Fiche du document numéro 27486

Num
27486
Date
Mardi 16 juin 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
67967
Pages
19
Titre
Audition de MM. Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Défense (mai 1988 - janvier 1991), ministre de l’Intérieur, et Jacques Pelletier, ministre de la Coopération et du Développement (mai 1988-juin 1991), sénateur de l’Aisne
Nom cité
Nom cité
Cote
MIP, Auditions, 16 juin 1998
Source
MIP
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de MM. Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Ministre de la
Défense (mai 1988-janvier 1991), Ministre de l’Intérieur,
et Jacques PELLETIER, Ministre de la Coopération et du
Développement (mai 1988-juin 1991), Sénateur de l’Aisne
(séance du16 juin 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Jean-Pierre Chevènement,
Ministre de la Défense de mai 1988 à janvier 1991, et M. Jacques Pelletier,
Ministre de la Coopération de mai 1988 à juin 1991.
Il a rappelé qu’à cette époque, le Rwanda connaissait une crise
économique extrêmement sérieuse : le cours du café venait de s’effondrer ;
sécheresse et famines se succédaient dans certaines régions. Sur le plan
politique, l’assassinat en avril 1988 de Stanislas Mayuya, successeur potentiel
du Président Habyarimana, avait déclenché des tensions politiques fortes et
considérablement affaibli le régime. Dans le prolongement du sommet de
La Baule la mise en oeuvre des réformes démocratiques constituait un défi
supplémentaire. Le régime d’Habyarimana se trouvait dans une situation
difficile lorsque, en octobre 1990, l’attaque du FPR a marqué le début de la
crise qui a culminé avec le génocide.
M. Jean-Pierre Chevènement a déclaré craindre de décevoir
quelque peu la mission. En effet, de l’intervention française au Rwanda dans
la période où il occupait encore les fonctions de Ministre de la Défense, il
n’avait gardé qu’un seul souvenir, celui de son déclenchement : une matinée,
dans le Golfe, à bord de la frégate Dupleix, avec le Président de la
République et l’Amiral Lanxade, son chef d’Etat-major particulier à l’Elysée,
assez tôt, en compagnie du commandant de bord. A ce moment-là, a été
apporté au Président de la République un message chiffré qui, une fois
décodé, faisait apparaître que le Président Habyarimana demandait
l’intervention militaire de la France pour l’aider à faire face à l’attaque du
FPR. Le Président s’est alors tourné vers l’Amiral Lanxade et lui a demandé
de répondre favorablement à cette demande. L’Amiral s’est éloigné et a
envoyé, au commandement opérationnel des armées des directives qui ont
conduit à l’envoi d’une compagnie, dont la mission était d’assurer avant tout
la protection de nos ressortissants.
La scène a été extrêmement brève. Ses protagonistes avaient alors
d’autres soucis en tête car 1990 était une année de profonds bouleversements
géopolitiques. C’était au lendemain de l’unité allemande, peu de temps avant

la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe des 20 et 22
novembre et M. Jean-Pierre Chevènement était fort occupé par la question
du désarmement et de l’équilibre de forces. De lourds nuages apparaissaient
dans le ciel avec la perspective d’une guerre dans le Golfe dont peu de gens
pensaient qu’elle était encore évitable.
M. Jean-Pierre Chevènement a ainsi rappelé que les forces
françaises avaient débarqué en Arabie Saoudite le 15 septembre, après
l’occupation de l’ambassade de France au Koweït par les troupes irakiennes
et que le Président de la République avait prononcé au sujet de la crise du
Golfe un discours à l’ONU le 24 septembre. Le mois d’octobre fut un mois
de relative accalmie avec la libération d’un certain nombre d’otages. On
pouvait espérer que les choses évolueraient dans la bonne direction. A titre
personnel, M. Jean-Pierre Chevènement s’efforçait de faire entendre cette
voix auprès du Président de la République. Mais le discours du Président de
la République à l’ONU avait laissé apercevoir que d’autres options étaient
possibles.
A la fin du mois de novembre, le Conseil de sécurité a autorisé, non
pas l’emploi de la force mais, à la demande de M. Chevarnadze, le recours
aux « moyens nécessaires » à la libération du Koweït, ce qui signifiait assez
clairement la guerre.
M. Jean-Pierre Chevènement a indiqué qu’il avait alors envoyé la
lettre dans laquelle il demandait au Président de la République d’être relevé
de ses fonctions.
Remontant plus loin dans le passé, M. Jean-Pierre Chevènement a
évoqué des échanges assez vifs au sein du Gouvernement sur la politique
qu’il convenait de conduire en Afrique. Ces échanges avaient eu lieu en mai
et avaient porté leurs fruits dans le discours de La Baule du Président
Mitterrand, dans lequel ce dernier avait exposé des orientations sur lesquelles
M. Jean-Pierre Chevènement se trouvait en plein accord.
Le Ministre a souligné que, lors de la scène à laquelle il avait assisté
sur la frégate Dupleix, il n’avait pas été consulté.
M. Jacques Pelletier a exposé que son témoignage ne porterait que
sur la période où il avait exercé, avec un grand intérêt et une authentique
passion, la charge de Ministre de la Coopération et du Développement, à
savoir de mai 1988 à mai 1991.
Avant de parler de la région des Grands Lacs, il a rappelé quelques
éléments importants pour la compréhension du contexte de cette époque. Le

