Fiche du document numéro 27309

Num
27309
Date
Lundi 23 janvier 2012
Amj
Auteur
Fichier
Taille
0
Pages
0
Titre
L’attentat du 6 avril 1994 à Kigali, missile SAM 16 ou boomerang ?
Sous titre
Une réponse de Jacques Morel à Stephen Smith, Libération.
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Mot-clé
Résumé
Following the conclusions of the experts of judges Trévidic and Poux, the monstrous presumption which accused the RPF of having committed the attack of April 6, 1994 to seize power, thus causing the genocide of the Tutsi, risks turning against Paris, like a boomerang.
Type
Note
Langue
FR
Citation
L’avion du Président rwandais Habyarimana aurait été abattu le 6 avril 1994 par des missiles tirés depuis le camp des Forces armées rwandaises (FAR), selon les experts des juges Trévidic et Poux.2 Faut-il en déduire que les auteurs de cet attentat sont des membres des FAR ?
Oui, car il était impossible pour un commando du Front patriotique rwandais (FPR) d’aller à Kanombe sans se faire repérer. Dans cette zone se trouvaient l’aéroport, le camp militaire et la résidence du président. Le FPR ne contrôlait pas cette zone ni celle de Masaka, comme Paul Barril l’a fait croire.3 Le bataillon FPR présent à Kigali était étroitement surveillé, non seulement par les Casques-bleus de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), mais aussi par les milices hutu. Depuis le 5 avril, le camp militaire était sur pied de guerre. La veille au soir la patrouille Roulet-Teyssier de la MINUAR avait été empêchée d’atteindre la propriété Habyarimana , « tout le quartier était bouclé » et l’entrée du camp de Kanombe lui avait été interdite, les FAR ayant « installé un canon et placé en faction des soldats armés de mitrailleuses. »4 La sécurité d’Habyarimana était d’autant plus renforcée que, selon sa famille, il était menacé de mort.5
Les tireurs devaient être en place depuis 17 h, heure initialement prévue pour le retour de l’avion.6 Comment un commando FPR aurait-il pu ne pas être repéré de 17 h, où il fait encore jour, à 20 h 30 ? Qu’il se soit trouvé hors du camp, le long de sa clôture, importe peu. Il ne pouvait pas se placer n’importe où. Pour abattre un avion avec un missile guidé par un détecteur de rayons infrarouges, il faut que l’avion soit visible pendant environ 1 minute 30 afin de pouvoir l’« accrocher » et tirer le missile sous un angle convenable. L’avion devait être attaqué sous un angle compris entre 45 et 135 degrés. L’image infrarouge de l’avion étant faible de face (0°) ou trop atténuée par les gaz à l’arrière (180°). Il fallait aussi pouvoir reconnaître l’avion le distinguer du C 130 belge et du Beechcraft burundais. Probablement le moyen le plus sûr de nuit était-t-il d’écouter les communications radio entre l’avion et la tour de contrôle.
La mission accomplie, le commando devait se replier sans se faire prendre. Il y eut une fusillade ausitôt après le crash. Au dire du commandant Grégoire de Saint-Quentin, c’était « la garde présidentielle qui s’était mise à tirer en l’air, sans doute en direction de l’endroit d’où étaient partis les missiles. » A-t-on relevé des cadavres de membres du FPR ? Aucun. En revanche, un adjudant-chef de gendarmerie, le Français René Maïer, a été tué « vers 21 h » à Kigali ce 6 avril, à en croire le certificat établi par un médecin militaire, Michel Thomas, médecin-chef des EFAO à Bangui. La justice ne fut saisie d’aucune plainte sur la mort « d’origine accidentelle » par « balles d’arme à feu » de cet assistant militaire technique anciennement en poste à Marignane.7
Habyarimana aurait donc été assassiné par des membres de sa propre armée. Mais l’ambassadeur Martres a déclaré que « retenir la responsabilité des extrémistes hutus, qui avaient déjà bien du mal à tirer au mortier et au canon reviendrait à admettre qu’ils aient
bénéficié d’une assistance européenne pour l’attentat. »8 Autant dire une assistance française, car depuis fin 1990, les FAR ne tenaient face aux attaques du FPR que grâce à l’armée française. Le colonel Maurin conseillait le chef d’état-major et s’entendait très bien avec le colonel Bagosora, comme ce dernier l’a confié au juge Bruguière.9
Comment la France pouvaient-elle ne pas être informée de cet attentat ? Seraient-elle impliquée ? Cette hypothèse est insupportable. La patrie étant en danger, certains Français se sont vus chargés d’accréditer des fausses pistes comme celle de ce Ruzibiza, qui, après avoir dit au juge Bruguière qu’il faisait partie du commando, a finalement reconnu qu’il n’était pas à Kigali le jour de l’attentat ni les jours précédents.10
Aussitôt après la chute de l’avion, De Saint-Quentin se rend avec le commandant des paras-commando sur les lieux du crash.11 Alors que les Casques-bleus de la MINUAR ne pourront jamais y accéder, il prélève des pièces de l’avion et des débris de missiles. Selon Stephen Smith dans Libération du 29 juillet 1994, les militaires français n’ont rien trouvé, mais l’attaché militaire Bernard Cussac a dit qu’on avait « trouvé la boîte noire ».12 La veuve Habyarimana confie à Jeune Afrique que les Français avaient « découvert la boîte noire ».13 Celle-ci a été envoyée probablement en France. Pourquoi n’a-t-elle jamais été remise à la justice ?
