Fiche du document numéro 28214

Num
28214
Date
Lundi 19 avril 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
32590
Pages
4
Urlorg
Surtitre
Génocide
Titre
Rwanda : un nouveau rapport sur le rôle de la France
Soustitre
Un rapport rédigé par des avocats américains sera rendu public ce lundi en fin d’après-midi à Kigali, trois semaines après celui de la commission Duclert qui avait conclu à de «lourdes et accablantes responsabilités» de la France.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Mot-clé
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Un rapport peut en cacher un autre : trois semaines après la publication du rapport de la commission Duclert à Paris, c’est donc au tour de Kigali de dévoiler ce lundi, les conclusions d’une enquête sur le rôle de la France au Rwanda dans les années 90. Elles seront présentées au gouvernement rwandais à la mi-journée, avant d’être rendues publiques. De Paris à Kigali, l’implication française dans le génocide des Tutsis en 1994 continue décidément de hanter les mémoires, et de susciter des questions, plus d’un quart de siècle après la tragédie. Le rapport Duclert a tiré la première salve. Mais en réalité, l’enquête rendue publique ce lundi au Rwanda avait été décidée fin 2016, bien avant la formation de la Commission Duclert en France.

D’emblée, les deux enquêtes s’annonçaient d’ailleurs très différentes : créée le 5 avril 2019, la commission Duclert regroupait des historiens, des archivistes, des juristes et des fonctionnaires de l’Education nationale. Tous bénéficiaient de l’habilitation «secret-défense», permettant pour la première fois un accès, assez large mais pas complet, à des archives jusque-là verrouillées.

Au bout de deux ans de fouilles dans les cartons des administrations concernées, le rapport rendu le 26 mars à Paris conclut à de «lourdes et accablantes responsabilités» pour la France au Rwanda. C’est déjà beaucoup : une reconnaissance officielle, inédite, des responsabilités de la France qui a soutenu un régime qualifié de «raciste» et «corrompu». Celui qui va conduire au génocide.

La commission Duclert confirme en réalité un constat déjà connu par les travaux de nombreux chercheurs depuis plus d’un quart de siècle. Mais le verdict est désormais officiellement assumé par Paris. Même si de nombreux responsables de l’époque, d’Hubert Védrine à Alain Juppé en passant par Edouard Balladur, se sont précipités dans les médias pour souligner qu’en revanche la «complicité de génocide» avait été écartée par les historiens. Lesquels se sont en réalité contentés de dire qu’ils n’ont rien trouvé en ce sens dans les archives qu’ils ont pu consulter. Si, en France, certains anciens responsables français interprètent le travail d’historiens sur un terrain juridique, côté rwandais, ce sont des avocats qui sont appelés à se prononcer sur un terrain historique.

Watergate et ouragan Katrina



Car l’originalité de l’enquête rwandaise est d’avoir été confiée à un cabinet d’avocats américains, Cunningham Levy Muse LPP. Des pointures du barreau américain, parmi lesquelles figure Robert Muse, qui fut l’avocat du Sénat dans la commission d’enquête sur le scandale du Watergate. Evidemment le recours à des hommes de loi pourrait suggérer une démarche plus judiciaire qu’historique. Mais ces derniers ont aussi la réputation d’être des enquêteurs chevronnés qui se sont retrouvés dans des dossiers aussi divers que la commission d’enquête sur l’ouragan Katrina de 2005 ou sur la répression des émeutes du Bloody Sunday en Irlande du Nord, en 1972. Reste qu’il y a trois ans et demi, au moment où ils sont recrutés par Kigali, les relations étaient de fait plutôt tendues avec Paris, après une brève période d’embellie sous Sarkozy. Et les avocats américains s’étaient vus confier dans un premier temps un «état des lieux» sur «le rôle des officiels français dans le génocide contre les Tutsis» à partir des seuls documents officiels disponibles. Fin 2017, ils rendent un premier rapport, dont le constat est plutôt sévère.

Alors que Paris s’engage massivement aux côtés du régime en place à partir de 1990 pour contrer le Front Patriotique Rwandais (FPR), une rébellion formée par des réfugiés tutsis aujourd’hui au pouvoir à Kigali, ce premier rapport accusait de «hauts responsables français» d’avoir participé à «l’élaboration de l’idéologie génocidaire en définissant l’ennemi, non pas en tant que FPR, mais comme Tutsi». En bref, d’avoir embrassé la logique du régime en place, qui considérait tous les Tutsis comme des «complices» de la rébellion, justifiant ainsi les exactions à leur égard. Et notamment déjà des massacres annonçant le génocide. Or, malgré ces dérives inquiétantes, constatait encore ce premier rapport, «les autorités françaises ont continué à faciliter les livraisons d’armes» au régime qui orchestrait la terreur.

«Un langage de vérité»



Enfin, il accusait Paris d’avoir sciemment déclenché fin juin 1994 l’opération Turquoise dans une ultime tentative pour sauver le régime génocidaire alors en fuite, face à l’avancée du FPR. Et dans la période qui suit, d’avoir tout fait pour déstabiliser le nouveau pouvoir rwandais. En entravant tout soutien financier à un pays pourtant décimé, mais surtout en continuant à soutenir les forces génocidaires réfugiées de l’autre côté de la frontière, au Zaïre, l’actuelle République démocratique du Congo (RDC). «Les tentatives, de la part de responsables français, de détourner l’attention du rôle de la France dans le génocide, ainsi que l’obstruction à juger les génocidaires, sont toujours d’actualité» , était-il constaté. En conclusion, l’équipe américaine justifiait la nécessité d’une enquête plus approfondie. Celle publiée à Kigali ce lundi. Et enjoignait également la France d’ouvrir ses archives «remplies de documents et de matériels, sans lesquels l’histoire complète de cette époque ne sera jamais connue».

Trois ans et quatre mois plus tard, ce vœu en particulier a-t-il été exaucé avec le rapport de la commission Duclert ? L’idée de confier à des chercheurs le soin d’examiner les archives françaises avait été évoquée pour la première fois par Emmanuel Macron en mai 2018, alors qu’il recevait à l’Elysée le président rwandais, Paul Kagame, amorce d’un réchauffement entre la France et le Rwanda. A la différence de ses prédécesseurs, Macron, qui avait 16 ans pendant le génocide, pouvait se montrer plus pragmatique, en cherchant à enterrer la hache de guerre. D’autant qu’en réalité Kigali souhaite «un langage de vérité», permettant de surmonter les blocages entre deux pays encore hantés par leur passé commun. Ce message avait été transmis à Paris dès fin 2017, au moment même où était publié le premier état des lieux des avocats américains. Lesquels ont depuis poursuivi et approfondi leur enquête, celle dont les conclusions sont délivrées ce lundi. Reste que ni le rapport Duclert, ni le rapport Muse ne sauraient apporter toutes les réponses concernant cette page sombre de l’Histoire. Mais en acceptant réciproquement d’y voir une avancée, Paris et Kigali ont l’occasion inédite d’imposer l’ébauche d’une vision commune sur une dérive française au cœur d’une solution finale africaine.
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024