Gouvernement de Michel Rocard entendait suivre une politique dynamique
en faveur des pays pauvres. Conformément aux voeux du Président de la
République, la France voulait maintenir des liens étroits et une solidarité forte
avec les pays d’Afrique. En matière d’aide au développement, la France
consentait de gros efforts. Au cours des trois années où il avait exercé les
fonctions de Ministre de la Coopération, les crédits budgétaires avaient
beaucoup augmenté, pour se rapprocher du fameux seuil des 0,7 % du PIB.
Le Gouvernement français était le principal, pour ne pas dire le seul, avocat
de l’Afrique au sein des instances internationales. Que cela soit pour la
réduction des dettes ou la renégociation des accords de Lomé, la France a dû
montrer l’exemple et peser de tout son poids pour éviter que l’Afrique soit
abandonnée à elle-même.
De même, le ministère de la Coopération avait des discussions quasi
quotidiennes avec les experts du FMI et de la Banque mondiale, pour que les
nécessaires plans d’ajustement structurel n’imposent pas des contraintes
incohérentes ou insupportables aux Etats africains. La situation économique
était très défavorable : les prix des matières premières, en particulier celui du
thé et du café, étaient à leur cours le plus bas, le franc CFA était cher, les
investissements privés peu nombreux.
Pour terminer de brosser à grands traits l’environnement de
l’époque, M. Jacques Pelletier a évoqué une rupture majeure : la chute du
mur de Berlin à la fin de l’année 1989. Cet heureux événement a entraîné une
mobilisation de toutes les chancelleries pour maîtriser les conséquences de
l’effondrement rapide de l’Europe de l’Est. Dans ce contexte, l’Afrique
n’apparaissait plus prioritaire aux yeux de beaucoup et certains Africains
estimaient que l’Europe allait les abandonner.
M. Jacques Pelletier répétait souvent à cette époque « le vent qui
souffle de l’Est ne peut pas s’arrêter aux portes de l’Afrique ». Le sommet
de La Baule allait clairement fixer l’objectif d’une marche des pays
d’Afrique, chacun à son rythme et à sa manière, vers la démocratie et l’Etat
de droit. En 1988, à son arrivée au ministère, seuls deux pays sur un peu plus
de trente du champ de la coopération pouvaient être qualifiés de
démocratiques : le Sénégal et l’Ile Maurice. Au début des années 1990,
l’Afrique francophone ne connaissait pas une situation très brillante, ni
économiquement ni politiquement. Le désintérêt pour ce continent est sans
doute en partie responsable des drames qu’a connus l’Afrique centrale.
S’agissant plus précisément du Rwanda, M. Jacques Pelletier a fait
valoir qu’il avait découvert ce pays dans les années 1984-1988 en tant que
Président du Groupe d’amitié France-Afrique centrale du Sénat. Il s’est

demandé si l’on aurait pu prévoir et, donc, empêcher le génocide qui s’y est
déroulé.
M. Jacques Pelletier a exposé qu’à son arrivée rue Monsieur, le
Rwanda n’était pas une priorité pour le ministère et que sa « réputation »
était assez bonne. Ce pays était présenté comme la « Suisse de l’Afrique ».
Son « Président-paysan » au pouvoir depuis quinze ans était issu de l’ethnie
hutue, largement majoritaire (85 %), et soutenu par l’Eglise catholique qui
avait une énorme influence. Le Président semblait faire quelques efforts
d’ouverture envers la minorité tutsie, à qui il laissait prendre des
responsabilités dans le domaine économique, mais pas dans le domaine
politique. Par ailleurs, en comparaison avec le Burundi, où l’ethnie tutsie, au
pouvoir bien que très minoritaire, avait provoqué des massacres en août
1988, le Rwanda apparaissait comme un pays plus apaisé.
Cela ne voulait pas dire que la situation était bonne, loin de là. Dès
son premier voyage, il avait été impressionné par le travail des populations
locales qui cultivaient le moindre mètre carré, y compris dans les villes. Le
Rwanda était un jardin. Mais, en même temps, il avait été effrayé par la
densité de la population (plus de 300 habitants/km²) et par la pression que
cette densité entraînait sur le foncier. En dehors même des problèmes
ethniques, cette situation était très lourde de risques et M. Pelletier s’est
rappelé qu’il employait souvent l’expression : « il y a là un baril de
poudre ».
Dès son arrivée au ministère, il a fait accélérer les projets de
développement rural. Il a également essayé de favoriser une politique de
contrôle des naissances afin d’éviter que les difficultés continuent de
s’aggraver. Lors de ses entretiens avec le Président Habyarimana, en France
ou au Rwanda, M. Jacques Pelletier a toujours beaucoup insisté sur la
nécessité d’ouvrir le Gouvernement rwandais à l’opposition et à la minorité,
bref de démocratiser son régime. Dans leurs conversations privées, le
Président ne se montrait pas hostile à cette évolution. Il expliquait cependant
qu’il ne pouvait pas aller trop vite, sinon il ne serait pas suivi ; la suite des
événements a prouvé qu’il n’avait pas tort. Grâce à la coopération
décentralisée, qui marchait bien, la France espérait aussi montrer par
l’exemple ses vertus de ses principes politiques.
La question des réfugiés était également une préoccupation.
Pendant l’été 1988, après les massacres au Burundi, beaucoup de réfugiés
hutus étaient arrivés au sud du Rwanda. Très rapidement, M. Jacques
Pelletier a déployé des moyens importants pour qu’ils rentrent dans leur
pays, car il estimait que le Rwanda était incapable de supporter un afflux de
population supplémentaire.

