Fiche du document numéro 27222

Num
27222
Date
Mercredi 22 mai 2013
Amj
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Taille
5655307
Pages
11
Titre
L’assassinat de l’abbé Sebera et de ses compagnons, 5 juillet 1994
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Résumé
Father Jean-Marie Vianney Sebera, Father François Ngomirakiza, eight Benedictine nuns from Sovu and a postulant were killed in Ndago on July 5, 1994. During the evacuation of Butare on July 3, their vehicle following a convoy towards Burundi organized by the French soldiers was abandoned by them at a barrier. The next day, the clerics reportedly found a French military convoy returning to Gikongoro but abandoned them at another barrier. The responsibility of the French military for Operation Turquoise is engaged.
Type
Note
Langue
FR
Citation
L’abbé Jean-Marie Vianney Sebera, l’abbé François Ngomirakiza, huit religieuses bénédictines
de Sovu et une postulante ont été tués à Ndago le 5 juillet 1994. Lors de l’évacuation de Butare
le 3 juillet, leur véhicule qui suivait un convoi vers le Burundi organisé par les militaires français a
été abandonné par ceux-ci à une barrière. Le lendemain, les religieux auraient retrouvé un convoi
militaire français qui regagnait Gikongoro mais qui les aurait abandonnés à une autre barrière. La
responsabilité des militaires français de l’opération Turquoise est engagée.
Les victimes tuées le 5 juillet à Ndago, commune de Mubuga (Gikongoro) sont :
- Abbé Jean-Marie Vianney Sebera, 54 ans ;
- Abbé François Ngomirakiza, 48 ans ;
- 8 Bénédictines de Sovu : les soeurs Stéphanie Kamanzi, Theonilla Kayitesi, Fortunata Mukagasana,
Thérèse Mukarubibi, Julienne Mukankusi, Hermelinda Musabyemungu, Agnès Nyirahabimana, Bernadette
Nyirandamutsa. 1 Selon Joseph Ngomanzungu, « toutes ces soeurs ont été massacrées à Ndago
(paroisse Kibeho), le 4 juillet 1994, alors qu’elles s’enfuyaient vers Gikongoro. Elles avaient été séparées
par les miliciens d’avec le groupe qui s’enfuyait vers le Burundi escorté par les militaires français de
l’Opération Turquoise. Elles sont mortes avec Immaculée, une de leurs postulantes. » 2 Le même auteur
relève la mort de « Ngomirakiza François tué le 4 juillet » et « Sebera JMV, tué à Ndago le 4 juillet ». 3
L’enquête d’African Rights date le massacre au 5 juillet, ce que les témoignages ci-dessous confirment.
L’abbé Sebera était curé de Kibeho lors des premières apparitions mariales en 1982. Il manifeste une
certaine circonspection mais considère au final qu’« à Kibeho, il s’est passé quelque chose de surnaturel. » 4
Il a été chassé de Kibeho en 1992 :
L’abbé Pierre Ngoga a commencé son ministère sacerdotal à Kibeho. Après Kibeho, il est
allé dans la paroisse Muganza. Il venait souvent rendre visite aux chrétiens de Kibeho. Il est
revenu à Kibeho après les années 1990. Il venait remplacer l’abbé Sebera. Celui-ci a été chassé
de Kibeho suite aux manifestations des étudiants de Marie Merci qui réclamaient son départ.
Ces étudiants étaient montés par l’abbé Sebahinde Anaclet et Thaddée Rusingizandekwe. 5
L’abbé Sebera était directeur du collège Marie-Merci à Kibeho, mais, suite aux manifestations d’élèves
hutu venus du Nord en 1992, qui l’accusaient d’être un agent du FPR, il a été déplacé et remplacé par
Emmanuel Uwayezu. 6 En 1994, l’abbé Sebera est curé de la paroisse de Simbi entre Gikongoro et Butare.
La mort de neuf religieuses de Sovu est racontée ainsi par African Rights :
Le 1er juillet, les combats entre les soldats du gouvernement et le FPR atteignirent la
périphérie de la ville de Butare, non loin du monastère des bénédictins. Il fut décidé que les
religieuses de Sovu et d’autres membres du clergé devaient être évacués vers l’ex-Zaïre. Mgr
Jean-Baptiste Gahamanyi, qui était à l’époque l’évêque de Butare, les invita à séjourner à
1. African Rights Rwanda : Death, Despair and Defiance [1, p. 888].
2. Joseph Ngomanzungu, La souffrance de l’Église à travers son personnel : massacres, emprisonnements et expulsions
d’ouvriers apostoliques (1990-2002), juillet 2002, p. 18.
