Fiche du document numéro 28066

Num
28066
Date
Mercredi 31 mars 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
35436
Pages
5
Urlorg
Sur titre
Transparence
Titre
Bernard Cazeneuve: «Je déplore que l’Assemblée nationale ait refusé l’accès aux archives sur le Rwanda »
Sous titre
En 1998, l’ancien Premier ministre avait été rapporteur d’une mission d’information sur le génocide. L’Assemblée nationale a refusé l’accès aux historiens aux milliers de documents alors déclassifiés
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les faits - L’Elysée a rendu public, vendredi 26 mars, le rapport de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis (1990-1994), présidée par l’historien Vincent Duclert. Si ces chercheurs ont eu accès à de nombreux documents, dont ceux de la DGSE, l’Assemblée nationale et son président Richard Ferrand ont refusé aux chercheurs de travailler sur les documents déclassifiés en 1998, contrairement à l’engagement initial du chef de l’Etat.

En 1998, Bernard Cazeneuve, alors député PS, avait été co-rapporteur de la mission parlementaire d’information sur le Rwanda, présidée par Paul Quilès. Dans l’Opinion, l’ancien Premier ministre revient aujourd’hui sur la publication, vendredi 26 mars, d’un nouveau rapport par une commission d’historiens, présidée par Vincent Duclert et mandatée par le président Macron.

Contrairement à l’engagement du président de la République, l’Assemblée nationale a refusé à la commission Duclert l’accès aux archives à partir desquelles vous aviez travaillé en 1998. Comment réagissez-vous ?

L’objectif assigné à la commission Duclert était de contribuer à faire progresser la vérité. Je me suis entretenu avec Vincent Duclert, qui m’a expliqué les conditions dans lesquelles il a pu travailler, les moyens dont il a disposé, les documents mis à sa disposition. Le bon déroulement de la mission supposait une consultation large des archives, afin de mieux comprendre par quel enchaînement funeste de faits et de responsabilités le génocide des Tutsis du Rwanda était survenu. Il était donc indispensable que l’ensemble des documents nécessaires à l’avènement de la vérité puisse être mis à la disposition de la commission d’historiens et de chercheurs instituée par Emmanuel Macron.

Nous avons, en 1998, procédé à la première enquête parlementaire de contrôle de l’action de l’exécutif au Rwanda et nous avons nous aussi eu besoin de travailler sur l’ensemble des éléments disponibles : le gouvernement de Lionel Jospin a mis à notre disposition pour ce faire plusieurs milliers de documents déclassifiés, en provenance du Quai d’Orsay, du ministère de la Défense, de la mission militaire de coopération ou encore de l’état-major des armées. Si j’ai bonne mémoire, cela représentait entre 11 000 et 15 000 pièces contenant des pièces émanant de toutes les administrations françaises, et qui étaient pour la plupart d’entre elles classifiées.

Il est donc regrettable que la commission Duclert n’ait pas eu accès aux archives de notre mission. Cela lui aurait permis de faire le bilan de ce à quoi nous avions eu accès et de le comparer à ce que nous avions pu établir, au terme de nos travaux et qui pouvait être éventuellement contesté, à la lumière des documents déclassifiés par l’actuel gouvernement, conformément aux engagements pris et respectés par lui. Car j’admets volontiers que des informations nouvelles puissent faire progresser la vérité. Mais il faut pour cela établir de quelle base documentaire on part, quels sont les apports des documents nouveaux et en quoi ils peuvent contribuer à changer notre perception.

« Voilà que l’Assemblée nationale – qui doit à l’accoutumée batailler pour accomplir ses missions – refuse à ceux qui veulent comprendre et savoir, les moyens de leurs investigations ! C’est pour le moins étrange et regrettable »



L’impasse a donc été faite, malgré les souhaits exprimés par la commission Duclert elle-même, sur une masse de documents à partir desquelles les historiens auraient pu identifier ce que nous n’avions pas vu, ce qui nous aurait éventuellement été caché, ou ce que nous aurions mal analysé. Rien, à mon avis, ne s’y opposait.

Cette question de l’accès aux archives est fondamentale. Je déplore donc qu’on ait refusé l’accès des archives de l’Assemblée nationale à la commission Duclert.

Comment expliquez-vous le refus de l’Assemblée nationale et de son président Richard Ferrand ?