En revanche, il y avait un autre problème de réfugiés auquel
M. Jacques Pelletier a reconnu qu’il n’avait sans doute pas assez porté
attention, même s’il n’entrait pas dans son champ de compétences
-l’Ouganda n’étant pas dans le « champ »-, c’était celui des réfugiés tutsis,
nombreux en Ouganda, qui semblaient relativement intégrés dans leur
nouveau pays, mais qui allaient être à l’origine des difficultés les plus graves.
Le 1er octobre 1990, quelques milliers de réfugiés rwandais
d’Ouganda ont envahi le Rwanda, provoquant des massacres et une fuite de
la population. Le Gouvernement français a très rapidement réagi en
envoyant, à la demande du Gouvernement de Kigali, des munitions et une
compagnie de parachutistes. Ce fut l’opération Noroît.
M. Jacques Pelletier a estimé que la logique de cette opération était
parfaitement claire.
Tout d’abord, il était nécessaire de protéger et d’évacuer nos
compatriotes qui pouvaient être menacés. Ensuite, il ne semblait pas possible
de laisser renverser un Gouvernement par une minorité menant une action
armée et violente en provenance et avec le soutien d’un pays étranger.
Il faut en effet se rappeler que les rebelles du FPR étaient très peu
nombreux. Tous les rapports indiquaient, et l’exode de la population
prouvait, qu’ils n’étaient absolument pas accueillis en libérateurs. Le
caractère « étranger » de cette invasion provenait également du fait que ses
chefs Fred Rwigyema et Paul Kagame étaient respectivement chef d’étatmajor adjoint et chef de la sûreté dans l’armée ougandaise. II semblait normal
d’assurer la sécurité d’un pays avec lequel des accords de coopération nous
liaient. Si la France n’avait pas réagi, elle aurait perdu la confiance de la
plupart des pays d’Afrique. C’est ce qui avait été décidé également lors des
différentes interventions au Tchad. Le principe de l’intangibilité des
frontières proclamé régulièrement par l’OUA semblait aussi menacé, la
victoire du FPR pouvant conduire à des réactions en chaîne dans toute la
région.
Assurer la sécurité du Rwanda n’était pas le seul but du
Gouvernement. Il voulait également faire évoluer le régime afin d’éviter la
répétition de tels événements. C’est avec ce double objectif que M. Jacques
Pelletier a conduit, à la demande du Président Mitterrand, au début du mois
de novembre 1990, une mission de bons offices au Rwanda et dans les pays
limitrophes où il a pu s’entretenir avec tous les responsables, notamment tous
les présidents.

De ce voyage, il est ressorti que les protagonistes étaient d’accord
sur trois points : la nécessité d’un cessez-le-feu et de la mise en place
d’observateurs ; la tenue d’une conférence régionale pour traiter l’ensemble
des problèmes et notamment celui des réfugiés ; l’ouverture politique à
l’intérieur du Rwanda.
La négociation entre les parties au conflit fut difficile à mener en
particulier pour deux raisons. La position exacte des pays limitrophes du
Rwanda n’était pas toujours très claire et certains chefs d’Etat, comme les
Présidents Mobutu et Museveni, par exemple, faisaient preuve d’une grande
susceptibilité dans leurs relations mutuelles. Par ailleurs, il était difficile de
mobiliser rapidement le système des Nations Unies ou nos amis occidentaux
pour envoyer des observateurs ou pour accorder des contributions
financières destinées à aider le pays à panser ses plaies le plus vite possible.
Ces deux difficultés se sont accentuées lors des crises ultérieures.
M. Jacques Pelletier a souligné que le Gouvernement français avait
eu deux objectifs dès le début du conflit : un objectif très visible, à savoir,
aider un pays à assurer sa sécurité contre une agression extérieure, et un
objectif dont on a moins parlé mais qui était tout aussi important, faire
évoluer le régime en place. M. Pelletier a déclaré avoir personnellement
exercé des pressions très vigoureuses auprès du Président Habyarimana. Le
Président Mitterrand l’a rencontré également et lui a écrit pour l’inciter
fortement à ouvrir son gouvernement.
Cet engagement de la France a eu des résultats tangibles qui allaient
dans le bon sens. M. Jacques Pelletier a précisé que, quelques jours après son
voyage dans la région, en octobre 1990, des milliers de Tutsis qui avaient été
arrêtés au début de l’invasion ont été libérés. A la fin de l’année 1990, un
avant-projet de charte nationale a été publié et un poste de Premier Ministre
créé. Un cessez-le-feu a été signé en mars 1991 et une Constitution
promulguée au mois de juin 1991.
A son départ du ministère en mai 1991, M. Jacques Pelletier
n’estimait pas que le problème était résolu, mais il pensait, très honnêtement,
que le plus grave avait été évité et qu’il fallait continuer à accompagner le
Rwanda dans son évolution. La voie était ouverte vers l’accord d’Arusha,
signé en août 1993. Malheureusement, les extrémistes des deux bords ne se
sont pas réellement engagés dans cette logique de paix et c’est ce qui
conduira au drame de 1994.
Le Président Paul Quilès a observé, à propos de l’attaque qui s’est
déroulée à Kigali dans la nuit du 4 au 5 octobre, que certains témoins ou
analystes l’ont présentée comme une simulation mise en scène par les

autorités rwandaises pour faire pression sur la France et la décider à
renforcer sa présence et son intervention.
Il a demandé à M. Jean-Pierre Chevènement et à M. Jacques
Pelletier s’ils se souvenaient d’informations de cette nature. En effet, si les
différents documents, témoignages et opinions concernant cet incident sont
contradictoires, il semblerait néanmoins qu’une forte présomption conduise à
penser que les autorités rwandaises avaient pu grossir le danger pour pousser
les Français à renforcer leur présence.
Le Président Paul Quilès a également demandé si les ministres
avaient disposé d’informations particulières concernant le FPR et s’ils avaient
des contacts avec ce mouvement avant, pendant ou après l’opération Noroît.
M. Jean-Pierre Chevènement a déclaré qu’il n’avait disposé
d’aucun élément d’appréciation lui permettant de savoir si l’attaque des
forces anti-gouvernementales étaient feinte ou réelle. La décision de la
France a été instantanée. Il n’avait pas d’informations particulières sur le
Rwanda.
Il a rappelé qu’il avait eu à connaître de troubles en Afrique,
notamment au Tchad, aux Comores et au Gabon, mais qu’à l’époque, ce qui
dominait avant tout, c’était l’effondrement de l’Union soviétique et du
monde bipolaire. Ce qui se passait au Rwanda faisait l’objet d’une
communication directe entre l’état-major particulier du Président de la
République et l’état-major des armées, le centre opérationnel interarmées et
les forces présentes sur le terrain.
M. Jean-Pierre Chevènement a expliqué qu’il ne savait pas
davantage si la Mission militaire de coopération et le ministère de la
Coopération étaient associés à la gestion de la crise rwandaise. Il n’a pas le
souvenir d’un seul conseil restreint où cette question ait été inscrite à l’ordre
du jour, ni qu’elle ait été jamais évoquée dans les quelques mois qui ont
suivi. C’était une affaire où le ministère de la Défense, en tout cas, n’a jamais
été amené à intervenir. La seule procédure par laquelle il était informé était
celle des comptes rendus que le ministre de la Défense a l’habitude de
trouver sur son bureau.
A propos de l’engagement de l’opération Noroît, M. Bernard
Cazeneuve a rapporté que des témoins politiques et militaires, ainsi qu’un
certain nombre de documents transmis à la mission indiquaient qu’au
moment des événements d’octobre 1990, une cellule de crise avait réuni
l’ensemble des administrations concernées des ministères des Affaires
étrangères, de la Défense et de la Coopération. Cette cellule a pris la décision