3. Ibidem, p. 10-11.
4. G. Maindron [7, pp. 81-82].
5. African Rights, Témoignage de François Murashi sur l’abbé Pierre Ngoga. Butare, 14 mars 2000. http://www.
francegenocidetutsi.org/Murashi.pdf
6. African Rights, Fr. Emmanuel Uwayezu in Italy : Massacre of His Students at Kibeho College of Arts, 7 May ‘94.
2
l’évêché, d’où ils pourraient ensuite partir. Rekeraho prit la tête du convoi de voitures amenant
les soeurs à l’évêché, ce qui montre bien la force des liens existant entre la Mère supérieure et
le milicien. Annonciata Mukagasana décrit leur voyage :
« Rekeraho en personne est venu nous chercher. On entendait déjà des tirs, attribués au
FPR. Rekeraho avait l’ambulance ; la soeur Gertrude conduisait une Mazda et soeur Stéphanie
conduisait une Volkswagen. C’est Rekeraho qui était devant. Aux barrières on ne nous a pas
embêtées car Rekeraho les avait probablement prévenus. »
Parce qu’ils étaient vraiment très nombreux, certains membres du clergé furent logés à
l’évêché alors que les autres partirent pour l’Institut catéchétique africain. Des dispositions
avaient été prises pour que des soldats français, arrivés au Rwanda afin d’établir la Zone
Turquoise, les escortent jusqu’à Gikongoro. Les deux groupes devaient se regrouper à l’évêché
le 3 juillet pour partir ensemble. Mais les religieuses et les prêtres qui se trouvaient à l’évêché
partirent plus tôt que prévu. Ils suivaient un camion de soldats français, mais en chemin ils
durent le perdre de vue. Ils tombèrent dans une embuscade tendue par des miliciens et furent
tués à Ndago, commune de Mubuga, préfecture de Gikongoro. Parmi les victimes, il y avait
neuf religieuses de Sovu et plusieurs prêtres. 7
Raphaël Kirenga, un Interahamwe, décrit l’opération d’évacuation de Butare, le 3 juillet, et signale
que l’abbé Sebera était dans un véhicule individuel :
Le samedi 02/07/1994, le FPR avait encerclé toute la ville. Dimanche matin en date du
3 juillet autour de 6 h 30, les Interahamwe sont allés dans la vallée pour voir où étaient les
positions des soldats du FPR. Ceux-ci leur ont tiré dessus et les Interahamwe sont rentrés en
ville. Vers 11 h 00, les soldats du FPR ont attaqué la ville de Butare, ils étaient à plus ou moins
100 m de chez l’évêque au niveau de l’Institut Catéchétique Africain (ICA), côté de l’hôtel
Faucon, quand les Français arrivaient en véhicules protégés par deux hélicoptères, ce qui a
arrêté l’avancée du FPR. D’après ce que m’a dit l’abbé Sekamana : « les Français sont venus
chez l’évêque en lui disant que ceux qui voulaient se réfugier au Burundi pouvaient y aller.
Les véhicules français, les bus et d’autres véhicules privés les attendaient à l’hôtel Faucon.
Mgr Gahamanyi leur a signalé qu’il y avait des gens à travers toute la ville. Les Français sont
allés les évacuer. Ils ont récupéré aussi ceux qui étaient à Ngoma. Ils sont allés prendre un
camion à l’ESO pour évacuer toutes ces personnes. Entre temps, pour contrer la progression
du FPR, en les empêchant de dépasser ICA, les soldats français avaient bloqué toutes les
routes donnant accès à celle goudronnée, celle de chez Gicanda, qui passe près de la gare
routière et devant l’hôtel Faucon, en position de tir vers ICA où se trouvaient les soldats du
FPR. Mgr Gahamanyi, d’autres dignitaires et les épouses des soldats ont été escortés par les
militaires français dans des bus qu’ils avaient pris à l’ESO. Mais il y avait un autre véhicule à
bord duquel se trouvaient d’autres personnes, dont l’abbé Sebera, que nous n’avons pas revus.
On les a tués. » 8
Allison Des Forges évoque brièvement le massacre de ces religieux :
Huit religieuses de Sovu et deux prêtres furent capturés sur la route, le lendemain [du 3
juillet] ou le surlendemain, alors qu’ils se dirigeaient vers l’ouest. Ils furent tués. 9
Selon Jean Ndorimana, l’abbé Sebera aurait été arrêté à une barrière sur la route du Burundi. Ils ont
été détournés sur le grand-séminaire de Nyakibanda et ont été tués à Ndago le jour suivant :
Que dire des gens qui ont été tués par des miliciens au moment où ils avaient perdu
les traces des Français qui, pourtant, les invitaient à les suivre ? Qu’est-ce qui manquait
aux Français pour détruire le barrage des miliciens à la colline de Nyanza sur la route vers
Bujumbura, pour laisser les abbés Vianney Sebera et François Ngomirakiza ainsi que les neuf
soeurs Bénédictines être détournés vers Nyakibanda et finir par être massacrés à Ndago le