Je ne l’explique pas. C’est pour moi totalement incompréhensible. Dans toutes les commissions d’enquêtes parlementaires auxquelles j’ai participé comme président ou rapporteur, celle sur le Rwanda, celle ô combien difficile sur l’attentat de Karachi ou celle sur le « syndrome de la guerre du Golfe », j’ai pu constater à quel point il fallait se battre pour obtenir de l’exécutif les éléments dont nous avions besoin pour accomplir nos missions de contrôle. Lorsque l’exécutif lance une mission pour faire la vérité sur le génocide des Tutsis du Rwanda, voilà que l’Assemblée nationale – qui doit à l’accoutumée batailler pour accomplir ses missions – refuse à ceux qui veulent comprendre et savoir, les moyens de leurs investigations ! C’est pour le moins étrange et regrettable.

Richard Ferrand évoque le fait que des auditions avaient alors été réali-sées à huis clos et qu’il faut protéger l’anonymat de ses sources…

Ce sont des arguments difficilement recevables. Même s’il y a une quinzaine ou une vingtaine de comptes rendus dont on peut comprendre qu’ils ne soient pas transmis, il y a plusieurs autres milliers de pages qui auraient pu l’être utilement. On aurait aussi pu permettre à la Commission de les consulter, avec l’engagement de ne pas les rendre publics, pour lui permettre d’aller au bout de ses investigations.

« Quand il s’agit de faire la vérité sur un génocide, on doit pouvoir trouver les conditions de l’avènement de cette vérité, et servir sa recherche sans contrevenir au principe de séparation des pouvoirs »



L’Assemblée parle aussi de la séparation des pouvoirs, le Président ne pouvant promettre l’ouverture des archives du Parlement…

Quand il s’agit de faire la vérité sur un génocide, on doit pouvoir trouver les conditions de l’avènement de cette vérité, et servir sa recherche sans contrevenir au principe de séparation des pouvoirs. Tous les éléments doivent être mis sur la table : c’était bien l’état l’esprit qui présidait à la création de cette mission, comme de celle qu’a présidée Paul Quilès il y a plus de vingt ans. Plus on a de documents, et mieux on comprend le contexte parfois complexe d’une époque. Et moins on en a, plus on est vulnérable face à certaines mises en cause ou accusations approximatives.

Pensez-vous que les conclusions sévères du rapport soient liées à la volonté du Président d’une ouverture diplomatique avec le Rwanda ?

Je ne veux pas le croire, car lorsqu’il y a un million de morts au terme d’un génocide, ce ne sont pas seulement des considérations diplomatiques qui président à l’écriture d’un rapport, mais la recherche acharnée, absolue, exigeante de la vérité. Je n’ai aucune raison de ne pas considérer que tel ne fut pas l’esprit de la mission Duclert que de chercher obstinément cette vérité.

« Il faut sur le génocide rwandais avoir la décence de choisir les mots pour dire la vérité, c’est là le prix de la rigueur sans laquelle l’avènement de la vérité se révèle toujours impossible »



Sur le fond, que pensez-vous du rapport Duclert ?

Je procède actuellement à sa lecture et n’apprécierai son contenu qu’à son terme, c’est-là la seule manière d’être honnête. Je vais bien entendu regarder à quelles sources documentaires sont puisées ses conclusions. Mais ce que j’en ai lu me laisse le sentiment d’un travail rigoureux. Comme je l’ai fait dans le passé, lorsque j’ai conduit moi-même des enquêtes, je ne m’exprimerai pas autrement qu’avec la plus grande rigueur sur la tragédie rwandaise, car je sais à quel point la question du génocide est passionnelle, complexe et instrumentalisée par bien des courants d’opinion, et aussi par certains dirigeants rwandais. En 1998, nous avons nous-même pointé des erreurs, des manquements, et sans rien occulter de ce que nous avons découvert dans les documents déclassifiés, notre rapport était d’un ton modéré et sans doute moins spectaculaire que la relation faite par la presse du rapport Duclert, dont je constate, en commençant à le lire, qu’il est plus nuancé que ne le laissent penser certains articles. Il faut sur le génocide rwandais avoir la décence de choisir les mots pour dire la vérité, c’est là le prix de la rigueur sans laquelle l’avènement de la vérité se révèle toujours impossible. Que notre pays soit capable de faire ce travail est tout à son honneur et que le rapport Duclert ait pu faire litière des accusations de complicité de génocide, régulièrement portée contre la France et François Mitterrand montre que les travaux sérieux conduits par des esprits rigoureux ramènent à leur juste place les polémiques stériles et les outrances.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024