de mettre en oeuvre un dispositif destiné avant tout à évacuer les
ressortissants français en cas de dégradation de la situation, l’évacuation
militaire étant placée sous la responsabilité du Chef d’état-major des Armées
et non de l’état-major particulier du Président de la République.
Il a demandé si le Président de la République, lors de la réception de
la dépêche sur la frégate Dupleix, avait donné immédiatement les instructions
à cet effet ou si un dialogue s’était engagé entre l’amiral Lanxade, M. JeanPierre Chevènement et le président de la République sur l’opportunité de
l’intervention.
Il a souhaité savoir si, une fois rentré à Paris, M. Jean-Pierre
Chevènement avait été amené à donner des instructions au Chef d’état-major
des Armées concernant les objectifs assignés à l’opération Noroît et
lesquelles.
M. Jean-Pierre Chevènement a précisé qu’il n’y avait eu aucun
dialogue. Le Président de la République a donné une directive ; elle a été
exécutée immédiatement. Si une réunion s’est tenue, ce fut hors de sa
présence et il n’en a pas eu connaissance.
M. Jacques Pelletier a estimé que l’attaque du mois d’octobre
1990 était bien réelle mais que le gouvernement et le président rwandais en
avaient probablement exagéré l’ampleur. La seconde attaque, début janvier, a
été plus forte.
Quant aux relations avec le FPR, il a rencontré en Tanzanie des
représentants de ce mouvement au cours de sa mission de novembre 1990,
pour vérifier s’ils étaient d’accord avec les trois points de convergence qu’il
a mentionnés dans son exposé introductif.
Quant aux modalités d’association des différents ministres à la
décision d’intervention, M. Jacques Pelletier a confirmé le témoignage de
M. Jean-Pierre Chevènement : la décision a été prise par le Président de la
République hors de France de la façon qui a été décrite suite à une demande
transmise par la cellule africaine de l’Elysée.
Une cellule de crise a été mise en place, par la suite, pour veiller
notamment à la bonne évacuation des ressortissants français et des
ressortissants étrangers qui le souhaitaient. Elle fonctionnait normalement,
avec l’ensemble des partenaires habituels. Mais au départ, les ministres n’ont
pas été associés, ni le celui de la Défense ni le celui de la Coopération.

Le Président Paul Quilès a rappelé que, selon la Constitution, le
Président de la République est le chef des armées. Lorsqu’il s’agit
d’opérations, il a donc un rôle particulier à jouer. Ce n’est pas en tant que
Président de la République qu’il agissait, mais en tant que chef des armées.
Savoir si la Constitution est pertinente ou pas sur ce point est un autre débat,
mais c’est ainsi qu’elle fonctionne.
M. François Lamy a relevé les termes employés par
MM. Chevènement et Pelletier à propos du FPR : « réfugiés », puis,
« invasion étrangère » et enfin « forces antigouvernementales ».
Il a demandé si une réflexion a été menée à partir de 1990, lorsque
le problème s’est posé réellement, pour analyser la nature de ce mouvement
et des problèmes, surtout politiques, que soulevait son action.
Par ailleurs, si la Constitution confère au Président de la République
des pouvoirs nettement définis en tant que chef des armées, les termes sont
moins clairs en matière de politique étrangère, même si l’on a été amené à
parler à ce sujet de « domaine réservé ». M. François Lamy a donc demandé
des précisions sur la gestion d’une crise comme celle du Rwanda entre 1988
et 1991 : comment les différents acteurs -le ministre de la coopération, le
premier Ministre, le ministre des Affaires étrangères, le Président de la
République, l’équipe africaine de la Présidence de la Républiquedéfinissaient leur rôle les uns par rapport aux autres. Il a souhaité savoir qui
donnait les orientations et qui gérait au quotidien.
M. Jean-Pierre Chevènement a expliqué que le ministère de la
Défense n’intervenait que dans le domaine strictement militaire. Il a eu, par
exemple, à connaître des conséquences de l’assassinat du Président Abdallah
aux Comores. C’est l’armée française qui, à l’époque, a permis une transition
pacifique, sans qu’une goutte de sang n’ait été versée. Ce succès a été dû à la
remarquable qualité et à l’efficacité des troupes et des officiers français qui
ont su, en quelque sorte, prendre en main la garde prétorienne constituée par
Bob Denard.
Inversement à la même époque, au moment où Idriss Déby
envahissait le Tchad par l’Est, les troupes françaises ont reçu la consigne de
ne pas s’interposer. La crise s’est terminée par la démission d’Hissène Habré.
Au Gabon, lorsque des émeutes et des troubles ont éclaté à
Port-Gentil et à Libreville même, les forces françaises ont été dépêchées avec
mission d’assurer la protection des ressortissants français. Elles se sont très
bien acquitté de cette mission, puisqu’il aurait pu y avoir mort d’hommes
dans des conditions particulièrement atroces ; certains de nos compatriotes

