce déplacement s’est traduit par la signature de deux accords portant sur près de 50 millions d’euros en prêts et en subventions. « Ces financements s’inscrivent dans une dynamique de relance du partenariat entre le Rwanda et la France, au service de la population rwandaise et en particulier de sa jeunesse », a commenté l’AFD.

Alors que d’autres partenariats et investissements français sont « dans les tuyaux », au Rwanda, ces nouveaux éléments « historiques », sans faire la une de journaux locaux, sont tout de même suivis avec attention… en même temps que le procès de Paul Rusesabagina, le héros du film Hôtel Rwanda. Celui-ci, notamment poursuivi pour avoir soutenu le Front de libération nationale (FLN), un groupe rebelle accusé d’attaques meurtrières ces dernières années au Rwanda, avait été arrêté dans des circonstances particulières et son retour au pays avait soulevé un certain nombre d’interrogations.

Comment les Rwandais apprécient l’aboutissement actuel…



Au-delà, les Rwandais se posent plein de questions par rapport au génocide. « Des excuses ? Pour qui ? Pour quoi faire ? Pour les morts peut-être, mais eux qu’en feront-ils… » Ce sentiment, exprimé par la professeure Assumpta Mugiraneza, cofondatrice et directrice du Centre IRIBA pour le patrimoine multimédia, résume bien celui répandu à Kigali. Si pour cette dernière, franco-rwandaise qui a consacré sa vie à « chercher à expliquer l’inexplicable », ce travail de mémoire est indispensable, car une majorité de Rwandais sont en attente de « vérité » plus que d’excuses.

« Je suis profondément, foncièrement, rwandaise, mais je suis aussi une bonne citoyenne française, une culture de choix. C’est ma façon aussi d’habiter la planète par cette double appartenance, précise-t-elle avant de confier : j’ai suivi de près, dès octobre 1990, le premier engagement de la France au Rwanda. Quand la guerre a commencé au Rwanda, j’ai eu peur et j’avais de bonnes raisons d’avoir peur. J’avais été courroucée par l’intervention de la France. À cette époque, c’était la première guerre du Golfe, personne ne se préoccupait de ce minuscule pays africain, le Rwanda. Mais parce que j’étais rwandaise, j’étais condamnée à m’en soucier et aussi parce que ma famille commençait à en payer un lourd tribut mais aussi parce que ce pays que j’avais rejoint, ce pays des libertés tant désirées, tout cela était mis à mal. La bêtise qui s’étalait partout n’avait d’égale que la douleur ressentie face à ce qui se passait chez moi… ».

Aussi, c’est avec enthousiasme, et après de nombreuses déceptions, que cette dernière accueille l’annonce de la formation de la commission Duclert puis la publication des conclusions de ses travaux. « Pour les 14e et 15e commémorations déjà, avec des chercheurs européens et africains, nous parlions du besoin de laisser les historiens faire le travail. Avec un ouvrage notamment, Rwanda 15 ans après, penser, écrire l’histoire du génocide des Tutsis et d’autres événements.

…d’une démarche initiée par le président Sarkozy



Puis vint la visite du président Sarkozy, j’espérais que les choses allaient changer. Ce n’était pas encore au rendez-vous. Mais j’ai noté ce petit pas, ô combien important. J’avoue que l’arrivée au pouvoir de Hollande a nourri des espoirs, finalement, il a été rattrapé par des priorités franco-françaises. Aussi, j’ai été très heureuse quand le président Macron a mis en place cette commission. Je dirais même que j’ai retrouvé une certaine quiétude quand j’ai réalisé qu’il n’avait pas mis les officiels de la chose rwandaise. C’était une manière de repartir sur des bases saines.

J’ai eu la chance de voir la commission travailler, avec beaucoup d’espoir. J’ai aimé la façon dont ils ont travaillé et rapporté les faits. Ils n’étaient pas là pour apporter des réponses à tout. C’est à nous aujourd’hui de transformer le rapport. Si nous décidons de travailler intelligemment, ce travail peut constituer un pas important vers la déconstruction de l’idéologie raciste coloniale coupable qui permet que ce genre de crime ait lieu et nous enferme pour qu’on ne puisse pas dire non. C’est ce qu’il faut essayer de changer. »

Et de conclure : « Ce qui est important, c’est une reconnaissance institutionnelle, un travail d’historiens, pour ne pas dire la France ou le Rwanda mais nommer les culpabilités, non plus pour jeter des personnes en prison, qu’est-ce que cela va réparer, mais bien plus pour éduquer, les jeunes, rwandais, africains, français, à penser autrement. Un crime est un crime. Une culpabilité est une culpabilité. Sachons ne pas transmettre la haine ! »