Peut-on à l’instar du juge Bruguière croire à l’identification relevée sur des lance-missiles SAM 16, alors qu’elle a été fournie par le colonel Bagosora, condamné pour génocide, et que ces lance-missiles ont disparu ?14
Il prend en compte des photos d’un missile SAM 16 que la Mission d’information parlementaire a estimé être celles d’un missile qui n’a jamais servi.15
La France soutenait-elle toujours Habyarimana ? On peut en douter à lire ce télégramme de l’ambassadeur Martres qui, en mars 1993, le jugeait « usé » et « ayant tout raté ».16 Les propos de Pierre Joxe,17 ministre de la Défense, et de Marcel Debarge, ministre de la Coopération,18 n’étaient pas plus amènes. Le remplacement du président Habyarimana était donc à l’ordre du jour à Paris.
Les dirigeants français ne se sont jamais sentis liés par les Accords de paix d’Arusha entre le FPR et le gouvernement rwandais. Ils ont continué à livrer des armes.19 Ils disaient qu’ils ont été signés grâce à eux, mais le général Quesnot estimait qu’ils donnaient « un avantage exorbitant au FPR ».20 Mitterrand comptait transformer ses soldats en Casques bleus,21 mais le FPR s’y opposa. Ce sont des Belges qui participèrent à la MINUAR en décembre 1993, alors que les troupes françaises dûrent partir. Pour le colonel Tauzin, commandant du 1er RPIMa, c’était un nouveau Diên Biên Phù !22
La monstrueuse présomption qui accusait le FPR d’avoir commis cet attentat pour prendre le pouvoir, provoquant ainsi le génocide des Tutsi, risque de se retourner contre Paris, tel un boomerang. Ce 6 avril 1994, le premier ministre Edouard Balladur et son ministre des Affaires étrangères Alain Juppé n’étaient-ils pas à Pékin, occupés à rappeler les dirigeants chinois au respect des Droits de l’homme ? 23
Notes:
1Auteur de La France au coeur du génocide des Tutsi, L’Esprit frappeur, 2010.
2Claudine Oosterlinck, Daniel Van Schendel, Jean Huon, Jean Sompayrac, Rapport d’expertise. Destruction en vol du Falcon 50 Kigali (Rwanda), Tribunal de Grande Instance de Paris, 5 janvier 2012. http://www.francerwandagenocide.org/documents/rapport-balstique-attentat-contre-habyarimana-6-4-1994.pdf
3Hervé Gattegno, Corine Lesnes, Rwanda: l’énigme de la « boîte noire », Le Monde, mardi 28 juin 1994, pp. 1, 6.
4Déposition du sergent Yves Teyssier à l’auditorat militaire belge, 1er juin 1994. http://www.francerwandagenocide.org/documents/Teyssier1erjuin1994.pdf
5Philippe Gaillard et Hamid Barrada, « Rwanda : l’attentat contre l’avion présidentiel : Le récit en direct de la famille Habyarimana », Jeune Afrique, 28 avril 1994, p. 18. http://www.francerwandagenocide.org/documents/ja19940428Habyarimana.pdf
6J.-L. Bruguière, Délivrance de mandats d’arrêts internationaux - Ordonnance de soit-communiqué, 17 novembre 2006, p. 50.