jour suivant ? 10
7. African Rights, Entrave à la justice. Les religieuses de Sovu en Belgique, février 2000 [2, p. 44].
8. Rapport Mucyo, [3, Annexes, p. 190].
9. Aucun témoin ne doit survivre [4, pp. 686–687].
10. Jean Ndorimana, Que sont revenus faire les soldats français au Rwanda en juin 1994 ?, La Nuit Rwandaise no 4.
3
Dans la « Chronique du génocide dans la région de Cyangugu, avril-juillet 1994. », éditée par Jean
Ndorimana, nous lisons à la date du 4 juillet :
Les militaires français évacuent de Gikongoro à Bukavu Monseigneur Jean-Baptiste Gahamanyi,
évêque de Butare, 8 de ses prêtres et un groupe de religieux et de laïcs, tandis que
les abbés Sebera Jean Marie Vianney et François Ngomirakiza ainsi que 9 soeurs Bénédictines
de Sovu ont été déviés par des miliciens à Nyanza (sur la grand-route Butare-Bujumbura) au
moment de l’évacuation par un convoi français vers la frontière burundaise. Ils passent la nuit
au grand séminaire de Nyakibanda, et le lendemain, croyant s’acheminer vers le Burundi, ils
sont tous assassinés près de Kibeho. L’économe diocésain, Monseigneur Félicien Mubiligi, lui,
renonçant exprès à suivre le convoi qui empruntait la route de Gikongoro, sa région natale, a
réussi à suivre pas à pas l’autre convoi français jusqu’à la frontière burundaise. Il est piloté
par l’abbé Rutsindintwarane Emmanuel de Byumba. 11
Maria Hutler, qui travaillait à l’évêché de Butare, nous déclare en substance :
Vous pouvez dire que la France n’a pas été correcte à Butare. Le convoi vers le Burundi
était précédé en tête par les militaires français qui faisaient ouvrir les barrières. Mais le
convoi n’était pas protégé à l’arrière. Les barrières se sont refermées alors qu’il y avait encore
des voitures qui suivaient, dont celle de l’abbé Sebera. Un prêtre [le vicaire général Félicien
Mubiligi] a été prévenir les militaires français, mais ils ont continué sans s’arrêter [transcription
approximative]. Il a téléphoné à l’évêché. Monseigneur était parti. C’est un militaire des FAR
qui a pris le téléphone. Il est parti avec un véhicule alors qu’il ne savait pas conduire. Il a été
traité de déserteur [par les Interahamwe]. Un aumônier militaire a été ferme et l’a sauvé. Tout
cela nous a été raconté par un prêtre nommé Michel [Munyeshaka] qui est revenu du Congo
mais qui est mort depuis de maladie.
Sebera et ses compagnons sont allés de barrière en barrière jusque Ndago près de Kibeho
où ils ont été tués.
Il y avait dans le convoi vers le Burundi un père bénédictin belge qui s’est aperçu qu’il
faisait fausse route, car il voulait aller à Cyangugu. Il a rebroussé chemin. Le vicaire général
Mubiligi a prévenu les militaires français qu’un ou des véhicules s’étaient déconnectés du
convoi. Sebera et les soeurs de Sovu étaient dans un combi VW des bénédictines de Sovu. Le
prêtre bénédictin est passé mais n’a pas vu les soeurs. Il avait très peur. Il en a gardé des
remords. Il a pu retourner sur Butare.
Le VW, bloqué à une barrière, a bifurqué sur le grand séminaire de Nyakibanda. Puis ils
sont allés de barrière en barrière. Il y a deux versions sur leur mort :
1- Ils sont morts le 4 à Ndago.
2- Ou bien le bourgmestre les a mis à la mairie et leur dit qu’il appelle les Français à
Gikongoro. Mais la nuit, les Interahamwe les ont tués.
[Quand on arrive à Kibeho venant de Butare, Ndago est à gauche à 5 ou 6 km au sud.]
Les occupants du VW sont tous morts. Il y avait :
- 2 prêtres ;
- 8 religieuses ;
- 2 ou 3 employés de l’évêché.
Le vicaire général Félicien Mubiligi est sorti au Burundi avec les Français. Il est revenu
par le Bugesera. Il est mort il y a un mois, le 1er mai 2010 à Nairobi. 12
Selon Privat Ngenzi, neveu de Mgr Félicien Mubiligi et Françoise Kayirangwa, nièce de l’abbé Sebera,
« les Français avaient des véhicules en tête et en queue du convoi. Le véhicule (ou les véhicules) des
soldats qui fermaient le cortège avaient à un certain moment doublé ceux de Sebera et des soeurs, les
laissant derrière eux. C’est ainsi que Sebera, Ngomirakiza et les soeurs de Sovu se seraient heurtés à des
barrages qui se refermaient après les Français et ont dû retourner à Nyakibanda puis errer dans la zone
en cherchant en vain un passage sûr pour se reconnecter au convoi. » 13
11. Jean Ndorimana [8, p. 102].
12. Notes prises par Jacques Morel après l’interview de Maria Hutler le 12 juin 2010 à Butare.
13. Interviews par Vénuste Kayimahe de Privat Ngenzi et Françoise Kayirangwa, octobre-novembre 2012.
4
Figure 1 – Région Butare-Gikongoro. Extrait de “Burundi Rwanda” Scale 1 : 400,000, International
Travel Maps, Vancouver, Canada Publishing. On repère :
- la paroisse de Simbi à mi-chemin entre Gikongoro et Butare ;
- en rouge la route de Butare vers le Burundi au sud et la rivière Akanyaru qui fait frontière ;
- les rivières Akavuguto et Mwogo qui ont servi de frontière de Turquoise ;
- le grand séminaire de Nyakibanda au sud-ouest de Butare ;
- Kibeho au sud de Gikongoro et à l’ouest de Butare ;
- Mata et son usine à thé au nord de Kibeho et Mubuga au sud ;
- Coko entre Mubuga et la paroisse de Cyahinda, Nyakizu à côté de Cyahinda ;
- Ndago se trouve près de Mubuga.
5
Figure 2 – Extrait de la carte au 1/50.000e. Source : Rapport Mucyo. Partant de Nyakizu au sud, la piste
empruntée par Sebera et ses compagnons passe à la paroisse de Cyahinda, franchit la rivière Akavuguto,
traverse Coko et arrive à Mubuga par Ndago. Trois lieux portent le nom de Ndago. Le bureau communal
de Mubuga se trouve en fait à Ndago ou tout à côté
Madeleine Raffin, alors directrice de Caritas à Gikongoro et proche des militaires français, a relaté
l’histoire ainsi :
J’ai pu savoir que, pressés par l’arrivée imminente des militaires du FPR, que les militaires
français avaient l’ordre de ne pas risquer d’affronter, quelques personnes, qui s’étaient retardées,
sont parties dans leur véhicule un peu plus tard derrière la dernière voiture des Français.
Les miliciens ont dressé un barrage et la suite du cortège a dû emprunter un autre itinéraire, la
direction de Nyakibanda (grand séminaire), puis celle de Kibeho où ils ne sont jamais arrivés.
