Fiche du document numéro 28219

Num
28219
Date
Lundi 19 avril 2021
Amj
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Taille
36551
Pages
3
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Titre
Après la commission Duclert, Kigali publie son propre rapport sur la responsabilité de la France dans le génocide au Rwanda
Sous titre
Le gouvernement rwandais a reçu lundi le rapport commandé à un cabinet d’avocats de Washington, qui pointe le rôle de la France sans considérer qu’elle a eu une « part active » dans le génocide des Tutsi.
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Type
Article de journal
Langue
FR
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Après la parution du rapport de la commission Duclert, remis à Emmanuel Macron le 26 mars, le gouvernement rwandais a reçu lundi 19 avril le rapport qu’il avait commandé au cabinet d’avocats Muse, basé à Washington, sur le rôle de la France pendant le génocide des Tutsi qui a provoqué la mort d’un million de personnes entre avril et juillet 1994 au Rwanda.

Ce rapport, intitulé « Un génocide prévisible : le rôle de l’Etat français en lien avec le génocide contre les Tutsi au Rwanda », n’est pas le premier commandé par le Rwanda sur l’implication de la France. En 2008, deux ans après la rupture des relations diplomatiques franco-rwandaises, Paul Kagame, chef d’Etat et ancien leader du Front patriotique rwandais (FPR), avait demandé à la commission Mucyo, du nom de son président, de recueillir au Rwanda et à l’étranger différents témoignages. Cette commission avait conclu que « l’Etat français a joué une part active dans la préparation et l’exécution du génocide » et demandé « au gouvernement rwandais de se réserver le droit de porter plainte contre le gouvernement français pour sa responsabilité ».

Treize ans plus tard, cette notion de « part active » pouvant impliquer juridiquement une complicité a disparu dans le rapport Muse. « Ce sont des avancées considérables », a aussitôt réagi l’Elysée, soucieux, tout comme Kigali, de prolonger l’apaisement des relations entre les deux pays entamé depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Pour Paris, la publication de ce document ainsi que l’entretien accordé au Monde par le chef de la diplomatie rwandaise marquent « une nouvelle étape qui permet de se projeter dans un avenir commun ».

Fin 2018, le soutien de la France à la candidature de Louise Mushikiwabo, ancienne ministre des affaires étrangères du Rwanda, à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie avait amorcé ce rapprochement. Pour représenter la France aux célébrations du 25e anniversaire du génocide, le 7 avril 2019, Paris avait envoyé, dans un geste symbolique assez fort, Hervé Berville, député d’origine rwandaise. A l’Elysée, Emmanuel Macron avait reçu une délégation d’Ibuka, la principale association de rescapés, et décidé que cette journée serait désormais consacrée à la commémoration du génocide des Tutsi. Enfin, il avait annoncé la création d’une commission d’historiens chargée d’étudier le rôle de la France au Rwanda de 1990 à 1994.

La commission Vincent Duclert, composée d’une douzaine de membres, a eu accès pendant deux ans à toutes les archives nationales, à l’exception de celles qui lui ont fermé la porte, comme à l’Assemblée nationale. Son rapport de 1 200 pages, intitulé « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) », a permis d’établir « un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes » de l’Etat français, et principalement de l’état-major particulier du président François Mitterrand, mais pas de complicité de génocide « si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire ».

Entêtement de l’état-major mitterrandien



Le rapport des avocats américains s’appuie sur des documents provenant d’ONG, d’échanges diplomatiques, d’articles de presse et sur plus de 250 témoignages. Les sources des deux rapports diffèrent, mais leurs conclusions convergent. « Notre rapport était en grande partie achevé avant que les travaux de la commission Duclert ne soient rendus publics, écrit l’avocat Robert Muse dans sa préface. Nous avons néanmoins fait le choix d’incorporer, à certains endroits, des faits découverts par la commission… Nous considérons que chaque rapport est indépendant l’un de l’autre. »

A travers le titre du rapport, les avocats américains pointent la prédictibilité du génocide et souligne les nombreuses alertes qui remontent du terrain à l’époque, pour prouver – sans apporter de faits majeurs nouveaux – cet entêtement de l’état-major mitterrandien qui voit « l’avancée des troupes du FPR comme une plus grande menace pour le Rwanda que ceux qui commettaient le génocide ».