aspergés d’essence sont passés très près de la mort. La présence de l’armée
française a été un moyen de contenir une crise qui aurait pu dégénérer en
affrontements graves.
Le problème des conditions dans lesquelles la France était amenée à
soutenir un certain nombre de régimes, alors qu’aucun mécanisme
d’évolution démocratique du pouvoir n’était perceptible, a été évoqué. Cette
situation a entraîné un débat assez vif au sein du Gouvernement qui s’est
traduit quelques semaines plus tard, fin juin, par le discours de La Baule,
lequel a marqué une réorientation de la politique africaine française.
M. Jacques Pelletier a estimé qu’il n’était pas commode de définir
les « réfugiés », que l’on a appelés ensuite « éléments extérieurs ». Ils
s’agissait de personnes réfugiées depuis longtemps, une trentaine d’années.
On pensait qu’elles étaient complètement intégrées en Ouganda. Le Président
Museveni à qui l’on demandait de réduire l’aide qu’il apportait à ces
« réfugiés » ou ces « éléments extérieurs », était embarrassé car les Tutsis
rwandais avaient contribué largement à son arrivée au pouvoir. Il avait une
dette de reconnaissance vis-à-vis de ces hommes qu’il n’a pas empêchés de
s’armer et de s’équiper avec, probablement, des appuis extérieurs.
Ils étaient réfugiés, mais on pensait qu’ils étaient mieux intégrés en
Ouganda qu’ils ne l’étaient en réalité. Ils avaient toujours comme but de
revenir chez eux, ce qui finalement paraît assez logique.
Quant à la gestion de la politique africaine, M. Jacques Pelletier a
déclaré qu’il ne s’était jamais trop posé de questions à ce sujet car la
coordination jouait à plein. Aujourd’hui le ministère de la Coopération est
passé sous l’égide du ministère des Affaires étrangères mais, à l’époque, il
était relativement indépendant. Il fallait que l’entente soit parfaite entre le
ministre de la Coopération et celui des Affaires étrangères mais surtout entre
celui de la Coopération et celui des Finances qui gérait plus des deux tiers de
l’aide publique au développement. La véritable difficulté résidait dans la
coordination des actions des ministères des Finances et de la Coopération,
mais s’y attaquer était une partie très difficile, que tous les ministres de la
Coopération et des Affaires étrangères ont perdue.
Lors de son arrivée au ministère de la coopération en 1988,
M. Pelletier a demandé et obtenu qu’une concertation soit organisée
régulièrement entre les différents partenaires. Tous les quinze jours, une
réunion se tenait à cet effet à l’Elysée sous l’égide de l’ambassadeur Arnaud,
qui s’occupait de la cellule africaine. Elle réunissait le directeur ou le
directeur-adjoint du cabinet du ministre des Affaires étrangères, le directeur
de cabinet du ministre de la Coopération, un représentant de la Caisse

française de développement, un représentant du Trésor et souvent un
responsable du cabinet de Matignon. De sorte que tous les quinze jours
l’ensemble des problèmes qui touchaient à l’Afrique était examiné. Chacun
faisait part de ses informations des quinze jours précédents et les décisions
étaient prises dans le cadre de cette réunion. De sorte que pendant les trois
ans où il a exercé les fonctions de ministre de la coopération, M. Jacques
Pelletier n’a pas constaté de dysfonctionnement.
Au moment des faits que rappelait M. Jean-Pierre Chevènement,
concernant le Tchad, le Gabon, les Comores, le ministère de la Coopération
était un peu en retrait et celui de la Défense exerçait une influence
prépondérante. Toutefois, même dans ces périodes de tensions militaires, une
cellule de crise se réunissait fréquemment pour essayer de bien cerner
l’ensemble des problèmes et de définir une position commune.
M. Pierre Brana a noté que le déclenchement de l’opération Noroît
a été décidée par le Président de la République, chef des armées. Il a cité à ce
propos une déclaration du Premier ministre de l’époque, M. Michel Rocard,
qui, le 6 octobre 1990, déclarait sur TF1 : "Nous avons envoyé des troupes
pour protéger les ressortissants français, rien de plus. C’est une mission de
haute sécurité et un devoir républicain mais, en quelques jours, les
ressortissants qui le désiraient ont pu être évacués." A ce moment la mission
initiale était terminée ; or, les soldats sont restés. Il a demandé s’il y avait eu
débat sur ce maintien des troupes et ce qui avait motivé à ce moment-là le
changement de perspectives de l’intervention militaire.
Il a estimé que la différenciation sémantique entre « rebelles
étrangers » et « réfugiés » voulant revenir par la force dans leur pays n’était
pas neutre. Dans un cas, on est en présence d’une invasion étrangère, ce qui
peut justifier une assistance ; dans l’autre, c’est une guerre civile et un conflit
« rwando-rwandais ».
M. Pierre Brana a relevé que, contrairement à ce qui s’était passé au
Burundi après les événements d’août 1988, la guerre d’octobre 1990 au
Rwanda n’avait pas abouti à un débat sur la réconciliation nationale. Le
Ministre Jacques Pelletier a beaucoup insisté sur ses démarches auprès des
différents protagonistes lors de sa mission de novembre 1990. M. Brana lui a
demandé à ce propos s’il avait eu la possibilité de dire un peu brutalement au
Président Habyarimana qu’il lui fallait faire un effort en vue de la
réconciliation nationale sans quoi la France serait amenée à retirer ses
troupes ou s’il avait jugé préférable de chercher à gagner du temps.
M. Jacques Pelletier a indiqué que l’on avait envoyé au Rwanda
d’abord 150 hommes, puis 300, enfin 600 en 1992-1993.