En effet, parvenus à Ndago (centre de négoce), ils ont été arrêtés. A cet endroit, deux prêtres,
les abbés Jean-Marie Vianney Sebera et François Ngomerakiza, ainsi que huit religieuses du
monastère de Sovu ont été assassinés. Cette dernière précision est importante car très vite
le bruit a couru que les Français avaient volontairement abandonné une partie des personnes
dont ils avaient la charge pour les faire livrer aux miliciens.
Le colonel Thierry Jouan, agent de la DGSE infiltré à Butare, a relaté cet épisode sous la forme d’un
récit d’une certaine soeur Bernadette où les noms de ville et de pays sont codés :
Ce responsable de Terre des Hommes a à nouveau sollicité les opérations militaires car
il y avait plus de 500 enfants à l’école et il en était le mandataire. Une opération partielle
d’évacuation a eu lieu le lendemain et le surlendemain, le FPZ (FPR) était dans la ville.
Lors de la première évacuation, la direction était Potumjara (Bujumbura) pour les enfants
et le reste des rescapés devait partir vers Gukoséra (Gikongoro). Malheureusement une partie
de ce dernier convoi a pris la direction du Boulanga (Burundi) et a été intercepté par les milices
et dévié vers une route secondaire. L’escorte militaire a certainement manqué de vigilance à
6
cet endroit, continuant son chemin vers le Boulanga avec les enfants. Sur cette route, plusieurs
soeurs bénédictines ont été tuées. Je ne me souviens plus du nombre (sept ou huit ?) 14
Cet officier français reconnaît donc qu’un manque de vigilance du commandement de l’escorte militaire
est à l’origine de la mort des religieux rwandais.
Les témoignages des Interahamwe de la commune de Mubuga
Antoine Nshutininka, interrogé en 2003 à la prison de Gikongoro par Cécile Grenier, évoque les
circonstances de la mort de l’abbé Sebera au bureau communal de Mubuga :
Je m’appelle Nshutininka Antoine. Je suis originaire de l’ancienne commune de Mubuga,
aujourd’hui district de Nyaruguru, colline de Coko, secteur Kagarama. J’ai 27 ans. [...]
Le premier jour de leur arrivée [des Français] dans cette zone Turquoise, après leur traversée
de Butare – car nous habitions près de la frontière entre Nyakizu et Mubuga – dès leur traversée
de l’Akavuguto, 15 ils se sont arrêtés sur une barrière, car il y avait une barrière dans notre
secteur de Coko. Leurs véhicules sont venus accompagnés de deux blindés qui étaient devant.
Il y avait un hélicoptère également qui les protégeait à partir du ciel. Il y avait aussi avec
eux deux bus dans lesquels se trouvaient des enfants orphelins qu’ils avaient pris à Butare. Ils
avaient aussi avec eux des prêtres ainsi que des religieuses, des soeurs.
Tout de suite après leur arrivée à cette barrière, les véhicules se sont arrêtés, puis certains
Français ont continué, ne laissant sur place qu’un seul blindé que l’on voyait bien qu’il protégeait
ces soeurs et ces prêtres. Alors, les gens qui avaient établi cette barrière, dont Budara et
même ses grands frères – car c’était eux qui avaient créé cette barrière – ont sorti immédiatement
ces abbés et ces soeurs. Ils les ont sortis des véhicules, le blindé des Français s’est arrêté
et les occupants ont discuté avec eux, mais après avoir parlé avec eux, ils les leur ont laissés.
Les Français les leur ayant laissés, Budara et les autres les ont éloignés de cette barrière, les
ont d’abord conduits chez Philippe, puis les ont ramenés à cette barrière. Ensuite, une partie
d’entre eux a été embarquée dans un véhicule qui se trouvait là, une autre a été emmenée à
pied et ils les ont tous assassinés sans tarder au bureau de la commune Mubuga, là chez moi
justement.
Q. Ils étaient combien ?
R. C’était huit religieuses et ce prêtre Sebera qui était le neuvième.
Q. Les Français les ont abandonnés aux mains de ces gens... Ne savaient-ils pas qu’ils les
livraient à des tueurs ?
R. Si. Ils le savaient, étant donné que c’était sur une barrière. Certains soldats français se
trouvaient dans une camionnette Daihatsu. Et d’ailleurs sur cette barrière, ils y ont laissé une
arme à cette barrière établie.
Q. Ils y ont laissé un seul fusil ou plus ?
R. Ils y ont laissé un seul.
Q. A qui l’ont-ils laissée cette arme ?
R. Et des grenades aussi. Ils l’ont donné à Budara.
Q. Celui-là qui est en prison ici ?
R. Oui.
Q. Donc, ils lui ont laissé ces réfugiés, et un fusil et des grenades ?
R. Oui.
Q. Ce fusil et ces grenades, à quoi cela a-t-il servi ?
R. Lorsque les Français leur ont laissé ces gens-là, Budara et les autres les ont remontés
immédiatement au bureau communal. Ces armes, elles n’ont joué aucun rôle dans la mort de
ces gens-là, car ils ont été tués avec des machettes et des épées. Mais ces fusils ont continué à
servir autrement, disant que cela aidait à assurer la sécurité. Mais elles ont été utilisées dans
14. T. Jouan [5, p. 228].
15. La frontière de la zone Turquoise suivait la rivière Akavuguto au sud du mont Huye et la rivière Mwogo au nord. 16
7
de très mauvaises actions, même dans les camps, car ils continuaient à pourchasser les Tutsi
survivants dans divers coins. 17
La description du convoi de deux bus transportant des enfants orphelins de Butare accompagné par
un hélicoptère, pourrait correspondre au convoi mené au Burundi le 3 juillet par le commando Trepel
dirigé par le capitaine de frégate Marin Gillier. 18 Mais ce convoi comportait huit bus d’orphelins et de
nombreux autres véhicules. 19 Il s’agirait donc d’un reste de ce convoi français, qui, de retour du Burundi,
se dirigeait vers Gikongoro sans passer par la ville de Butare occupée par le FPR.