Le rapport va au-delà de l’année 1994. Il montre comment la justice française a cherché à retarder certaines procédures et à dissimuler la vérité, notamment au cours de l’enquête menée par le juge Jean-Louis Bruguière sur l’attentat perpétré contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994 et qui avait provoqué la rupture, à l’initiative de Kigali, des relations diplomatiques entre les deux pays. Cette instruction comprenait de nombreuses manipulations, comme l’a souligné un arrêt rendu en juillet 2020 par la cour d’appel de Paris.

« Au cours des vingt-cinq dernières années, l’Etat français a mené une opération de camouflage afin d’enterrer son passé au Rwanda, dénoncent les auteurs du rapport Muse. Après que des médias français et une commission rwandaise ont publié des rapports critiques à propos du rôle de l’Etat français dans les affaires rwandaises, en particulier le génocide, l’Etat français a répondu par des enquêtes biaisées, dont l’une s’appuyait sur les témoignages de génocidaires. Alors que les tribunaux nationaux du Rwanda et les cours internationales cherchaient à faire comparaître les génocidaires en justice, l’Etat français a permis à de nombreuses affaires de rester en suspens pendant des décennies. Depuis le génocide, l’Etat français a offert un refuge à de nombreuses personnes soupçonnées d’être impliquées dans des crimes de génocide, dont l’ancienne première dame Agathe Habyarimana. » D’après le rapport Muse et plusieurs associations de rescapés, il s’agit de plus de 100 personnes établies en France.

Le seul Français actuellement accusé de complicité dans le génocide des Tutsi est Paul Barril. L’ancien gendarme de l’Elysée devenu mercenaire apparaît dans le rapport Muse – et non dans la commission Duclert – pour des faits déjà connus. Les avocats américains rappellent que ce proche de la famille Habyarimana, accusé à la suite d’une plainte déposée en 2013 à Paris par l’association Survie, aurait notamment participé à la formation de soldats rwandais dans le cadre de l’opération « Insecticide » destinée à infiltrer le FPR au moment même où les tueries atteignaient leur paroxysme dans les collines.

« Appui inconsidéré »



« L’Etat français porte une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible, conclut le rapport Muse. Pendant de nombreuses années, l’Etat français a soutenu le régime corrompu et meurtrier du président rwandais Juvénal Habyarimana. Des responsables français ont armé, conseillé, formé, équipé et protégé le régime rwandais, ne tenant pas compte de la volonté du régime de déshumaniser les Tutsi au Rwanda et, à terme, d’assurer leur destruction et leur mort… Le président François Mitterrand fut principalement responsable de l’appui inconsidéré de l’Etat français. »

Le rapport Muse est parsemé d’encadrés de témoignages de victimes ayant survécu. Ils permettent de ramener le focus de ce génocide à une échelle humaine. Loin des enjeux diplomatiques qui se trament actuellement entre la France et le Rwanda, on peut y lire par exemple comment Odette Mupenzi, cachée derrière un matelas, a vu ses parents tués par des miliciens, puis a dû faire semblant d’être morte pour rester en vie.

« Le rôle du pouvoir français a été singulier, concluent les avocats américains. Pourtant, l’Etat français n’a toujours pas reconnu son rôle et ne s’en est toujours pas officiellement excusé. » Une rencontre entre Paul Kagame et Emmanuel Macron est envisagée à Paris au mois de mai. Le président rwandais est attendu, « si les conditions sanitaires le permettent », le 18 mai en France pour un sommet sur le financement des économies africaines. Un voyage du chef de l’Etat français à Kigali est lui aussi à l’étude, mais ni le calendrier ni le discours qu’il y délivrera n’ont encore été précisés.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024