Le Président Habyarimana appelait le Président Mitterrand toutes
les semaines en lui demandant de ne surtout pas retirer les forces françaises.
Ces troupes n’ont pas participé à des assauts contre les rebelles qui entraient
au Rwanda, mais il est certain que leur présence, à côté des forces belges ou
autres, a été dissuasive. On l’a vu un peu partout, notamment au Gabon. Il
est vraisemblable que le Président Habyarimana tenait beaucoup à cet effet
de dissuasion et souhaitait pour cette raison garder au moins quelques
soldats français sur son territoire. A cette époque, les assistants militaires
techniques étaient très peu nombreux : dix-sept environ.
Dans l’hypothèse d’une invasion étrangère, la position de la France
était justifiée. Il faut rappeler que les deux principaux chefs des rebelles de
l’époque étaient chefs d’état-major adjoint et chef de la sûreté de l’armée
ougandaise. On pouvait difficilement dire qu’il s’agissait de Rwandais qui
revenaient chez eux étant donné les fonctions très importantes qu’ils
occupaient dans l’armée d’un pays voisin.
M. Jean-Pierre Chevènement a ajouté que l’on ne pouvait pas
parler de changement d’orientations puisque le Président de la République
n’avait pas donné d’orientations mais simplement l’instruction de répondre
positivement à la demande du Président Habyarimana.
Quant au problème de savoir s’il s’agissait d’une guerre étrangère
ou d’une guerre civile, cela ne changeait rien du point de vue de la sécurité
des ressortissants français.
M. Jacques Pelletier a expliqué que le Rwanda était le pays
d’Afrique où il s’était rendu le plus souvent : sept ou huit fois avant d’être au
gouvernement et après. Il a connu beaucoup de Tutsis, de Hutus, de
dirigeants et de Français qui y ont travaillé. Il pouvait dire que, dans ses
contacts personnels, aussi bien en France qu’à Kigali, il avait été très ferme
vis-à-vis du Président Habyarimana, évidemment pas dans une conférence de
presse, mais en privé. Le président Habyarimana était un faible et un timide,
qui était très vite repris en main par son cercle familial et son entourage
immédiat hostiles à toute renonciation à des postes de pouvoir.
M. Bernard Cazeneuve a cité des extraits des télégrammes relatifs
à la visite à Kigali de M. Jacques Pelletier au mois de novembre 1990, et
notamment le passage suivant : "Nous avons évité le pire, à savoir la guerre
tribale, en aidant le Président Habyarimana à reprendre son pays en main...
Ainsi s’explique également qu’il nous demande d’intégrer directement notre
assistance militaire dans les états-majors."

Ce même télégramme rendait compte d’un entretien avec le
président Habyarimana au cours duquel effectivement M. Jacques Pelletier
avait exercé des pressions très fortes pour que le Rwanda démocratise son
régime. Evoquant la coopération militaire, l’ambassadeur notait:
" M. Habyarimana a demandé que celle-ci soit renforcée tant sur le plan
matériel que sur celui de l’assistance technique. Il voudrait qu’un conseiller
de haut niveau soit placé auprès de son armée pour en diriger la
réorganisation, notamment en ce qui concerne l’escadrille, les blindés et les
parachutistes. M. Pelletier donne un agrément de principe sur ce point."
M. Bernard Cazeneuve a demandé quelles étaient les raisons qui
avaient présidé à cet accord, quel était le rôle qui avait été assigné à l’officier
français participant aux réunions de l’état-major rwandais et s’il avait été
opportun d’accéder à cette demande.
M. Jacques Pelletier a indiqué qu’à chaque fois qu’il rencontrait le
Président Habyarimana, celui-ci demandait des munitions et des équipements
supplémentaires. Il y avait en 1990 et 1991, dix-sept coopérants techniques
militaires. Certains de ces coopérants pouvaient être dans des états-majors,
d’autres sur le terrain, mais c’était peu par rapport aux 5 000 militaires de
l’armée rwandaise dont le nombre est passé par la suite à 20 000, puis à
30 000 ou 40 000.
M. Jacques Pelletier a souligné que les autorités françaises n’avaient
pas fait, au Président du Rwanda, le promesse formelle de lui accorder une
coopération militaire aussi renforcée qu’il le souhaitait.
M. Bernard Cazeneuve a précisé que les témoignages recueillis
par la mission et le télégramme qu’il venait de lire, confirmaient qu’un
officier français avait participé aux réunions de l’état-major rwandais jusqu’à
la fin de l’année 1993.
A propos de la politique d’aide au développement, il a évoqué le
rapport de fin de mission de l’Ambassadeur Martres qui soulignait
l’augmentation très sensible des décaissements de la France au Rwanda entre
1989 et 1991. Ceux-ci sont passés d’un montant d’environ 120 millions de
francs en 1989 à près de 192 millions de francs en 1991.
Il a demandé quelles étaient les raisons de l’accroissement de cette
aide et s’il se justifiait par la nécessité d’accompagner la politique
d’ajustement structurel afin de faciliter les réformes démocratiques
demandées au Président Habyarimana.

Dans son rapport de fin de mission, l’Ambassadeur Martres notait
également que deux concours exceptionnels de nature budgétaire ont été
octroyés au Rwanda en 1990 et 1991 : un premier de 70 millions de francs en
1990 pour l’achat de l’avion présidentiel et un second, également de
70 millions de francs, en 1991 pour participer au programme d’ajustement
structurel.
M. Cazeneuve a souhaité savoir qui avait pris la décision d’affecter
cette aide de 70 millions de francs à l’achat de l’avion présidentiel, s’il était
judicieux de consacrer une telle somme à cet achat alors que le Rwanda
devait précisément conduire une politique d’ajustement structurel.
Il a rappelé qu’il avait été dit à plusieurs reprises devant la mission
d’information qu’en novembre 1990, M. Jacques Pelletier, en présence de
Jean-Christophe Mitterrand, avait fait pression sur le Président Habyarimana
pour que soient supprimées les cartes d’identité qui mentionnaient
l’appartenance ethnique des Rwandais. Il a été dit également, mais sans que
les choses ne soient vraiment précisées, que le ministère de la Coopération
s’était engagé à assurer le suivi de cette affaire pour aider à l’établissement
des nouvelles cartes.
M. Cazeneuve a demandé si cette question avait été effectivement
évoquée devant le Président Habyarimana, quelle avait été sa réaction et quel
suivi de l’application d’une éventuelle décision en ce domaine avait été
assuré par l’administration de la Coopération.
M. Jacques Pelletier a apporté des précisions à propos de l’aide
accordée au Rwanda. Il y avait dans ce pays à peu près 115 coopérants qui
faisaient partie du personnel de la Coopération. Les projets concernaient
essentiellement le domaine de la formation qui absorbait 40 % de l’aide, puis
le domaine rural qui en représentait 25 % et celui de la santé pour 10 %, le
reste était consacré aux routes, aux communications.
Tous les ans, en raison des difficultés économiques dues à la baisse
des prix des matières premières dans les différents pays, une mission étudiait,
de manière approfondie, le budget de chacun d’eux. Cette mission était
composée de représentants du Trésor, de la Caisse française de coopération
et du ministère de la Coopération. A leur retour de mission, ces trois
personnes formulaient leurs conclusions sur la procédure d’ajustement
structurel et précisaient le montant de l’aide qu’il fallait attribuer à tel ou tel
pays. Pour le Rwanda, ce montant a représenté à peu près 70 millions de
francs.