Justin Masabo, âgé de 42 ans, demeurant dans la commune de Mubuga au moment du génocide, en
prison à Gikongoro, avoue à Cécile Grenier être un des tueurs des religieux. Il déclare :
Alors après ça, il y a eu des prêtres qui ont été tués à la commune, qui y avaient été amenés
par ce garçon qui parle français et qui est avec nous ici en prison.
Q. Il s’appelle comment ? Budara Jean de Dieu ou quoi... ?
R. Oui. Budara. Car ils sont montés en venant de Cyahinda, et ils sont tombés sur la
ronde des gens qui se trouvaient sur la barrière au secteur Coko. Les gens se sont rassemblés
en masse et les ont conduits en véhicule.
Q. Ces prêtres ?
R. Oui. Les Budara là les ont amenés au bureau communal, le bourgmestre était là, ils
les ont accueillis. Les véhicules avaient été parqués sur une cour, derrière la commune, à un
endroit où les chrétiens avaient l’habitude de se rassembler pour la prière. Je ne sais pas
comment, le bourgmestre Gitamisi s’est éclipsé. S’il était allé au-delà de l’Akanyaru ou s’il
était venu ici à Gikongoro ou à Kibeho, je ne sais pas. Alors j’ai vu des militaires, habillés
d’uniformes en tissus de pagne, aux manches très larges, armés de fusils, je les ai vus venir et ils
roulaient tellement vite qu’ils ne semblaient plus être en véhicule, on aurait dit qu‘ils planaient
en parachutes. Ils sont donc venus, ont pris ces prêtres et les ont emmenés à l’intérieur du
bâtiment. La commune avait une clôture en cyprès, nous nous tenions derrière cette clôture,
à l’entrée. Ils leur ont pris leur argent, ont fouillé leurs sacs et y ont pris je ne sais quoi. Après
les avoir fouillés, ils sont sortis et nous ont appelés. Je crois qu’ils étaient au nombre de six.
Peut-être trois filles et trois hommes. Ces gens-là, nous les avons tués.
Q. Ils vous ont appelés et vous ont dit de faire le boulot ?
R. Oui. Ils ont dit : « Les plus forts, venez ! » Ils nous ont ainsi lâché dans cette maison et
nous ont dit : « Terminez-en avec eux ». Ça je l’ai avoué, ce que je n’ai pas avoué, c’est ce qui
concerne la maman de Rusagara, car je n’en savais rien. Sinon comme on nous le demandait,
j’ai fait des aveux, cependant ce garçon Budara, lui, a refusé d’avouer et pourtant lui il est
même allé à notre commune d’origine et les citoyens l’ont hué, ont rejeté ses dires, alors que
moi, dernièrement, j’y suis allé et ai adjuré les autres restés sur les collines à avouer, et les
citoyens ont accepté mes aveux, et certains criminels ont alors eux aussi avoué, deux, non,
trois, ils m’ont...
Q. Ces gens-là, vous les tuiez avec quoi ?
R. Les gens ?
Q. Oui.
R. Avec des massues. 20
Jason Twagirayezu, maçon, habitant au moment des faits la commune de Mubuga (Gikongoro), parlant
de 2 personnes jetés depuis des hélicoptères, dit que c’est le jour de la mort de l’abbé Sebera et la situe
le 6 ou le 7 mai :
R. Oui. Il y en a encore un qu’ils ont amené. Le jour de la mort de Sebera. Nous nous
trouvions à la commune. L’abbé Sebera, ce jour-là de sa mort, cet avion est revenu, amenant
encore deux personnes et les a jetées au dessus de l’Akanyaru là-bas, à Ruseke. Nous nous
trouvions à la commune, et l’avion l’a abandonnée sur une colline non loin de là. Quatre
17. Interview de Antoine Nshutininka par Cécile Grenier, Cassette no 103. Traduction de Vénuste Kayimahe.
18. Déclaration de Jacques Rosier. Cf. B. Lugan [6, p. 222]. Voir aussi Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [9,
Rapport, p. 311].
19. Aucun témoin ne doit survivre [4, pp. 686–690].
20. Interview de Justin Masabo par Cécile Grenier, Cassette no 094. Traduction de Vénuste Kayimahe.
8
policiers communaux ont pris des fusils, ont couru dans cette direction et les ont ramenées au
bureau communal.
Q. L’hélicoptère atterrissait-il et les débarquaient-ils normalement, ou les jetaient-ils là ?
R. Non ! C’était les balancer. Disons par exemple, si j’essaye d’estimer, c’est comme s’il
était au niveau de ces arbres (4 à 5 m) et les jetait en bas.