7Michel Thomas, médecin-chef des EFAO, Certificat du genre de mort. Cf. Magazine Fayaoue-Info, Numéro 66, Décembre 2006. http://www.francerwandagenocide.org/documents/MichelThomasReneMaier.pdf.
8Audition de Georges Martres, 22 avril 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, Tome III, Auditions, Vol. 1, pp. 128-129. http://www.francerwandagenocide.org/documents/AuditionMartres22avril1998.pdf#page=13
9Commission rogatoire internationale siégeant au TPIR, Interrogatoire de M. Théoneste Bagosora par le juge Jean-Louis Bruguière, 18 mai 2000, pp. 116-117. http://rwandadelaguerreaugenocide.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe\_53.pdf#page=181
10Marc Trévidic, Nathalie Poux, Mathieu Gautier, Audition sur commission rogatoire internationale de Joshua Ruzibiza, Oslo, Norvège, 15 juin 2010. http://www.francerwandagenocide.org/documents/Ruzibiza15juin2010.pdf#page=5
11Fiche du ministère de la Défense, 7 juillet 1998, N° 543/DEF/EMA/ESG. Cf. Mission d’information parlementaire, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, Tome II, Annexes, pp. 268-269. http://www.francerwandagenocide.org/documents/FicheMinDef7juillet1998.pdf
12Stephen Smith, Habyarimana, retour sur un attentat non élucidé, Libération, 29 juillet 1994, pp. 14-15. http://www.francerwandagenocide.org/documents/SmithLiberation29juillet1994.pdf
13Philippe Gaillard et Hamid Barrada, « Rwanda : l’attentat contre l’avion présidentiel : Le récit en direct de la famille Habyarimana », Jeune Afrique, 28 avril 1994, p. 17. http://www.francerwandagenocide.org/documents/ja19940428Habyarimana.pdf
14Luc De Temmerman à Mr. Van Der Meersch, 10 juillet 1995. Cf. TPIR, Affaire N° ICTR-98-41-T, Procès Militaires I (Bagosora), Pièce à conviction BAGOTHE-19, exhibit n° P372A. http://www.francerwandagenocide.org/documents/Bagothe19-10July1995P372A.pdf
15Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, Rapport, p. 231. http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp#P3794\_536291
16Georges Martres, TD Kigali, 11 mars 1993, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, Tome II, Annexes, pp. 217-218. http://www.francerwandagenocide.org/documents/Martres11mars1993CDRruptureHabyarimana.pdf
17Le ministre de la Défense, Note pour le Président de la République, 006816, 26 février 1993. Objet: Rwanda. http://www.francerwandagenocide.org/documents/Joxe26fev1993.pdf
18Conseil restreint, mercredi 3 mars 1993. http://www.francerwandagenocide.org/documents/ConseilRestreint3mars1993.pdf
19Livraison d’armes dans la nuit du 21-22 janvier 1994 en provenance de Châteauroux. Cf. F. Reyntjens; Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire, p. 19 ; Livraison d’armes de Dominique Lemonnier. Cf. Info du 11 janvier 1994 du SGR. Rapport du groupe ad hoc Rwanda, Commission des Affaires étrangères du Sénat belge 1-611/8, p. 81. http://www.francerwandagenocide.org/documents/SenatBelgique-r1-611-8.pdf
20Bruno Delaye, Christian Quesnot, Entretien avec Françoise Carle, 29 avril 1994. Objet: Situation au Rwanda, p. 2.
21Conseil restreint, mercredi 3 mars 1993. http://www.francerwandagenocide.org/documents/ConseilRestreint3mars1993.pdf
22Didier Tauzin, Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats ! le chef de l’opération Chimère témoigne, Ed. Jacob-Duvernet, p. 84.
23Thierry Bréhier et Francis Deron, La visite à Pékin d’Edouard Balladur et la question des droits de l’homme. La réconciliation franco-chinoise demeure entachée de quelques divergences, Le Monde, 9 avril 1994, p. 6.
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