La décision concernant l’avion a été prise par l’Elysée. Le Président
Habyarimana disposait d’une vieille Caravelle qui avait dû être donnée du
temps du général de Gaulle et qui avait fait largement son temps.
L’enclavement du pays nécessitait pour les déplacements de son président
l’octroi d’un avion. La décision a été prise par l’Elysée et un « bleu » de
Matignon a accordé à cet effet un budget de 60 millions de francs, imputable
sur l’aide budgétaire, pour l’achat d’un Falcon 50 d’occasion et des pièces
détachées correspondantes. La décision prévoyait également la mise à
disposition d’un pilote, d’un copilote et d’un mécanicien -qui ont été tués
dans l’attentat de 1994.
L’affaire a été confiée au ministère de la Coopération, car les autres
ministères ne souhaitaient pas s’en charger. Celui-ci a donc acheté, après pas
mal d’appels d’offres, un Falcon 50, qui a été payé 57 millions de francs, les
3 millions de francs restants étant consacrés aux pièces détachées.
M. Bernard Cazeneuve a demandé si le contrat qui liait les
membres de l’équipage au ministère de la Coopération, via la Satif, avait été
signé dès 1990.
M. Jacques Pelletier a déclaré, qu’à son avis, tous les contrats
avaient été signés en 1990. La décision de donner un nouvel avion au
Président Habyarimana a été prise au début de 1990, alors qu’il fallait le
livrer avant le sommet de la Baule, ce qui ne laissait que trois mois pour
procéder à son achat, à sa révision et à son envoi. Tous les contrats ont donc
dû être signés à cette époque.
A propos des cartes d’identité, M. Pelletier a confirmé avoir dit au
Président Habyarimana en novembre 1990 que le fait qu’elles portent une
mention ethnique lui paraissait ahurissant. Le président Habyarimana trouvait
cette indication normale car il en avait toujours été ainsi. La pratique en avait
été établie du temps des Belges et l’on avait continué. Le président
Habyarimana lui avait toutefois dit qu’il pensait que cette mention pouvait
être supprimée. A la connaissance de M. Jacques Pelletier, il n’y a pas eu de
demandes d’aide du gouvernement rwandais pour la fabrication de cartes
d’identité sans mention ethnique. On ne peut donc dire que le ministère de la
Coopération ait renâclé. M. Jacques Pelletier a précisé qu’il n’avait pas revu
le Président Habyarimana après la réunion où il a eu l’occasion d’évoquer
l’indication de l’appartenance ethnique sur les cartes d’identité et qu’on ne
lui a plus parlé de cette question.
M. François Lamy a évoqué le témoignage de M. Jean-Christophe
Mitterrand selon lequel la principale fonction de la cellule africaine à l’Elysée
était une fonction d’information et de conseil. Or, on a pu lire aussi bien dans

la presse que dans différentes publications qu’elle pouvait avoir un rôle plus
important.
M. François Lamy a également souhaité savoir comment se passait
la gestion d’un dossier comme celui du Rwanda au quotidien, qui était amené
à prendre des décisions, que ce soit pour des détails ou pour des affaires plus
importantes, et si l’on pouvait estimer qu’apparaissaient dans l’appareil
d’État certains dysfonctionnements.
Il a également rapporté que la presse estimait que le Président
Mitterrand portait une attention très particulière au problème rwandais. Il a
demandé à M Jacques Pelletier, qui a indiqué que le Président Habyarimana
appelait chaque semaine le Président Mitterrand, ce qui pouvait expliquer
cette attention du président Mitterrand et quelles relations directes il
entretenait avec le président du Rwanda.
M. Jacques Pelletier a confirmé que l’équipe africaine de l’Elysée
était surtout chargée d’informer le Président et de prendre des contacts à sa
demande. En général, ces contacts étaient toujours répercutés au niveau du
ministère de la Coopération. Il n’y a eu aucun dysfonctionnement pendant les
trois ans où il occupait ses fonctions. Il s’est toujours efforcé de coordonner
les actions du ministère avec celles des autres acteurs sur le plan national,
mais aussi sur le plan international. Avant de partir en novembre pour sa
mission d’information, par exemple, M. Jacques Pelletier a rencontré le
ministre belge des Affaires étrangères pour s’assurer qu’ils étaient bien sur la
même ligne. A chaque voyage dans un pays africain, il rencontrait toujours
les chargés de mission des différents pays de l’Union européenne.
En période de crise, la cellule de crise se réunissait parfois tous les
jours et même plusieurs fois par jour, surtout quand il s’agissait de
l’évacuation de Français. Ce fut le cas, comme le rapportait M. Jean-Pierre
Chevènement, à propos du Gabon, du Tchad et du Rwanda à deux reprises.
Pour le reste, la mission Noroît échappait au ministre de la Coopération ; elle
relevait du domaine militaire, c’est à dire du Président de la République et du
ministère de la Défense. Pour ce qui est de la coordination de l’aide,
budgétaire notamment, accordée au Rwanda comme aux autres pays, il y
avait bien sûr des procédures régulières, qui ont bien fonctionné.
Quant à l’attention particulière accordée au Rwanda par
M. François Mitterrand, M. Jacques Pelletier a estimé que les deux
présidents s’entendaient bien. Lui-même s’entendait également bien avec le
Président Habyarimana, alors qu’il n’en allait pas de même avec le Président
Mobutu.