Q. Ces deux là, tu te souviens de la date où ils ont été amenés ?
R. La date ? C’était au mois de... mai, quelle date ? quelle date ?... le 6 ou 7, vers ces
dates-là. 21
Laurent Nyamwasa, un Interahamwe, interrogé par la commission Mucyo à propos des largages de
personnes depuis des hélicoptères français, déclare avoir arrêté l’abbé Sebera sur une barrière à Ndago :
Certains ont vu le largage en question, d’autres en ont entendu parler peu après son
déroulement. Nyamwasa Laurent signale : « Nous étions sur la barrière de Ndago où nous
avons arrêté l’Abbé Sebera et les religieuses qui étaient avec lui. Nous les avons amenés au
bureau communal de Mubuga. Le bourgmestre Bakundukize nous a empêchés de les assassiner
sur le champ en disant qu’il allait les livrer aux interahamwe de Mata. Nous sommes retournés
chez nous. Arrivés là, j’ai vu un hélicoptère qui a jeté un jeune homme et qui est reparti
aussitôt. Il était attaché avec une ceinture militaire ». 22
Devant la même commission, Narcisse Mbabariye parle d’une personne larguée par un hélicoptère
français qui a été tuée en même temps que l’abbé Sebera :
Sheke est une cellule qui, (une entité administrative), tout comme Ruseke, fait partie du
secteur Kamana, dans l’ancienne commune Mubuga. Plusieurs témoins interrogés sur le lieu
ont affirmé être au courant d’un cas de largage qu’un hélicoptère français y a effectué en juillet
1994. Narcisse Mbabariye en a été témoin oculaire : « J’ai vu un hélicoptère des militaires
français entre le mois de juin et de juillet 1994. Il est arrivé à Sheke au-dessus d’une école et
a fait comme s’il allait atterrir. Au lieu de se poser sur le sol, il s’est baissé jusqu’à environ
3 mètres du sol et a largué une personne et est reparti aussitôt. Après son départ, nous nous
sommes rendus sur les lieux pour voir qui était cet homme. Nous l’avons trouvé attaché les
mains derrière le dos et portant un pantalon et un blouson en jeans. Nous lui avons demandé
d’où il venait, il a répondu qu’il avait été arrêté par les Français. Les gens qui étaient là ont
alors décidé de l’amener à Munini où se trouvait la gendarmerie et la sous-préfecture. Je ne
suis pas parti avec ceux qui l’ont conduit là-bas, je suis resté chez-moi, mais j’ai appris dans
la suite qu’il avait été conduit au bureau communal de Mubuga à Ndago et qu’il avait été tué
avec l’Abbé Sebera et les religieuses qui étaient avec eux ». 23
Viateur Nkuriza témoigne des mêmes événements :
Viateur Nkuriza qui était agent de sécurité dans le camp de Kamana atteste qu’il a accueilli
la personne larguée : « Pendant l’opération Turquoise, il y avait un camp de réfugiés dans
notre secteur de Kamana et j’étais l’un des agents chargé du maintien de l’ordre dans ce camp.
Je me souviens avoir vu un hélicoptère survolant cette région, et quand il est arrivé dans la
cellule Sheke, il s’est baissé et a largué un jeune homme. La population de Sheke l’a conduite
à Kamana où je me trouvais. Il portait un pantalon et une chemise en jeans et était attaché
les mains derrière le dos. Je me suis approché de lui, et j’ai ordonné qu’on lui déserre les
liens. Je l’ai interrogé. Il m’a répondu qu’il était originaire de Butare, qu’il avait été arrêté
et embarqué de force avec d’autres personnes dans l’hélicoptère, et qu’ils ont été largués par
des militaires français à différents endroits. Je l’ai acheminé au bureau communal pour que le
bourgmestre Bakundukize décide de son sort. Il y a été conduit par Kabayiza et par d’autres
personnes dont je ne me souviens pas les noms. Par la suite, j’ai appris qu’il avait été assassiné
à Ndago avec l’abbé Sebera et les religieuses tutsi qui étaient avec ce prêtre ». 24
21. Interview de Jason Twagirayezu, prison de Gikongoro, par Cécile Grenier, Cassette no 091. Traduction de Vénuste
Kayimahe.
22. Rapport Mucyo, [3, p. 256]. http://www.francegenocidetutsi.org/RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=262
23. Rapport Mucyo, [3, p. 256].
24. Rapport Mucyo, [3, p. 257].
9
Le témoignage du bourgmestre Innocent Bakundukize
Innocent Bakundukize était agronome dans la plantation de thé de Mata. Il a participé au massacre
de Kibeho du 11 au 15 avril. 25 Il a été nommé bourgmestre de Mubuga le 25 avril, après la mort de son
prédécesseur Charles Nyiridandi, lors d’une dispute à propos du pillage du projet DANK. Bakundukize
se serait enfui après la mort de Sebera et de ses compagnons. 26 Interrogé en prison sur ce massacre, il se
décharge sur l’abbé Anaclet Sebahinde :
On 3 July I went to DANK27 to ask for their car, as the official car had broken down. On
the way back to the commune office, I saw a lot of people arriving from the Coko sector. They
told me they had caught some Inkotanyi. When I reached Coko, I saw 13 members of the
clergy, including priests and Nuns. The priests included : Father Sebera from Nyarunyinya
cellule, Kibeho, a great friend of mine. I asked Father Sebera why they were there. He replied
that the French soldiers wanted to evacuate them, and so Sebera and the others left in their
own cars, with the French soldiers marching ahead of them. When they got to Coko, the local
people made them stop as the French had gone ahead.
I invited the clergy to the commune office and when they arrived, I put them in the hall.
I sent my police to DANK to tell the gendarmes there to come and help the clergy rejoin the
French soldiers. The gendarmes refused, saying it was not their job. I then drove off to see
the préfet of Gikongoro and ask him to find a way of helping these refugees.