S’il n’aura pas été l’homme du rapprochement, Nicolas Sarkozy l’aura incontestablement initié. Celui que l’on dit « proche » du président Kagamé, encore récemment, en visite au Rwanda, est qualifié d’« ami du Rwanda ». « Dans notre culture, on ne juge pas une personne sur ses propos ou son passé, explique un jeune entrepreneur rwandais. Si une personne fait un pas vers vous, vous l’accueillez favorablement. » Ce pas, accompli en 2010 quand Nicolas Sarkozy est allé à Kigali, s’est concrétisé dans cette visite, la première d’un chef d’État français depuis le drame. L’occasion d’admettre « de graves erreurs d’appréciation » de la France et de montrer une bonne volonté dans laquelle s’est inscrit l’un de ses successeurs, Emmanuel Macron. De quoi garder vive la mémoire des événements.

D’un rapport à l’autre, le devoir de mémoire maintenu…



Et les Rwandais y tiennent à ce devoir de mémoire et de justice. Pour preuve, le dernier rapport, commandé par Kigali, sur le rôle de l’État français dans le génocide des Tutsis au Rwanda, est plus accablant que le rapport Duclert. « Il y a plusieurs éléments qui contribuent à montrer que l’État français était conscient du danger du génocide qui se préparait », affirme Jean Damascène Bizimana, secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide du Rwanda.

« Les deux rapports ne sont pas contradictoires, analyse un journaliste rwandais. La France fait son travail de son côté, nous, du nôtre. Tout cela participera, au final, à nous permettre d’écrire toute la vérité sur cette histoire. Elle continue de marquer notre pays, notre génération qui a vécu le drame, qui a fui et vécu dans des camps situés dans les pays voisins ou à l’étranger. Nos enfants et nos petits-enfants devront continuer le travail de reconstruction du Rwanda initié par leurs aînés. Ils devront cependant être libérés des fantômes de leur passé et de tout sentiment de haine. »

Un devoir de mémoire salutaire donc, même s’il est difficile. Poursuivi par Emmanuel Macron qui doit poursuivre, dit-on à Kigali, le rapprochement entre la France et le Rwanda. Le président français devrait « faire une annonce » lors de sa visite de mai prochain. Sur cette question mémorielle sans doute, sur de nouveaux partenariats et échanges économiques entre les deux pays sans doute.

… et de nouvelles perspectives dégagées



Sur le plan de la tech, Kigali s’érige comme la Mecque de la tech en Afrique, à travers des initiatives comme l’ouverture annoncé d’un bureau de Digital Africa dans la capitale rwandaise. « Le Rwanda est un pays ouvert aux investissements, à tous les investissements, d’où qu’ils viennent, à condition qu’ils nous accompagnent sur le chemin du développement », indique un responsable du Rwanda Development Board, l’incontournable agence publique qui conduit tous les chantiers inscrits dans la stratégie de développement du Rwanda.

Pour preuve, en octobre dernier, Bpifrance, la banque publique d’investissement française, a signé un protocole d’accord avec la toute jeune Rwanda Finance Limited (RFL), une société détenue par le gouvernement du Rwanda, pour renforcer la coopération économique entre la France et le Rwanda. Tandis que le commerce bilatéral entre la France, même s’il reste faible, augmente nettement. Au cours de la dernière décennie, il est passé de 13,7 millions d’euros en 2010 contre un total de 25,3 millions d’euros en 2019.

Un signal important : le retour de la langue française



Sur le plan culturel, il y a des signaux intéressants. Si le Rwanda a échangé le français contre l’anglais, l’enseignement du français est de retour, à travers les initiatives de l’OIF notamment. « On ne peut nier que les Rwandais avaient déserté les bancs des quelques écoles françaises qui restaient dans le pays, pour différentes raisons », admet une enseignante, française, d’une école française à Kigali. « Toutefois, on observe en ce moment l’ouverture de nouvelles écoles et de classes qui se remplissent. C’est un signe positif non ? » dit-elle. Et d’ajouter : « Il y en a d’autres. Comme la construction d’un centre culturel francophone, six ans après la fermeture du centre culturel français, la réouverture d’une ambassade française à Kigali qui sera sans doute confirmée lors de la visite du président Macron ». Plus qu’un symbole…

Par Dounia Ben Mohamed, à Kigali
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024