Le président Habyarimana lui a toujours paru être un homme de
bonne volonté. Par comparaison avec le Burundi où il y avait eu, en 1988
notamment, des massacres de dizaines de milliers de personnes, le Rwanda
apparaissait plus calme et l’on avait l’impression que le Président rwandais
s’efforçait sincèrement de marier plus harmonieusement les deux ethnies.
Selon M. Jacques Pelletier, le drame du Burundi et du Rwanda
tenait à ce qu’il n’y avait que deux ethnies. Dans la plupart des autres pays
d’Afrique, il y en a au moins trois ou quatre. La situation est plus facile à
gérer parce qu’il y en a toujours une qui peut s’interposer en cas de conflit
entre les autres.
M. Pierre Brana a rappelé que M. Jean-Christophe Mitterrand a
rédigé le 19 octobre 1990 une note au Président de la République qui
comportait deux parties. La première visait à demander une concertation
générale dans la région, ce à quoi M. François Mitterrand a répondu
positivement. Dans la seconde partie, il était demandé si une présence
militaire française devait être maintenue aussi longtemps qu’une solution
n’aurait pas été trouvée. La réponse de François Mitterrand dans la marge fut
« non ».
M. Brana a alors demandé si le Président Habyarimana avait été mis
en demeure de trouver rapidement une solution, faute de quoi la présence
militaire française ne serait pas maintenue.
M. Brana a demandé également si M. Jacques Pelletier avait eu
l’occasion d’évoquer à nouveau, après son entretien de novembre 1990, la
question des cartes d’identités avec le Président Habyarimana et si notre
ambassadeur lui a rappelé la position de la France sur cette question.
M. Jacques Pelletier a déclaré qu’il pensait qu’aucune demande
d’aide pour la fabrication de nouvelles cartes d’identité n’avait été faite, mais
que cette circonstance n’était pas, en soi, étonnante. La modification des
cartes d’identité ne représentait pas une dépense considérable et le Rwanda
pouvait la prendre en charge sur son budget ou s’adresser à un autre pays
parce que, heureusement, la France n’était pas la seule à avoir une
coopération avec le Rwanda. Il est vrai que le ministère aurait probablement
dû relancer l’affaire, mais cela n’a pas été fait. M. Pelletier n’a pas su si
l’ambassadeur avait renouvelé la demande de suppression de la mention
ethnique sur les cartes d’identité. On peut supposer que le Président
Habyarimana était de bonne foi mais que son entourage et son équipe
rapprochée de Hutus très durs se sont opposés à ce changement.

Il est certain que le Président de la République voulait qu’une
concertation s’engage dans la région. En ce qui concerne sa présence
militaire, la France a exercé un peu de chantage sur le Président Habyarimana
en lui disant qu’elle voulait bien assurer la sécurité du Rwanda mais qu’une
ouverture démocratique de son régime était nécessaire. M. Habyarimana a
accepté cette demande. Des efforts ont été faits : il a libéré des Tutsis, il a
nommé un premier Ministre et promulgué une Constitution. On ne peut pas
dire qu’aucune mesure n’ait été prise, mais les changements n’ont pas été
conduits assez rapidement. De plus, il est probable qu’une entreprise de
sabotage freinait toutes les décisions d’ouverture qui étaient prises et dont
certaines auraient pu aller plus loin.
M. Bernard Cazeneuve a demandé à M. Jacques Pelletier s’il avait
participé à l’entretien entre le Président Mitterrand et le Président
Habyarimana à Paris le 18 octobre et quels en avaient été le contenu et
l’ambiance.
M. Jacques Pelletier a répondu qu’il avait assisté à cette rencontre,
comme c’était l’usage. L’ambiance était bonne mais le président Mitterrand a
été très ferme vis-à-vis du Président Habyarimana à cette occasion, comme
dans les lettres qu’il lui a envoyées par la suite. Il le sommait pratiquement de
constituer un gouvernement aussi bien avec l’opposition intérieure hutue
qu’avec les Tutsis de l’intérieur et les rebelles de l’extérieur qui ne
demandaient pas mieux.
Dans l’ultime gouvernement, sur vingt ministres, seuls cinq
appartenaient à l’ancien parti unique du Président Habyarimana. Les efforts
déployés pour la démocratisation du Rwanda avaient malgré tout payé, peutêtre trop tard. Il est certain que le Président Habyarimana, à la fin de
l’exercice, était très « dévalué ». Il avait beaucoup moins d’autorité, ce qui a
peut-être contribué aux événements de 1994.
M. François Lamy a demandé des précisions concrètes sur la
création en mars 1991 d’un détachement d’assistance militaire et
d’instruction (DAMI) qui dépendait administrativement du ministère de la
Coopération.
M. Jacques Pelletier a répondu que la création de ce détachement
a été décidée dans le bureau de l’Ambassadeur Arnaud et qu’ensuite, la
consigne a été donnée au ministre de la Défense de le mettre en place
puisque ces personnels sont pris sur ses effectifs militaires.
M. François
Lamy
a
demandé
s’ils
administrativement par le ministère de la Coopération.

étaient

gérés

M. Jacques Pelletier a précisé qu’ils étaient payés par le ministère
de la Coopération. Il a expliqué qu’en février 1991, l’envoi d’un DAMI de
trente hommes a été décidé pour renforcer les dix-sept assistants techniques.
Ces militaires étaient en principe envoyés au Rwanda pour une période très
courte, de quatre ou cinq mois, alors que les personnels d’assistance
technique l’étaient pour plusieurs années.
M. François Lamy a observé que cette situation posait un
problème : les instructions initiales sont données par le chef d’état-major des
armées et l’on passe ensuite à une gestion administrative par le ministère de
la Coopération. Il a demandé quel était le rôle des militaires de la rue
Monsieur et leurs relations avec les militaires en coopération.
M. Jacques Pelletier a indiqué que le colonel Galinié était chargé, à
l’époque, de diriger à Kigali l’ensemble des personnels militaires, aussi bien
assistants techniques que membres du DAMI. Le général qui commandait la
mission militaire de la coopération à Paris et le colonel qui commandait sur
place correspondaient entre eux et étaient également en liaison avec l’étatmajor des armées, bien évidemment.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024