When I drew near the Parish of Kibeho I was stopped by Father Anaclet Sebahinde, from
Nyarugumba sector, Mubuga commune. He had come with refugees, but now he was in a van
with 12 soldiers, all armed with guns. The priest complained bitterly at me, saying, “You must
know very well that the Inkotanyi killed three of our Hutu bishops at Kabgayi, yet you now
want to save the Inkotanyi-Inyenzi accomplices. I ask you to return quickly to the communal
office. If you refuse, we’ll kill you”.
I returned to the communal office with them. Anaclet went straight to the hall with the
militia men. He told the Hutu priest, whose name I don’t know, to leave. The militiamen there
included Phillipe, a teacher from Ruko sector, and Anastase, Joseph Bimenyimana’s son from
Ruko. Anaclet told them to bring massues, small hoes, swords and machetes to kill the clergy.
They were then killed right there in that hall. The militiamen then buried the bodies behind
the communal office.
Father Anaclet immediately took Father Sebera’s car. He was very pleased with himself.
He told the soldiers they had done a great deed in killing the enemies of the country, the great
Inkotanyi. 28
25. African Rights, Témoignage de François Murashi sur l’abbé Pierre Ngoga. Butare, 14 mars 2000. http://www.
francegenocidetutsi.org/Murashi.pdf African Rights, Interview d’Innocent Bakundukize à la prison de Gikongoro, 10
novembre 1997. http://www.francegenocidetutsi.org/BakundukizeInnocent10novembre1997.pdf
26. Interview de Jason Twagirayezu par Cécile Grenier.
27. DANK : Projet de Développement Agricole Nshili-Kivu.
28. African Rights, Interview d’Innocent Bakundukize à la prison de Gikongoro, 10 novembre 1997. http://www.
francegenocidetutsi.org/BakundukizeInnocent10novembre1997.pdf Traduction de l’auteur : Le 3 juillet, je suis allé
au projet DANK pour demander leur véhicule, car celui de la commune était cassé. Au retour au bureau communal, je vis
un groupe de gens revenant du secteur Coko. Ils m’ont dit qu’ils avaient attrapé des Inkotanyi. Quand j’arrivai à Coko,
je vis treize membres du clergé, dont des prêtres et des religieuses. Parmi les prêtres il y avait le père Sebera de la cellule
Nyarunyinya de Kibeho, un grand ami à moi. Je demandai au père Sebera ce qu’il faisait là. Il m’a répondu que les soldats
français voulaient les évacuer et donc lui Sebera et d’autres avaient pris leur propre véhicule et suivaient les Français qui
roulaient en tête. Quand ils sont arrivés à Coko, la population les a fait arrêter alors que les Français ont continué.
J’ai invité les religieux au bureau communal et quand ils sont arrivés, je les ai installés dans le hall. J’envoyai mes
policiers à DANK pour demander aux gendarmes de venir et d’aider les religieux à rejoindre les soldats français. Les
gendarmes ont refusé, disant que ce n’était pas leur travail. Je suis alors parti voir le préfet de Gikongoro pour lui demander
de trouver une solution pour aider ces réfugiés.
Quand je passai près de la paroisse de Kibeho, je fus arrêté par le père Anaclet Sebahinde du secteur Nyarugumba de la
commune de Mubuga. Il était venu avec des réfugiés, mais maintenant il était dans un camion avec 12 soldats tous armés de
fusils. Le prêtre se plaint à moi amèrement disant “Vous devez bien savoir que les Inkotanyi ont tué trois de nos évêques à
Kabgayi, maintenant vous voulez sauver des complices des Inkotanyi. Je vous demande de retourner au bureau communal.
Si vous refusez, je vous tue.
Je suis retourné au bureau communal avec eux. Anaclet est allé directement dans le hall avec ses miliciens. Il dit au
prêtre hutu, dont j’ai oublié le nom, de partir. Parmi les miliciens il y avait Philippe, un enseignant du secteur Ruko, et
10
Innocent Bakundukize a été maintenu comme bourgmestre par les Français, alors qu’ils savaient qu’il
était un des principaux tueurs. 29 Il a été interviewé sur ses relations avec les Français pendant Turquoise
par African Rights le 18 février 2005 à la prison de Gikongoro. 30
L’abbé Anaclet Sebahinde alias "Shikito", était aumônier militaire et opérait depuis Butare. Il est
accusé d’avoir mené des groupes de miliciens à la chasse aux Tutsi. Il aurait fait tuer plusieurs prêtres.
Selon Rakiya Omaar, « les miliciens qui sont revenus des camps identifient le Père Sebahinde comme étant
l’homme qui a organisé le meurtre, à Gikongoro, au début du mois de juillet 1994, de deux prêtres et de
huit religieuses bénédictines de Sovu, Butare. » 31 Il a fui au Zaïre. Selon le site chrétien AfriquEspoir, qui
défend les génocidaires, il serait mort au Masisi, en janvier 1997 :
Sebahinde Anaclet
Au moment de la destruction des camps des réfugiés, en novembre 1996, il se mêla aux
réfugiés en fuite à travers les forêts. Son véhicule se renversa dans une zone de combats, et il
fut gravement blessé. Un pasteur protestant de Mbishibishi (au Masisi) essaya de lui porter
secours. L’abbé Anaclet mourut au Masisi, en janvier 1997. Hutu. 32
Essai de synthèse de ces témoignages
Le véhicule de l’abbé Sebera aurait suivi le 3 juillet le convoi vers le Burundi commandé par le
capitaine de frégate Marin Gillier. En queue de convoi, il aurait été arrêté à une barrière à la colline de
Nyanza. Le vicaire général Félicien Mubiligi aurait prévenu les Français qui n’auraient rien fait. Sebera
et ses compagnons se seraient détournés vers le grand séminaire de Nyakibanda (témoignages de Maria
Hutler, Jean Ndorimana et Joseph Ngomanzungu). Ils y auraient passé la nuit puis seraient partis le
lendemain vers Kibeho.
Il faut supposer qu’ils ont alors suivi un convoi formé de 2 bus et escorté par deux blindés français
et un hélicoptère. Probablement ce convoi était de retour du Burundi où des orphelins de Butare avaient
été évacués le 3 juillet. Ils ont été arrêtés à une barrière après la traversée de la rivière Akabugoto.
Le dernier blindé français resté là les aurait abandonnés aux Interahamwe en particulier à un certain
Budara Jean de Dieu. Ils auraient été transportés au bureau communal de Mubuga où ils auraient été
assassinés.(Témoignages d’Antoine Nshutininka, Laurent Nyamwasa et Innocent Bakundukize).
Le bourgmestre Innocent Bakundukize confirme que des Français avaient évacué Sebera. Il accuse
l’abbé Anaclet Sebahinde de leur mort, mais c’est bien sûr lui qui avait l’autorité.
Mort d’un témoin : Félicien Mubiligi
Félicien Mubiligi, vicaire général et économe du diocèse de Butare, a été la victime en novembre 1995
d’une campagne de diffamation organisée par le directeur du grand séminaire de Nyakibanda, Anastase
Mutabazi, qui a été nommé évêque de Kabgayi. 33 Il s’est opposé le 15 février 1995 au père Dayez qui
refusait que les soeurs Marie-Bernard et Scholastique retournent au monastère. 34 Il est mort subitement
en mai 2010 à Nairobi. Privat Ngenzi, son neveu, a soutenu à son enterrement qu’il avait été empoisonné.
Anastase, fils de Joseph Bimenyimana de Ruko. Anaclet leur dit d’amener des massues, de petites houes, des poignards, des
machettes pour tuer les religieux. Ils ont été tués immédiatement dans ce hall. Les miliciens les enterrèrent ensuite derrière
le bureau communal.
Le père Anaclet prit imédiatement le véhicule de l’abbé Sebera. Il était très content de lui. Il dit aux soldats qu’ils ont
accompli là une tâche importante en tuant les ennemis du pays, les grands Inkotanyi.
29. Rwanda : Death, Despair and Defiance [1, p. 1151].
30. African Rights, Interview d’Innocent Bakundukize sur l’opération Turquoise, Gikongoro, 18 février 2005. http://www.
francegenocidetutsi.org/Bakundukize18fevrier2005.pdf
31. Rakiya Omaar, Lettre ouverte à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul Il, African Rights, 13 mai 1998, p. 5.
32. http://www.afriquespoir.com/cibles/page22.html.
33. C. Terras Rwanda, l’honneur perdu de l’Église [10, pp. 180–181, 190]. Depuis, Anastase Mutabazi a été suspendu de
sa fonction d’évêque par le Vatican.
34. African Rights, Entrave à la justice. Les religieuses de Sovu en Belgique, Février 2000, p. 56.
RÉFÉRENCES 11
Poursuite de l’enquête
Nous nous sommes rendus à la prison de Gikongoro le 20 octobre 2011. Nous y avons appris que Antoine
Nshutininka, Justin Masabo, Jason Twagirayezu n’y étaient plus et avaient sans doute été libérés.
Les responsables français impliqués seraient le colonel Jacques Rosier, le colonel Didier Tauzin, le
capitaine de frégate Marin Gillier. Précisément, le commandant de l’opération, Jacques Rosier, s’est
félicité dimanche 3 juillet d’avoir sauvé les soeurs de Sovu : « J’ai eu un petit réconfort, confiait dimanche
soir le colonel Jacques Rozier. On a pu sauver les bénédictines de Sovou. » 35
Références
[1] African Rights : Rwanda : Death, Despair and Defiance. African Rights, P.O. Box 18368, London
EC4A 4JE, 1995. 1re édition, septembre 1994.
[2] African Rights : Entrave à la justice. Les religieuses de Sovu en Belgique. African Rights, P.O.
Box 3836, Kigali Rwanda, Février 2000. No 11.
[3] Commission Nationale Indépendante chargée de rassembler les preuves montrant
l’implication de l’État Francais dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 : Rapport.
République du Rwanda, 15 novembre 2007.
[4] Alison Des Forges : Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda. Karthala, Human
Rights Watch, Fédération internationale des Droits de l’homme, avril 1999. Traduction de Leave
None to Tell the Story.
[5] Colonel Thierry Jouan : Une vie dans l’ombre. Éditions du Rocher, 2012.
[6] Bernard Lugan : François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda. Éditions du Rocher, mars
2005.
[7] Gabriel Maindron : Des apparitions à Kibeho. O.E.I.L., 1984.
[8] Jean Ndorimana : Rwanda 1994, Idéologie, Méthodes et Négationisme du Génocide des Tutsi à la
Lumière de la Chronique de la Région de Cyangugu. Perspectives de Reconstruction. Vivere In, 2003.
[9] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271,
http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information
de la commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission des
Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au
Rwanda entre 1990 et 1994.
[10] Christian Terras et Mehdi Ba : Rwanda, l’honneur perdu de l’Église. Golias, avril 1999.
35. Corine Lesnes, Une mission sur le fil du rasoir, Le Monde, 5 juillet 1994, p. 3.
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